Le commentateur militaire William M. Arkin s’inquiète dans le Los Angeles Times du programme insipide de John Kerry. Le candidat démocrate se contente de dire qu’il fera la même chose que George W. Bush, mais en mieux. Il a renoncé à remettre en cause les analyses et décisions post-11septembre.
De son côté, le colonel Andrew J. Bacevich s’interroge dans le Los Angeles Times sur cette étrange guerre au terrorisme que les États-uniens ne voient pas, ni ne ressentent. Elle n’a aucune incidence sur leur vie. On pourrait prolonger ces remarques en observant que cette guerre modifie pourtant profondément la société dont elle suspend les libertés. Ainsi, de même que le fascisme en prolongeant pendant la paix l’unité des temps de guerre avait suspendu les libertés politiques et sociales, de même le régime Bush (et nous venons de voir qu’il en serait de même avec Kerry) a suspendu les libertés en faisant une guerre virtuelle en temps de paix.

Voici deux exemples concrets de suspension des libertés. L’un relatif à la liberté de conscience et l’autre aux droits des justiciables.
Michael Newdow se désole dans le New York Times du refus qu’il vient d’essuyer de la part de la Cour suprême fédérale. Il avait demandé que la mention de Dieu soit retirée du serment d’allégeance, récité chaque matin par les écoliers, dont sa fille. En fait la Cour, qui ne souhaitait pas lui donner raison, s’est bien gardée de se prononcer sur le fond. Mais peut-on admettre cette dérobade ?
Me Gerald Shargel alerte les lecteurs du Los Angeles Times du procès intenté à sa consœur Me Lynne Stewart par l’Attorney general John Ashcroft. L’avocate, qui est une militante anti-impérialiste proche de l’ancien Attorney general Ramsey Clark et du groupe activiste ANSWER, est poursuivie pour avoir laissé l’un de ses clients communiquer à l’extérieur de sa prison. Rappelons que le client en question n’est autre que cheikh Omar Abdel Rahman, condamné à 65 ans de prison pour avoir incité les auteurs de l’attentat de 1993 contre le World Trade Center à passer à l’acte. L’enquête ayant démontré que M. Abdel Rahman n’avait aucunement participé, ni de près, ni de loin, à l’attentat, une loi des temps de guerre avait été réactivée pour incriminer ses prédications. Or, son avocate ayant peut-être laissé le cheikh communiquer avec l’extérieur de la prison, elle est accusée d’être associée à ses prédications qui pourraient avoir incité à la commission de violence en Égypte. Le raisonnement est évidemment tiré par les cheveux, mais il donne une idée précise du régime politique actuel aux États-Unis.

Et voici deux exemples du tout-sécuritaire. Le premier dans le domaine civil, le second dans le domaine militaire.
Herbert E. Meyer, ancien assistant spécial du directeur de la CIA sous Reagan, se félicite de la démission de l’actuel directeur, George Tenet. Dans le Wall Street Journal, il l’accuse d’incompétence dans la mesure où l’Agence n’a pas été capable de confirmer diverses imputations qu’il considère comme acquises. Cette tribune, signée par un maniaque du conflit des civilisations dans un quotidien pro-guerre, manifeste avec force l’intention des faucons de reprendre l’Agence en main, comme ils le firent avec Bush Sr. On se souvient que le même clan avait déjà tenté d’évincer Tenet au profit de Giuliani, après le 11 septembre. Cette charge intervient alors que de nombreux experts demandent, au contraire, la nomination d’un directeur a-politique.
Dans le Washington Times, le colonel Darl Stephenson salue ses camarades de la défense anti-aérienne qui ont si bien réagi le 11 septembre. Nous ne l’avions pas remarqué. C’est que, d’après l’auteur, l’incapacité d’intercepter les avions lancés contre le World Trade Center n’est pas imputable aux hommes, mais au manque de moyens. Il faut donc financer un nouveau système anti-aérien. L’argument est particulièrement ridicule quand on compare les moyens actuels des États-Unis en ce domaine avec ceux de petits États qui disposent pourtant d’une défense anti-aérienne efficace.

Enfin, de même que le fascisme mussolinien redessinait l’Éthiopie, de même le régime Bush recompose le Proche-Orient.
Ainsi, Henri J. Barkey, ancien directeur de la planification au département d’État, plaide dans le Los Angeles Times pour l’indépendance du Kurdistan irakien. Il assure que ce serait l’intérêt des Turcs, qui y sont à tort opposés. L’une des premières tâches de John Negroponte sera d’en convaincre Ankara.