Pour consulter la première partie de cette étude : cliquez ici : « Le contrôle des dégâts : Noam Chomsky et le conflit israélo-israélien ». Pour la seconde, cliquez ici : « Contrairement aux théories de Chomsky, les États-Unis n’ont aucun intérêt à soutenir Israël ».

S’il est des constantes à Washington, ce sont bien l’ascendant de l’Aipac sur le Congrès et le pouvoir combiné des deux cités sur la Maison-Blanche, quand il est question du Moyen-Orient. Même si ce lobby et ses laquais du pouvoir législatif ne remportent pas absolument toutes les batailles, ils finissent par être victorieux dans toutes les guerres, comme en attestent les trois ex-présidents encore de ce monde Gerald Ford, Jimmy Carter et George Bush père, qui finirent grands perdants aux élections.

Fondée en 1959, d’année en année, cette organisation prend de l’ampleur et gagne en puissance. Basée à Washington, avec des bureaux dans l’ensemble des États-Unis, avec ses 85 000 membres gonflés à bloc, un personnel de 165 personnes et un budget annuel de 33,4 millions de dollars [1], l’Aipac est le pinacle d’un ensemble massif d’organisations sionistes et de Comités d’action politique [les PACs – Political Action Committees] partout dans le pays, allant du national au local, voués à la pérennisation du statut privilégié dont Israël jouit dans la capitale fédérale.

Israël ne se fait certes plus aucun souci à propos de la Maison-Blanche. Mais, par le passé, Ford, Carter et Bush père avaient publiquement défié les aspirations territoriales d’Israël et ils s’étaient mis ce lobby à dos à de nombreuses occasions. Ceci n’apparaît pratiquement pas dans les écrits de Chomsky. En lieu et place, celui-ci voudrait nous faire croire que ces présidents, comme leurs prédécesseurs, soutenaient la construction de colonies par Israël ainsi que les efforts de ce pays visant à intégrer les territoires au sien propre. Toutes les archives historiques apportent la preuve du contraire. Mais cela n’empêche nullement Chomsky d’écrire :

«  Bien que les faits les plus importants soient absents des commentaires consensuels, et souvent ignorés ou déformés, y compris dans des publications de recherche, ils ne sont pas controversés. Ils fournissent la base indispensable pour toute compréhension sérieuse de ce qui est en train de se passer actuellement.  » [2]

La plus grande partie de ce que Chomsky nous décrit comme ne faisant pas l’objet de controverse s’avère être controversé, et comment ! Particulièrement en ce qui concerne les relations entre Israël et la Maison-Blanche. Le chercheur israélien respecté, militant des droits de l’homme, le regretté professeur Israël Shahak, avait fait observer que l’analyse de Chomsky souffre de

«  sa tendance indéniable à diaboliser la présidence états-unienne, et l’exécutif états-unien de manière générale, tout en ignorant le pouvoir législatif ; mais aussi de sa tendance – très fâcheuse, à mon humble avis – à présumer que non seulement les principes, mais littéralement tout ce qui concernait l’impérialisme états-uniens, avait été exposé voici bien longtemps, en 1944, ou à peu près, et que, depuis lors, la politique, pour ainsi dire, cela se résumait à exécuter les instructions reçues d’un ordinateur…

C’est là ignorer non seulement le facteur humain, aux États-Unis mêmes, mais aussi la nature complètement différente des ennemis et des victimes des États-Unis au cours des dernières décennies. Il ne saurait exister aucun doute, à mon avis, sur le fait que les politiques actuelles menées par les États-Unis sont complexes, même quand elles sont mauvaises et influencées, comme dans le cas de tous les autres pays, par de nombreux facteurs, dont font partie et l’Aipac et la connerie humaine (à laquelle Chomsky ne fait jamais la moindre allusion…)  »

Enfin, citons ce paragraphe, particulièrement pénétrant :

«  Mais de telles théories simplistes, fondées sur sa mémoire et sur sa capacité à sélectionner des exemples épars (remontant parfois très loin dans le passé, comme son exemple fétiche à propos d’Eisenhower, tout en ignorant tout de ce qui a bien pu se passer depuis 1967) sont susceptibles de séduire des jeunes en quête de certitudes, et aussi tous ceux qui ne veulent pas s’engager dans un véritable travail de recherche et qui trouvent un palliatif dans un étalage d’émotions indécent et futile  ». [3]

Après avoir entendu de quelle manière Chomsky avait répondu à une question à l’issue d’un discours qu’il avait prononcé à Berkeley, au moment de la montée en charge de la première guerre du Golfe, j’avais écrit à Shahak. Une personne, dans l’assistance, voulait savoir ce que Chomsky pensait du rôle joué par l’Aipac dans cette guerre et ce qu’il pensait du lobby, de manière générale. Comme prévu, Chomsky s’était montré plein d’indulgence.

«  Personnellement, je ne pense pas que l’Aipac ait joué un bien grand rôle dans tout ceci. De fait, j’ai l’impression – encore une fois, je m’exprime ici à titre personnel – qu’on exagère énormément le rôle du lobby israélien, de manière générale. C’est une question d’appréciation. Il ne s’agit pas simplement d’une question de faits, d’une question objective. A mon avis, si le lobby israélien a l’influence qui est la sienne, c’est dans une large mesure parce qu’il se trouve qu’il coïncide avec certains secteurs puissants du pouvoir américain, sur le plan intérieur.  » [4]

Néanmoins, le commentaire de Chomsky mentionnait que «  l’Aipac (était) largement crédité d’avoir joué un rôle essentiel dans la conquête des votes requis au Sénat pour donner une majorité au Président Bush. En raison de l’extrême sensibilité [de l’opinion publique] pour cette question, l’Aipac était particulièrement désireuse de camoufler son rôle, afin d’éviter de fournir des preuves étayant l’accusation… selon laquelle la guerre du Golfe persique a[urait] été déclenchée à l’instigation des juifs, aux fins de protéger Israël  » [5] «  Pour déguiser ce rôle  », a indiqué le journaliste Larry Cohler du Washington Jewish Week, «  l’Aipac avait fait en sorte que des sénateurs juifs très en vue votent contre la guerre, tout en déployant un lobbying interne auprès de sénateurs non-juifs d’États à la faible population juive, afin de les inciter à voter cette guerre… Le fait que Saddam Hussein n’ait pas été évincé du pouvoir à l’époque avait suscité des critiques très acerbes des néocons juifs de premier rang, ainsi que (sur un registre plus modéré) de l’Aipac. Durant toute la présidence Clinton, ils allaient faire plus pressantes leurs exigences d’un changement de régime en Irak et, sous Bush Junior, ils furent en mesure d’obtenir que cette mission soit menée à bien [6]  ».

L’aspect le plus troublant, dans la réponse de Chomsky était toutefois sa minimisation du rôle du lobby pro-israélien. Étant donné que la plupart des observateurs politiques considèrent que les élus politiques, virtuellement à tous les niveaux, représentent à un degré ou à un autre les principaux financeurs de leurs campagnes électorales (semblables en cela aux avocats d’affaires représentant des grandes entreprises) – qui plus est, l’Aipac est un champion incontesté dans ce domaine – la réponse de Chomsky était, dans le meilleur des cas, malhonnête.

De manière prédictible, il s’attira les applaudissements nourris des partisans d’Israël, trop heureux d’avoir obtenu que le distingué chercheur absolve les organisations juives états-uniennes de toute responsabilité dans ce que leurs coreligionnaires étaient en train de faire subir aux Palestiniens ou encore dans les activités de ce lobby en soutien à la première guerre contre l’Irak. Je décidai de faire part de mes impressions au professeur Shahak. Voici sa réponse, très franche :

«  Comme vous, actuellement, j’ai eu, moi aussi, les mêmes divergences de vue, par le passé – en plus grave, toutefois – avec Chomsky, qui est un ami personnel depuis pas mal de temps, au sujet de l’Aipac et de l’influence du lobby juif de manière générale. De surcroît, un certain nombre de nos amis communs ont essayé, eux aussi, de le faire changer d’avis, en vain, sur cette question.

Je crains qu’en dépit de toutes ses merveilleuses qualités et du travail considérable qui est le sien, Chomsky ne soit en réalité tout à fait dogmatique sur pas mal de points. Je ne doute pas un seul instant que son erreur rédhibitoire au sujet du «  peu de poids  » de l’Aipac – erreur qu’il réitère très souvent – a pour effet d’aider considérablement les sionistes, comme vous l’avez vous-même montré d’une manière particulièrement saisissante.  » [7]

Au moins, je découvrais que je n’étais pas seul, dans mon jugement sur Chomsky. Sa position a été du pain béni pour l’Aipac, et elle a énormément bénéficié à la position d’Israël aux États-Unis. De fait, comme je l’ai indiqué plus haut, Chomsky n’a jamais daigné désigner par son nom l’organisation en question dans l’un quelconque des ouvrages (pourtant nombreux) qu’il a consacrés au Moyen-Orient. En détournant les militants de la confrontation avec les politiciens libéraux que ce lobby tient sous son contrôle et en blâmant le locataire de la Maison-Blanche au sujet des agissements d’Israël, Chomsky s’est indubitablement chargé du «  contrôle des dégâts  » de l’Aipac, à sa place et à son profit…

Le regretté professeur Edward Saïd – un autre de mes amis, admirateur de Chomsky – n’a d’ailleurs pas mâché ses mots, à ce sujet. Dans sa contribution à l’ouvrage collectif The New Intifada, à juste titre intitulée «  America’s Last Taboo  » [Le dernier tabou de l’Amérique], il écrivait :

«  Qu’est-ce qui explique la situation présente ? La réponse se trouve dans l’influence des organisations sionistes sur la politique états-unienne, dont le rôle, tout au long du « processus » dit « de paix » n’a jamais été suffisamment étudié. C’est là une négligence absolument stupéfiante, quand on sait que la politique de l’OLP a consisté essentiellement à remettre notre sort, en tant que peuple [Edward Saïd était Palestinien, ndt] entre les mains des États-Unis, sans avoir la conscience minimale de la manière dont la politique états-unienne est dominée par une infime minorité de gens dont les opinions sur le Moyen-Orient sont, à bien des égards, encore plus extrémistes que celles du Likoud lui-même !  » [8]

Et, au sujet de l’Aipac, Saïd, toujours :

«  L’Aipac [American Israel Public Affairs Committee] est, depuis des années, le lobby le plus puissant, dans l’absolu, aux États-Unis. Pouvant compter sur une population juive bien organisée, bien introduite, fortement visible et opulente, l’Aipac inspire crainte et respect d’une extrémité à l’autre du spectre politique états-unien. Qui serait prêt à tenir tête à ce Moloch pour défendre des Palestiniens qui n’ont absolument rien à offrir en échange, alors même que l’Aipac est en mesure de briser votre carrière professionnelle simplement en refermant son carnet de chèques ? Par le passé, un ou deux membres du Congrès lui ont effectivement résisté ouvertement. Mais plusieurs Comités d’action politique chapeautés par l’Aipac ont veillé à ce qu’ils ne soient jamais réélus… Si telle est la situation au sein du pouvoir législatif, je vous laisse deviner ce qu’il en est, dans l’exécutif !  » [9]

Pour ceux qui obtempèrent au lobby pro-israélien, le carnet de chèques est ouvert en permanence. Ainsi, en 2002, l’Israélo-États-unien Chaim Saban faisait un don de 12,3 millions de dollars au Parti démocrate, sans que personne, pratiquement, ne le remarque. Comparez ce qui précède au tollé médiatique soulevé par le don de la société pétrolière Exxon, d’un montant de 10 millions de dollars, au Parti républicain, qui plus est sur une période de six années ! De plus, selon le site ouèbe de la revue Mother Jones, près de cent vingt (sur les deux cents cinquante) plus gros donateurs des élections de l’an 2000 étaient juifs. A Washington, on évoque d’ailleurs un lobby israélien de l’argent…

Le Professeur Juan Cole, de l’Université du Michigan, a tiré la sonnette d’alarme au sujet de l’Aipac, avec une égale vigueur, relevant une information donnée par la chaîne télévisée CNN, selon laquelle l’Aipac «  tient annuellement deux mille rencontres avec des sénateurs et des membres du Congrès des États-Unis, ce qui aboutit à l’adoption, en moyenne, d’une centaine de textes de loi, chaque année !  » Plus loin, il écrit :

«  Certains lecteurs ont suggéré l’idée que j’aurais exagéré l’ascendant de l’Aipac sur le Congrès. Mais je connais personnellement des sénateurs et des représentants qui ont peur de parler des affaires israéliennes en raison de la réputation non surfaite qu’a l’Aipac de cibler les parlementaires audacieux, afin de leur faire perdre les élections. C’est là d’ailleurs quelque chose d’aisément vérifiable. Examinez le journal officiel des débats au Congrès. A-t-on jamais vu, dans cette assemblée, un seul discours critiquant la politique israélienne, prononcé par un sénateur ou un représentant qui aurait remporté les élections suivantes ? Et examinez les débats de n’importe quel parlement, où que ce soit dans le monde : des critiques de cette nature sont formulées absolument partout, sauf aux États-Unis ! Le Congrès états-unien est tenu en otage par une organisation de lobbying monomaniaque qui, le plus souvent, fait passer les intérêts d’Israël avant ceux des États-Unis…  » [10]

Vingt ans auparavant – soit bien avant l’émergence du facteur chrétien sioniste – Seth Tillman faisait déjà observer que

«  Les présidents états-uniens ont toujours cherché à éviter la confrontation directe avec Israël ou avec ses partenaires acharnés aux États-Unis, à cause de la terrible controverse intérieure qu’un tel affrontement n’aurait pas manqué d’engendrer, à cause du capital politique exorbitant qu’il aurait fallu dépenser dans une telle bataille, au détriment des autres objectifs, tant intérieurs qu’extérieurs, d’une administration états-unienne donnée et à cause, enfin, de l’incertitude qu’un président donné finirait par l’emporter, dans un tel duel intérieur, quand bien même recourrait-il à tous les pouvoirs que lui confère sa fonction de président, dans les domaines politiques et pédagogiques…  » [11]

À la différence d’autres lobbies nationaux, l’Aipac n’a pas de rivaux potentiellement dangereux pour lui : les organisations arabo-états-unienne de Washington – l’American-Arab Anti-Discrimination Committee (ADC) et l’Arab-American Institute (ADI) – étant toutes deux à la fois trop petites et trop timides pour faire face ne serait-ce qu’à leur propre ombre… Ce qui confère au lobby pro-israélien sa force légendaire, en sus de ses grandes compétences organisationnelles, c’est le fait que ses membres sont intimement liés à des organisations, à des fédérations et à des conseils de relations publiques juifs dans l’ensemble des États-Unis, ainsi qu’aux responsables des principaux syndicats et enfin, depuis quelques années, au mouvement chrétien évangélique, qui prend de l’ampleur et apporte à Israël un soutien sans précédent historique dans des circonscriptions généralement tenues par des Républicains de droite. Il est remarquable qu’il ait fallu attendre que les chrétiens sionistes soient entrés en lice pour que Chomsky et ses acolytes, en particulier les professeurs Stephen Zune et Joel Beinin, ainsi que Phyllis Bennis, de l’Institut des études (des politiques) publiques, commençassent à parler de ce «  lobby  », en suggérant l’idée que les évangéliques en auraient représenté, dès lors, la composante la plus puissante. Le sous-titrage (ou le décodage) aurait été que ces chrétiens sionistes étaient particulièrement bienvenus, puisqu’ils détournaient l’attention de l’opinion publique loin de l’Aipac…

Les seuls à mener un combat héroïque contre l’Aipac furent les membres du Conseil de l’Intérêt National [CNI : Council for National Interest], composé d’anciens diplomates du département d’Etat et des ambassades, ayant une expérience du Moyen-Orient, d’ex-membres du Congrès, tel Paul Findley et Pete McCloskey, dont les critiques d’Israël et le soutien des droits des Palestiniens eurent pour conséquence qu’ils furent pris dans le collimateur de l’Aipac, qui bien sûr s’employa à leur faire perdre les élections… Les anciens hauts fonctionnaires sont dédaigneusement qualifiés d’ «  arabisants  » par les partisans d’Israël et les amis de ce pays dans les médias, comme pour inférer l’idée que leur expérience vécue au Moyen-Orient aurait en quelque sorte gravement compromis leur patriotisme ! Dans la pratique, ce terme a fini par devenir un euphémisme utilisé en lieu et place d’ «  antisémitisme  ». Mais, à l’occasion, leurs détracteurs juifs ne se soucient même plus de recourir à l’euphémisme !

La position du CNI consiste tout simplement à dire que le soutien prodigué par Washington à la politique israélienne d’occupation et d’expansion ne sert pas les intérêts des États-Unis…

Les effets d’une accusation d’ «  antisémitisme  » sont à nuls autres pareils. Etre ainsi stigmatisé a amené des personnages publics aussi divers et puissants que le révérend Billy Graham ou l’acteur Marlon Brando à présenter leurs plates excuses, à genoux et les larmes aux yeux.

Les associations palestiniennes aux États-Unis optent pour la solution de facilité : elles marchent dans les brisées de Chomsky… Malheureusement, elles le font avec tellement de zèle que la question de l’Aipac et du lobby pro-israélien n’est jamais évoquée ni a fortiori débattue lors des conférences qu’elles organisent. C’est dû, aussi, en partie à leur affiliation à diverses organisations politiques dirigées par des juifs antisionistes autoproclamés, lesquels, redoutant eux-mêmes par-dessus tout de provoquer de l’antisémitisme, préfèrent rejeter tous les torts sur l’ «  impérialisme américain  » : une cible certes lointaine, mais, on le reconnaîtra volontiers, tellement moins dangereuse !

Aucun événement ne fournit une compréhension aussi profonde du pouvoir de l’Aipac que la bataille perdue par le président Gerald Ford face à Israël et à son lobby, en 1975, qui est l’un des principaux faits marquants dans l’histoire des relations états-uno—israéliennes. En 1982, Chomsky ne lui consacrait que trois lignes. Et plus un seul mot, depuis lors [12].

Cette confrontation impliqua Ford et le secrétaire d’État Henry Kissinger, d’un côté, et Israël et l’Aipac de l’autre. Voici le récit qu’en fit Seth Tillman :

«  Parmi les nombreux trophées de victoire remportés [par le lobby pro-israélien] sur l’arène du pouvoir législatif, un des plus remarquables et importants quant à ses conséquences fut la « lettre des cinquante-six » adressée au président Ford par un certain nombre de sénateurs, le 21 mai 1975. À la suite de l’effondrement, en mars, de la première tournée de « diplomatie des petits pas » du secrétaire d’État Kissinger préparant un deuxième accord de désengagement du Sinaï [faisant suite à la guerre d’octobre 1973], c’est un secrétaire d’État en colère et frustré qui annonça une « réévaluation » de la politique états-unienne au Moyen-Orient : l’Administration Ford ajournerait la livraison de certaines armes à Israël et suspendrait des négociations en vue d’une assistance financière et militaire en suspens, comportant notamment le nouvel avion de chasse F-15.

Durant la réévaluation de cette politique, la plupart des experts, appartenant au sérail gouvernemental, ainsi que d’autres, recrutés à l’extérieur, parvenaient à un quasi-consensus en faveur de l’appel des États-Unis à un règlement fondé sur le retrait d’Israël jusqu’à ses frontières de 1967 (avec des modifications marginales), couplé à de fortes garanties pour la sécurité israélienne… Les conseillers de Kissinger envisageaient un appel lancé au peuple états-unien par le président Ford, et télévisé dans tous les États-Unis, déclinant les sujets fondamentaux relevant des intérêts nationaux états-uniens au Moyen-Orient, puis justifiant le retrait israélien, sur ces bases, en échange de garanties.  » [13]

L’administration ayant jeté le gant, l’Aipac entra en action. Après trois semaine d’un intense lobbying, 76 sénateurs signaient une lettre adressée à Ford réaffirmant le rôle de barrière (face à l’influence soviétique au Moyen-Orient) propre à Israël et avertissant

«  que priver Israël de certains équipements militaires équivaudrait à donner un satisfecit dangereux et décourageant pour Israël à ses voisins, qui ne pourrait que les encourager à recourir à la force. Dans les prochaines semaines, le Congrès attendra vos demandes d’aide étrangère au titre de l’exercice fiscal 1976. Nous sommes persuadés que vos recommandations répondront aux besoins les plus urgents d’Israël, tant militaires qu’économiques. Nous vous exhortons à dire clairement, comme nous le faisons, que les États-Unis, agissant au nom de leurs propres intérêts nationaux, se tiennent fermement aux côtés d’Israël dans la recherche de la paix grâce à de futures négociations et que ce préalable constitue la base de la réévaluation actuelle de la politique des États-Unis au Moyen-Orient.  » [14]

Ceci mit effectivement un terme au projet de «  réévaluation  » du gouvernement, lequel projet, couplé avec le pardon qu’il accorda à Nixon, eut raison des espoirs de réélection de Ford, en 1976.

«  Tout document  », observa Stephen Spiegel (de l’Université Californienne de Los Angeles) «  portant à la fois les signatures de sénateurs aussi disparates que Teddy Kennedy et Barry Goldwater, Frank Church et Paul Laxalt, Walter Mondale et Strom Thurmond, ne pouvait qu’être une motion de défiance pour la diplomatie moyen-orientale de l’administration états-unienne.  » [15] La prise de conscience du fait que l’Aipac était capable d’obtenir qu’un groupe aussi disparate de sénateurs signent une lettre à tout instant n’échappa pas aux futurs présidents états-uniens. Mais, comme nous le verrons, c’est néanmoins encore une fois la sous-estimation de la puissance du lobby pro-israélien qui allait aboutir à l’éjection du tandem Bush / James Baker, quinze ans plus tard. (C’est toujours le cas aujourd’hui. Seuls les noms ont changé. Il n’existe aucune autre question capable de faire que des Démocrates libéraux et des Républicains les plus à droite qui soient s’étreignent mutuellement et cela, grâce aux efforts signalés de Chomsky, qui s’en tire en n’ayant aucun prix à payer pour les pots cassés.)

Évaluant l’ «  Impact du Congrès sur la politique des États-Unis vis-à-vis d’Israël  » (une étude exhaustive de cette question, portant sur cette même période), son auteur, Marvin Feuerwerger, concluait ainsi :

«  Le Congrès a joué un rôle clé dans la définition du cours des relations états-uno-israélienne durant la période 1969-1976… Par moment, le Congrès semblait vouloir exercer son autorité en bloquant des mesures envisagées par l’Administration [= l’exécutif, ndt], mais le Congrès considérait alors que cela aurait pour effet de mettre en danger la sécurité d’Israël. Ce volontarisme a contribué à maintenir la politique des États-Unis à l’intérieur de certaines limites pro-israéliennes… [référence à la lettre des sénateurs à Ford] et il a contraint la branche exécutive à abandonner l’option consistant à imposer un règlement au Moyen-Orient qu’Israël considérait comme potentiellement dommageable pour sa sécurité. De même, les activités du Congrès et du groupe de pression Aipac, en réponse au plan Rogers de 1969 ‘garantit virtuellement qu’aucune initiative pro-arabe ne puisse être envisagée, à l’avenir’ par l’administration Nixon.  » [16]

Si l’ignorance délibérée de Chomsky pour la bataille perdue par l’administration Bush père face à l’Aipac est inexcusable, il en va de même pour sa narration révisionniste des relations entre George Bush père et Israël. Quand bien même une évaluation générale de la carrière politique de celui-ci aurait dû l’amener dans le box des accusés en qualité de criminel de guerre, sa confrontation avec le lobby pro-israélien a été un des rares points positifs, aux yeux des opposants à l’alliance quasi fusionnelle entre les États-Unis et Israël. Mais cette opposition courageuse lui a sans doute coûté sa réélection…

Bien qu’il soit généralement admis, tant en Israël qu’au sein de la communauté juive états-unienne, que l’administration Bush père fut la plus inamicale envers Israël depuis la création de ce pays, Chomsky, d’une manière tout à fait incroyable, soutient le contraire :

«  Il existe une illusion  », écrit-il, «  consistant à croire que la première administration Bush aurait adopté une position très ferme face à Israël. C’est plutôt le contraire qui est vrai…  » Chomsky se fonde, pour affirmer ceci, sur la «  position officielle de l’administration en décembre 1989 (plan Baker), qui reprenait sans aucune restriction le plan proposé en mai 1989 par le gouvernement israélien de coalition Peres - Shamir, lequel déclarait qu’il ne saurait exister d’État palestinien, ni y avoir un quelconque changement dans le statu quo des territoires occupés, ni de négociation avec l’OLP  ». [17]

Chomsky s’est plaint de ce que cette information ait été mal rapportée par la presse, car ce qu’on y lit, c’est que «  Baker aurait fortement réitéré le soutien des États-Unis à ‘un retrait total des Territoires, en échange de relations pacifiques’, alors qu’il accordait en douce un soutien décisif à des programmes visant à faire en sorte que rien de tel ne se produise.  » Non seulement les archives historiques ne corroborent pas l’avis de Chomsky, mais il s’agit là d’un énième de ces exemples typiques où Chomsky «  examine une poignée de témoignages, jusqu’à ce qu’il en trouve un qui colle avec son idée prédéterminée de la vérité telle qu’il voudrait qu’elle soit… Il collecte de manière sélective des «  preuves  » qui confirment sa théorie et tout le reste, il l’ignore…  » Dans le cas d’espèce, ce «  reste  » était massif, et provenait en grande partie de l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères, Moshe Arens, dont le livre Alliance Brisée [Broken Covenant] consistait en une réfutation brutale de la manière dont l’administration Bush osait traiter Israël.

En tant que vice-président de Ronald Reagan, Bush (père) avait déjà trahi son animosité envers Israël lorsqu’il avait (vainement) exhorté le président à prendre des sanctions envers Israël, après que celui-ci eut détruit le réacteur nucléaire irakien Osirak, en 1981. Au mois de juin suivant, il n’eut pas plus de succès, lorsqu’il en appela une énième fois à des sanctions, après l’invasion du Liban : il fut mis en minorité par Reagan et le secrétaire d’État Alexander Haig. [18]

Arens écrit, à propos de sa première rencontre avec le Président Bush, nouvellement élu, à Washington : «  Le président a soulevé la question des colonies israéliennes dans les territoires, ne laissant subsister aucun doute quant à son désaccord formel quant à toute activité de colonisation.  » [19] Plus tard, ses conversations avec Baker amenaient Arens à conclure que :

«  Le « nouvel ordre mondial » dont parlait le département d’État était un monde dans lequel l’Administration Bush avait décidé d’assumer une posture de confrontation avec Israël, son allié et ami de longue date… Le « règlement définitif » que prônait cette Administration consistait essentiellement en un retour d’Israël aux frontières existant avant juin 1967.  » [20]

On le voit : il était grand temps d’appeler le lobby à la rescousse…

«  L’Administration Bush allait devoir apprendre (à ses dépens) qu’Israël ne saurait ni être houspillé, ni rabroué. Il était clair, pour moi, que la seule contrainte inhérente à la tactique de l’administration Bush vis-à-vis d’Israël résidait dans la politique intérieure… Si Bush et Baker devaient se rendre compte que leurs tactiques directives vis-à-vis d’Israël suscitaient une opposition importante de l’opinion publique, alors il était vraisemblable qu’ils finiraient par renoncer, d’autant plus que les élections approchaient…
Je pris conscience que nous allions être contraints à renforcer le soutien à Israël au Congrès et dans l’opinion publique états-unienne… Je consacrai la journée du lendemain, sur la Colline du Capitole, à des rencontres avec les commissions parlementaires du Congrès ainsi qu’avec des sénateurs et des représentants, individuellement…
 » [21]

La visite d’Arens et l’action de l’Aipac allaient donner leurs fruits lorsque, inopinément, Baker leur décocha une pique. S’exprimant devant sa convention à Washington, en mai 1990 (c’est-à-dire durant la deuxième année de l’Administration Bush), il dit aux lobbyistes assemblés et à leurs hôtes du Congrès que

«  pour Israël, le temps est venu de laisser de côté, une bonne fois pour toutes, la vision irréaliste du Grand Israël. Les intérêts d’Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, sa sécurité, notamment, pourront être assurés dans le cadre d’un règlement basé sur la Résolution 242 : arrêt de l’annexion ; arrêt des activités de colonisation ; autorisation de réouverture des écoles ; main tendue vers les voisins palestiniens, qui méritent de jouir de leurs droits politiques.  » [22]

Baker, vieux renard de la Colline du Capitole, aurait dû savoir ce qui allait inévitablement se passer. Voici la description qu’en fait Arens :

«  Début juin, au cours d’un étalage extraordinaire de soutien pour Israël et de reconnaissance publique qu’il y avait eu un virage à cent quatre-vingt degrés dans la politique officielle des États-Unis vis-à-vis d’Israël, quatre-vingt-quatorze sénateur (sur cent) signèrent une lettre adressée au secrétaire d’Etat, demandant que l’Administration avalise « fortement et publiquement » l’initiative (dite) de paix Peres - Shamir.
« Les propositions faites par Israël », disait cette lettre, « n’ont pas toujours reçu la considération qu’elles méritent de la part de tierces parties au conflit, ni par la communauté internationale de manière générale. Afin d’éviter que cela ne se reproduise à nouveau, les États-Unis doivent montrer leur soutien total, tant dans les faits que dans les apparences
 »,

après quoi, c’est un Arens triomphant qui concluait :

«  Le message adressé à l’Administration était extrêmement clair. Il en allait de même en ce qui concerne le désaveu implicite. On m’a rapporté que Baker fut réellement stupéfait de la teneur de cette lettre, et aussi du fait que quatre-vingt-quatorze sénateurs l’aient signée.  » [23]

Depuis des années, le Congrès a constamment accordé des financements exceptionnels à Israël, le petit doigt sur la couture du pantalon, alors même que l’argent manquait pour financer des programmes d’action essentiels, sur le plan intérieur. Ce fut notamment le cas en 2002, année où le Sénat, après avoir rejeté un projet de loi qui aurait accordé 150 millions de dollars aux écoles du centre de New York ayant souffert des attentats du 11 septembre 2001, ajouta immédiatement 200 millions de dollars de financement à Israël, au titre de la Loi sur la Sécurité intérieure : on aurait dit que c’était Israël qui avait été pris pour cible, le jour des attentats, et non pas New York, ni Washington…

La même chose s’était produite en 1991, six villes états-uniennes sur dix étant en déficit et plusieurs États n’étant plus en mesure d’assurer les salaires de leurs fonctionnaires. En mars de cette année-là, passant outre les objections de l’administration Bush, la Chambre des Représentants vota (par 397 voix contre 24) l’octroi à Israël de 650 millions de dollars cash, dans le cadre de la loi de financement d’urgence de la guerre du Golfe. Bush avait menacé publiquement d’opposer son veto. Mais il avait reculé, s’étant rendu compte qu’il n’obtiendrait pas la majorité requise…

En septembre 1991, une fois la guerre terminée, l’Administration Bush fit vivre à l’Aipac sa plus grande angoisse depuis sa bataille contre le président Ford. Au beau milieu des efforts visant à assembler le casting de ce qui allait devenir la «  conférence de paix  » de Madrid, au grand dam du Premier ministre israélien Yitzhak Shamir, Israël fit une énorme surprise au président états-unien : une demande inopinée de 10 milliards de dollars, en prêt garanti par le gouvernement états-unien, sur une période de cinq ans…

Bien entendu, le Congrès était prêt, encore une fois, à sauter à travers les cerceaux de dompteur que lui tendait Israël, en dépit de l’opposition du président Bush. Courroucé par l’exigence israélienne et craignant sans doute que l’approbation de ces prêts garantis ne permette à Israël de se retirer de la conférence tout en suscitant l’ire des invités arabes, Bush demanda à Shamir d’ajourner à quatre mois le dépôt de sa demande de prêt garanti, et il conditionna tout éventuel accord au gel des colonies israéliennes.

Arens a rappelé que lorsque Bush a fait savoir qu’il allait exiger un délai, «  le sénateur Daniel Inouye (démocrate, Idaho) tint des propos absolument sans équivoque : « J’enfile ma yarmulka : nous allons à la guerre !  » (Ce n’est sans doute pas un pur effet du hasard si son premier emploi rémunéré, après sa démobilisation à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avait consisté à vendre… des Bons de l’État d’Israël !).

Shamir refusa tout net, car il savait qu’il l’emporterait sur Bush, si le contentieux venait à être porté devant le Congrès. Le 12 septembre, conscient du fait que l’Aipac s’était assuré suffisamment de votes, aux deux chambres, pour que les prêts garantis soient approuvés et tout veto présidentiel repoussé, et prenant bonne note du fait que « plus d’un millier de juifs états-uniens, représentant plusieurs associations et mobilisés par l’Aipac, s’étaient donné rendez-vous sur la Colline du Capitole afin d’exprimer leur soutien à la mise en œuvre rapide des prêts » [24], Bush eut une réaction inhabituelle : il convoqua une conférence de presse. Ce qui ce passa alors a été décrit de manière saisissante dans l’hebdomadaire Washington Jewish Week [25] :

«  Barbara Mikulski, sénatrice du Maryland, chouchou depuis longtemps des démocrates de gauche, et qui venait de promettre son vote en faveur de l’octroi du prêt à un groupe de lobbyistes juifs, faisait une intervention, quand elle fut interrompue par un employé qui lui tendit un petit morceau de papier.  ». «  Soudain, elle eut le visage défait  », écrivit le reporter du Washington Jewish Week. «  J’apprends que le président vient de déclarer qu’il s’opposerait à un prêt garanti de cent vingt jours au nom du peuple états-unien  », déclara-t-elle. «  Le peuple états-unien !  » ; imaginez un peu… : les États-uniens étaient bien les derniers de ceux que l’Aipac et le Congrès voulaient voir pris en compte dans leurs délibérations !…

Comme le dit Arens :

«  Bush convoqua en toute hâte une conférence de presse, et il lança un appel télévisé absolument extraordinaire au peuple états-unien. Visiblement en colère, tapant du pied sur l’estrade, il martela que l’insistance d’Israël sur les garanties menaçait non seulement la conférence annoncée [Madrid], mais la paix elle-même. « Un débat (à ce sujet) risque fort de détruire notre capacité à réunir les parties à la table de la paix… Si nécessaire, j’utiliserai mon pouvoir de veto afin d’empêcher cela d’arriver… ».  »

Puis le président visa directement le lobby pro-israélien : «  Nous sommes en butte à des forces politiques puissantes… à des groupes très puissants et efficaces qui exercent leur influence jusque sur la colline du Capitole  », dit-il. «  Nous n’avons pincé qu’un petit gars isolé, ici, en train de faire ça… mais je vais me battre pour mes idées. Cela devrait pouvoir être populaire, politiquement. Mais sans doute cela ne l’est pas… La question n’est pas de savoir si cela est bon pour la politique de 1992. Ce qui est important, en la matière, c’est que nous donnions une chance au processus de paix. Et même si je n’obtiens qu’une seule voix, peu m’importe… Je suis persuadé que le peuple états-unien sera à mes côtés.  » Puis, élevant la voix, le président dit :

«  … Voici seulement quelques mois, des États-uniens portant l’uniforme, hommes et femmes, ont risqué leur vie pour défendre les Israéliens en face des missiles Scuds tirés par les Irakiens et, de fait, la campagne Tempête dans le Désert, tout en remportant une guerre contre l’agression, a également abouti à la défaite du plus dangereux ennemi d’Israël.  » Il ajouta aussi que, durant l’année fiscale en cours, «  en dépit de nos propres préoccupations économiques, les États-Unis ont fourni à Israël plus de 4 milliards de dollars d’aide, soit près de cent mille dollars pour chaque Israélien, homme, femme ou enfant.  » [26]

Jamais un président états-unien ne s’était-il adressé à son peuple avec une telle franchise, et personne ne l’a refait depuis. Des sondages effectués par la suite indiquèrent que les États-uniens soutenaient Bush à trois contre un et que la moitié des répondants étaient opposés à la fourniture à Israël d’une quelconque assistance économique. Deux semaines plus tard, un sondage NBC News / Wall Street Journal montra que si de 58 à 32 % des électeurs états-uniens étaient favorables à l’octroi d’aides à l’URSS et de 55 % à 22 % étaient favorables à des aides à la Pologne, les électeurs opposés à tout soutien économique à Israël étaient entre 46 et 44 %. De plus, 34 % voyaient dans Israël le principal obstacle à la paix dans la région, tandis que les électeurs n’étaient que 33 % à penser cela des pays arabes. [27]

S’il y eut jamais une «  fenêtre d’opportunité  » pour les militants de la cause palestinienne, ce fut bien à ce moment-là. Mais Chomsky allait la refermer avec beaucoup d’efficacité. Écrivant plusieurs mois après l’appel de Bush, il se montra narquois, au mieux naïf, et il se garda bien de mentionner les sondages :

«  Au moment de la confrontation entre les États-Unis et Israël, il a suffi que le président fronce les sourcils pour que le lobby israélien s’effondre, tandis que les principaux journaux qui déviaient rarement de la ligne du Parti israélien commençaient à faire la queue pour publier des articles critiquant les pratiques israéliennes et laissant entendre que leur soutien à Israël n’avait rien d’automatique… Cela non plus n’avait rien pour nous surprendre. Les groupes de pression internes tendent (généralement) à être inopérants à moins qu’ils ne s’alignent sur des éléments significatifs du pouvoir économico-étatique, ou tant qu’ils n’ont pas atteint une taille critique et une intensité qui commandent des gestes visant à les apaiser. Quand l’Aipac plaide pour des politiques que l’exécutif et des secteurs majeurs du monde états-unien des affaires entendent mener à bien, alors il est influent. Mais dès lors qu’il s’oppose au pouvoir réel, largement consensuel, ce lobby a tendance à s’effacer très rapidement.  » [28]

La minimisation à laquelle procède Chomsky de la position de Bush, qu’il qualifie de «  froncement de sourcils  », a été avalisée avec des hochements de tête approbateurs par les dauphins domestiqués du mouvement [de solidarité]. Aux dires de Chomsky, l’Aipac serait devenu en quelque sorte un «  tigre de papier  » et ce sentiment traversa très vite tous les États-Unis, étant réitérés par le professeur Joel Beinin, de Stanford. Toutefois, ce que la conférence de presse de Bush rendit très clair, c’était l’immense pouvoir exercé par l’Aipac sur le Congrès des États-Unis, à un point tel que celui-ci est prêt à placer les exigences d’Israël – un pays étranger – au-dessus des desiderata d’un président états-unien.

Cela contraignit Bush, après une semaine, sous pression, à prendre des mesures de toute évidence désespérées et sans aucun précédent. Tout en tenant bon, provisoirement, malgré les pressions, il lui fallut moins d’une semaine pour qu’il écrive à la Conférence des Présidents des Grandes Organisations Juives états-uniennes, une large fédération exerçant le lobbying auprès de la Maison-Blanche (et comportant l’Aipac dans ses rangs), exprimant son désarroi devant le constat que certaines de ses remarques aient pu «  causer de l’appréhension au sein de la communauté juive… Mes allusions à du lobbying et à de puissantes forces politiques n’entendaient absolument pas être péjoratives, en tout état de cause…  » [29]

La réaction de Chomsky à cette série d’événements et sa décision de les effacer de sa version de l’Histoire révèlent bien de quel côté il se situe, dans le conflit israélo-palestinien, quand il est sommé d’effectuer un choix. Plutôt que d’exhorter les militants à profiter de l’énorme fissure ouverte par l’appel dramatique de Bush entre Israël et le peuple états-unien et de suggérer (sinon d’appeler à) une campagne exigeant l’arrêt de toute aide à Israël, Chomsky se chargea du «  contrôle des dégâts  » pour l’Aipac. Si l’on doit blâmer le mouvement de solidarité pour n’avoir pas saisi l’occasion et pour ne pas avoir agi, malgré les sondages que nous avons vus plus haut, l’influence qu’exerçait Chomsky sur son action fut à l’époque écrasante, et elle l’est encore aujourd’hui.

Bien entendu, l’Aipac n’allait pas plier sa tente et lever le camp comme ça… Au lendemain de la conférence de presse présidentielle, Tom Dine, directeur exécutif du lobby pro-israélien, déclarait : «  Le 12 septembre est un jour qui restera, à la postérité, comme un jour d’infamie  », après quoi il déclara la guerre au président. Au vu des sondages, tant Israël que l’Aipac étaient d’avis qu’il serait contre-productif de défier le président au Congrès, mais qu’ils attendraient les cent vingt jours. Durant cette période d’attente, on put déceler une augmentation considérable, dans les médias, d’articles critiquant la manière qu’avait Bush d’exercer la présidence, tout particulièrement en matière économique. Les élections de novembre étant en vue, et Yitzhak Rabin ayant succédé à Shamir au poste de Premier ministre en Israël, Bush accepta de garantir les prêts, avec la réserve que les sommes dépensées par Israël dans les territoires occupés soient défalquées du montant total de l’aide. Mais cela ne tira nullement Bush d’affaire. Arens résuma la situation ainsi :

«  Bush échoua dans sa tentative d’obtenir un second mandat. Les tentatives répétées déployées par son administration d’interférer dans la politique intérieure israélienne étaient absolument sans précédent dans toute l’histoire des relations entre les États-Unis et Israël… Bien que, durant les mois consécutifs à la défaite du Likoud, Bush ait donné à Rabin tout ce qu’il refusait d’accorder à Shamir, y compris les fameux prêts garantis, il n’est pas parvenu à dissiper l’impression selon laquelle son administration aurait été hostile à Israël. Bill Clinton a battu Bush, aux élections présidentielles. Une grande majorité de la communauté juive états-unienne ainsi que de nombreux non-juifs, partisans acharnés de l’alliance entre les États-Unis et Israël, ne purent se résoudre à voter en faveur de George Bush. Le style de Bush, vis-à-vis d’Israël, proche de la confrontation, et en particulier la suspension des garanties de prêts, avaient contribué à la défaite du Likoud, en dépit de la marge très étroite dont disposait Rabin électoralement ; l’attitude de Bush a fort bien pu s’avérer déterminante. Aujourd’hui, apparemment, cette même politique a contribué aussi à la défaite de Bush lui-même…  » [30]

Les lecteurs devraient se demander comment un rapport de première main peut-il coller avec ce que Chomsky a qualifié d’ «  extrême parti pris pro-israélien de l’administration Bush / Baker  », dans une interview accordée à son faire-valoir dévoué, David Barsamian ? [31]

Étant donné l’expérience de leurs prédécesseurs, Bill Clinton et George W. Bush décidèrent apparemment : «  si vous ne pouvez pas les vaincre, alors joignez-vous à eux.  » Clinton remit entièrement sa diplomatie moyen-orientale entre les mains des lobbyistes pro-israéliens liés au parti travailliste israélien, tandis que Bush fils, après une collision douloureuse et perdante avec le lobby et Ariel Sharon, après ses critiques des agissements israéliens à Djénine, en 2002, permit à un gang de néocons pro-israéliens d’écrire à sa place son script moyen-oriental, ce qui nous valut notamment la guerre en Irak. Il est même allé encore plus loin, s’en remettant à Sharon lui-même, comme l’ont fait observer des sources aussi diverses que Robert Fisk et Brent Scowcroft, conseiller ès sécurité nationale sous George père, Fisk suggérant que Sharon était chargé du «  bureau des relations de Bush avec la presse  » [32] et Scowcroft, que le Premier ministre israélien avait «  galvanisé  » George fils [33]. De nos jours, le contrôle exercé par Israël et par ses partisans états-uniens sur la politique des États-Unis au Moyen-Orient semble, en effet, total.

Chery Rubenberg, après avoir étudié dans le détail ce lobby, dans son ouvrage Israel and the American National Interest, concluait ainsi :

«  Le pouvoir du lobby pro-israélien sur la détermination et la mise en œuvre de la politique étrangère des États-Unis au Moyen-Orient est devenu un goulot d’étranglement potentiel. Peu importe, désormais, de savoir si les responsables états-uniens élus souscrivent ou non à l’idée qu’Israël soit pour les États-Unis un atout stratégique, ou non. Ce qui importe, en revanche, c’est le fait que le lobby pro-israélien soit en mesure de maintenir la prévalence de cette perception, qui en fait virtuellement une vérité politique échappant à toute discussion et garantit qu’aussi sévèrement compromis les intérêts états-uniens seraient-ils du fait des politiques israéliennes, le gouvernement états-unien n’en persisterait pas moins à apporter son soutien total à Israël. L’efficacité de ce lobby pour influencer le processus électoral et sa capacité de modeler l’opinion publique et d’affecter la culture politique sont des facteurs majeurs dans la formation de cette perception ». [34]

On peut avancer sans risque de se tromper que ce lobby, dans cette mission, n’a pas d’allié plus efficace que Noam Chomsky…

Un pied toujours à Sion

Bien que j’aie appris tout à fait incidemment que Chomsky avait été sioniste de son jeune temps, cela ne me semblait pas très important, dès lors que ses descriptions des injustices accumulées sur les Palestiniens par les Israéliens, détaillées par le menu dans le Triangle Fatal et dans d’autres de ses ouvrages, exposaient des milliers de nouveaux lecteurs et de militants en puissance aux horreurs du sionisme. Ce qui était étonnant, en revanche, c’était la raison pour laquelle, à la même époque, il couvrait les agissements du lobby pro-israélien.

Tout en faisant des recherches en vue de la rédaction du présent article, je pense que j’ai trouvé la réponse. En 1974, Chomsky a écrit un petit opuscule, Peace in the Middle-East (La Paix au Moyen-Orient), qui renferme beaucoup de réponses à cette énigme. Mais le paragraphe ci-après liait ensemble toutes ces réponses. Chomsky écrivait, en effet :

«  … quelques années après [la création d’Israël], je passai plusieurs mois emplis de bonheur à travailler dans un kibboutz, et j’ai pensé retourner y vivre définitivement pendant plusieurs années. Certains de mes amis les plus proches, dont plusieurs avaient exercé une influence indéniable sur ma propre pensée, au fil des années, vivent aujourd’hui dans des kibboutzim, ou ailleurs en Israël et je conserve avec eux des relations étroites qui échappent pratiquement à toute attitude ou à tout jugement de nature politique. Je mentionne tout ceci afin d’indiquer très clairement que je vois inévitablement ce conflit, qui s’éternise, d’un point de vue très particulier, coloré par ces relations personnelles. Sans doute, cette histoire personnelle a-t-elle tendance à déformer ma perspective. A toutes fins, [j’en informe] le lecteur, [qui] doit en avoir la notion.  » [35]

Bien que Peace in the Middle-East ait été réédité en 2003, en première partie d’un énième bouquin de Chomsky, Middle-East Illusions, il est loisible de s’interroger sur le nombre des admirateurs de Chomsky qui connaissent ce «  détail  » de son passé. On trouvait une allusion à la jeunesse sioniste de Chomsky dans l’interview de Safundi citée plus haut, et ceci semblait justifier sa détermination à vouloir protéger Israël (un pays envers lequel il nourrit manifestement une grande affection), contre toute sanction, en dépit de ses exactions. Voici ce que déclarait Chomsky lors de sa dernière interview :

«  J’ai été impliqué dans cela [= le sionisme, ndt] depuis mon enfance, dans les années 1930. J’appartenais au mouvement sioniste. En fait, j’étais un dirigeant des jeunesses sionistes. Mais j’étais contre l’idée d’un État juif, qui faisait partie du programme du mouvement sioniste, à l’époque. Ce n’était pas le principal de ce programme, mais cela était considéré comme faisant partie d’un tout… Ainsi, j’ai pu être un dirigeant militant des jeunesses sionistes – chose qui importait plus que tout, pour moi, durant mon adolescence – mais je demeurai opposé à la création d’un État juif, jusqu’en 1948.  » [36]

À la lecture de Peace in the Middle-East et de ses derniers écrits, ce qui apparaît nettement, c’est la vision des pionniers sionistes, naïve et romantique, qui était celle de Chomsky, et sa croyance sincère que les dirigeants du Yishouv juif (colonie juive) en Palestine – en dépit d’innombrables preuves du contraire – auraient été sincèrement intéressés par un partage pacifique des terres avec les Arabes palestiniens (qu’ils étaient néanmoins déjà en train de déposséder) et qu’ils n’auraient opté pour un État qu’en 1942, à la veille du déclenchement de l’Holocauste nazi. Voici de quelle manière il présente cette argumentation, dans son ouvrage Towards a New Cold War [Vers une nouvelle Guerre froide] :

«  Il est important de rappeler que durant la période ayant précédé la Deuxième Guerre mondiale, les dirigeants sionistes (en particulier ceux qui étaient liés au parti travailliste, dominant dans le Yishouv palestinien) étaient véhémentement opposés à l’idée d’un État juif, « qui signifierait en fin de compte une domination juive sur les Arabes, en Palestine », sur la base du principe selon lequel « la domination d’un groupe national sur un autre » est illégitime et que les « Arabes de Palestine » ont le droit de ne pas se trouver à la merci des juifs.  » [37]

Il faut se reporter aux notes de bas de pages, pour trouver que l’orateur cité n’était autre que David Ben Gourion, lequel demeure un personnage admirable dans le Panthéon de Chomsky. Ce que Chomsky n’a pas mentionné, en revanche, c’est le fait qu’en 1931, à l’époque où Ben Gourion fit ce commentaire, les juifs vivant en Palestine n’étaient qu’au nombre de 172 300 personnes, soit 18 % de la population totale, à opposer à 784 891 Arabes, et qu’ils ne possédaient que 1 201 529 dounoms, soit 4,6 % de la superficie du pays… [38]

Ces circonstances étant connues, le fait que Ben Gourion et d’autres dirigeants sionistes aient dit ce qu’ils ont dit à l’époque ne devrait surprendre personne. En effet, ils préféraient, comme ils n’ont cessé de le faire depuis lors, «  créer des faits accomplis sur le terrain.  » Dans la citation de Chomsky rapportée ci-dessus, le mot «  publiquement  » [au sens de : pour la galerie, ndt] aurait été plus indiqué que «  véhémentement  ». C’était là également l’opinion du leader sioniste aujourd’hui disparu Nahum Goldmann, que Chomsky cite, mais en mettant en doute «  l’exactitude de son interprétation, tant d’années après les faits et après qu’un État juif ait, de fait, été institué.  » Goldmann, qui allait par la suite créer le Congrès Juif Mondial, se trouvait bel et bien en Palestine, dans les années 1930, il y participait aux discussions et débats. Dans son autobiographie, il fait remarquer que le silence observé par les sionistes quant à leurs intentions de créer un Etat juif – remontant aux années 1920 – était un silence purement tactique. Mais Chomsky ne croit que ce qu’il veut bien croire. Et, aussi, nous faire croire… [39]

Il faut poser la question à ceux qui soutiennent la position de Chomsky, par opposition à celle de Goldmann (et de la majorité des observateurs, à l’époque), de savoir si les sionistes, tant majoritaires que révisionnistes, dépensaient toute cette énergie, tout cet argent et toute cette pression politique, depuis tant d’années, avant la Deuxième Guerre mondiale, à la seule fin de NE PAS créer d’État juif ? ! ?

J’ai noté ci-dessus la critique faite par Chomsky de l’approbation par le Conseil de Sécurité de l’Onu de la Résolution 242, en 1967, qu’il rejette en raison de son «  rejectionnisme  ». Sa propre pensée, à l’époque, toutefois, révélait clairement ses affinités et ses préoccupations pour Israël, qui informaient ses pensées à l’époque, comme elles continuent d’ailleurs à le faire, aujourd’hui. Dans Peace in the Middle East, il révèle qu’

«  à l’époque de la guerre des Six jours, en juin 1967, j’ai pensé personnellement que la menace de génocide était réelle, et j’ai réagi par un soutien virtuellement inconditionnel à Israël, dans ce qui semblait être des circonstances historiques désespérées. Rétrospectivement, il semble que cette évaluation des faits était douteuse, dans le meilleur des cas.  » [40]

C’était là, de la part de Chomsky, une expression honnête de son affection pour Israël et une exceptionnelle reconnaissance d’une de ses erreurs. Apparemment, ce fut aussi la dernière ! Étant donné ce contexte, d’autres déclarations douteuses de Chomsky, notamment dans sa fameuse interview sud-africaine, deviennent compréhensibles. Alors qu’on lui demandait d’expliciter la différence entre Israël avant la création de l’État et Israël après la création de l’État, il répondait :

«  La période post-1967 est différente. Le concept de colonisation de peuplement s’appliquerait plutôt à la période d’après 1948. Il s’agit tout simplement d’une population venue d’ailleurs, qui vient fondamentalement déposséder une population indigène… Sans entrer dans les détails, en ce qui concerne 1948, cet argument est dépassé. Il y avait [désormais] un État, que cela soit juste ou non. Et cet État devait disposer des droits de tout État dans le système international, ni plus, ni moins. Après 1967, [en revanche] la situation est entièrement différente. Là, il y a conquête militaire.  » [41]

Ce que Chomsky semble dire ici aux Palestiniens, après 1948, c’est : «  Il va falloir vous y faire !  »

S’agit-il simplement d’une mauvaise interprétation ?

L’apartheid en Afrique du Sud n’aurait-il pas pu être défendu, lui aussi, sur la base des mêmes principes ? Et que fut la guerre de 1948,en Israël, sinon une conquête militaire ? Israël s’est emparé non seulement de la zone qui lui était allouée par les Nations unies, mais aussi de la plus grande partie de ce qui aurait dû devenir l’État palestinien, si les Palestiniens avaient accepté le partage.

En définitive, comment l’idéal qui est celui de Chomsky, d’un foyer national juif en Palestine, aurait-il pu être réalisé autrement que grâce au colonialisme de peuplement ? Ce sont là quelques-unes seulement, parmi les nombreuses questions qui requièrent une réponse, de la part de Chomsky.

Conclusion provisoire

Par ces quelques pages, j’ai entrepris ce qui aboutira, idéalement, à une évaluation critique plus détaillée des œuvres de Chomsky. Il s’agira non pas d’un exercice purement académique, mais d’un instrument permettant de dynamiser ce qui fut un mouvement très largement inopérant, en ce qui concerne le combat en vue de la justice en Israël / Palestine, dont les fantassins s’en sont remis à Chomsky afin d’être guidés par lui. J’ai conscience du fait que ce que j’ai écrit va déranger ceux qui lui ont accordé un statut de quasi-divinité, comme cela irritera d’autres, qui ont laissé leur amitié pour Chomsky leur intimer le silence sur ses échecs, même quand ils en étaient conscients.

Telle était bien mon intention !

Plutôt que des réponses sous forme d’attaques personnelles, je souhaiterais que les questions soulevées ici soient examinées pour elles-mêmes.

Que le débat commence !

Traduction
Marcel Charbonnier

Voir la réaction du sénateur James Abourezk :
« À propos de votre étude sur Noam Chomsky »

[1Ha’aretz, Sept 7, 2004.

[2The New Intifada, p.7.

[3Lettre à l’auteur, 10 août 1991.

[4Univ. of California, Berkeley, March 16, 1991.

[5Benjamin Ginsberg, Fatal Embrace : Jews and the State, Univ. of Chicago, 1993, p. 208.

[6Déjà cité dans Jeffrey Blankfort, A War for Israel, Left Curve, Oakland, 2004.

[7Shahak, op. cit..

[8The New Intifada, p. 260.

[9Ibid., p.262.

[10Information Clearing House, Aug. 30, 2004.

[11Tillman, « United States Middle East Policy : Theory and Practice », Arab-American Affairs, Spring, 1983, cited by Rubenberg, p. 8.

[12Towards a New Cold War, p. 294.

[13Tillman, op. cit., p. 66.

[14Ibid., p. 67.

[15Stephen L. Spiegel, The Other Arab-Israeli Conflict, Univ. of Chicago, Chicago and London, 1985, p. 296.

[16Marvin C. Feuerwerger, Congress and Israel : Foreign Aid Decision-Making in the House of Representatives, 1969-1976, p. 296..

[17The New Intifada, p. 12.

[18Moshe Arens, Broken Covenant, Simon & Schuster, NY, 1995.

[19Ibid., p. 56.

[20Ibid., p. 58.

[21Ibid., p. 59.

[22May 22, 1990, ibid., cited by Arens p.. 69.

[23Ibid., p. 72.

[24Ibid., p. 246.

[25Washington Jewish Week, Sep. 19, 1991.

[26Arens, op. cit., p. 246-247.

[27Ginsberg, op. cit., p. 220.

[28Z Magazine, Dec., 1991…

[29New York Times, Sep. 20, 1991, cited by Ginsberg, op. cit, p. 221.

[30Arens, op.cit., p. 301-302.

[31The Progressive, January 21, 1993.

[32The Independent, June 26, 2002.

[33Washington Post, Oct. 16, 2004.

[34Rubenberg, op. cit., p. 375.

[35Peace in the Middle East, p.51.

[36Safundi, Znet, op. cit..

[37Towards a New Cold War, p. 259.

[38John Chapple, Jewish Land Settlement in Palestine (non publié) 1964, cité par Walid Khalidi, From Haven to Conquest, Institute of Palestine Studies, Beirut, 1971, Appendix 1.

[39Towards a New Cold War, p. 259.

[40Peace in the Middle East, p. 124.

[41Safundi, Znet, op. cit.