Quatrième rapport de la Commission d’enquête
internationale indépendante créée par les résolutions
1595 (2005), 1636 (2005) et 1644 (2005)
du Conseil de sécurité

Serge Brammertz
Chef de la Commission d’enquête
internationale indépendante

Résumé

Le Conseil de sécurité a prié la Commission d’enquête internationale
indépendante de lui rendre compte tous les trois mois à compter de l’adoption, le
15 décembre 2005, de sa résolution 1644 (2005), de l’évolution de l’enquête, y
compris la coopération reçue des autorités syriennes.

Ce quatrième rapport relate comment la Commission poursuit avec succès le
renforcement de sa structure et de ses capacités, développe ses investigations et
adapte ses procédures d’enquête aux normes et aux exigences d’un futur procès, qui
pourrait avoir lieu devant un tribunal à caractère international. En particulier, la
Commission a passé en revue toute l’information déjà rassemblée et enquête
systématiquement sur tous les indices intéressants recueillis. Elle mène de front
24 enquêtes différentes, couvrant un vaste ensemble de questions. Les éléments de
preuve matériels déjà recueillis à la faveur d’enquêtes déjà menées à bien sont
conservés et organisés de façon systématique, de sorte que les autorités judiciaires
compétentes puissent y avoir accès.

La Commission fournit aussi un concours technique aux autorités libanaises
dans 14 autres affaires ; elle est convaincue qu’un effort plus soutenu et plus concerté
est nécessaire pour faire progresser ces investigations ; et, alors qu’une assistance
internationale accrue est nécessaire pour renforcer le potentiel technique et la
capacité d’enquête des autorités libanaises, la Commission pourrait envisager pour
elle-même un rôle plus actif dans la poursuite de ces enquêtes.
La coopération que lui accordent les États Membres est de plus en plus une
condition décisive de l’achèvement de ses travaux ; 32 requêtes ont été adressées à
13 États pour la période considérée, ce qui montre bien les vastes ramifications
internationales de l’enquête. La coopération avec la République arabe syrienne s’est
encore développée. La Commission continuera à demander la pleine coopération de
celle-ci, notamment pour collecter les documents, obtenir des informations
spécifiques et faciliter ses entretiens avec des ressortissants syriens.

La Commission accueille avec satisfaction la demande adressée le 4 mai 2006
par le Gouvernement libanais au Secrétaire général à l’effet de prolonger le mandat
de la Commission pour une nouvelle période allant jusqu’à un an. Une telle
prorogation renforcerait en effet le sentiment de continuité et de stabilité, permettrait
une planification régulière des opérations et offrirait au personnel de la Commission
les assurances voulues.

I. Introduction

1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 1644 (2005), en
date du 15 décembre 2005, par laquelle le Conseil de sécurité a prié la Commission
de lui rendre compte tous les trois mois de l’évolution de l’enquête, y compris de la
coopération des autorités syriennes. Il présente les activités menées par la
Commission depuis la parution du précédent rapport, le 14 mars 2006 (S/2006/161),
en exécution du mandat que le Conseil lui a confié dans ses résolutions 1595 (2005),
1636 (2005) et 1644 (2005).

2. Conformément à la méthode qu’elle a exposée dans son rapport précédent, la
Commission a continué à suivre une démarche systématique et normalisée dans
l’enquête qu’elle mène sur les conditions de la mort de l’ex-Premier Ministre
libanais Rafik Hariri et de 22 autres personnes (l’enquête Hariri) et dans son
concours technique aux autorités libanaises, qui poursuivent leurs propres enquêtes
dans 14 autres affaires. En particulier, la Commission a poursuivi sa restructuration
et le renforcement de ses capacités, développé ses investigations et adapté ses
procédures d’enquête aux normes et aux besoins d’un futur procès qui pourrait se
tenir devant un tribunal à caractère international.

3. Après l’élargissement de son mandat en décembre 2005 et la nomination d’un
nouveau chef, en janvier 2006, la Commission a poursuivi sa restructuration. La
capacité totale n’est pas encore atteinte, mais la plupart des postes importants de la
Commission sont désormais pourvus ou font l’objet d’un recrutement, en particulier
dans la division des enquêtes. De ce fait, le pourcentage de postes vacants, qui était
proche de 50 %, a été ramené à moins de 20 %. L’une des difficultés, à cet égard,
demeure celle de trouver du personnel linguistique international qualifié. Il est en
outre urgent d’élargir la base opérationnelle principale ; cette expansion est en cours
pour tenir compte des effectifs en augmentation. Enfin, la Commission a amorcé des
négociations avec les autorités libanaises pour clarifier son statut juridique, à la
faveur d’un mémorandum d’accord complémentaire qui complétera le mémorandum
initial du 13 juin 2005.

4. Le nombre accru d’enquêteurs, de juristes et d’analystes a permis à la
Commission de faire avancer régulièrement l’enquête Hariri sur un large front.
Actuellement, 24 séries d’investigations et d’analyses sont menées de front,
couvrant le large ensemble de travaux d’enquête dans des domaines tels que
l’examen scientifique des indices matériels recueillis, des articles saisis, l’enquête
sur le lieu du crime et sur l’escorte, diverses expériences et simulations, les
télécommunications, les structures, l’analyse des corrélations avec d’autres
enquêtes, et l’interrogation des principaux témoins et des sources « sensibles ».
Chacune de ces opérations est traitée par une équipe multidisciplinaire composée
d’experts ayant les compétences voulues par chacune d’elles.

5. En particulier, la Commission a lancé des examens de police scientifique
détaillés et systématiques portant sur les circonstances immédiates de la mort de
M. Hariri et de 22 autres personnes. Par exemple, tout récemment, la Commission a
achevé une enquête scientifique qui a duré 23 jours sur le lieu du crime et sur les
restes des véhicules qui formaient l’escorte de M. Hariri. La Commission a étudié
des simulations scientifiques effectuées au moyen de maquettes en trois dimensions
et d’animations en deux dimensions et les enregistrements de simulation sonore de
l’explosion, pour se faire une image détaillée du lieu du crime le jour et à l’heure
exacte de l’explosion. Pendant la période considérée, la Commission a en outre
procédé à des analyses d’ADN, à des examens de police scientifique sur ordinateur,
à l’analyse d’empreintes digitales et de relevés de communications téléphoniques et
à l’examen de nombreux documents. D’autres examens de police scientifique sont
en cours ou deviendront nécessaires. Par exemple, un inventaire et une base de
données de police scientifique de toutes les pièces recueillies actuellement en la
possession des autorités libanaises et de la Commission, seront créés.

6. Comme le mandat de la Commission a été élargi pour inclure un concours
technique aux autorités libanaises pour des enquêtes portant sur 14 autres affaires, la
Commission poursuit plusieurs analyses comparatives. En comparant le mode
d’exécution des attentats et les motifs possibles, dans chaque affaire, une hypothèse
de travail a été formulée, qui répartit les affaires entre deux groupes, de huit
explosions dans des lieux publics d’une part et de six attentats visant directement
des personnes précises. Cette comparaison facilitera l’établissement de conclusions
concernant les caractéristiques des auteurs de ces attentats et permettra de dégager
d’éventuels liens avec l’affaire Hariri. Il est également devenu manifeste que seul un
effort concerté pour accroître la capacité des autorités judiciaires et policières
libanaises, et éventuellement de donner un rôle plus actif à la Commission dans les
enquêtes sur les 14 affaires, conduira, en fin de compte, à des progrès tangibles dans
les enquêtes.

7. Pendant la période considérée, la Commission a également établi sa propre
procédure d’enquête, comme le voulait le paragraphe 6 de la résolution 1595 (2005)
du Conseil de sécurité. Cela facilite la normalisation du travail d’enquête de la
Commission et garantit le respect des normes légales et professionnelles
applicables. Cette procédure d’enquête, par exemple, normalise le déroulement des
interrogatoires de témoins et de suspects, en tenant compte du droit libanais et des
normes internationales pertinentes, et notamment la procédure pénale internationale,
de façon à pouvoir préparer le terrain à un futur procès devant un tribunal qui
pourrait avoir un caractère international. La procédure d’enquête a également
normalisé les demandes d’aide de la Commission aux États Membres. Toutes les
demandes suivent désormais une même formule et sont enregistrées et suivies selon
un calendrier bien précis. Cela facilite une appréciation objective de la coopération
que la Commission reçoit des États Membres ainsi sollicités.

8. La coopération des États Membres est en effet un aspect de plus en plus
important du travail de la Commission ; les 32 requêtes adressées à 13 États
Membres pendant la période considérée montrent les ramifications internationales
de l’enquête. La coopération avec la République arabe syrienne s’est développée et
des entretiens ont eu lieu avec le Président et Vice-Président de ce pays. Plusieurs
autres demandes portant sur des renseignements et des documents précis et tendant à
faciliter les interrogatoires de témoins ont été honorées sans retard et de façon
généralement satisfaisante. En outre, des réunions de travail avec des hauts
fonctionnaires syriens ont lieu régulièrement à Damas et à Beyrouth afin d’examiner
les modalités pratiques de cette coopération. La Commission a reçu, du
Gouvernement syrien, des assurances répétées que toutes ses demandes seraient
honorées sans retard et de façon satisfaisante et la République arabe syrienne
souhaite jouer un rôle actif pour concourir à la recherche, par la Commission, des
auteurs des attentats.

9. La restructuration de la Commission a considérablement progressé, et elle
devrait pouvoir maintenant satisfaire ses importants besoins en matière d’enquête,
d’analyse, de sécurité, de traduction et d’interprétation et d’autres services rendus
qu’appelle son mandat. Néanmoins, la Commission doit veiller à pouvoir toujours
entreprendre des tâches complexes, pendant un temps assez long. Toute
organisation, pour se développer, a besoin d’un mandat certain et de ressources
financières, humaines et autres prévisibles. Ces conditions constituent la base de la
démarche systématique et méthodique préconisée par la Commission dans son
dernier rapport. La Commission est donc très satisfaite que le Gouvernement
libanais ait adressé au Secrétaire général, le 4 mai 2006, une demande de
prorogation de son mandat pour une nouvelle période pouvant aller jusqu’à un an.
Cette prorogation donnerait un sentiment de continuité et de stabilité, garantirait la
planification régulière des opérations et offrirait au personnel de la Commission les
assurances voulues.

II. Progrès réalisés dans l’enquête

10. Durant la période à l’examen, la Commission d’enquête s’est efforcée
d’achever la consolidation des résultats du travail déjà accompli, de poursuivre ses
investigations sur les aspects continus du crime, d’ouvrir nombre de nouvelles pistes
et domaines d’investigation et de mettre en place les systèmes nécessaires pour la
bonne gestion de l’enquête. L’impératif demeure le même, à savoir aboutir le plus
rapidement possible à des résultats réalistes du point de vue de la preuve.

11. Dans la présente section, la Commission examine son travail en cours sur des
aspects clefs de l’affaire : le crime lui-même, l’identification de ceux qui l’ont
commis, avaient connaissance de l’opération ou savaient qu’elle était prévue, et
l’identification de ceux qui l’ont commandité. Ce faisant, la Commission donne
autant de détails que possible eu égard à la nécessité de préserver la confidentialité,
notamment quant aux diverses pistes suivies.

A. Caractéristiques du crime

1. Paramètres de travail

12. Comme indiqué dans le précédent rapport, l’un des principaux objectifs de
l’enquête était d’établir si l’explosion qui a tué l’ancien Premier Ministre, M. Hariri,
et 22 autres personnes s’était produite « sous terre » ou « en surface », s’il y avait eu
une ou deux explosions, et si l’explosion avait été déclenchée par une combinaison
de divers facteurs. Pour que l’enquête puisse progresser et que les preuves
recueillies soient admissibles devant un tribunal, il est essentiel d’examiner et
d’établir de manière systématique et concluante ces aspects fondamentaux du crime.

13. Si l’on savait combien il y a eu d’explosions et à quel endroit se trouvait
exactement l’engin explosif improvisé au moment de la détonation, on comprendrait
mieux comment le crime a été planifié et exécuté, la nature et la composition de
l’équipe qui l’a exécuté, les compétences et la coordination requises, le temps qu’il
a fallu pour planifier l’attentat, la période durant laquelle la décision de tuer
M. Hariri a été prise, et l’étendue de l’implication ou de la complicité d’autres
individus et la connaissance que certains pouvaient avoir de l’attentat avant qu’il ne
soit commis.

14. Il convient de souligner l’importance d’un travail de police scientifique
exhaustif pour les progrès de l’enquête. L’examen et l’analyse scientifiques
déterminent de nombreuses autres phases de l’enquête et permettent d’élaborer des
hypothèses et de recueillir des éléments de preuve. La Commission reconnaît que les
équipes scientifiques ont déjà effectué un excellent travail, mais elle estime que ce
travail doit se poursuivre.

2. Exploitation scientifique des lieux du crime

15. La Commission a procédé à de nombreuses investigations pour éclaircir divers
aspects de l’explosion, notamment en recueillant des témoignages et en tentant de
les corroborer. Elle a aussi procédé à des examens scientifiques complets, dont
certains sont encore en cours. Ceci permettra à la Commission de tirer des
conclusions, satisfaisantes du point de vue de la preuve, quant aux circonstances de
l’explosion.

16. Une équipe d’experts et de spécialistes de police scientifique ont entamé à la
fin du mois de mai 2006 la phase finale de l’exploitation scientifique des lieux du
crime. L’objectif était d’y mener des investigations systématiques et de recueillir des
éléments de preuve, notamment d’établir si la camionnette Mitsubishi avait été
utilisée pour acheminer la bombe et si l’explosion avait été déclenchée par un
individu, et de déterminer où se trouvait exactement l’engin lorsqu’il a explosé. Il
s’agissait de plus de recueillir des éléments de preuve scientifique pour établir les
circonstances exactes de la détonation, à savoir si celle-ci s’était produite en surface
ou sous terre et si une seconde bombe avait explosé à peu près au même moment. Il
fallait pour cela examiner attentivement des tonnes de débris, des fragments de
métal et de plastique éparpillés sur une superficie de 41 000 mètres carrés.

17. La phase finale de l’exploitation scientifique des lieux du crime avait
également pour objet de procéder à l’analyse ADN des restes humains retrouvés sur
les lieux pour essayer d’identifier l’individu qui a déclenché l’explosion et les
victimes de l’attentat. Le projet visait aussi à confirmer l’existence de nouvelles
pistes en ce qui concerne la planification et l’exécution de l’opération et à les
exploiter. L’entreprise a permis de recueillir plus de 1 900 éléments de preuve
supplémentaires, qui sont tous en cours d’analyse.

18. De surcroît, en mars 2006, la Commission a achevé l’examen scientifique des
véhicules du convoi de M. Hariri. Elle a placé ces véhicules dans la position qu’ils
occupaient approximativement immédiatement avant l’explosion. Il s’agissait
d’étudier les effets de l’explosion sur ces véhicules et de recueillir de nouveaux
élément de preuve. Soixante-seize morceaux de métal largement dispersés, incrustés
dans les véhicules à diverses hauteurs, ont été recueillis. Étant donné la taille, la
forme et l’état physique de ces fragments, il est probable qu’ils proviennent du
véhicule où se trouvaient les explosifs (c’est-à-dire la camionnette Mitsubishi) ou
d’un objet métallique proche de l’explosif.

19. Ces fragments ont fait l’objet d’une analyse métallographique et scientifique
(peinture) afin de déterminer leur origine. Des analyses balistiques sont menées pour
déterminer où se trouvait exactement l’engin explosif et pour établir si les fragments
proviennent de la camionnette et la direction qui était la leur dans les moments qui
ont immédiatement suivi l’explosion. Les résultats seront comparés à l’analyse des
propriétés des deux emplacements possibles de l’engin explosif (en surface ou sous
terre) afin d’établir la position tridimensionnelle qui était celle de cet engin
immédiatement avant qu’il n’explose.

Caractéristiques de l’explosion

20. Comme on l’a noté ci-dessus, déterminer si l’explosion s’est produite en
surface, sous terre ou les deux est prioritaire pour la Commission. Une explosion en
surface et une explosion souterraine diffèrent considérablement pour ce qui est des
caractéristiques du cratère, de la trajectoire et de la nature des débris et des effets et
propriétés de l’explosion elle-même (boule de feu, effets thermiques et impact sur
les bâtiments se trouvant à proximité). Le travail de police scientifique considérable
entrepris par la Commission lui permettra d’établir lesquelles, parmi les
caractéristiques ci-dessus, sont réunies en ce qui concerne l’explosion qui a causé la
mort de M. Hariri.

21. Afin d’éclairer les diverses théories formulées quant aux caractéristiques de
l’explosion, une analyse sismologique finale des données résultant de l’explosion
est en cours. Ces résultats contribueront à corroborer d’autres éléments de preuve
quant au point de savoir s’il y a eu une ou deux explosions, et quant à la puissance
de l’explosion et la quantité d’explosifs utilisée, ainsi qu’à déterminer si l’explosion
s’est produire en surface ou sous terre. Ces données devraient aussi permettre de
déterminer l’heure exacte de l’explosion, qui a été fixée à 12 h 55mn 5 s. La
confusion existant à cet égard tenait à l’inexactitude de l’horloge interne du système
de surveillance en circuit fermé de la banque HSBC. D’autres explosions qui se sont
produites au Liban feront en outre l’objet d’une analyse comparée au regard de la
puissance de l’explosion qui a tué M. Hariri le 14 février 2005.

22. Les propriétés physiques et chimiques et autres propriétés scientifiques
d’explosions attribuées à des engins explosifs placés en surface ou sous terre ont été
attentivement examinées en ayant l’affaire Hariri à l’esprit. Elles concernent la
nature de la boule de feu et les effets thermiques associés à celle-ci, la trajectoire
des débris et les distances qu’ils parcourent à partir du contenant de l’engin explosif,
du véhicule le transportant ou du sol, les restes humains associés au véhicule, au
convoi et à sa proximité, les effets de l’onde de choc de l’explosion du point de vue
des victimes et des structures avoisinantes, les propriétés physiques du cratère et du
secteur où il se trouve (avant et après l’explosion), les facteurs en relation avec
l’expérience vécue par les témoins et leur déposition quant au moment où
l’explosion s’est produite, les secousses sismiques enregistrées, et les complications
supplémentaires affectant le souffle de l’explosion et l’onde de choc en raison de
l’environnement urbain.

23. Le cratère créé par l’explosion est particulièrement important du point de vue
de l’analyse scientifique. Il a maintenant été établi que la quantité d’explosifs
nécessaire pour creuser un cratère semblable à celui créé par l’attentat du 14 février
2005 était d’environ 500 kilogrammes d’équivalent TNT si l’engin explosif était
enfoui à 1,7 mètre de profondeur, de 1 200 kilogrammes d’équivalent TNT si
l’engin explosif était placé sur le sol, et de 1 800 kilogrammes d’équivalent TNT si
l’engin explosif se trouvait à environ 0,80 mètre au-dessus du sol. Ainsi, si les
explosifs se trouvaient effectivement dans la camionnette Mitsubishi, la quantité
utilisée a dû être d’au moins 1 200 kilogrammes d’équivalent TNT.

24. De plus, des éléments matériels trouvés dans la terre à l’intérieur du cratère
indiquent que l’engin explosif se trouvait très probablement en surface puisque
l’explosion a enfoncé ces éléments dans le sol. Tous les fragments recueillis dans ce
secteur feront l’objet d’une analyse balistique dont les résultats seront incorporés
aux autres données balistiques recueillies pour établir, dans le cadre d’un modèle à
trois dimensions et à 360 degrés, l’endroit exact où se trouvait l’engin explosif avant
la détonation. Un examen des systèmes souterrains de la chaussée et de ses environs
a également été effectué et on n’y a trouvé aucune trace de détonateur.

25. À cet égard, la Commission est toujours en train d’examiner comment les
explosifs ont pu être placés sur la camionnette pour que l’explosion ait les effets
recherchés et comment ils ont dû être connectés pour exploser comme ils l’ont fait.
Ceci aidera à déterminer si des méthodes connues ont été utilisées pour fabriquer
l’engin explosif et quel niveau d’expertise était nécessaire pour ce faire.

Contenant des explosives

26. Comme on l’a noté ci-dessus, les divers fragments de véhicule réunis durant
l’examen scientifique des lieux du crime font actuellement l’objet d’analyses
biologiques et autres analyses scientifiques afin de les identifier pour établir leur
origine et de déterminer en particulier s’ils proviennent de la camionnette
Mitsubishi mentionnée dans les précédents rapports de la Commission. Un morceau
de métal, qui pourrait être un toit de véhicule, a été trouvé accroché au bras d’une
grue proche d’un immeuble se trouvant sur les lieux du crime (l’immeuble Byblos),
à environ 50 mètres du sol. En outre, une pièce destinée à recevoir une clef de
contact a été trouvée près d’un immeuble qui n’avait pas encore fait l’objet d’un
examen scientifique.

27. En outre, le changement de vitesse d’un véhicule a été trouvé enfoui dans le
sol à l’intérieur du cratère, à quelque 40 centimètres de la surface. Il fait également
l’objet d’analyses balistique et scientifique afin d’établir les caractéristiques du
véhicule dont il provient. Des résultats préliminaires indiquent que cette pièce a été
enfouie dans le sol du cratère par une explosion qui l’a poussée de haut en bas.

Restes humains

28. Cent dix-neuf échantillons biologiques ont au total été recueillis en différents
endroits autour des lieux du crime. À titre préliminaire, il a été confirmé qu’au
moins 44 d’entre eux provenaient d’êtres humains, et la même conclusion est
probable concernant 12 autres, une fois les analyses scientifiques achevées. Ils sont
également en train de faire l’objet d’analyses balistiques et ADN pour identification.
Pour comparer les données ADN existantes avec tout nouveau profil ADN qui
pourrait être établi, la Commission travaillera en collaboration étroite avec la police
scientifique libanaise.

Itinéraire du convoi

29. Un projet consistant à interroger et réinterroger systématiquement tous les
membres du service de sécurité de M. Hariri, y compris les membres survivants de
son convoi, ceux qui sont chargés de sa sécurité et ses collaborateurs immédiats, est
presque achevé. Ses objectifs sont d’établir l’itinéraire du convoi, la chronologie
exacte de sa progression, les arrêts qu’il a pu effectuer, le moment où l’itinéraire a
été choisi et l’identité de ceux qui en avaient la connaissance, l’utilisation d’une ou
plusieurs Mercedes Benz 600 dans le convoi, tant le jour de l’attentat qu’auparavant,
quand l’itinéraire passant devant l’hôtel Saint-Georges avait déjà été choisi par le
passé, y compris pour la visite effectuée au Parlement le 8 février 2005, l’utilisation
de contre-mesures électroniques, leur efficacité exacte, le plan d’ensemble des
auteurs de l’attentat, le lieu et le moment de l’arrivée de la camionnette Mitsubishi,
les détails sur les deux derniers jours de la vie de M. Hariri et les faiblesses et points
forts du dispositif de sécurité dont il bénéficiait durant cette période.

30. Dans le même temps, une carte animée illustrant en deux dimensions le
déplacement du convoi le jour de l’attentat a été créée et reliée à des photographies
et des enregistrements vidéo aériens afin de visualiser exactement, en temps réel, la
progression du convoi le long de son itinéraire.

31. Étant donné la nature de l’itinéraire emprunté et la nécessité d’y introduire la
camionnette Mitsubishi, la Commission n’est pas encore totalement convaincue que
le voisinage immédiat de l’hôtel Saint-Georges ait effectivement été l’endroit précis
prévu pour l’attentat. Peut-être le plan prévoyait-il un attentat « en route », l’engin
explosif devant détoner plus loin sur l’itinéraire, probablement après l’hôtel Saint-
Georges, mais presque certainement pas avant d’atteindre cet hôtel, pour des raisons
logistiques et chronologiques. C’est pourquoi la Commission poursuit également
son examen de l’enregistrement effectué par le système de télévision en circuit
fermé le jour de l’attentat et continue de rechercher des images de l’itinéraire
projeté pour la camionnette Mitsubishi susceptibles d’avoir été archivées.

3. Témoins présents sur les lieux du crime

32. Plus de 25 témoins présents sur les lieux du crime sont systématiquement
interrogés et réinterrogés et leurs dépositions seront corrélées avec les résultats de
l’abondant travail de police scientifique qui a été effectué. L’objectif est notamment
d’établir avec exactitude les déplacements et le positionnement de la camionnette
Mitsubishi lors des phases finales de l’opération, de parvenir à une compréhension
commune des événements au moment de l’explosion, d’ouvrir de nouvelles pistes
d’enquête et de déterminer si deux explosions ont été entendues et deux engins
explosifs utilisés. Une analyse acoustique de la détonation est en cours afin
d’identifier les caractéristiques acoustiques de l’explosion pour chacun des témoins
présents sur les lieux, ce qui permettra de déterminer, à l’aide de moyens
scientifiques et en corroborant les témoignages, s’il y a eu une ou deux explosions.

4. Conclusion préliminaire

33. Sur la base des nombreuses dépositions de témoins et des éléments de preuve
réunis et examinés jusqu’à présent, et en attendant les résultats d’une série
d’entretiens et d’analyses scientifiques en cours, la Commission estime qu’une
explosion en surface s’est produite le jour de l’attentat à 12 h 55 mn 5 s. Elle a été
causée par un engin explosif improvisé de forte puissance, contenant au minimum
1 200 kilogrammes d’équivalent TNT constitués par un mélange de TNT et de
penthrite ou de RDX.

34. Sur la base des indices matériels réunis, notamment en ce qui concerne les
trajectoires et l’emplacement des fragments de métal qui ont été retrouvés, des
dommages causés aux véhicules du convoi et à ceux qui étaient garés sur la
chaussée et des images de l’enregistrement du système de télévision en circuit fermé
de la banque HSBC, la Commission pense également que la camionnette Mitsubishi
contenait l’engin explosif, et que celui-ci a été activé lorsque le convoi de M. Hariri
est passé. Cette conclusion s’entend sous réserve des résultats finals du travail de
police scientifique.

35. L’explosion de l’engin a très probablement été déclenchée par un individu se
trouvant à l’intérieur de la camionnette ou juste devant celle-ci. Les restes humains
(27 fragments) déjà recueillis sur les lieux du crime ont été identifiés comme
appartenant à la même personne, un homme. Il est vraisemblable que c’est
l’individu qui a déclenché l’explosion, notamment parce que ses restes sont minimes
et ont été découverts dans le même secteur, tous orientés dans la même direction à
partir de l’épicentre de l’explosion. À ce stade, la Commission préfère ne pas
décrire l’intéressé comme l’auteur d’un « attentat-suicide à la bombe ». Il reste en
effet à déterminer si l’individu en question a fait exploser l’engin volontairement ou
a été contraint à le faire.

36. La quantité d’explosifs utilisée semble avoir été calculée pour assurer le
succès de l’opération, compte tenu du secteur choisi pour l’attentat et de la
proximité et de la précision nécessaires de l’emplacement de la camionnette
Mitsubishi par rapport au véhicule de M. Hariri. La charge étant estimée à
1 200 kilogrammes d’équivalent TNT au minimum, la réussite de l’attentat était
presque « garantie ».

37. Le crime devant être considéré comme un assassinat ciblé, il a fallu à la fois
mettre en échec des dispositifs techniques de protection, par exemple les dispositifs
de brouillage du convoi, et prévoir la possibilité qu’une erreur humaine puisse
intervenir dans l’exécution du plan. La grande quantité d’explosifs utilisée devait
assurer le succès même si le véhicule de M. Hariri n’était pas directement frappé et
se trouvait à une certaine distance de l’engin explosif. Elle visait à assurer que la
déflagration et l’onde de choc causées par l’ampleur de l’explosion tueraient
M. Hariri même s’il n’était pas touché par l’explosion elle-même, par les fragments
de véhicules et autres objets projetés à grande vitesse par l’explosion ou par la boule
de feu créée par celle-ci.

B. Les personnes qui ont concouru au crime

1. Hypothèses de travail

38. Comme il était dit dans le rapport précédent, la Commission distingue trois
catégories de participants à l’attentat contre M. Hariri, sans pour autant suggérer une
intention ou un degré de responsabilité pénale spécifiques : les auteurs du crime, les
personnes qui avaient connaissance de l’opération ou des préparatifs, et ceux qui
l’ont commanditée. En fonction des rapports existant entre ces trois catégories de
personnes, la Commission a retenu les deux hypothèses de travail ci-après.

39. La première consisterait à considérer que l’opération a été préparée et réalisée
selon un principe de cloisonnement. Ce serait alors une opération complexe,
décomposée en ses parties constituantes, chacune d’entre elles étant réalisée par une
personne ou un groupe ignorant tout des autres aspects de l’opération et des autres
participants. Il est possible par exemple que l’acquisition, l’assemblage et la
livraison de l’engin explosif aient été le fait de personnes qui n’avaient participé ni
à la planification ni à l’exécution de l’attentat. De même, la réalisation et
l’acheminement de la vidéo d’Ahmed Abou Adass auraient pu être le fait de
personnes qui n’ont participé à aucun autre aspect de l’opération. Dans cette
hypothèse, on aurait plus de gens qui auraient participé à un aspect au moins du plan
ou de l’opération, ou en auraient eu quelque connaissance.

40. La deuxième hypothèse serait qu’une seule équipe ait eu l’idée de tuer l’ex-
Premier Ministre Rafic Hariri, ait effectué les visites de reconnaissance et la
surveillance, ait réalisé la bande vidéo avec la revendication de responsabilité, ait
acquis les explosifs, ait acquis et préparé la camionnette Mitsubishi, ait utilisé une
personne comme déclencheur, et ait exécuté l’opération. Dans cette hypothèse, le
nombre de participants pouvait être relativement limité.

2. Les personnes qui ont participé à l’attentat

Mode d’exécution utilisé par les auteurs de l’attentat

41. La Commission avait indiqué dans son rapport précédent la méthode générale
d’enquête qu’elle avait appliquée pour élucider les préparatifs de l’attentat,
identifier les participants et leurs tâches respectives, y compris ce que cela supposait
avant, pendant et après l’attentat, et éclairer le mode global d’exécution utilisé par
les auteurs.

42. Pour éclairer le mode d’exécution, la Commission a interrogé des témoins, des
victimes et des suspects, tiré parti des analyses médicolégales et techniques pour
évaluer les moyens et les méthodes utilisés, et intégré à tous ces éléments l’analyse
des schémas de communication, tant du jour du crime que de la période le
précédant.

43. La Commission poursuit ses investigations selon les méthodes indiquées, afin
d’arriver à mieux comprendre les circonstances du crime : comment, quand et où un
groupe de personnes s’est réuni pour tel ou tel élément de l’opération ; comment,
quand et où les opérations de reconnaissance ont eu lieu en préparation de l’attentat ;
comment les communications ont été et n’ont pas été utilisées, avec des effets très
précis et une discipline très poussée, pour la réalisation de l’opération, les achats et
la planification, et même après l’attentat ; et à comprendre si les responsables ont
connu l’itinéraire de M. Hariri et quand, afin de dresser leurs plans.

44. Dans ce contexte, la Commission continue à enquêter pour établir : si le
chauffeur de la camionnette Mitsubishi était partie intégrante de l’équipe, ou s’il a
été ajouté assez tard, juste avant l’attentat ; l’identité de la personne qui a déclenché
l’explosion, et s’il s’agissait de quelqu’un qui agissait de son plein gré ou sous la
contrainte ; combien de personnes ont commis l’attentat, et combien l’ont facilité ;
qui d’autre a été en contact avec l’équipe dans les semaines, les jours et les heures
précédant l’attentat ; quelles entités avaient les moyens et les capacités
d’entreprendre un attentat de cette complexité de cette manière ; la provenance des
explosifs ; l’identité des personnes qui avaient les connaissances et les moyens
voulus pour monter l’engin explosif, et à quel moment et par qui il a été
effectivement monté ; et la manière dont l’engin a été transporté sur les lieux de
l’attentat.

45. Enfin, la Commission, de concert avec le bureau du Procureur général du
Liban, poursuit ses investigations sur la source, la nature de l’achat, et les
déplacements de la camionnette Mitsubishi entre le moment de son acquisition et
celui où il a servi à l’attentat, questions prioritaires pour l’enquête. L’acquisition de
la camionnette, en particulier, représente un aspect essentiel de l’affaire, donnant
une meilleure idée du mode opératoire de l’équipe qui a commis l’attentat.

La personne qui a déclenché l’explosion de l’engin

46. Comme il a déjà été dit, l’identité et le mode de participation de la personne
qui a déclenché l’explosion de l’engin, depuis l’intérieur de la camionnette ou près
de l’avant de celle-ci, sont des aspects cruciaux de l’enquête. La Commission
s’emploie donc à établir si cette personne a été partie intégrante des préparatifs de
l’attentat ou si au contraire elle a été intégrée à l’opération juste avant l’attentat
proprement dit.

47. Cela étant, il sera important de déterminer les intentions expliquant la
participation de cette personne, et d’établir si sa participation était de plein gré ou
sous la contrainte. Chacune de ces possibilités mènerait à des conclusions
différentes sur les motifs de l’opération : il faut là une connaissance fine des
motivations, des moyens et des méthodes des attentats-suicide dans la région. Les
analyses d’ADN et les analyses comparatives sont en cours, la Commission
cherchant à l’échelon local, régional et plus large des relevés d’ADN correspondant
à celui de la personne soupçonnée d’avoir déclenché l’explosion. Cela pourrait
permettre à la Commission de déterminer l’origine géographique de cette personne.

48. La Commission cherchant à établir l’identité et le mode de participation de la
personne ayant déclenché l’explosion, la véracité de la revendication de
responsabilité exprimée dans le message sur bande vidéo d’Ahmed Abou Adass
l’intéresse tout particulièrement. Elle examine les aspects religieux et politique de
ce message, ainsi que la manière dont il a été acheminé – comment, quand et par
qui. Elle enquête aussi sur les cinq appels téléphoniques à Reuter et Al Jazeera à ce
sujet, dont deux appels revendiquant l’attentat, et trois concernant la bande vidéo.
La Commission consulte des experts pour obtenir des éclaircissements sur certains
problèmes que suscite cet aspect du crime.

49. Les analyses médicolégales et l’analyse du support sont en cours : elles portent
sur les éléments de la bande vidéo où Ahmed Abou Adass revendique la
responsabilité de l’attentat, sur d’autres aspects connexes, et sur les circonstances
concrètes de livraison de la bande. La collection d’empreintes digitales et d’ADN a
été étudiée, et on cherche les éventuelles correspondances avec les empreintes et le
profil d’ADN d’Ahmed Abou Adass et d’autres personnes. L’ordinateur d’Ahmed
Abou Adass est soumis à un examen de criminalistique informatique, dont les
résultats feront l’objet d’une analyse. Plusieurs personnes ont été interrogées au
sujet de cet aspect de l’affaire.

50. Au stade actuel, après une analyse médicolégale très poussée, au vu des autres
renseignements et éléments de preuve réunis jusqu’à présent, et en attendant les
résultats définitifs d’analyse de l’ADN prélevé sur des éléments récemment
recueillis sur les lieux du crime, il n’y a rien qui donne à penser que ce serait Ahmed
Abou Adass qui aurait déclenché l’explosion, comme il l’a dit dans le message où il
revendiquait la responsabilité de l’attentat. Il n’y a rien non plus qui donne à penser
qu’il était présent sur les lieux du crime, à quelque titre que ce soit, le 14 février
2005. La Commission n’exclut pas qu’il soit impliqué dans d’autres aspects de
l’opération, autres que la participation qu’il revendique dans son message sur la
bande vidéo.

Trafic de communications

51. L’analyse des communications est un travail énorme, la Commission étant en
train de réunir des enregistrements dont le nombre pourrait atteindre les 5 milliards.
Il faudra y faire un tri préalable, en sélectionner certains, les dépouiller et les
analyser. Ce travail est très minutieux du fait qu’il doit être approfondi, tout lien
établi en faisant naître d’autres en progression quasiment géométrique. La
Commission en a chargé une équipe d’analystes et d’enquêteurs, et se dote de
logiciels et de matériel spécialisés répondant aux spécifications de ce projet. Ce type
d’analyse de trafic demande à être ciblé. La Commission fait donc porter l’effort sur
les événements directs de l’affaire Hariri et les éléments en liaison directe avec eux,
ainsi que sur d’autres aspects connexes, et les résultats de ce travail sont
continuellement intégrés dans les éléments plus larges de l’affaire.

52. L’analyse du trafic et des communications interceptées a été élargie au-delà de
l’utilisation faite le jour de l’attentat des six cartes à numéro d’identification
international de téléphone portable (SIM), dont il était question dans les rapports
précédents de la Commission. On étudie de près des liens complexes, des appels
connexes et leur lieu pendant une période plus étendue, et les résultats viennent
s’ajouter aux constatations plus générales de l’enquête. Les communications
actuellement soumises à analyse ont aussi une dimension internationale, bien que la
Commission ne soit pas encore en mesure de tirer des conclusions définitives sur
l’importance de ces appels.

3. Les personnes qui ont eu connaissance de l’opération ou des plans

53. L’enquête vise non seulement à comprendre le mode opératoire de l’équipe qui
a préparé et exécuté l’attentat, mais aussi à établir qui d’autre a pu avoir
connaissance du crime. Il est effectivement important de déterminer avec précision
qui, outre les auteurs du crime, avait connaissance de l’opération, de ses préparatifs
ou de certaines de ses parties. En identifiant et en interrogeant ces personnes, on a
des chances d’obtenir des informations et des éléments de preuve importants.

4. Les commanditaires

Motifs de l’attentat

54. Tout en progressant dans la connaissance des circonstances du crime et des
personnes impliquées dans l’attentat, la Commission examine aussi différents motifs
de l’assassinat de l’ex-Premier Ministre Rafic Hariri. Elle sait qu’il peut y avoir plus
d’une raison pour lesquelles d’aucuns auraient souhaité le tuer, et ne se contente
donc pas d’examiner un facteur à part, envisageant aussi la possibilité que plusieurs
facteurs aient coïncidé à un moment ou à un autre pour multiplier les motifs des
commanditaires de l’attentat. Les hypothèses examinées présentent différents
niveaux de complexité, certaines très complexes, d’autres relativement simples.
M. Hariri ayant eu nombre d’activités et occupé de nombreux postes importants, la
Commission étudie des motifs d’ordre politique, mais aussi la possibilité d’une
vengeance personnelle, les circonstances financières, et les idéologies extrémistes,
tout comme les combinaisons éventuelles de ces facteurs, pour élaborer des
hypothèses sur les motivations possibles des commanditaires du crime.

55. La Commission examine toujours les motifs et les impératifs politiques
possibles qui expliqueraient l’assassinat de M. Hariri. Il est extrêmement important
en ce sens qu’elle se fasse une idée très précise et détaillée de la situation politique
qui prévalait au Liban et dans l’ensemble de la région au moment de l’attentat. Le
fonctionnement des organismes et des appareils politiques, militaires, de sécurité et
civils du Liban présente une importance particulière, de même que le processus de
décisions – qui les prenait et comment, tant en droit qu’en fait.

56. La Commission n’a pas abandonné l’hypothèse selon laquelle la situation
après la faillite de la banque Al-Medina aurait eu à voir avec l’assassinat de
M. Hariri. Il y a eu beaucoup de conjectures avancées publiquement à propos de
cette faillite, mais la Commission estime nécessaire d’établir les faits autour de cette
hypothèse, y compris en étudiant la possibilité que des fonds de cette banque aient
été détournés pour financer l’opération. Elle ne consacrera cependant pas de
ressources à une enquête plus large sur l’affaire Al-Medina.

57. La Commission examine aussi la possibilité que le crime ait été commis par un
groupe unique, avec une intention et des capacités uniques. Elle continue par
exemple à accumuler des connaissances sur des personnes qui sont ou ont été
détenues par les autorités libanaises, accusées d’appartenir à des groupes terroristes.
Cette partie des investigations se poursuit, concentrée sur les liens, les intentions,
les capacités et les motivations de ces personnes.

58. La Commission examine aussi, à l’inverse, la possibilité d’une opération ayant
eu des causes complexes, des personnes ou des groupes disparates, avec des motifs
et des intentions différents, ayant conjugué leurs forces pour commettre un même
crime.

Collecte d’éléments de prevue

59. Dans ce contexte, la Commission continue à mener une série d’entretiens avec
des personnes susceptibles d’aider à décrire les structures officielles et de fait
existant au Liban au moment de l’assassinat de M. Hariri : elle interroge des
responsables syriens et libanais appartenant à différents organismes et institutions,
ainsi que d’autres personnes extérieures à ce genre d’appareils. Elle estime que ces
entretiens se poursuivront pendant une période prolongée.

60. Dans sa recherche des motifs, la Commission continue à se livrer à l’analyse
politique, à tracer l’évolution diachronique de différents thèmes et sujets, à
reconstituer des événements, à examiner la teneur de réunions et à analyser des
conversations et des documents. Cet aspect de son activité fait appel à de
nombreuses formes d’analyse des éléments de preuve, aux dépositions de témoins, à
des renseignements techniques, à des données de criminalistique, à des documents, à
des avis d’experts et à des sources publiques. Rassembler des éléments prouvant des
liens entre les commanditaires et l’attentat lui-même est une tâche particulièrement
ardue.

III. Assistance technique à l’occasion des 14 autres affaires

61. Conformément au mandat élargi que lui a conféré la résolution 1644 (2005) du
Conseil de sécurité, la Commission a continué de fournir une assistance technique
aux autorités libanaises dans les 14 affaires exposées dans le rapport précédent. Elle
a affecté à cette tâche une équipe de projet multidisciplinaire à plein temps,
possédant des connaissances spécialisées dans les domaines du droit, des enquêtes,
de l’analyse, de l’expertise médico-légale et de la communication. L’équipe travaille
en collaboration étroite avec le Cabinet du Procureur général et avec les juges
d’instruction désignés pour les 14 affaires.

62. Durant la période considérée, la Commission s’est attachée à chaque affaire,
tant individuellement que de front avec les autres, afin d’établir les liens qui
pourraient exister entre les attentats. Aussi connaît-on mieux à présent les
14 affaires pour ce qui est du profil de chacune d’elles, l’état actuel de l’enquête et
les mesures requises pour renforcer et accélérer le processus d’enquête.

63. Concrètement, la Commission a fourni une assistance technique aux autorités
libanaises, notamment en leur fournissant des listes de questions à poser aux
témoins, en demandant dans plusieurs affaires que soient réalisées et que puissent
être visionnées des séquences de film de télévision en circuit fermé, en demandant
que certains témoins soient réinterrogés et en examinant les enregistrements de
communications. Sur le plan médico-légal, la Commission réalise un profilage des
échantillons biologiques, analyse les rapports d’experts disponibles et procède à une
analyse comparée des données sismologiques relatives aux 14 explosions.

A. État des 14 affaires

64. Le schéma général qui ressort de l’analyse des affaires en se plaçant du point
de vue de leur mode d’exécution est celui d’engins explosifs utilisés dans toutes les
affaires, sans qu’apparaisse le moindre élément de preuve que d’autres moyens aient
été utilisés. En outre, ce schéma amène la Commission à distinguer les trois
méthodes qui ont été effectivement employées pour les attentats, à savoir :
l’utilisation de voitures piégées, dans trois affaires ; l’utilisation d’engins explosifs
placés ou fixés sous le véhicule de la victime, dans trois affaires ; l’utilisation
d’engins explosifs placés dans des lieux publics, dans huit affaires.

65. On aboutit à des conclusions analogues en se plaçant du point de vue de
l’intention criminelle susceptible d’avoir sous-tendu les affaires : huit attentats
semblent n’avoir pas été dirigés contre des personnes précises et paraissent avoir été
réalisés à l’aide de bombes disposées dans des lieux publics à des moments choisis
pour réduire au minimum le nombre de victimes ; dans six autres attentats, des
personnes précises ont été prises pour cible, mais le mode d’exécution avait été
conçu pour éviter de faire un nombre élevé de victimes en plus. Les individus pris
pour cible étaient des hommes politiques ou des journalistes influents.

66. Enfin, la Commission envisage un certain nombre d’hypothèses fondées sur
l’ordre chronologique des attentats. Il s’agit des deux hypothèses suivantes, entre
autres : a) les 14 attentats auraient été planifiés et exécutés comme constituant cinq
phases distinctes, dans le but non seulement d’éliminer des personnes précises, mais
également de susciter l’angoisse et de semer la panique dans la population en ciblant
des lieux publics ; b) selon une autre hypothèse, les attentats se répartiraient entre
deux groupes et auraient été commis par des auteurs différents ; le premier groupe
d’attentats auraient été commis avec huit bombes disposées dans des lieux publics,
le second groupe commis avec six bombes visant des personnes précises. Les motifs
et raisons des attentats peuvent présenter des différences significatives selon
l’hypothèse retenue.

1. Les huit bombes placées dans des lieux publics

67. Les analogies existant entre les huit attentats perpétrés dans des lieux publics
apparaissent clairement. Une analyse préliminaire donne à penser que les attentats
ont été exécutés par les mêmes auteurs, qui ont utilisé le même mode d’exécution et
qui étaient animés de la même intention criminelle. Les cinq premiers attentats se
situent dans une période d’environ six semaines en 2005 : à New Jdeidh le dimanche
19 mars, à Kaslik le mercredi 23 mars, à Bouchria le dimanche 26 mars, à
Broumana le vendredi 1er avril, et à Jounieh le vendredi 6 mai. Les trois derniers
attentats ont eu lieu à Ashrafieh (rue Monot) le vendredi 22 juillet, à Zalka le lundi
22 août, et de nouveau à Ashrafieh (rue Naoum Libki) le vendredi 16 septembre.
Tous ces lieux se trouvent dans des quartiers habités presque exclusivement par des
chrétiens.

68. On relève également que les attentats ont été perpétrés à des moments
analogues, à savoir qu’ils ont été exécutés à un moment de la journée où il y avait le
moins de monde à l’endroit où la bombe a explosé. Les attentats ont eu lieu
respectivement aux heures suivantes : à New Jdeidh à 0 h 32, à Kaslik à 1 h 16, à
Bouchria à 21 h 13, à Broumana à 21 h 43, à Jounieh à 21 h 34, à Ashrafieh (rue
Monot) vers 21 h 45, à Zalka à 22 h 34, et à Ashrafieh (rue Naoum Libki) vers
23 h 45. Dans chacune des huit affaires, il apparaît que l’engin explosif a été placé
de façon à attirer peu l’attention, vraisemblablement afin de permettre à l’auteur ou
aux auteurs de prendre la fuite avant que l’engin explose.

69. La similitude du mode d’exécution de chacun des attentats paraît renvoyer à
un groupe unique d’auteurs, qui avaient l’intention de commettre une série
d’attentats suivant le même schéma et comportant le moins possible de
complications. Le potentiel et les moyens utilisés pour exécuter de tels attentats sont
considérables, mais la méthode choisie est aussi simple que possible.

70. Pour ce qui est du type d’engins explosifs utilisés, l’importance de la charge
dans les huit affaires se situait entre 10 et 20 kilogrammes de TNT, qui ont peut-être
été mélangés avec d’autres types d’explosif. Cette charge est suffisamment réduite
pour pouvoir être transportée par une personne seule, et suffisamment importante
pour avoir un impact significatif. Les engins ont été déclenchés soit par minuterie,
soit par télécommande. Le nombre total de victimes causées par les huit attentats est
relativement peu élevé : quatre personnes ont été tuées et une soixantaine blessées.

71. Il n’est certes pas question de minimiser la gravité de ce bilan (morts et
blessés), mais l’on observera que la charge totale minimum de 120 kilogrammes
d’explosifs utilisée pour les huit attentats n’aurait pas manqué au cas où les
explosifs auraient été utilisés dans des lieux publics, par exemple à la mi-journée,
d’alourdir considérablement ce bilan et aurait aussi accru de beaucoup le risque
couru par les auteurs. Le choix de l’heure et de l’emplacement des huit attentats
peut donc être considéré comme un choix délibéré de la part des auteurs, qui réalise
un équilibre entre l’effet recherché, le nombre de pertes humaines et la possibilité
pour les auteurs de s’échapper. Un des mobiles auxquels les auteurs pouvaient obéir
est l’intention de semer la panique dans la population, de déstabiliser la situation sur
le plan de la sécurité et de causer des dommages à l’infrastructure. Aucun des
attentats n’a été précédé du moindre avertissement, ce qui semble indiquer que les
auteurs avaient accepté la probabilité qu’il y eût des morts ou des blessés.

2. Les six bombes visant une personne déterminée

72. Six bombes visant une personne déterminée devaient tuer des hommes
politiques ou des journalistes identifiés, sans causer un grand nombre d’autres
victimes. Samir Kassir, May Chidiac et Gebran Tueni étaient ou sont des
journalistes connus ; Marwane Hamadeh et Elias El-Murr étaient des ministres en
exercice ; George Hawi avait été Secrétaire général du Parti communiste libanais. Il
va falloir examiner de manière approfondie la carrière professionnelle, la vie
publique et la vie privée de chacune des victimes et son appartenance politique et
religieuse, ainsi que celle de ses amis et ennemis, pour pouvoir déterminer si, du
point de vue des auteurs des attentats, il existait des liens entre les victimes.

Corrélation établie sur la base des mobiles

73. Comme dans l’enquête Hariri, il importe d’envisager une « segmentation » des
motifs de ces crimes. Un des segments pourrait regrouper les attaques dont les
motifs concernent chacune des victimes prises individuellement ; ainsi, un ou
plusieurs des attentats pourraient être liés à d’autres attentats par le même motif. Un
autre segment pourrait regrouper les attentats commis dans le cadre d’une intention
plus large.

74. Un autre segment encore, qui est examiné actuellement par la Commission, est
constitué par les revendications de responsabilité faites dans trois des affaires, à
savoir les attentats contre Hariri, Kassir et Tueni. Quelques jours seulement après
l’attentat contre Tueni, une organisation inconnue jusque-là, « Les combattants pour
l’unité et la liberté de Bilad El-Cham », a revendiqué la responsabilité de
l’assassinat de Tueni et de Kassir ; de même, dans l’affaire Hariri, l’attentat a été
revendiqué par Ahmed Abu Adass au nom d’un autre groupe inconnu jusque-là, « La
victoire et le Jihad à Bilad El-Cham ». Les deux groupes, qui portent en partie le
même nom1, peuvent être deux groupes terroristes agissant indépendant l’un de
l’autre ou ils peuvent être liés l’un à l’autre. Il se peut aussi qu’aucun de ces deux
groupes n’ait existé avant les attentats et après ceux-ci.

Corrélation établie sur la base du mode d’exécution

Trois engins explosifs placés sous le véhicule

75. Dans les trois attentats où étaient visées des personnes précises, pour
lesquelles aucune mesure de protection personnelle ne semble avoir été prise, à
savoir les attentats commis contre Samir Kassir, George Hawi et May Chidiac, des
engins explosifs avaient été placés sous leur voiture. Le potentiel et les moyens
opérationnels utilisés pour exécuter ces attentats sont considérables, mais la
méthode choisie était simple, afin de maximiser les chances de succès avec un
minimum de complications. Chacun des trois attentats permet de conclure qu’une
personne précise était visée et donne à penser que celle-ci avait dû faire l’objet
d’une surveillance préalable pour établir jusqu’à quel point elle bénéficiait de
mesures de protection personnelle et quelles étaient ses habitudes, en particulier
quel véhicule elle utilisait et le siège sous lequel devait être placé l’engin explosif.

76. Dans l’affaire Kassir, la bombe avait été placée directement sous le siège du
conducteur, soit au sol, soit fixée au véhicule. Au moment de la détonation,
M. Kassir se trouvait dans la voiture, sur le siège du chauffeur, et il est mort des
suites de l’explosion. Dans l’affaire de M. Hawi, celui-ci occupait le siège du
passager à côté du chauffeur ; la détonation s’est produite à environ 300 mètres de
son domicile. L’explosion a causé la mort sur le coup de M. Hawi et blessé
légèrement le chauffeur. Dans l’affaire Chidiac, la bombe était fixée sous le châssis
du véhicule par des aimants placés directement sous le siège du conducteur. La
détonation s’est produite juste après que M. Chidiac fut monté à bord du véhicule. Il
a été grièvement blessé, mais grâce à l’épaisseur du châssis, d’autres dommages ont
pu être évités. L’explosion de chacune des trois bombes a été probablement
déclenchée par télécommande.

77. Selon les estimations, dans les trois affaires la charge explosive aurait été
comprise entre 500 grammes et 2 kilogrammes et aurait été constituée d’explosif
plastique ou d’un mélange de TNT et de RDX. Dans au moins deux des cas, voire
dans les trois cas, il semble que les bombes étaient fixées sous les véhicules par des
aimants.

Trois voitures piégées

78. Dans le cas des trois autres personnes qui étaient prises pour cibles, Marwane
Hamadeh, Elias El-Murr et Gebran Tueni, des bombes avaient été placées dans des
voitures garées au bord de la route qui devait être empruntée le jour de l’attentat.
Chacune de ces trois personnes semble avoir fait l’objet de mesures de protection
personnelle. Le potentiel et les moyens opérationnels requis pour exécuter ces
attentats sont plus importants que dans les trois cas examinés plus haut. En
particulier, les chances de succès passaient par la qualité des renseignements et il
fallait une reconnaissance et une surveillance plus complexes.

79. L’attentat contre M. Tueni illustre parfaitement cette façon de faire. Il est
possible que les auteurs aient mené à bien la reconnaissance et la surveillance
quelques semaines avant l’attentat et il se peut qu’ils avaient préparé la bombe et le
véhicule en vue d’un attentat précédent. Mais M. Tueni avait quitté le pays, comme
il l’avait fait à plusieurs reprises durant les mois précédents et parfois pour des
séjours de plusieurs semaines à l’étranger. On suppose que les auteurs attendaient
d’être informés en temps utile de son retour pour exécuter avec succès l’opération
qu’ils avaient planifiée, et ce, dans un délai de 14 heures.

80. Le jour de l’attentat, M. Tueni, son chauffeur et un garde du corps avaient
quitté le domicile de M. Tueni à bord du véhicule de celui-ci et emprunté un
raccourci bien connu lorsqu’ils étaient passés à hauteur du véhicule piégé. Celui-ci
était garé sur le côté droit de la route au moment où la détonation s’est produite. La
bombe contenait une charge d’environ 35 kilogrammes de TNT qui a dû être
probablement mise à feu par télécommande. La voiture de M. Tueni a été projetée
hors de la route jusque dans un fossé en contrebas ; trois personnes ont trouvé la
mort et six autres ont été blessées.

81. Dans le cas de M. Hamadeh, les engins explosifs avaient été placés entre le
siège arrière et le coffre de la voiture piégée, de façon à atteindre de plein fouet la
voiture de marque Mercedes Benz de M. Hamadeh. Au moment de l’explosion, les
deux véhicules se trouvaient à environ un mètre l’un de l’autre. Le garde du corps
de M. Hamadeh a été tué sur le coup ; M. Hamadeh et son chauffeur ont été
grièvement blessés. On notera que le garde du corps avait pris place sur le siège
arrière de la voiture, siège que M. Hamadeh aurait dû, suppose-t-on, occuper luimême.
Il est probable que l’engin a été mis à feu par télécommande. La bombe
devait peser environ six kilogrammes et était composée de RDX, soit l’équivalent
d’environ 10 kilogrammes de TNT.

82. M. El-Murr, Ministre de la défense et ancien Ministre de l’intérieur, avait
quatre voitures à sa disposition et changeait de voiture chaque jour. Le jour de
l’attentat, il a quitté son domicile à bord d’une voiture 4 x 4. Il conduisait sa voiture
et était accompagné d’un officier et d’un chauffeur. L’officier avait pris place sur le
siège du passager à côté du chauffeur, celui-ci était assis derrière celui qui
conduisait la voiture. Lorsqu’ils sont passés à hauteur du véhicule piégé stationné
dans la zone de Naccache, l’engin explosif a détoné et tué un automobiliste sans lien
avec M. El-Murr, qui passait par là en voiture. M. El-Murr et ses passagers ont été
blessés. Il s’avère que l’engin explosif contenait 40 kilogrammes de TNT, qu’il était
placé dans le coffre du véhicule et qu’il a été déclenché par télécommande.

3. Conclusions preliminaries

83. La Commission est parvenue à la conclusion préliminaire que les 14 attentats
n’ont pas été exécutés sur commande ni réalisés sous la responsabilité de personnes
ou de groupes divers, sans liens entre eux et animés par des mobiles différents. Pour
l’analyste, les affaires peuvent être liées entre elles de différentes façons et sous
divers rapports, en particulier si l’on considère la similitude des modes d’exécution
et des mobiles. Mais si on se place sur le terrain de la preuve, aucune des affaires ne
présente d’éléments permettant d’identifier les auteurs et d’établir l’existence d’un
lien entre eux.

84. En ce qui concerne les huit explosions qui ont eu lieu dans des lieux publics,
des témoins et, dans certains cas, des suspects ont été interrogés. À ce jour, il n’y a
eu aucune inculpation et aucune arrestation n’a été faite. Rares sont les pistes qui
pourraient permettre d’aller plus avant dans les différentes affaires. Ceci explique
que, dans l’état actuel, chacune de ces affaires semble en être au point mort, en
attendant que le juge d’instruction demande de nouvelles informations pour
réactiver les affaires.

85. Dans les six attentats à la bombe où des personnes étaient prises pour cible, il
existe un certain nombre de pistes qui pourraient être explorées sur le plan de
l’analyse scientifique et technique et donner lieu à des enquêtes plus approfondies.
Dans l’état actuel, il faudra recueillir des éléments de preuve supplémentaires, et
aucun suspect n’a été arrêté ou n’a fait l’objet d’un acte d’accusation.

86. De même, aucun lien évident n’a été mis en lumière entre les 14 affaires et
l’enquête Hariri. La Commission procède à des analyses comparatives sur la base
des données sismologiques recueillies dans l’affaire Hariri et compte utiliser les
résultats des expériences d’échelle réalisées dans l’affaire Hariri pour évaluer la
quantité d’explosifs utilisés dans les 14 affaires. Elle a par ailleurs interrogé certains
individus qui seraient liés à l’affaire Hariri.

87. D’autres enquêtes et des moyens supplémentaires devront être mis en oeuvre et
coordonnés pour établir éventuellement la réalité de tels liens. La Commission va
poursuivre l’examen du mode d’exécution utilisé dans chaque affaire, ainsi que des
aspects politiques, religieux, géographiques et personnels que comportent les
crimes, tant du point de vue des victimes que de celui des auteurs. En outre, on
examine minutieusement le trafic de communications pour établir d’éventuels liens.

B. Approfondissement des enquêtes menées dans les 14 affaires

88. Comme indiqué précédemment, les enquêtes menées dans chacune des 14
affaires par les autorités libanaises se trouvent à des stades différents, mais, dans
l’état actuel, elles manquent toutes d’un véritable élan qui permettrait d’aller de
l’avant. Cela peut s’expliquer par différents facteurs, notamment le manque de
capacité d’analyse scientifique requise pour recueillir et analyser les éléments de
preuve recueillis sur les lieux du crime et le manque d’analyse scientifique à l’effet
de tenter d’établir l’existence de liens entre les affaires. Comme il s’agit pour
l’essentiel de facteurs structurels et institutionnels, la Commission est peu encline à
penser que cette situation pourrait changer dans un avenir prévisible. Il semble peu
probable que des progrès puissent être réalisés, voire des arrestations effectuées,
sans un concours extérieur significatif apporté aux autorités libanaises et qui
jouerait un rôle de catalyseur en fournissant à celles-ci des capacités d’enquête et de
coordination et une assistance technique.

89. De plus, aux yeux de la Commission, les enquêtes ont souffert du manque
manifeste de confiance entre les différents organes libanais chargés d’assurer le
respect des lois, des rivalités internes qui ont freiné ou arrêté net tout progrès, de
l’éparpillement des responsabilités entre les services libanais chargés des différents
aspects des affaires, des trop rares échanges d’informations et d’idées, et de
l’absence d’une volonté commune d’aller de l’avant, qu’expliquent des facteurs
internes et externes. En particulier, le rôle joué par chacun des juges d’instruction et
son assurance ont eu à pâtir de cet éparpillement.

90. La Commission a reçu un exemplaire du dossier de chacun des juges
d’instruction. Elle est en train d’analyser ces dossiers tour à tour et ensemble pour
vérifier l’état d’avancement de chacun d’eux et déterminer quel pourrait être l’objet
des prochaines enquêtes. Elle a mis au point également un projet d’analyse
approfondie des communications. Soucieuse de mieux aider les autorités libanaises,
elle a décidé d’affecter à cette tâche une équipe multidisciplinaire composée de cinq
fonctionnaires à temps plein.

91. Eu égard à l’importance des 14 affaires et aux incidences qu’elles pourraient
avoir sur l’enquête Hariri, la Commission estime cependant qu’un effort mieux
concerté et plus résolu est nécessaire pour faire avancer les enquêtes ; il faudra
assurément une assistance internationale renforcée et coordonnée pour renforcer les
capacités des autorités libanaises chargées des enquêtes, et la Commission est
convaincue que cela pourrait contribuer de manière importante au succès de cellesci.

92. Par exemple, si elle l’estime indiqué, la Commission pourrait prendre des
mesures concrètes d’enquête, comme interroger des témoins, des victimes ou des
suspects, ce qui ne manquerait pas de constituer un appui pour les autorités
judiciaires et les organes d’enquête dans les 14 affaires et permettrait d’aller de
l’avant et d’établir s’il existe des liens entre les affaires. La Commission n’est pas
sans savoir qu’un engagement résolu dans les enquêtes menées au sujet des 14
affaires est susceptible d’exiger beaucoup de temps et de ressources, mais elle juge
que c’est à ce prix que toutes les victimes des attentats à l’explosif commis en 2004-
2005 pourront obtenir justice et que le système judiciaire libanais pourra être
renforcé.

IV. Coopération extérieure

A. Échanges avec les autorités libanaises

93. La Commission continue de collaborer étroitement avec les autorités libanaises
au sujet de tous les aspects d’ordre pratique ou juridique se rapportant à l’enquête.
L’engagement dont ont fait preuve le Procureur général du Liban et son bureau,
ainsi que le juge d’instruction affecté à l’enquête sur l’affaire Hariri, a été essentiel
aux progrès accomplis au cours de la période considérée. La Commission s’est
également entretenue plusieurs fois avec le Ministre de la justice et a renforcé ses
échanges avec différents secteurs de l’appareil judiciaire libanais et du système
d’application des lois du Liban, y compris le Président et les membres de l’ordre des
avocats.

94. Dans le cadre de l’octroi d’une assistance technique aux autorités libanaises,
des réunions ont été organisées régulièrement avec les juges militaires et les juges
d’instruction chargés des différentes affaires afin de discuter des progrès accomplis
dans chacune de ces affaires, des liens éventuels entre elles et de diverses autres
questions relatives à l’assistance technique.

95. La concertation et les échanges d’informations qui ont eu lieu régulièrement
entre la Commission et les autorités libanaises ont été essentiels pour les progrès de
l’enquête. La Commission a continué de communiquer aux autorités judiciaires
libanaises la plupart des informations et éléments de preuve documentaires,
testimoniaux et matériels recueillis au cours de l’enquête. Naturellement, ces
renseignements sont communiqués sous réserve de l’obligation de protéger le
caractère confidentiel et délicat de certaines des informations recueillies.

96. L’exploitation finale qui est faite du lieu du crime constitue un autre exemple
du caractère étroit et synergique de la coopération entre la Commission et les
autorités libanaises. Par l’intermédiaire du Procureur général et de son bureau, les
autorités libanaises ont fourni et coordonné des services d’analyse scientifique et
technique, de sécurité, de logistique et d’autres services d’appui aux travaux
d’analyse scientifique et technique de la Commission. La création d’un tribunal de
caractère international étant envisageable, cette coopération étroite et efficace
s’impose encore plus, de sorte notamment que les résultats d’enquête, tant de la
Commission que des autorités libanaises, soient conformes aux exigences de futurs
travaux judiciaires.

B. Coopération internationale

97. La coopération des États Membres en matière technique, judiciaire et légale
demeure un élément essentiel s’agissant d’aider la Commission à s’acquitter de son
mandat. Les résolutions 1595 (2005), 1636 (2005) et 1644 (2005) font obligation
aux États Membres de coopérer pleinement avec la Commission. Au fil de l’enquête,
la Commission a adressé au cours des derniers mois un nombre de plus en plus élevé
de demandes précises à différents États Membres, afin de solliciter leur concours
pour recueillir des informations, obtenir des documents ou faciliter des entretiens
avec des témoins et bénéficier d’une assistance technique et de compétences
spécialisées pour différents projets d’enquête.

1. Coopération avec la République arabe syrienne

98. La République arabe syrienne est tenue de coopérer pleinement avec la
Commission. Cette exigence est expressément énoncée dans les résolutions 1595
(2005), 1636 (2005) et 1644 (2005) du Conseil de sécurité, qui ont été adoptées en
vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Comme elle l’a indiqué dans
son rapport au Conseil de sécurité en date du 14 mars 2006 (voir S/2006/161), la
Commission a convenu avec la République arabe syrienne du cadre juridique et de
certaines modalités pratiques de coopération. Pour faciliter cette coopération, des
réunions de groupe de travail ont été organisées régulièrement entre de hauts
représentants de la République arabe syrienne et de la Commission aussi bien à
Beyrouth qu’à Damas.

Réunions avec le Président et le Vice-Président
de la République arabe syrienne

99. Comme elle l’a indiqué dans son précédent rapport, la Commission a convenu
avec les autorités syriennes de tenir des réunions en avril 2006 avec le Président et
le Vice-Président de la République arabe syrienne. Le Commissaire s’est entretenu
avec le Président et le Vice-Président le 25 avril 2006 à Damas.

100. Le Commissaire a soulevé un certain nombre de questions particulières
relatives au contexte politique et sécuritaire régional avant et après l’assassinat du
l’ex-Premier Ministre libanais Hariri, aux mécanismes d’information du Président et
du Vice-Président de la République arabe syrienne sur la situation avant le retrait
des forces syriennes du Liban le 26 avril 2005 et aux échanges entre les autorités
syriennes et libanaises au cours de cette période, notamment les relations
personnelles et professionnelles entre le Président, le Vice-Président et d’autres
hauts responsables syriens d’une part et l’ex-Premier Ministre Hariri d’autre part.
Le Président et le Vice-Président ont tous les deux donné des réponses utiles à
l’enquête. La Commission a établi un procès-verbal de chaque réunion.

Autres demandes d’assistance

Demandes d’informations et de documents

101. Au cours de la période considérée, la Commission a présenté aux autorités
syriennes 16 demandes officielles d’assistance, dans lesquelles la République arabe
syrienne était priée de fournir, dans un délai donné, des informations précises et
détaillées présentant de l’intérêt pour l’enquête, notamment des informations et des
documents relatifs aux services syriens de renseignement militaire et civil
s’occupant des questions libanaises ; des informations précises sur certains nationaux
syriens ; et des renseignements et déclarations obtenus auprès de nationaux syriens
dans le cadre des enquêtes menées par les autorités syriennes. Trois demandes ont
été présentées à la suite de l’entretien entre le Commissaire et le Président de la
République arabe syrienne.

Demandes d’entretiens avec des témoins syriens

102. La Commission a également demandé au Gouvernement syrien d’aider à
faciliter l’organisation d’entretiens avec des nationaux de la République arabe
syrienne. À ce jour, elle a mené des entretiens avec six témoins en République arabe
syrienne, à sa demande et selon les modalités qu’elle a fixées. Elle examine
actuellement la profondeur et la fiabilité des réponses qui lui ont été données au
cours des entretiens avec les autorités syriennes et, à cette fin, procédera dans un
avenir proche à des entretiens destinés à valider ces informations.

Évaluation des réponses données aux demandes de la Commission

103. Le niveau d’assistance que la République arabe syrienne a fourni à la
Commission au cours de la période considérée est généralement satisfaisant. La
République arabe syrienne a donné suite en temps voulu à toutes les demandes de la
Commission, et dans certains cas sa réponse a été très détaillée.

104. La coopération sans réserve et sans condition de la République arabe syrienne
demeure essentielle au progrès de l’enquête. Sur la base des informations reçues,
d’autres demandes seront formulées et adressées à la République arabe syrienne.
Dans toutes les rencontres avec les responsables syriens, la Commission a reçu des
assurances que la République arabe syrienne avait l’intention de faire pleinement
droit à toutes ses demandes et de la soutenir dans ses efforts en vue d’établir qui
étaient les assassins de l’ex-Premier Ministre Hariri. Les autorités syriennes ont
également offert de coopérer activement avec la Commission et de lui prêter leur
concours en lui fournissant les informations dont elles disposaient qui pourraient
présenter de l’intérêt pour l’enquête. La Commission continuera de demander aux
autorités syriennes de coopérer pleinement avec elle, notamment en matière de
collecte de documents, de recherche d’informations spécifiques et d’organisation
des entretiens avec les nationaux syriens.

2. Coopération avec d’autres États Membres

105. Bien qu’elle ait renforcé ses propres capacités et compte tenu de la complexité
de certaines des pistes de l’enquête, la Commission a besoin de l’appui extérieur
actif des États Membres pour des questions d’ordre technique et judiciaire. Il est
donc d’une importance cruciale que toutes les mesures nécessaires soient prises
pour faire droit rapidement à toutes les demandes de la Commission.

106. Au cours de la période considérée, le nombre des demandes d’assistance
présentées aux États Membres a sensiblement augmenté. Au total, depuis le 15 mars
2006, 32 demandes d’assistance officielles ont été envoyées à 13 différents États
Membres, sans compter les demandes adressées à la République arabe syrienne et
les échanges avec les autorités syriennes. En général, les États Membres ont réagi
positivement à ces demandes et appuyé l’action de la Commission, notamment en
fournissant une assistance en matière d’analyse scientifique et technique, d’appui
technologique, de surveillance des communications téléphoniques, de ressources et
d’analyse.

3. Gestion et suivi des demandes

107. Au cours de la période considérée, la Commission a affiné ses politiques et
procédures internes pour la préparation et la gestion des demandes d’assistance
adressées aux États Membres et à d’autres entités. Les nouvelles procédures qu’elle
a adoptées sont conformes aux politiques appliquées par les institutions judiciaires
internationales. Les demandes d’assistance adressées aux États Membres ont été
normalisées et la Commission a mis en place une approche uniforme et systématique
pour l’établissement de ces demandes. Une base de données spéciale a été établie
pour faire en sorte que toutes les demandes et les réponses reçues soient dûment
enregistrées et toute mesure de suivi nécessaire prise, et que la Commission puisse
évaluer la coopération dont elle bénéficie.

V. Soutien organique

A. Procédure interne

108. La nouvelle configuration de la Commission se traduit également par
l’adoption d’une procédure interne qui lui est propre, comme l’avait demandé le
Conseil de sécurité dans sa résolution 1595 (2005). Cette procédure vise à donner de
l’uniformité aux travaux et à imposer certaines normes professionnelles minimales.

109. La procédure interne fixe les règles de fonctionnement applicables aux divers
aspects des travaux, qu’il s’agisse d’investigations ou d’administration. Pour ce qui
est du premier aspect, elle concerne la façon de procéder aux entretiens avec les
témoins et les suspects, le traitement des sources à risque et la gestion des pièces à
conviction et éléments de preuve techniques. Pour ce qui est des questions
d’administration, elle touche à la déontologie et aux normes d’interprétation et de
traduction. En outre, elle normalise les relations entre la Commission et les États
Membres et leurs autorités judiciaires, en ce qui concerne notamment les demandes
d’entraide.

110. D’autre part, la Commission envisage actuellement de mettre en place un
programme de protection des témoins. Elle est entrée en relation à ce sujet avec les
États Membres pour savoir dans quelle mesure ils pourraient l’aider, par exemple en
reliant le programme envisagé aux programmes nationaux du même genre. Si elle
peut obtenir leur soutien, la Commission mettra au point une série de procédures
opérationnelles normalisées précisant la portée des mesures de protection qu’elle
offrira aux témoins et aux sources à protéger. Ce programme reste une priorité car il
doit faciliter le travail d’enquête.

111. La procédure interne, qui est fondée sur les normes internationales applicables,
tient compte de la législation et des procédures judiciaires du Liban et de la pratique
que la Commission elle-même a suivie depuis sa création. Pour définir les normes
qu’elle appliquerait, la Commission a examiné les procédures des juridictions
pénales internationales et les garanties minimales accordées par le droit
international pénal et consacrées par les droits de l’homme. La procédure pénale
garantit que toutes les informations réunies ou obtenues par la Commission seront
admissibles dans un futurs procès, notamment devant un tribunal de caractère
international.

B. Gestion des systèmes

1. Gestion de l’information

112. La Commission a procédé à l’examen détaillé de ses capacités de gestion de
l’information. Cela lui a permis d’améliorer son environnement informatique,
notamment en utilisant davantage un système de gestion documentaire, en élaborant
et appliquant des nouvelles procédures normalisées et en définissant un projet
stratégique à moyen terme. Elle s’est également dotée d’une équipe d’appui à la
gestion, qui a presque atteint son plein effectif. Elle restera attentive à ses capacités
de gestion et d’analyse de l’information et les renforcera au besoin.

2. Capacités d’analyse

113. La Commission s’est également dotée d’un certain nombre d’outils d’analyse
répondant aux normes professionnelles afin de renforcer sensiblement ses capacités
dans ce domaine. Un cadre permettant d’exploiter à plein ces nouveaux outils a été
mis au point et est en voie d’application ; tous les analystes de la Commission ont
accès aux logiciels en question.

3. Informatique

114. Le matériel informatique de la Commission est actuellement remis à niveau, eu
égard au volume considérable d’informations reçues de l’extérieur (environ
5 milliards de fiches de communications téléphoniques, plus d’un téraoctet de
données électroniques). Les moyens de conservation et de traitement qui
permettraient d’exploiter efficacement une telle abondance d’informations sont en
cours d’acquisition et d’installation.

C. Services linguistiques

115. Pour répondre au très net surcroît de travail lié à l’enquête sur l’affaire Hariri
et à l’élargissement du mandat de la Commission (assistance technique dans les 14
autres affaires), il est apparu nécessaire de renforcer et de professionnaliser les
services actuels de traduction et d’interprétation de la Commission. La disponibilité
de moyens à la fois suffisants et immédiatement disponibles de traduction d’arabe
en anglais des sources et des documents de première et de deuxième main reste un
préalable nécessaire aux progrès des enquêteurs et des analystes. Eu égard au niveau
professionnel auquel la Commission a décidé de s’en tenir et au caractère très
délicat et confidentiel des questions traitées, il est nécessaire de prévoir un service
linguistique interne plus étoffé, présentant les qualifications exigées dans les autres
organisations et institutions judiciaires internationales.

116. Un expert de l’extérieur a procédé à une étude approfondie et il a été décidé de
créer une section linguistique à la Commission pour assumer les fonctions de
coordination, de révision et de traduction, de transcription, d’appui linguistique et
d’interprétation. Le personnel devra être recruté sur le plan international pour
réduire au minimum les contacts entre les linguistes nationaux et les dossiers
délicats et, donc, le risque que ce personnel peut présenter sur le plan de la sécurité.

117. La Commission s’est dotée d’une série de procédures opérationnelles
normalisées applicables au personnel linguistique et a créé un fichier mondial de
professionnels qualifiés et disponibles. Ces deux initiatives non seulement
permettront de professionnaliser davantage cet aspect de ces travaux, mais aussi de
répondre aux besoins éventuels d’un tribunal, qui pourrait avoir un caractère
international. Elles permettront de fournir des produits de grande qualité qui seront
ultérieurement utilisables dans les procédures judiciaires et éviteront d’avoir à
résorber des arriérés de traduction trop importants.

D. Administration

1. Recrutement

118. L’élargissement rapide de ses capacités institutionnelles est resté l’une des
tâches principales de la Commission au cours de la période à l’examen. Le taux de
vacance de postes qu’elle connaissait en juillet 2006 (47 % environ), notamment
dans la section des enquêtes (six enquêteurs restants) a été réduit considérablement
à titre prioritaire et n’est actuellement que de 20 %. Répondant à l’appel que le chef
de la Commission a lancé aux États Membres pour pourvoir les postes vacants – à la
fois dans son exposé au Conseil de sécurité du 16 mars 2006 et dans sa lettre aux
États Membres et aux institutions internationales judiciaires policières d’avril 2006
(Cours pénale internationale, Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie,
Tribunal pénal international pour le Rwanda, Tribunal spécial pour la Sierra Leone,
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Europol, Interpol) – la
Commission a reçu un grand nombre de noms de personnes souhaitant travailler
comme enquêteur, analyste ou spécialiste de la police scientifique et technique.

119. C’est ainsi que la plupart des postes essentiels ont été pourvus ou vont l’être
bientôt. La Division des enquêtes compte actuellement 23 enquêteurs et analystes.
Des candidatures supplémentaires sont à l’examen. On s’attend donc à voir le taux
de vacance se réduire régulièrement avec les nouvelles candidatures. Est également
prioritaire la question de la dotation en personnel de la Section des services
linguistiques (arabe-anglais). La Commission espère qu’un effort concerté, dans le
genre de celui dont on vient de parler, permettra de constituer rapidement le corps
de traducteurs, réviseurs, interprètes, transcripteurs et autres spécialistes
expérimentés qui lui est nécessaire.

120. La Commission sait gré aux États Membres et aux institutions internationales
des réponses positives qu’ils lui ont adressées. Mais soucieuse de faire avancer
encore l’enquête, elle renouvelle son appel à l’aide à ceux qui pourraient
régulièrement mettre à sa disposition du personnel qualifié et spécialisé afin de
donner stabilité et continuité à ses travaux.

2. Budget

121. En avril 2006, la Commission a présenté un nouveau budget pour le deuxième
semestre de 2006. Les prévisions sont établies sur la base d’un effectif de 179
fonctionnaires internationaux. Une augmentation de 49 postes s’explique par
l’engagement de 20 linguistes recrutés sur le plan international, de 15 agents de
sécurité, de 10 enquêteurs et de quatre agents d’administration. Ce renfort devrait
permettre de répondre aux exigences d’une enquête plus poussée et au surcroît de
travail que représente l’assistance technique fournie dans les 14 autres affaires. Il
faudra par voie de conséquence renforcer aussi la composante sécurité, comme on
l’a fait pour la Section administrative, en raison du niveau de risque élevé que
courent la Commission et son personnel.

3. Agrandissement des locaux

122. L’une des grandes difficultés logistiques que connaît la Commission consiste à
loger son personnel en un même lieu unique sécurisé, pour le travail et pour la vie
privée. Après avoir pris l’avis des spécialistes des Forces armées libanaises et des
Forces de sécurité intérieure, elle a conclu que la meilleure solution consistait à
agrandir les locaux à usage de bureau et à renforcer les mesures de sécurité à
l’extérieur et à l’intérieur pour protéger le personnel et les installations.

123. Le Gouvernement libanais a offert de faciliter le travail de la Commission en
mettant à sa disposition 74 unités préfabriquées pour accueillir le nouveau
personnel. Le montage de ces unités devrait être achevé à la fin de juillet 2006. Pour
les bureaux, la Commission travaille en collaboration avec la Force intérimaire des
Nations Unies au Liban pour transformer l’annexe de l’hôtel en procédant
notamment aux travaux confortatifs nécessaires.

E. Sécurité

124. La sécurité du personnel – notamment lorsqu’il se déplace en dehors de la
Base, à des fins officielles ou privées – et des installations est prioritaire. Les
conditions de sécurité au Liban et dans la région restent volatiles. L’objet même de
l’enquête fait qu’il est probable que des individus ou des groupes cherchent à mettre
à exécution leurs menaces contre la Commission et son personnel afin de les
empêcher d’accomplir leur mission.

125. La Commission a procédé à l’examen approfondi de ses structures et de ses
besoins actuels en matière de sécurité, en collaboration avec ses homologues des
Forces armées et des Forces de sécurité intérieure libanaises et du Département de la
sûreté et de la sécurité du Secrétariat de l’ONU, ainsi qu’avec un consultant
indépendant. Elle a ensuite entrepris énergiquement d’améliorer la sécurité dans des
domaines jusque-là négligés, mais qui sont d’une importance critique pour la suite
de ses opérations ; elle a commencé à renforcer ses installations, son matériel et son
personnel pour les porter au niveau des menaces et des risques éventuels.

126. La Section de la sécurité ne cesse d’analyser et de préciser les consignes les
plus importantes en matière par exemple de protection rapprochée, d’évaluation des
risques et de procédures opérationnelles normalisées, afin d’offrir la plus grande
sécurité possible à tout le personnel. Grâce à la collaboration des Forces armées
libanaises, les agents de sécurité de la Base restent en alerte et garantissent un
environnement sûr. La Section de la sécurité s’attache à maintenir les choses dans
un état constant de préparation et à élaborer et mettre à l’épreuve des plans
d’urgence en collaboration avec les Forces armées libanaises et la Commission
économique et sociale pour l’Asie occidentale.

F. Nouveau mémorandum d’accord

127. La Commission a entrepris des négociations avec le Gouvernement libanais
pour préciser son statut juridique dans un mémorandum d’accord complémentaire
additionnel au mémorandum d’origine du 13 juin 2005. À cette fin, elle a rédigé en
consultation avec le Bureau des affaires juridiques du Secrétariat de l’ONU un
projet de texte réglant des questions comme celle du statut juridique des locaux de
la Commission (la Base) ou des privilèges et immunités de son personnel. Le texte
précise également que l’accord entre l’Organisation des Nations Unies et le
Gouvernement libanais relatif au siège de la Commission économique et sociale
pour l’Asie occidentale s’appliquera mutatis mutandis à la Commission, sauf
indication contraire. Les négociations sur le nouveau mémorandum devraient
s’achever bientôt.

VI. Conclusions

128. L’enquête sur l’affaire Hariri a beaucoup avancé. La Commission a presque
achevé son travail capital sur les lieux du crime, le convoi de Hariri et les autres
circonstances connexes de cette journée. Elle pense en avoir terminé avant la fin du
quatrième trimestre de 2006 avec cet aspect de l’attentat, et être notamment
parvenue à des constatations criminologiques et des conclusions finales d’une valeur
probante satisfaisante. À l’heure actuelle, les aspects essentiels de l’attentat, en
particulier l’explosion et les moyens de transport et de mise en place, sont largement
compris et sont le point de départ de la suite des recherches sur les auteurs. La
Commission pense que l’analyse des résultats de ses récents travaux
criminologiques, notamment les indices relevés sur les lieux du crime et les
caractéristiques de l’explosion, permettent de confirmer ou au contraire d’écarter
certaines des hypothèses de travail.

129. La Commission accélère le rythme de son enquête dans les divers domaines où
elle s’active en même temps. Elle se concentrera davantage sur le problème des
commanditaires et s’intéressera aux sources permettant d’établir un lien entre ces
commanditaires et les indices relevés sur les lieux de l’attentat. Telles sont ses deux
grandes priorités à court terme ; dans le proche avenir, elle entend essentiellement
appréhender ces aspects du crime.

130. Pour ce qui est des 14 autres affaires, la fragmentation des institutions
chargées de l’application des lois et de l’appareil judiciaire au Liban ainsi que
l’absence de compétences spécialisées ont fait perdre l’élan que l’enquête avait
acquis. Comme ces affaires peuvent avoir de l’importance pour l’affaire Hariri ainsi
que pour l’ensemble de la société libanaise, la Commission pense qu’il faudrait faire
un effort plus concerté et plus énergique pour les faire avancer. Il est nécessaire de
faire appel à l’aide extérieure pour renforcer les moyens techniques et les capacités
d’enquête des autorités libanaises, mais la Commission elle-même pourrait aussi
chercher à s’investir plus activement dans ces dossiers, par exemple en prenant des
mesures d’enquête concrètes (interrogatoire des témoins, des victimes et des
suspects par exemple) dans les cas où elle le jugerait utile.

131. De grands progrès ont été réalisés dans le renforcement structurel de
l’organisation et des capacités de la Commission, mais celle-ci se heurte encore à
des difficultés institutionnelles majeures quand elle doit se procurer en temps utile
les ressources dont elle a besoin, trouver et employer des spécialistes et des
ressources avec un préavis très court ou atteindre sa pleine capacité opérationnelle.
Il convient, à mesure que l’enquête progresse et devient plus complexe, de s’assurer
de l’aide rapide et efficace des États Membres et des institutions internationales
pour garantir la stabilité et la continuité de ses travaux. À cet égard, l’un de ses
soucis les plus immédiats consiste à trouver un nombre important de spécialistes des
langes (arabe-anglais).

132. La Commission se félicite de l’initiative qu’a prise le Gouvernement libanais
de recommander la prorogation d’un an de son mandat. Cela répond à un besoin
sérieux de continuité et de stabilité, garantit la progressivité des opérations et de la
planification et rassure le personnel. En fait, la prévisibilité de ses ressources
– financières, humaines et autres – est la clef du succès d’une organisation. Elle est
la pierre angulaire de la conception systématique et méthodologique de son travail
que préconisait la Commission dans son rapport précédent.

133. Enfin, la Commission souhaite exprimer à nouveau sa gratitude au
Gouvernement libanais qui n’a cessé de lui fournir son soutien technique et
logistique. Elle souhaite en particulier remercier les membres des Forces armées
libanaises et des Forces de sécurité intérieure qui assurent quotidiennement sa
sécurité. Leur dévouement lui a permis de poursuivre ses travaux sans perturbation
grave et sans que le moral de son personnel ait à souffrir.

Source
ONU (secrétariat général)

Référence : ONU S/2006/375

Documents de référence sur la crise libanaise :

 Accords de Taëf (23 octobre 1989)
 Résolution 1559 (2 septembre 2004) souveraineté du Liban
 Rapport d’évaluation du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (1er octobre 2004)
 Rapport Fitzgerald (24 mars 2005)
 Résolution 1595 (7 avril 2005) Commission d’enquête
 Premier rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (26 avril 2005)
 1er rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Mehlis) (20 octobre 2005)
 Deuxième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (26 octobre 2005)
 Résolution 1636 (31 octobre 2005) Comité des sanctions
 2ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Mehlis) (10 décembre 2005)
 Résolution 1644 (15 décembre 2005) Prorogation de la Commission
 Résolution 1655 (31 janvier 2006) Prorogation de la Finul
 Document d’Entente CPL-Hezbollah (6 février 2006)
 3ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (14 mars 2006)
 Rapport préliminaire du Secrétaire général de l’ONU sur la création d’un tribunal spécial pour le Liban (20 mars 2006)
 Résolution 1664 (29 mars 2006) Tribunal pénal international
 Troisième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (19 avril 2006)
 Résolution 1680 (17 mai 2006) Souveraineté du Liban
 4ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (10 juin 2006)
 Résolution 1701 (11 août 2006) Cessation des hostilités
 Premier rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (daté 18 août 2006)
 Deuxième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (12 septembre 2006)
 5ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (25 septembre 2006)
 Quatrième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (19 octobre 2006)
 Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la création d’un tribunal spécial pour le Liban (15 novembre 2006)
 6ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (12 décembre 2006)
 Troisième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (14 mars 2007)
 7ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (15 mars 2007)
 Cinquième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (7 mai 2007)
 Quatrième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (28 juin 2007)
 8ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (12 juillet 2007)
 Sixième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (24 octobre 2007)
 Cinquième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (30 octobre 2007)
 Rapport du groupe de travail sur les détentions arbitraires du Comité des Droits de l’homme de l’ONU (30 novembre 2007) Détention arbitraire des généraux libanais
 Sixième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (28 février 2008)
 Septième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (21 avril 2008)