Résumé

Dans sa résolution 1595 (2005) du 7 avril 2005, le Conseil de sécurité a décidé
de créer une Commission d’enquête internationale indépendante basée au Liban afin
d’aider les autorités libanaises à enquêter sur tous les aspects de l’attentat terroriste
qui a eu lieu le 14 février 2005 à Beyrouth, qui a provoqué la mort de l’ex-Premier
Ministre libanais Rafic Hariri et de plusieurs autres personnes, et notamment à en
identifier les auteurs, commanditaires, organisateurs et complices.
Le Secrétaire général a informé le Conseil que la Commission était devenue
pleinement opérationnelle le 16 juin 2005. La durée des travaux qu’avait fixée le
Conseil a été prolongée jusqu’au 26 octobre 2005.
Dans ses recherches, la Commission a bénéficié du concours soutenu du
Gouvernement libanais et, pour certaines questions spécialisées, du soutien de
plusieurs entités nationales et internationales.
La Commission a concentré ses recherches sur plusieurs grands axes : les lieux
du crime, les aspects techniques du crime, les écoutes téléphoniques, le témoignage
de plus de 500 témoins et sources diverses, et le contexte institutionnel dans lequel
s’est inscrit l’attentat.
Le dossier complet de l’enquête a été transmis en octobre 2005 aux autorités
libanaises.
Le rapport présente les principaux axes de l’enquête menée par la Commission,
et les observations et conclusions qu’elle a formulée à l’intention du Conseil de
sécurité. Il indique également les questions sur lesquelles il serait utile de poursuivre
éventuellement les recherches.
De l’avis de la Commission, l’assassinat du 14 février 2005 a été perpétré par
un groupe disposant d’une vaste organisation et de ressources et de moyens
considérables. La préparation du crime a duré plusieurs mois. Ainsi, les horaires et
les déplacements de M. Rafic Hariri avaient été repérés et les itinéraires de son
convoi relevés en détail.
Selon les conclusions de la Commission et les recherches entreprises par les
autorités libanaises jusqu’à présent et sur la base des preuves matérielles et
documentaires réunies et des pistes suivies à ce jour, un faisceau de preuves
convergentes indique que des Libanais et des Syriens ont été impliqués
dans l’attentat terroriste. Il est notoire que les Services de renseignement militaire
syriens étaient omniprésents au Liban, en tout cas jusqu’au retrait des forces
syriennes consécutif à la résolution 1559. Ce sont eux qui avaient nommé les hauts
responsables libanais de la sécurité. Comme les institutions et la société libanaise
avaient été infiltrées par les services de renseignement syrien et libanais travaillant
en tandem, il serait difficile d’imaginer un scénario tel qu’un complot d’assassinat
aussi complexe aurait été ourdi à leur insu.
La Commission conclut que l’enquête en cours devrait être poursuivie par les
autorités libanaises de justice et de police compétentes, qui ont prouvé au cours des
recherches qu’elles étaient en mesure d’avancer, voire de prendre l’initiative, de
façon efficace et professionnelle, si elles jouissaient de l’aide et du soutien de la
communauté internationale. Parallèlement, les autorités libanaises devraient
s’intéresser à toutes les ramifications de l’affaire, notamment les opérations
bancaires. L’analyse de l’attentat du 14 février doit se faire à la lumière de la série
d’explosions qui l’ont précédé et suivi dans la mesure où il pourrait y avoir un
rapport entre certaines d’entre elles, sinon toutes.
La Commission considère donc qu’il est indispensable que la communauté
internationale fasse un effort soutenu pour créer une plate-forme d’aide et de
coopération avec les autorités libanaises en matière de sécurité et de justice. Cette
initiative renforcerait considérablement la confiance qu’inspirent au peuple libanais à
la fois le système de sécurité de son pays et ses propres capacités.

Chronologie des événements du milieu de 2004 à septembre 2005

2004

• 26 août 2004 : Rafic Hariri rencontre à Damas le Président syrien Bachar
Al-Assad pour s’entretenir avec lui de la prolongation du mandat du Président
Lahoud.

• 2 septembre 2004 : Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1559 sur la
situation au Moyen-Orient, dans laquelle il demande le retrait de toutes les
forces étrangères du Liban.

• 3 septembre 2004 : Le bloc de Rafic Hariri approuve la loi prolongeant le
mandat du Président Lahoud.

• 3 septembre 2004 : Le Parlement libanais adopte la loi prolongeant le mandat
du Président Lahoud et la transmet au Gouvernement libanais pour exécution.

• 7 septembre 2004 : Le Ministre de l’économie Marouan Hamadeh, le Ministre
de la culture Ghazi Aridi, le Ministre des affaires des réfugiés Abdoullah
Farhat et le Ministre de l’environnement Fares Boueiz démissionnent pour
protester contre l’amendement de la Constitution.

• 9 septembre 2004 : Le Premier Ministre Rafic Hariri annonce aux journalistes
qu’il va démissionner.

• 1er octobre 2004 : Tentative d’assassinat contre Marouan Hamadeh à Beyrouth.

• 4 octobre 2004 : Rafic Hariri démissionne de son poste de premier ministre.

• 11 octobre 2004 : Dans un discours, le Président syrien Bachar al-Assad
condamne ceux qui le critiquent au Liban et à l’Organisation des Nations
Unies.

• 19 octobre 2004 : Le Conseil de sécurité des Nations Unies se déclare
préoccupé par le fait que la résolution 1559 n’a pas été suivie d’effet.

• 20 octobre 2004 : Le Président Lahoud accepte la démission de Hariri et
demande à Omar Karamé de former le nouveau gouvernement.

2005

• 14 février 2005 : Rafic Hariri et 22 autres personnes sont tués par une
explosion de très forte puissance dans un quartier du front de mer du centreville
de Beyrouth.

• 25 février 2005 : La Mission d’enquête des Nations Unies arrive au Liban.

• 8 mars 2005 : Le Hezbollah organise une marche dite « prosyrienne »,
rassemblant un million de personnes.

• 14 mars 2005 : Une contre-manifestation de chrétiens et de sunnites exige le
retrait des troupes syriennes et l’arrestation du chef des services de sécurité et
de renseignement.

• 19 mars 2005 : Une bombe explose à Jdeideh dans la banlieue nord de
Beyrouth, blessant 11 personnes.

• 23 mars 2005 : Trois personnes sont tuées et plusieurs autres blessées par une
explosion au centre commercial de Kaslik au nord de Beyrouth.

• 25 mars 2005 : La Mission d’enquête des Nations Unies dépose son rapport à
New York.

• 26 mars 2005 : Une valise piégée explose dans une zone industrielle au nordest
de Beyrouth, faisant six blessés.

• 1er avril 2005 : Neuf personnes sont blessées dans un garage souterrain dans un
immeuble commercial et résidentiel vide de Broumana.

• 7 avril 2005 : Le Conseil de sécurité constitue la Commission d’enquête
internationale indépendante sur l’assassinat de Rafic Hariri et de 22 autres
personnes commis le 14 février 2005.

• 19 avril 2005 : Le Premier Ministre libanais Najib Mikati annonce que des
élections parlementaires auront lieu le 30 mai 2005.

• 22 avril 2005 : Le général Jamil Al-Sayed, chef des Forces de sécurité
intérieure, et le général Ali Al-Haj, chef de la Sûreté générale, décident de
mettre leurs postes à la disposition du Premier Ministre Najib Mikati.

• 26 avril 2005 : Les dernières troupes syriennes quittent le Liban, mettant un
terme à 29 années de présence militaire.

• 26 avril 2005 : La Mission de vérification des Nations Unies entreprend de
vérifier le retrait complet du Liban des militaires et agents de renseignement
syriens et le respect de la résolution 1559.

• 6 mai 2005 : Une bombe explose à Jounieh, au nord de Beyrouth, blessant
29 personnes.

• 7 mai 2005 : Le Parlement se réunit pour adopter les modifications qu’il est
proposé d’apporter à la loi électorale de 2000.

• 30 mai 2005 : Premier tour des élections. Liste du martyr Rafic Hariri,
coalition du Courant du Fuhu de Saad Hariri, du Parti socialiste progressiste et
de Qornet Chehwane obtiennent la majorité des sièges au Parlement.

• 2 juin 2005 : Le journaliste Samir Kassir est tué dans une explosion de sa
voiture à Beyrouth-Est.

• 21 juin 2005 : L’ex-dirigeant du Parti communiste libanais Georges Hawi est
tué dans une explosion de sa voiture près de son domicile à Wata Musaytbeh.

• 30 juin 2005 : Fouad Siniora, ex-Ministre des finances du gouvernement
Hariri, forme le nouveau gouvernement, composé de 23 ministres.

• 12 juillet 2005 : Le Ministre de la défense Elias Murr est blessé et deux autres
personnes tuées dans un attentat à la voiture piégée à Beyrouth.

• 22 juillet 2005 : Au moins trois personnes sont blessées près de la rue Monot
par l’explosion d’une bombe dans le quartier d’Achrafié.

• 22 août 2005 : Trois personnes sont blessées dans l’explosion d’un garage
proche de l’hôtel Promenade dans le quartier d’Al-Zalqa de Beyrouth-Nord.

• 16 septembre 2005 : Une personne est tuée et 10 autres blessées par une
bombe près d’une banque d’Achrafiyé.

• 19 septembre 2005 : Une personne est tuée et deux autres blessées dans une
explosion de faible puissance au Bureau d’information du Koweït à Beyrouth.

• 25 septembre 2005 : Une voiture piégée blesse May Chidiac, la présentatrice
vedette de la télévision à Beyrouth-Nord.

I. Préface

1. Le présent rapport expose en détail la suite donnée à la résolution 1595 (2005)
du Conseil de sécurité. Dans cette résolution du 7 avril 2005, le Conseil de sécurité,
après avoir condamné l’attentat terroriste à la bombe perpétré le 14 février 2005 à
Beyrouth, qui a coûté la vie à l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri et à 22 autres
personnes, demandé à nouveau que soient strictement respectées la souveraineté,
l’intégrité territoriale, l’unité et l’indépendance politique du Liban, et pris note des
conclusions d’une mission d’établissement des faits antérieure (S/2005/203), a
décidé de créer une commission d’enquête internationale indépendante afin d’aider
les autorités libanaises à enquêter sur tous les aspects de cet acte de terrorisme, et
notamment à en identifier les auteurs, commanditaires, organisateurs et complices.

2. Avant d’adopter cette résolution, le Conseil de sécurité avait examiné le
rapport rendu le 24 mars 2005 par la mission d’établissement des faits au Liban. Il y
était rendu compte des résultats de trois semaines de recherches, assortis d’une série
de recommandations. La mission estimait que la confiance que l’on pouvait avoir
dans les autorités libanaises chargées de l’enquête était compromise et qu’il fallait
donc lancer une opération internationale indépendante pour établir la vérité. Il
convenait à cette fin de constituer une équipe dotée de pouvoirs d’investigations
autonomes et de compétences spécialisées dans toutes les disciplines que concernait
ce type de travail. Malgré le peu de temps et de personnel dont elle disposait, la
mission a présenté des conclusions et recommandations qui ont été fort précieuses à
la Commission.

3. Dans une lettre datée du 29 mars 2005 (S/2005/208), le Gouvernement libanais
a approuvé la décision du Conseil de sécurité de créer une commission d’enquête
internationale indépendante et s’est dit disposé à coopérer avec celle-ci dans le
cadre de la souveraineté du Liban et de son système juridique.

4. Des consultations intensives sur la création de la commission, sa dotation en
personnel et l’appui logistique à lui fournir ont suivi l’adoption de la résolution
1595 (2005). Le 26 mai 2005, une petite équipe menée par Detlev Mehlis s’est
rendue en avant-garde à Beyrouth. Consciente de l’urgence de l’affaire, elle s’est
efforcée, à partir d’un siège temporaire, de mettre en place la base à partir de
laquelle la commission pourrait travailler.

5. Le 13 juin 2005, après de longs pourparlers avec les autorités judiciaires
libanaises, un mémorandum d’accord a été signé entre le Gouvernement libanais et
la Commission. Il précisait les modalités de la coopération entre les deux parties,
dont un certain point d’une importance particulière pour la Commission : « le
Gouvernement libanais s’assurera que la Commission est à l’abri de toute ingérence
dans la conduite de son enquête et dispose de toute l’aide nécessaire à
l’accomplissement de son mandat ». Il y était prévu que la Commission fixerait ses
propres procédures, réunirait des preuves tant documentaires que matérielles,
rencontrerait et interrogerait tout civil ou/et fonctionnaire qu’elle jugerait utile et
accéderait librement à tout local situé sur le territoire libanais, dans le respect du
droit et des procédures judiciaires du pays. De leur côté, les autorités libanaises
devaient seconder la Commission en lui fournissant toutes les preuves
documentaires et matérielles en leur possession et en localisant les témoins qu’elle
souhaiterait rencontrer.

6. Le 16 juin 2005, le Secrétaire général a déclaré que la Commission était
pleinement opérationnelle. Le lendemain, le chef de la Commission a tenu une
conférence de presse pour demander publiquement l’aide des autorités du pays et
inviter les Libanais à collaborer avec la Commission en lui communiquant tout
renseignement qui pourrait être utile à son enquête. Deux lignes ouvertes ont été
créées pour cela, dont l’exploitation a été confiée aux autorités libanaises.

7. Peu après la signature du mémorandum d’accord, les autorités libanaises ont
remis à la Commission un dossier de 8 000 pages contenant toutes les informations
et toutes les preuves réunies depuis le 14 février 2005. À partir de ce moment, la
Commission a procédé à une enquête judiciaire et criminelle approfondie, en étroite
collaboration avec les autorités libanaises compétentes, soit judiciaires (Procureur
général de la République), soit policières (Forces de sécurité intérieure), afin
d’éviter les initiatives contradictoires, les chevauchements d’efforts et les doubles
emplois.

8. La Commission a noué des rapports étroits avec les responsables libanais de la
sécurité et de la justice. Des entretiens périodiques, notamment avec les autorités
judiciaires, lui ont permis d’échanger renseignements et dossiers récents, de
confronter les résultats et de préparer les phases suivantes de l’enquête. La plupart
des témoins interrogés par la Commission ont été convoqués par les autorités
libanaises de police et de justice. Cette collaboration est illustrée par l’opération du
30 août 2005, au cours de laquelle les forces de sécurité libanaises et les enquêteurs
de la Commission ont procédé en étroite coordination à une descente et à une
perquisition au domicile d’anciens hauts responsables de la sécurité, puis ont
transféré les intéressés sous étroite surveillance à la base opérationnelle principale
de la Commission où ils ont été interrogés.

9. La création de cette base opérationnelle principale et celle de la base
opérationnelle avancée ont été grandement facilitées par les autorités libanaises. Les
équipes libanaises de sécurité de la police et de l’armée ont travaillé de concert avec
celle de la Commission pour assurer la protection des locaux et la sûreté des
personnes.

10. Bien que la résolution 1595 (2005) du Conseil de sécurité ait donné des
pouvoirs d’investigation autonomes à la Commission, celle-ci a été soutenue dans
une grande mesure par les autorités libanaises de justice et de police pendant ses
recherches et ses interventions. D’autre part, et bien que la Commission ait eu
compétence pour faire aux autorités libanaises des propositions concernant
l’arrestation de suspects apparemment impliqués dans l’assassinat, c’étaient ces
autorités qui décidaient de façon indépendante de procéder ou non aux arrestations.

11. Les recherches menées sur deux fronts, d’un côté par les Libanais, de l’autre
par l’ONU, ont abouti à une enquête unifiée aux éléments complémentaires
effectuée en tandem par la Commission et les autorités libanaises. Celles-ci ont
constamment fait la preuve qu’elles pouvaient se charger de responsabilités de plus
en plus larges dans la conduite de l’affaire, comme l’illustre le fait qu’elles ont pris
l’initiative d’arrêter des suspects et d’organiser des descentes et des perquisitions.

12. Les libanais, qui entretenaient une grande méfiance à l’égard des autorités de
justice et de police de leur pays, ont fini par attendre beaucoup de la Commission,
dans laquelle ils voyaient un espoir de changement et une « interface » entre euxmêmes
et leurs autorités de l’État. Les deux conférences de presse de la
Commission, particulièrement la première, l’interrogatoire du premier suspect et
l’arrestation d’anciens hauts responsables de la sécurité à l’initiative de la
Commission, ont été autant d’éléments catalyseurs. Ils prouvaient en effet qu’aux
yeux de la Commission, nul n’était au-dessus des lois. La confiance des Libanais
s’en est trouvée grandement renforcée. À mesure que les travaux avançaient, les
témoins étaient plus nombreux à se présenter. Un certain nombre d’entre eux ont
quand même insisté pour que leur identité ne soit pas divulguée aux autorités
libanaises.

13. D’autres circonstances méritent d’être relevées. D’abord, plusieurs témoins
craignaient des représailles s’il était publiquement connu qu’ils coopéraient avec la
Commission. Celle-ci a donc pris garde à ce que les entretiens avec ses témoins
soient conduits dans la plus grande discrétion. Elle fait droit aux craintes que les
intéressés avaient pour la sûreté de leur personne en ne révélant pas ici l’identité des
particuliers qu’elle a auditionnés. Ensuite, comme c’est le cas dans toute enquête,
les témoins fournissent souvent des informations qui vont au-delà de la portée des
recherches en cours. La Commission transmet et continuera de transmettre aux
autorités libanaises tout renseignement qu’elle obtient sur des activités criminelles
qui ne relèvent pas de son domaine. Enfin, la Commission a interrogé des personnes
dont les intentions étaient non pas de la faire aller dans la direction où les preuves
devaient la conduire, mais plutôt de l’orienter dans le sens qu’elles-mêmes
souhaitaient. Face à des individus et des situations de ce genre, la Commission est
restée concentrée sur sa mission principale : remonter les pistes jusqu’à leur terme,
sans souscrire aux desseins de telle personne ou de telle entité.

14. L’idée s’est généralisée dans l’opinion publique libanaise que lorsque la
Commission aura déposé son rapport et achevé ses travaux, le Liban sera « laissé à
lui-même ». Une crainte domine, celle de voir les services de sécurité et de
renseignement syriens ne pas tarder à revenir après le départ de la Commission pour
orchestrer une « campagne de vengeance » dans une société qui reste « infiltrée »
par des éléments prosyriens. Les récents attentats à la bombe, assassinats et
tentatives d’assassinats sont restés impunis ; des rumeurs délibérément alimentées et
les analyses prophétiques des médias ont entretenu cet état d’esprit et dissuadé des
témoins potentiels d’entrer en contact avec la Commission.

15. Malgré les appréhensions et les hésitations à fournir spontanément des
informations au moment où les travaux de la Commission semblaient sur le point de
s’achever (25 octobre), la vérité oblige à dire que, d’une manière générale, les
Libanais ont été tout disposés à se présenter pour aider la Commission dans
l’accomplissement de sa tâche.

16. La Commission ne pouvait fonctionner à l’abri des médias, surtout au Liban.
Elle s’en est tenue à une politique constante, consistant à ne pas se laisser entraîner
directement dans un dialogue dans les organes de presse locaux, à éviter toute
escalade et à ne relever aucune déclaration l’interpellant ou la provoquant. Les deux
conférences de presse qu’elle a données visaient à faire taire les spéculations et à
faire le point sur l’enquête. Comme il fallait s’y attendre, elles n’ont eu que des
effets de courte durée.

17. Pour favoriser la transparence et élargir la coopération, la collaboration avec
les autorités judiciaires consistait notamment à tenir les plus hautes autorités
politiques du pays au courant du développement de l’enquête dans la mesure où cela
ne compromettait pas l’indépendance de la Commission et n’avait pas d’effets
directs sur la conduite des recherches elle-même.

18. Au cours de ses travaux, la Commission a connu de graves problèmes de
logistique. À cet égard, le concours et le soutien considérables que lui ont apportés
les autres organismes des Nations Unies et Interpol ont été une aide précieuse pour
son fonctionnement au jour le jour.

19. De son côté, la communauté internationale a toujours répondu promptement
quand elle était priée de mettre des compétences à la disposition de la Commission.
Son aide a grandement facilité les travaux de celle-ci, enrichis d’autant de cette
valeur ajoutée. Il faut cependant regretter qu’alors que tous les États avaient été
priés dans la résolution 1595 de communiquer à la Commission toutes informations
relatives à l’affaire Hariri, aucun État Membre ne lui ait transmis de renseignements
exploitables. Plusieurs contacts n’ont conduit qu’à des échanges de vues ou à des
exposés factuels. Au sens où la Commission comprend la résolution, les
« informations » que le Conseil de sécurité avait à l’esprit couvraient, entre autres
choses, les rapports des services de renseignement, qui auraient dû être présentés
avant même que la Commission en fasse la demande.

20. Malgré les moyens humains, techniques et financiers mobilisés pour l’enquête
et malgré les progrès considérables et les résultats remarquables de celle-ci dans les
délais impartis, les recherches sur un attentat terroriste qui présente, comme ici,
plusieurs facettes internationales ayant elles-mêmes des ramifications, prennent en
règle générale des mois, voire des années, pour aboutir car il faut établir des bases
solides pour le procès qui sera fait aux éventuels accusés. Il est extrêmement
important de continuer à suivre les pistes relevées au Liban et à l’étranger. Ce que
fait la Commission n’est qu’une partie d’un travail plus vaste. Pendant la rédaction
même du présent rapport, une arrestation importante a été effectuée il y a quelques
jours ; les auditions de témoins se poursuivent et des éléments de preuve complexes
restent à l’examen.

21. La Commission a établi les faits et identifié les suspects au vu des preuves
qu’elle avait réunies ou dont elle disposait. Elle a analysé et vérifié ces preuves
autant que ses connaissances le permettaient. Tant que les recherches n’auront pas
abouti, que les nouvelles pistes et les nouveaux indices ne seront pas complètement
étudiés et qu’un mécanisme de poursuites indépendant et impartial ne sera pas mis
sur pied, nul ne pourra retrouver le fil exact des événements, savoir comment ils
sont survenus ni connaître les responsables de l’assassinat de Rafic Hariri et du
meurtre de 22 innocents. La présomption d’innocence reste donc de rigueur.

22. En rédigeant son rapport, la Commission a veillé à ce que rien de ce qu’elle
ferait ou dirait ne compromette l’enquête criminelle en cours, ou les procès qui lui
feront éventuellement suite. Elle ne peut pour l’instant divulguer tous les détails et
tous les faits dont elle a connaissance, sinon les communiquer aux autorités
libanaises. Elle s’est efforcée d’exposer les faits et d’en présenter l’analyse de façon
à rendre compte le plus exactement possible de ce qui s’est produit, de la manière
dont cela s’est produit et des personnes qui en sont responsables.

II. Historique

23. La République arabe syrienne a pendant longtemps exercé une très forte
influence au Liban. À l’époque de l’Empire ottoman, la zone qui allait devenir le
Liban faisait partie du territoire administratif général gouverné à partir de Damas.
Lorsque la région a été découpée en plusieurs pays au lendemain de la Première
Guerre mondiale, le Liban a été créé à partir de ce que bon nombre de nationalistes
arabes ont considéré comme une partie du territoire revenant de droit à la
République arabe syrienne. En effet, depuis que les pays sont devenus indépendants,
ils n’ont jamais entretenu de relations diplomatiques officielles.

24. Les troupes syriennes ont été invitées au Liban par le Président libanais
Suleiman Franjié en mai 1976 au tout début de la guerre civile qui a sévi au Liban.
Dans l’Accord de Taëf, auquel sont parvenus les membres du Parlement libanais,
qui a mis fin à la guerre civile en 1989, le Liban a notamment remercié la
République arabe syrienne pour l’assistance qu’elle lui avait apportée en déployant
ses forces au Liban. Une disposition de l’Accord demandait au Liban et à la
République arabe syrienne de déterminer conjointement le redéploiement futur de
ses forces. Un accord ultérieur conclu entre les deux pays en mai 1991 concernant la
coopération réitérait cette disposition. Les forces syriennes se sont retirées en mai
2005 conformément à la résolution 1559 (2004) du Conseil de sécurité.

Relations entre M. Hariri et la République arabe syrienne

25. L’enquête menée par la Commission a permis de confirmer ce que de
nombreux Libanais avaient affirmé depuis longtemps, à savoir que de hauts
responsables des services de renseignement syriens exerçaient une très forte
influence stratégique quotidienne sur l’ensemble des pouvoirs publics libanais. Le
conflit apparemment croissant entre M. Hariri et de hauts responsables syriens, y
compris le Président syrien Bachar al-Assad était un aspect central des
renseignements communiqués à la Commission lors des entrevues qu’elle a
organisées et dans les documents qu’elle a reçus. Une réunion tenue à Damas entre
M. Hariri et le Président al-Assad, le 26 août 2004, semble avoir précipité le conflit.
À cette réunion, qui aurait duré 10 à 15 minutes, le Président al-Assad aurait
informé M. Hariri, qui était alors Premier Ministre, qu’il comptait que le Liban
proroge le mandat du Président libanais Émile Lahoud, ce à quoi M. Hariri était
opposé.

26. Des témoins libanais et syriens, ainsi que la transcription d’une réunion entre
M. Hariri et le Vice-Ministre syrien des affaires étrangères, Walid al-Mouallem, ont
donné à la Commission des versions diamétralement opposées de ce qui s’était dit
lors de cette réunion. Un certain nombre de témoins libanais – dont les ex-ministres
Marwan Hamadé et Ghazi Aridi, le dirigeant druze et chef du Parti socialiste
progressiste Walid Joumblatt, le député Bassem Sabaa et le fils de M. Hariri, Saad –
ont indiqué que M. Hariri leur avait dit que le Président al-Assad l’avait
brusquement informé de sa décision de proroger le mandat du Président Lahoud et
avait menacé de « briser le Liban sur votre tête [celle de M. Hariri] et celle de Walid
Joumblatt » si M. Hariri (et on peut le supposer, M. Joumblatt) n’acceptait pas
d’appuyer la prorogation du mandat du Président Lahoud. Des responsables syriens
ont donné une version différente de la réunion. Le Ministre syrien des affaires
étrangères Farouk al-Shara et le général Rustom Ghazali, responsable des services
de renseignement syrien au Liban, ont décrit la réunion en termes positifs. Le
général Ghazali a indiqué à la Commission que M. Hariri lui avait dit que le
Président al-Assad l’avait qualifié d’« ami » et avait parlé d’une réunion cordiale et
respectueuse au cours de laquelle le Président al-Assad l’avait consulté sur la
question.

27. On trouvera ci-après des extraits d’entrevues menées par la Commission
concernant la réunion du 26 août 2005, les extraits pertinents d’une lettre adressée à
la Commission par M. al-Shara et une partie de la transcription d’une conversation
enregistrée entre M. Hariri et M. al-Mouallem :

Ministre des affaires étrangères de la République arabe syrienne,
lettre adressée à la Commission le 17 août 2005

Une réunion a eu lieu entre le Président Bachar al-Assad et le Premier
Ministre Rafic Hariri à Damas le 26 août 2004 dans le cadre des consultations
politiques permanentes entre dirigeants syriens et libanais. (…) Un examen
général a été consacré à l’évolution de la situation sur les plans local et
régional, y compris la prorogation éventuelle du mandat du Président du
Liban, Émile Lahoud, compte tenu de la situation troublée dans la région et de
l’intérêt qu’avaient les deux parties à préserver la stabilité au Liban. M. Hariri
a demandé qu’au cas où on parviendrait à un consensus sur la prorogation du
mandat au Conseil des ministres, la République arabe syrienne devrait
s’employer à amener le Président Lahoud à mieux coopérer au cours de la
période à venir. Le Président syrien a demandé à M. Hariri de consulter son
groupe et tout autre interlocuteur de son choix afin d’adopter la position qui
s’imposait.

Rustom Ghazali, déclaration écrite non datée, soumise à la Commission
par une lettre du 17 août 2005

J’ai rencontré à deux reprises le Premier Ministre Hariri à Anjar, ce jourlà
[26 août 2004]. Le premier entretien a eu lieu le matin du 26 août 2004 alors
qu’il était en route vers Damas pour y rencontrer le Président Bachar al-Assad,
le second lors de son voyage retour de Damas à Beyrouth, après la réunion
avec le Président Bachar al-Assad à Damas. La deuxième rencontre également
a eu lieu dans notre bureau à Anjar.
(…)
Nous avons évoqué sa réunion avec le Président Bachar al-Assad. Il
[Hariri] avait l’air décontracté. Le Premier Ministre Hariri a qualifié sa
réunion avec le Président Bachar al-Assad de cordiale et brève. Selon le
Premier Ministre Hariri, le Président al-Assad lui aurait dit : « Abou Bahaa,
nous, en Syrie, nous vous avons toujours traité en ami et en tant que Premier
Ministre du Liban. Aujourd’hui aussi, je vous reçois en ami et en tant que
Premier Ministre du Liban. Vu la situation difficile que traverse cette région,
au centre de laquelle se trouve le Liban, nous sommes d’avis qu’il est dans
l’intérêt du Liban de préserver la continuité du régime en prorogeant le mandat
du Président Lahoud. En tant qu’ami, nous souhaiterions que vous précisiez
votre position sur la question. Nous ne sommes pas pressés de connaître votre
réponse et prenez donc le temps de réfléchir. »

Marwan Hamadé, déclaration du témoin le 27 juin 2005
Le mercredi 24 ou 25 août, M. Hariri, M. Joumblatt et M. Berri ont tous
été invités à se rendre à Damas pour y être informés de la décision de proroger
le mandat de M. Lahoud. M. Joumblatt a informé M. Ghazali qu’il souhaitait
en discuter avec le Président al-Assad. R. Ghazali a insisté que la réponse
devrait être « oui » avant de prendre le moindre rendez-vous. Il a en fait
conseillé à M. Joumblatt de répondre par l’affirmative car il s’agissait d’une
question stratégique pour le Président al-Assad. M. Joumblatt a répondu par la
négative. Une heure plus tard, M. Joumblatt m’a appelé pour me dire que les
services de renseignement syrien avaient annulé le rendez-vous.
Dans la soirée, M. Joumblatt et moi-même avons rendu visite à
M. Hariri. Il a dit que R. Ghazali insistait que tant que la réponse ne serait pas
positive, il ne confirmerait pas non plus son rendez-vous. Il a été invité à se
rendre à Damas, de rester chez lui (…) jusqu’à nouvel ordre. Le lendemain, il
a été appelé à une brève réunion.
(…)
Le jour où M. Hariri a rencontré le Président al-Assad, j’étais en réunion
dans la résidence de M. Joumblatt, à Beyrouth, avec Bassem Sabaa et Ghazi
Aridi. Nous avons vu que le convoi de M. Hariri était de retour à 13 heures, ce
qui signifiait que la réunion à Damas avait été très brève. Nous avons vu que
M. Hariri avait l’air fatigué. Il transpirait. Il nous a dit à tous les quatre qu’il
fallait réélire le Président Lahoud, sinon « il en aura à payer chèrement le
prix ». (…) Il a indiqué que le Président al-Assad lui aurait dit : « Je briserai le
Liban sur votre tête et sur celle de Joumblatt. »

Ghazi Aridi, déposition du témoin, le 1er juillet 2005
M. Hariri nous a indiqué que le Président al-Assad lui avait dit : « Si
Jacques Chirac m’éjecte du Liban, j’envisagerai d’autres options et vous le
ferai savoir. Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous. Mon choix
comme Président est Émile Lahoud. Je veillerai à ce qu’il soit Président.
J’attendrai votre réponse. (…) Dites à Walid Joumblatt que s’il y a des Druzes
au Liban, j’ai aussi une communauté druze en Syrie. Je suis prêt à tout. »

Walid Joumblatt, déposition du témoin, le 28 juin 2005
Selon M. Hariri, al-Assad lui aurait dit : « Lahoud c’est moi. Je veux
renouveler son mandat. (…) Si Chirac veut m’éjecter du Liban, je briserai le
Liban. » (…) Lorsqu’il s’est rendu chez moi, M. Hariri était très tendu et déçu.
Sa situation était peu enviable.

Jubran Tueni, déposition du témoin, le 25 juin 2005
Plus tard, en 2004, lorsque la question de la prorogation du mandat du
Président Lahoud a été soulevée, M. Hariri m’a également dit que le Président
al-Assad l’avait menacé directement et lui avait dit qu’un vote contre la
prorogation serait considéré comme un acte dirigé contre la Syrie. Selon
M. Hariri, le Président al-Assad avait ajouté que, dans ce cas, ils, les Syriens,
« le feraient sauter », lui et tous les membres de sa famille, et qu’ils les
trouveraient où qu’ils se trouvent dans le monde.

Bassem Sabaa, déposition du témoin, le 30 juin 2005
Lorsque M. Hariri est revenu de sa réunion avec le Président al-Assad, je
l’ai rencontré au domicile de Walid Joumblatt.
(…)
Il nous a rapporté les propos du Président al-Assad qui lui aurait dit, sans
mettre des gants : « Je m’intéresse personnellement à cette affaire. Il ne s’agit
pas d’Émile Lahoud mais de Bachar al-Assad. »
Nous lui avons demandé s’il avait eu l’occasion de s’entretenir de la
question avec le Président al-Assad. Il a indiqué que le Président al-Assad lui
avait que « la question n’était pas ouverte à la discussion, la prorogation aura
lieu aussi, sinon je briserai le Liban ». (…). Il était extrêmement affligé. Il m’a
dit que « pour l’amour du Liban et ses intérêts, il devait réfléchir à ce qu’il
allait faire, qu’on avait affaire à une bande de fous capables de tout ».

Saad Hariri, déposition du témoin, le 9 juillet 2005
J’ai parlé avec mon père, feu Rafic Hariri, de la prorogation du mandat
du Président Lahoud. Il m’a dit que le Président Bachar al-Assad l’avait
menacé en ces termes : « C’est ce que je veux. Si vous croyez que le Président
Chirac et vous allez gouverner le Liban, vous vous trompez. Cela ne se passera
pas ainsi. Le Président Lahoud c’est moi. Tout ce que je lui dis, il le fait. La
prorogation aura lieu sinon je briserai le Liban sur votre tête et sur celle de
Walid Joumblatt. (…) Donc, soit vous faites ce que je vous dis de faire ou nous
vous aurons, vous et votre famille, où que vous vous trouviez. »

Rafic Hariri, conversation enregistrée avec Walid al-Mouallem
le 1er février 2005

À propos de la question de la prorogation, il (le Président al-Assad) m’a
convoqué et m’a reçu pendant 10 à 15 minutes.
(…)
Il m’a fait venir et il m’a dit : « Vous m’avez toujours dit que vous étiez
du côté de la Syrie. Maintenant, le moment est venu de prouver que vous
pensez effectivement ce que vous m’avez dit, sinon. » (…) Il ne m’a pas
demandé mon avis. Il a dit : « J’ai décidé. » Il ne s’est pas adressé à moi en
tant que Premier Ministre et ne m’a pas appelé Rafic ni donné aucun autre
nom. Il m’a simplement dit : « J’ai décidé ». J’étais tout à fait troublé,
désorienté. Ce fut le pire jour de ma vie.
(…)
Il ne m’a pas dit qu’il souhaitait que le mandat de Lahoud soit prorogé.
Tout ce qu’il a dit, c’est : « J’ai décidé de le faire, ne me répondez pas,
réfléchissez et revenez me voir. »
(…)
Il ne m’a traité ni comme un ami ni comme une simple connaissance. Il
m’a demandé : « Êtes-vous avec nous ou contre nous ? » C’est tout. Lorsque je
suis sorti de la réunion, je vous jure, mon garde du corps m’a regardé et m’a
demandé pourquoi j’étais si pâle.

28. Lorsqu’il a rencontré M. al-Mouallem, M. Hariri s’est plaint qu’il pensait que
le Président al-Assad était délibérément mal informé par les services de sécurité
syriens et par M. al-Shara au sujet des activités de M. Hariri. Les extraits traduits de
la réunion comprennent les déclarations suivantes de M. Hariri :
 « Il m’est impossible de vivre sous un régime sécuritaire dont la spécialité
consiste à s’ingérer dans les affaires d’Hariri et à répandre des fausses
nouvelles au sujet de Rafic Hariri et à écrire des rapports à Bachar al-Assad. »
 « Mais le Liban ne sera jamais gouverné à partir de la Syrie. Cela n’arrivera
plus. »

29. Au cours de cet entretien, M. al-Mouallem a dit à M. Hariri que « nous et les
services [de sécurité] vous avons mis au pied du mur ». Il a poursuivi en disant « de
grâce, ne prenez pas les choses à la légère ».

30. L’enregistrement de l’entretien contredit clairement la déposition que M. al-
Mouallem a faite en tant que témoin le 20 septembre 2005, dans laquelle il qualifie
faussement la réunion du 1er février « d’amicale et de constructive » et évite de
répondre directement aux questions qui lui sont posées.

Coopération syrienne avec la Commission

31. Les informations données ci-dessus et les éléments de preuve recueillis par la
Commission tels que décrits plus loin, dans la section intitulée « Planification de
l’assassinat », font ressortir la possibilité que des responsables syriens avaient été
impliqués dans l’assassinat de M. Hariri. Lorsque la Commission a tenté d’obtenir la
coopération du Gouvernement syrien pour suivre ces pistes de son enquête, elle n’a
bénéficié que d’une coopération formelle et non pas de fond.

32. Le premier contact entre la Commission et les autorités syriennes a eu lieu le
11 juin 2005 lorsque le chef de la Commission a envoyé une lettre au Ministre
syrien des affaires étrangères lui demandant de pouvoir rencontrer des représentants
du Gouvernement syrien. M. al-Shara a répondu le 11 juillet, promettant en termes
généraux que le Gouvernement syrien soutiendrait l’enquête. Le 19 juillet, la
Commission a demandé à pouvoir s’entretenir avec plusieurs témoins, y compris le
Président de la République arabe syrienne. Le 26 août, à la demande du
Gouvernement syrien, une réunion a eu lieu entre le chef de la Commission et un
représentant du Ministère syrien des affaires étrangères, à Genève. À cette réunion,
le chef de la Commission s’est vu remettre une lettre contenant les dépositions
écrites de quatre témoins. Il a été précisé que le Président al-Assad ne serait pas
disponible pour une entrevue. Le chef de la Commission a réitéré sa demande
tendant à pouvoir interviewer directement des témoins et s’est vu répondre que la
demande était à l’étude mais que le Président al-Assad ne serait pas disponible.

33. Le 30 août, la Commission a adressé une nouvelle requête au Ministère syrien
des affaires étrangères, demandant à pouvoir auditionner plusieurs autres témoins et
suspects en République arabe syrienne. Dans sa lettre, la Commission sollicitait le
soutien du Gouvernement syrien afin de pouvoir perquisitionner au domicile des
suspects. Le 7 septembre, le Ministre des affaires étrangères al-Shara a informé la
Commission par écrit que son gouvernement acceptait que les personnes dont le
nom figurait dans les demandes de la Commission en date du 19 juillet et du
30 août, à l’exception du Président al-Assad, soient interviewées bien que les
éléments de preuve dont disposait la Commission reposent sur de faux témoignages.

34. Le 12 septembre, la Commission et le représentant du Ministère syrien des
affaires étrangères se sont entretenus des détails relatifs aux prochaines entrevues.
La Commission a exprimé le souhait que les entrevues se tiennent dans un pays
tiers, à savoir ni au Liban ni en République arabe syrienne, mais cela lui a été
refusé. Les autorités syriennes ont insisté pour que les entrevues aient lieu en
République arabe syrienne en présence de responsables syriens. Les entrevues ont
eu lieu entre le 20 et le 23 septembre. Chaque entretien a eu lieu en présence du
conseiller juridique du Ministère syrien des affaires étrangère ou d’un autre
représentant du Ministère, d’un interprète, de deux rapporteurs et, parfois, d’une
personne supplémentaire dont l’affiliation n’a pas été précisée. Au terme des
entretiens, il est apparu que les personnes interviewées avaient toutes donné les
mêmes réponses aux questions. Nombre de ces réponses étaient contredites par
d’importants éléments de preuve recueillis par la Commission auprès de diverses
autres sources. La Commission n’a pas eu l’occasion de donner suite aux résultats
des entretiens ni de poursuivre son enquête concernant une éventuelle implication
syrienne dans le crime.

35. La Commission a conclu que le manque de coopération de la part du
Gouvernement syrien quant aux questions de fond avait entravé son enquête et
l’avait empêché de suivre des pistes émanant des éléments de preuve recueillis
auprès de diverses sources. Si l’on veut que l’enquête soit menée à son terme, il est
essentiel que le Gouvernement syrien collabore pleinement avec les responsables de
l’enquête, notamment en autorisant que des entrevues se tiennent hors de la
République arabe syrienne et que les personnes interviewées ne soient pas
accompagnées de responsables syriens.

III. Le crime

36. Le 14 février 2005, à environ 12 h 50, l’ancien Premier Ministre libanais Rafic
Hariri a quitté le Square Nejmeh à Beyrouth et est rentré au palais de Koraytem. Son
convoi comprenait six voitures dont celles de ses gardes du corps et d’un
parlementaire, Bassel Fleyhan.

37. Lorsque le convoi est passé devant l’hôtel St. George dans la rue Minet
el-Hosn, une énorme explosion s’est produite, qui a provoqué la mort de M. Hariri
et d’autres personnes.

38. Après l’explosion, le Directeur de la télévision Al-Jazira à Beyrouth a reçu un
appel téléphonique d’un homme qui déclarait que le groupe Nasra et Jihad de la
Grande Syrie revendiquait la responsabilité de l’assassinat de M. Hariri. Ce message
a été diffusé peu après à la radio et à la télévision.

IV. L’enquête libanaise

Premières measures

39. Pour résoudre un crime de cette ampleur, il faut disposer d’une bonne capacité
de gestion, définir clairement les rôles des uns et des autres, assurer la coordination
et avoir accès à suffisamment de compétences, de personnel, de matériel et de
moyens d’assistance. On trouvera dans le bref exposé ci-après un résumé des
mesures prises par les autorités libanaises pendant la période allant de la
perpétration du crime à la création de la Commission.

Juge d’instruction

40. Le juge d’instruction militaire principal Rachid Mezher était chargé de
l’enquête criminelle pendant la période allant du 14 au 21 février 2005. À cette date,
le Gouvernement libanais a décidé de considérer le crime comme un acte terroriste
visant la République, ce qui l’a amené à confier l’affaire à une autre juridiction
compétente, le Conseil de la justice, qui est la plus haute instance pénale du Liban.
À la suite de cette décision, un nouveau juge d’instruction a été désigné pour diriger
l’enquête, le juge Michel Abou Arraj, représentant des services du Procureur
général.

41. Le juge Mezher est arrivé sur les lieux du crime moins d’une heure après
l’explosion, accompagné du juge Jean Fahd des services du Procureur général. Il a
décrit la situation sur les lieux du crime comme étant chaotique. Ses premières
décisions ont consisté à confier au chef adjoint de la police de Beyrouth, le général
Naji Moulaeb, la responsabilité de superviser les lieux du crime, lui assignant la
tâche d’enlever les morts et les blessés, de faire éteindre les incendies et, ensuite,
d’évacuer les lieux du crime et d’en interdire l’accès [déposition de témoin].

42. À 17 heures, le juge Mezher a convoqué une réunion avec tous les organes
intéressés, aussi bien des forces de sécurité intérieures que de l’armée, soit au total
10 officiers. Au cours de la réunion, le juge Mezher a réparti les tâches entre les
différents organes et a donné des instructions supplémentaires concernant le cours
de l’enquête [déposition de témoin].

43. Les représentants des forces de sécurité intérieures à cette réunion étaient : le
général Hisham Aouar, commandant par intérim de la police judiciaire et chef du
groupe de police scientifique et technique, le général Moulaeb, commandant par
intérim de la police de Beyrouth, le général Salah Eid, responsable du lieu de
l’explosion, et le lieutenant-colonel Fouad Othman, chef de la Division du
renseignement [déposition de témoin].

44. Après la réunion, à environ 19 heures, le juge Mezher est retourné une
deuxième fois sur les lieux du crime. Il n’était pas satisfait de ses observations sur
les lieux du crime, mais espérait que les choses iraient mieux le lendemain depuis
que des responsabilités avaient été réparties lors de la réunion en question. Parmi les
lacunes, il fallait citer le manque de matériel, de moyens et d’expérience. En outre,
il y avait un manque de communication entre les divers organes intéressés, les
instructions du juge d’instruction n’étaient pas respectées et il ne recevait pas les
informations voulues concernant la façon dont l’enquête progressait [déposition de
témoin].

45. Au cours de la période pendant laquelle il a assumé les fonctions de juge
d’instruction, le juge Mezher a convoqué une dizaine de personnes dans son bureau
aux fins d’interrogatoire, notamment du personnel de l’hôtel St. George, des
officiers de la garde rapprochée de M. Hariri, le père et la mère de M. Ahmed Abou
Adas et quelques témoins oculaires. En outre, en consultation avec le juge Jean
Fahd, il a pris la décision de demander le concours de la Suisse à laquelle il a
demandé une équipe d’experts médico-légaux pour aider les autorités libanaises
dans leur enquête. Lorsque le juge Mezher a quitté ses fonctions de juge
d’instruction, le 21 février 2005, l’enquête n’avait permis d’obtenir aucun résultat
concret.

46. Le dossier a été remis au nouveau juge d’instruction, le juge Abou Arraj. Ce
dernier a été chargé de l’affaire du 22 février au 23 mars 2005. Il a été nommé par le
premier juge Tanios Khoury au Conseil supérieur de la magistrature et le dossier a
été déposé au bureau d’Abou Arraj le 22 février 2005 [déposition de témoin]. Ses
premières impressions, en examinant le dossier, étaient que le crime était une
attaque terroriste qui nécessiterait une enquête longue et détaillée et d’importantes
ressources. À son avis, les premières mesures prises dans le cadre de l’enquête
avaient été réalisées de façon professionnelle et précise. Il était toutefois surpris que
les voitures du convoi aient été enlevées. Il n’a pas rencontré le juge Mezher mais il
l’a appelé au téléphone à chaque fois qu’il a eu besoin de précisions [déposition de
témoin].

47. Pendant la durée du mandat du juge Abou Arraj en tant que juge d’instruction,
les mesures suivantes ont été prises [notes extraites du dossier].

48. Le 23 mars 2005, le juge Abou Arraj a démissionné de ses fonctions de juge
d’instruction. La raison de sa démission était la situation politique tendue à ce
moment précis : le manque total de confiance dans l’appareil judiciaire libanais et
les critiques émises à propos de la façon comment se déroulait l’enquête. En outre,
alors qu’il était chargé de l’enquête Hariri, il devait également s’acquitter de ses
fonctions habituelles. L’affaire était contaminée par des questions politiques, et au
cours des manifestations qui ont eu lieu à Beyrouth, le 14 mars 2005, il a entendu
des gens mentionner son nom de façon critique [déposition de témoin].

49. Au moment où il a quitté ses fonctions de juge d’instruction, le seul résultat de
l’enquête était la piste d’Abou Adas, malgré les tentatives de porter toute l’attention
sur le modus operandi de l’explosion et d’amener tous les experts concernés de
parvenir à un consensus [déposition de témoin].

50. Le juge Abou Arraj a été remplacé, en octobre 2005, par le juge d’instruction
Elias Eid qui est toujours chargé de l’enquête.

Forces de sécurité intérieure

51. Le 14 février 2005, le général Ali Al-Haj dirigeait les Forces intérieures de
sécurité. Il avait été promu à ce poste en novembre 2004, auquel il aurait été nommé
par les Syriens ; il l’a quitté au cours du printemps 2005 à la suite de l’explosion qui
a tué M. Hariri. Selon ses déclarations, il était dans son bureau lorsqu’on lui a donné
la nouvelle de l’explosion. Il s’est immédiatement fait conduire sur les lieux en
voiture. Il a appelé en s’y rendant le général Shahid Al-Khoury, chef de la Division
des services et des opérations des Forces intérieures de sécurité, qui lui a dit que
l’explosion était de très forte puissance. Le général Al-Haj a alors donné l’ordre au
général Al-Khoury d’envoyer tous les services responsables sur les lieux : il
s’agissait du Groupe de police scientifique et technique, commandé par le général
Hisham Aouar, du Groupe des explosifs commandé par le général Abdel-Badie Al-
Soussi, et du Groupe des investigations commandé par le lieutenant-colonel Fouad
Othman. C’était la seule responsabilité du général Al-Haj – mettre à disposition les
ressources voulues. Après l’arrivée du juge d’instruction, tout le personnel des
Forces de sécurité intérieure ont été placées sous sa direction, et le général Ali Al-
Haj n’a plus eu la possibilité d’intervenir dans l’instruction [déposition de témoin].

52. De l’avis du général Al-Haj, les problèmes connus sur les lieux ont tenu à la
présence d’un nombre excessif d’organes différents, dont l’armée, les Forces de
sécurité intérieure, la Sécurité d’État et la Sécurité publique.

53. Plus tard dans l’après-midi, le général Al-Haj s’est rendu à une réunion avec le
Conseil supérieur de la défense, au Palais présidentiel. La réunion était présidée par
le Président. Les autres participants étaient le Ministre de l’intérieur, le Ministre de
la défense, le Ministre des affaires étrangères, le Ministre de la justice, le Ministre
de l’économie, le Vice-Premier Ministre, le Ministre des travaux publics, le
Gouverneur de Beyrouth, et les commandants des différents organes de sécurité. La
réunion a débattu du crime, de la saisine du Conseil de la justice, et des
ramifications du crime.

54. Après la réunion, le général Al-Haj est retourné dans son bureau ; peu après la
chaîne de télévision Al-Jazira a diffusé une bande vidéo où Ahmed Abou Adas
revendiquait la responsabilité de l’explosion et l’assassinat de M. Hariri. À partir de
ce moment, toutes les ressources disponibles des Forces de sécurité intérieure, sauf
celles qui s’occupaient des lieux du crime, ont été concentrées sur la piste Abou
Adas.

Renseignement militaire

55. Le 14 février 2005, le général Raymond Azar dirigeait le Renseignement
militaire. Il avait été promu à ce poste en décembre 1998, et l’a quitté au cours du
printemps 2005 à la suite de l’explosion qui a tué M. Hariri. Selon ses déclarations,
il a appris la nouvelle de l’explosion du colonel Mohamed Fehmi, Chef du Service
de la sécurité militaire. Il ne s’est pas rendu sur les lieux, mais a suivi l’affaire de
près depuis son bureau, avec le colonel Albert Karam, Chef du Service de
renseignement de Beyrouth. Il a informé le Président Lahoud et le général Ghazali
de l’explosion au moment où elle s’est produite [déposition de témoin].

56. Des membres du Renseignement militaire (experts en explosifs surtout) se sont
rendus sur les lieux du crime et ont effectué leur examen. Ils ont confirmé que les
explosifs utilisés étaient du TNT et estimé que la quantité était de l’ordre de 300
kilogrammes. Tous les éléments concrets trouvés sur les lieux ont ensuite été remis
aux Forces de sécurité intérieure (général Hisham Aouar) – selon ce que savait le
général Azar, il y avait des fragments métalliques et une arme à feu. À son avis,
c’étaient essentiellement les Forces de sécurité intérieure, mais aussi les services du
Procureur général et le juge d’instruction, qui avaient la responsabilité globale de
l’enquête.

57. L’après-midi du 14 février 2005, le général Azar a assisté à la réunion tenue au
Conseil supérieur de la défense. À cette réunion, a été présenté un exposé sur
l’assassinat de M. Hariri, avec tous les détails disponibles à ce moment-là. Chacun
des participants avait donné son point de vue.

58. Par la suite, la Direction du général Azar avait été chargée de se concentrer sur
trois éléments :
• La bande vidéo d’Ahmed Abou Adas ;
• Les communications par téléphone portable qui avaient eu lieu dans le quartier
de l’explosion ;
• Le type et la quantité d’explosifs utilisés.

Sûreté générale

59. Le 14 février 2005, le général de brigade Djamil Al-Sayed dirigeait la Sûreté
générale. Il avait été promu à ce poste en décembre 1998, et l’a quitté au cours du
printemps 2005 à la suite de l’explosion qui a tué M. Hariri. Selon ses déclarations,
il était dans son bureau quand il a entendu l’explosion, mais a cru que la détonation
était due à des avions de chasse israéliens franchissant le mur du son. À un moment
donné, entre 13 h 15 et 13 h 30, le lieutenant-colonel Ahmed Al-Assir l’a informé de
l’explosion, précisant que c’était M. Hariri et son convoi qui étaient visés. Il est
resté dans son bureau, et personne n’a été envoyé sur les lieux du crime parmi les
collaborateurs de la Sûreté. Le général Al-Sayed a appelé le Président, le Ministre
de l’intérieur et le général Ghazali.

60. Plus tard dans l’après-midi, le général Al-Sayed a assisté à la réunion au
Conseil supérieur de la défense. La réunion a été consacrée notamment aux
conséquences immédiates sur le terrain. Les suggestions ont été soumises au
Gouvernement, qui s’est réuni plus tard le même soir.

61. Le mardi 15 février 2005 au matin, le général Al-Sayed a reçu un appel
téléphonique d’un journaliste d’Al-Jazira, qui lui a dit que personne n’était encore
venu prendre la bande vidéo d’Abou Adas. Cette bande lui a été apportée le
16 février 2005. Il en a fait une copie et a envoyé l’original au juge d’instruction,
Abou Arraj.

Investigation sur le lieu du crime

Rapport des Forces de sécurité intérieure

62. Comme pour toute affaire criminelle analogue, l’examen immédiat du lieu du
crime et des environs est d’importance capitale pour les résultats de l’enquête. Le
responsable de l’investigation sur les lieux, le général Nadji Moulaeb des Forces de
sécurité intérieure, est arrivé sur les lieux à 13 h 5 le 14 février 2005. Il a publié un
rapport daté du 3 mars 2005 sur l’examen du lieu du crime par les autorités
libanaises (Direction générale des Forces de sécurité intérieure, Service de police de
Beyrouth, réf. no 95), où il était dit ce qui suit :

Exécution de la mission d’enquête confiée par le premier juge
d’instruction du tribunal militaire de Beyrouth concernant les investigations et
autres activités susceptibles de livrer des informations pour l’enquête
consacrée à l’explosion qui a causé la mort de Rafic Hariri, l’ex-Premier
ministre, et d’autres personnes

Dossier : mission d’enquête confiée par le premier juge d’instruction du
tribunal de Beyrouth, n° 23/2005, datée du 14 février 2005.
Ordre du Département général des mises en examen n° 207/1181 daté du 15
février 2005.

Le 14 février 2005, à 12 h 50 environ, une explosion à Beyrouth, à
proximité de l’hôtel St. George, selon le centre opérationnel. Toutes les
patrouilles ont reçu l’ordre de se rendre sur place. Je me suis mis en route et y
suis arrivé quelques minutes plus tard. Des voitures étaient en flammes à
proximité, des deux côtés de la route, et il y avait beaucoup de fumée. Les
services de défense civile, de lutte contre l’incendie, et de la Croix-Rouge sont
arrivés en hâte et se sont employés à éteindre l’incendie, retrouver les corps et
évacuer les blessés vers des hôpitaux. Le chaos régnait, les personnels de
sécurité et les militaires étaient mêlés aux civils, pompiers et services de
secours, journalistes et médias s’efforçaient tous de parvenir sur les lieux. J’ai
donné l’ordre à tous les officiers de l’armée et de la police de faire tout le
nécessaire pour maintenir des couloirs de sécurité et de prendre les mesures
voulues pour maintenir en l’état le lieu du crime et éloigner les badauds, et j’ai
confié au deuxième secrétariat régional de Beyrouth la responsabilité de
l’exécution.

Les indications préliminaires donnaient pour lieu de l’explosion le
convoi automobile de M. Hariri, mais on ne sait pas encore si elles seront
confirmées.

Les spécialistes des preuves matérielles et les experts en explosifs ont
commencé leur travail.

En plus des responsables politiques et des officiers de sécurité, sont
arrivés sur les lieux un commissaire du gouvernement (du Tribunal militaire)
avec des assistants, et Rachid Mejer, le premier juge d’instruction du Tribunal
militaire de Beyrouth, qui m’a chargé verbalement, en ma qualité de
responsable de la police pendant l’absence, à partir du 12 février 2005, du
commandant de la police en mission à l’étranger, en me donnant toute liberté
de déléguer cette tâche à toute personne que j’en jugerais capable,
d’entreprendre les investigations et de réunir toutes informations susceptibles
de renseigner sur l’explosion, et de l’en informer dûment. L’autorisation
verbale serait suivie d’une autorisation écrite.

Dès que le Directeur général de la sécurité intérieure est arrivé sur les
lieux, je lui ai communiqué tout ce qui précède.

En application de la délégation de pouvoirs orale susmentionnée, j’ai
donné l’ordre au commandant Salah Eid de lancer les procédures d’enquête
voulues, en sa qualité de commandant du deuxième secrétariat régional de
Beyrouth, dont relève la zone de l’explosion, et de me tenir informé.

On a continué à grouper les morts et à transporter les blessés à l’hôpital,
tandis que le personnel du Bureau central des accidents et les experts en
explosifs poursuivaient leur travail. Le lieu du crime et les abords ont été
ratissés intégralement. Une équipe d’officiers du génie de l’armée libanaise est
venue prélever des échantillons sur les lieux pour les analyser. Un détachement
de l’armée a fouillé les lieux et les bâtiments, et aidé à mettre en place un
cordon de sécurité.

Étant donné l’urgence de l’enquête, nous avons envoyé aux dirigeants
des services régionaux de police et aux commandants des unités de police le
télégramme no 2065 daté du 14 février 2005, où nous leur demandions
d’effectuer toutes les investigations nécessaires chacun selon leur zone de
compétence en ce qui concerne les cadavres qui avaient été transportés dans
les hôpitaux de chacune de ces zones, afin que les familles puissent les
identifier, et de m’en informer dûment, afin que je puisse obtenir des autorités
compétentes l’autorisation de rendre les corps aux familles. Ils étaient chargés
de recueillir le témoignage des blessés et d’en déposer un exemplaire dans le
dossier de l’enquête globale, par l’intermédiaire de la brigade d’Al-Burj.

À la suite de notre télégramme no 2077 daté du 14 février 2005, envoyé
aux départements concernant le bouclage des lieux du crime et la mise en
place d’un cordon de sécurité autour des lieux, nous avons ordonné au
commandant du deuxième secrétariat régional de Beyrouth d’utiliser tout le
personnel nécessaire pour accomplir ces tâches, de placer des barrières
métalliques et du ruban jaune autour des lieux, et, en coordination avec le
commandant du secrétariat de la circulation, de réguler le flot de la circulation.

Le commandant Eid m’a tenu au courant de l’avancement des
investigations et des résultats, et j’en ai dûment informé le premier juge
d’instruction du Tribunal militaire. Les corps ont été remis aux familles selon
les procédures légales.

Sur instruction du premier juge d’instruction du tribunal militaire, et avec
l’approbation du Directeur général des Forces de sécurité intérieure, les
voitures du convoi de M. Hariri ont été transportées à la caserne de Helou,
après qu’elles ont été photographiées sur place et qu’un enregistrement vidéo a
été réalisé en présence du commandant du deuxième secrétariat régional de
Beyrouth, du commandant de la deuxième brigade de la circulation de
Beyrouth, du commandant du détachement d’Al-Burj et d’une équipe
d’enquêteurs, grâce à l’éclairage fourni par la défense civile, comme il est dit
dans le rapport n° 144/2005 daté du 14 février 2005. Les véhicules ont été
entreposés dans la caserne de Helou.

Dans notre télégramme no 2122 daté du 15 février, adressé au chef des
services d’urgence, nous avons demandé qu’ils soient conservés en sûreté et
que personne ne soit autorisé à y toucher.

À 15 heures, le 15 février 2005, le commandant Omar Makkawi,
commandant du service de police de Beyrouth, est arrivé pour prendre son
commandement. Il m’a mis au courant de tout ce qui avait été fait, et de tous
les incidents survenus, et nous avons poursuivi la procédure d’enquête
entreprise par le commandant Salah Eid. Nous en avons ensuite dûment
informé le premier juge d’instruction du Tribunal militaire.

En application du mandat no 2F206/… en date du 17 février 2005, le
commandant du service nous a remis la délégation de pouvoirs écrite émanant
du premier juge d’instruction du Tribunal militaire, numéro de référence
23/2005, datée du 14 février 2005, concernant l’explosion, qui nous a été
transmise pour mise en oeuvre par la Direction générale sous le numéro
2SH207/1 datée du 15 février 2005.

De même, le commandant du service nous a remis, en application du
mandat no 206/1735 daté du 18 février 2005, une autorisation écrite de ce
service, sous le numéro de référence 36/2005 daté du 18 février 2005, qui
comportait l’ordre de conserver les voitures du convoi de M. Hariri à
l’intérieur de la caserne, de les protéger par des tentes et de placer sous bonne
garde, ce qui a été fait.

En application du mandat no 2F206/1736 daté du 18 février 2005, le
premier juge d’instruction du Tribunal militaire nous a donné par écrit
l’autorisation no 36/2005 datée du 18 février 2005, qui comportait l’ordre
d’entrer en rapport avec le Gouverneur de Beyrouth qui devait nous
communiquer le nom de ceux qui avaient récemment travaillé dans un atelier
sur les lieux de l’explosion. La mise en oeuvre de cette autorisation a livré un
document de 14 pages, qui est joint au présent rapport*.

En vertu de la première délégation de pouvoirs susmentionnée et de
l’ordre adressé au commandant du deuxième secrétariat régional de Beyrouth
d’avoir à mener l’enquête, et à la suite du premier rapport, no 302/143 daté du
14 février 2005 et de toutes les investigations organisées par les services de
police et la police régionale, nous présentons les tableaux ci-après : le
tableau 1 concerne les corps rendus aux familles ; le tableau 2 concerne les
personnes blessées par l’explosion ; le tableau 3 contient les dépositions
recueillies concernant l’explosion ; un tableau montre les mesures prises :
examen des lieux, des articles sous saisie, des véhicules endommagés, de la
disparition d’une personne, qui n’a pas été retrouvée, sur le lieu de l’explosion.

L’ensemble de ces procédures a été confirmé dans le rapport 302/1 daté
du 14 février 2005.

Rapport de police scientifique et technique suisse

63. Les experts libanais qui ont participé à l’examen des lieux, représentant divers
organes, ont émis des avis différents sur les constatations et les résultats de cet
examen. Ils ont donc été convoqués à une réunion au Tribunal militaire, en présence
du Procureur général [déposition de témoin]. À la suite de cette réunion, les
autorités libanaises ont demandé une aide de l’étranger pour l’examen des lieux, et
ont adressé la demande au Gouvernement suisse. Une équipe suisse de police
scientifique et technique s’est rendue au Liban en mars 2005 et a mené une enquête.
Dans son rapport final, elle a dit ce qui suit (extrait) :

« Nos conclusions concernant une explosion souterraine ou de surface
sont basées sur les examens ci-après :
 Interprétations basées sur la dispersion des fragments, leur taille et leur
forme ;
 Interprétations basées sur la taille et la forme du cratère ;
 Interprétations balistiques ;
 Interprétations des dégâts subis par les bâtiments (gros oeuvre, vitres).

Après interprétation et analyse de la dispersion des fragments, nous ne
sommes pas en mesure de dire nettement si l’explosion s’est produite sous
terre ou en surface. Nos analyses et recherches sur la taille et la forme du
cratère ne nous permettent pas non plus de trancher nettement sur ce point.

En revanche, la forme et la taille du cratère renseignent sur la quantité
possible d’explosifs (sous terre ou en surface) :
Comme nous le disons dans notre rapport, une charge d’environ 1 000
kilogrammes produit un cratère analogue à celui que nous avons vu sur
les lieux.
(…)
Une charge qui aurait été placée dans une voiture aurait nécessité un
véhicule de grande taille. Si un tel véhicule avait été utilisé, nous nous
attendrions à trouver des fragments importants (du châssis, par exemple) de ce
véhicule à proximité du centre de l’explosion.
Le niveau d’endommagement des fragments métalliques que nous a
montrés la police (provenant selon ce qui a été dit d’un utilitaire Canter
Mitsubishi) correspond à ce que nous aurions attendu si un tel véhicule avait
été au centre de l’explosion.
(…)
Après avoir réalisé toutes nos analyses et débattu des faits réunis, nous
avons conclu que le plus probable était une explosion en surface.
Nous estimons en conséquence la charge à 1 000 kilogrammes d’explosif
détonnant.
Les résultats non confirmés et préliminaires de l’analyse d’un échantillon
du sol a fait apparaître que la charge explosive aurait été du trinitrotoluène
(TNT). »

Rapport Rifi

64. En mars 2005, le chef actuel des Forces de sécurité intérieure, le général
Ashraf Rifi, a établi un rapport sur les premières mesures prises par les autorités
libanaises compétentes sur les lieux du crime ; ce rapport a été communiqué à la
mission d’établissement des faits des Nations Unies. Les conclusions du rapport
étaient notamment les suivantes :

« II. Mesures prises

L’importance de cet événement tragique qui a entraîné l’assassinat
de l’ex-Premier Ministre Rafic Hariri a retenti sur l’ensemble des
mesures prises par la suite.

A. Opérations de secours et d’évacuation et recherche des corps

Immédiatement après l’explosion, les organes de sécurité, les
militaires et la défense civile, ainsi que la Croix-Rouge, se sont précipités
sur les lieux pour y accomplir leur devoir. Malgré toutes les mesures
prises, leur action n’a malheureusement pas été d’un niveau qui leur
permette de sauver la face. Les mesures prises ont été défectueuses. C’est
pourquoi le Ministère de l’intérieur a publié le mémorandum
no 137(sad)2, daté du 25 février 2005, donnant pour instructions à
l’Inspection générale des Forces de sécurité intérieure d’examiner les
comportements et les mesures prises. À partir des résultats de cet
examen, il a suggéré le renvoi tant du général commandant la police de
Beyrouth que du général commandant la police judiciaire.

B. Maintien en l’état des lieux du crime

Immédiatement après l’explosion, le juge d’instruction militaire a
été chargé de l’enquête. L’ensemble du personnel de sécurité et de police
judiciaire a été mis à sa disposition. Il a émis des commissions rogatoires
et a indiqué les mesures à prendre, surtout pour garder les lieux en l’état.
Mais les mesures prises n’ont pas été du niveau requis, contrairement aux
principes évidents d’enquête sur un crime aussi grave, ou même moins
grave, qui veulent qu’on prenne des mesures strictes pour empêcher toute
altération des lieux du crime ou des éléments matériels pouvant servir à
faire avancer les investigations et découvrir la vérité. On aurait pu le
faire sans négliger pour autant les aspects humanitaires des tâches à
accomplir, c’est-à-dire en donnant néanmoins la priorité à la recherche
des victimes et des blessés, et aux secours à dispenser à ces derniers pour
les sauver. Des erreurs graves ont été enregistrées à cet égard :
a) Les lieux du crime ont connu le chaos, non seulement durant
les premières heures suivant l’explosion, où on s’est consacré à la lutte
contre l’incendie, aux secours aux blessés et à la recherche des disparus,
mais même, ce qui est regrettable et n’était pas inévitable, pendant une
durée beaucoup plus longue ;
b) Il n’y a pas eu de coordination entre les organes de sécurité
présents sur les lieux ;
c) La recherche des personnes disparues a été réalisée de
manière irresponsable, manquant de professionnalisme et de soin.
Certaines personnes ont été trouvées ensuite par chance, ou par les
familles. On a enregistré les éléments prêtant à controverse ci-après :
 Le corps de Zhai Abou Rujaili, ressortissant libanais, a été
trouvé le 15 mars 2005. Selon le médecin de la police, il avait
survécu quelque 12 heures à l’explosion ;
 Le corps d’une des victimes a été trouvé par hasard huit jours
après l’explosion ;
 Le corps d’Abdel-Hamid Shalayini, ressortissant libanais, a
été trouvé 16 jours après l’explosion, par sa famille et non pas
par les services judiciaires ou la défense civile ;
 Le sort de Farhan Ahmed El-Issa reste inconnu ; il est toujours
porté disparu. On craint si son corps est retrouvé, de causer un
autre scandale ;
d) Quelques heures après l’explosion, vers 23 heures, des
éléments matériels importants ont été enlevés des lieux du crime. Les
voitures du convoi de M. Hariri ont été transportées à la caserne de
Helou, prétendument pour les préserver, alors que ce qui en restait ne
représentait pas d’autre valeur à protéger que celle d’éléments de preuve,
du fait qu’elles avaient été visées par une explosion. Ce n’est pas le seul
cas avéré d’altération des lieux du crime. Une voiture BMW qui ne
faisait pas partie du convoi a également été enlevée, alors qu’on aurait dû
s’efforcer de n’enlever aucune voiture, de les préserver dans l’état où les
avait laissées l’explosion, afin de déterminer comment le crime avait été
commis ;
e) Un bulldozer a été introduit sur les lieux du crime le soir de
l’explosion, le 14 février 2005, sans aucune raison valable. Dès que le
Ministère de l’intérieur et des municipalités en a eu connaissance, il a
donné l’ordre de le retirer et de maintenir les lieux du crime en l’état ;

C. Déroulement et conditions de l’enquête, recherche de la manière
dont le crime a été commis

a) Il est de notoriété publique que la conduite de l’enquête a
donné lieu à de grosses erreurs, dont des fuites d’information qui ont
semé la confusion. De ce fait, la fiabilité de l’enquête locale s’est trouvée
compromise ;
(…)

III. Responsabilités

a) La responsabilité d’un crime aussi tragique que celui-ci ne
peut être limitée à un seul aspect. Comme il a déjà été dit, elle porte sur
les aspects politiques, judiciaires et de sécurité ;
(…)

La décision de faire enlever les véhicules du convoi

65. La décision de faire combler le cratère sur les lieux du crime, de faire enlever
les véhicules du convoi et de rouvrir la rue le lendemain de l’explosion est source de
confusion, s’il existait une volonté collective de faire inspecter les lieux du crime de
manière professionnelle pour retrouver les coupables et les traduire en justice. Cette
confusion, qui se traduit par les différentes déclarations des responsables mêlés le
plus intimement à l’enquête, est parlante.

Le juge d’instruction Mezher

66. À 22 h 30 le 14 février, le juge Mezher était chez lui lorsqu’un appel
téléphonique du général Nadji Moulaeb l’a informé que des représentants des
différents organes avaient commencé à recueillir sur les lieux du crime des
fragments métalliques des véhicules du convoi pour les faire expertiser eux-mêmes.
Il n’y avait rien que le général Moulaeb puisse faire pour les en empêcher. Il a
suggéré de faire transporter les véhicules du convoi en lieu sûr et a proposé la
caserne Helou à Beyrouth. Le juge Mezher a été d’accord avec cette demande, sous
réserve des conditions suivantes. Les véhicules seraient filmés sur place, ils seraient
marqués et affectés d’un numéro ; il seraient également filmés durant le transport et
à nouveau à leur arrivée à la caserne Helou, où ils seraient mis à l’abri et gardés
24 heures sur 24 afin que nul ne puisse toucher à ces éléments de preuve. Le juge
Mezher n’avait pas d’information sur la décision de combler le cratère et de rouvrir
la rue [déposition de témoin]. Les véhicules ont été enlevés des lieux du crime dans
la nuit du 14 février.

Le général Djamil Al-Sayed

67. Le matin du 15 février 2005, c’est dans le journal que le général Al-Sayed a
appris l’enlèvement des véhicules du convoi. À 8 heures, il a appelé le général Ali
Al-Haj, chef des Forces de sécurité intérieure, et lui a demandé ce qui se passait. Le
général Al-Haj a répondu que deux équipes travaillaient à nettoyer la rue, qui serait
rouverte à 10 heures. En réponse à une question directe, il a déclaré que les ordres
venaient de Moustapha Hamdane, commandant de la Garde présidentielle
[déposition de témoin].

Le général Ali Al-Haj

68. Le 14 février 2005 à 22 h 30, M. Saddik a reçu à son bureau (où il se trouvait
avec le général Hisham Aouar) un appel téléphonique du Directeur général du
Ministère des travaux publics, M. Faddi Nammar. Ce dernier lui a dit qu’il avait été
décidé de rouvrir la rue le lendemain, et que son personnel se tenait prêt à
commencer le travail dès le lever du soleil le lendemain. L’appel était sur le
téléphone fixe, et a été entendu par le général Aouar. Il a dit en être surpris du fait
que M. Nammar n’avait pas compétence en la matière. Il était de notoriété publique
que Fadi Nammar était très proche du palais présidentiel, autrement dit c’est là qu’il
prenait ses ordres. Il a dit avoir obtenu les autorisations voulues du juge
d’instruction. M. Saddik a appelé le chef par intérim de la police de Beyrouth, le
général Nadji Moulaeb, lui a fait part de l’appel de M. Nammar et demandé de
vérifier auprès du juge Mezher s’il était au courant de la décision. Le général
Moulaeb a appelé ce dernier, qui connaissait la décision de rouvrir la rue et n’avait
pas d’objection. Le général Moulaeb a demandé alors ce qu’il fallait faire des
véhicules. Le juge Mezher a répondu qu’ils devraient être mis en lieu sûr et a
proposé la caserne Helou [déposition de témoin].

69. Le matin suivant (15 février 2005), M. Nammar a rencontré le Gouverneur de
Beyrouth, M. Yacoub Sarraf, pour prendre les dispositions voulues pour la
réouverture de la rue Minet el-Hosn. M. Sarraf est très proche du palais présidentiel
et connaissait également la décision [déposition de témoin].

Le général Hisham Aouar

70. Pour l’enlèvement des véhicules du convoi, le général Aouar a dit ne pas
savoir qui en avait donné l’ordre. Le 14 février 2005, pendant la réunion avec le
juge d’instruction, on lui a demandé son aide pour filmer l’enlèvement des
véhicules, mais rien d’autre n’avait été dit de l’enlèvement des véhicules des lieux
du crime. Le soir du même jour, entre 22 h 30 et 23 heures, il était dans le bureau du
Directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Ali Al-Haj, et lui a dit
que les voitures seraient enlevées. Il lui a dit aussi que les Forces de sécurité
intérieure devraient aider à l’opération en marquant l’emplacement des véhicules, et
aider au tournage du film [déposition de témoin].

Le Directeur général Fadi Nammar

71. M. Nammar ne se rappelait pas s’il avait reçu le 14 février un appel
téléphonique du général Al-Haj, mais se souvenait l’avoir appelé le lendemain,
comme il faisait toujours en pareil cas. Au moment de l’appel, il se trouvait dans le
bureau du Gouverneur de Beyrouth. Il a dit au général Al-Haj qu’ils étaient prêts, au
besoin, à offrir leur aide. Le général Al-Haj a transféré son appel à un général
travaillant pour les Forces de sécurité intérieure, qui lui a dit qu’une inspection des
lieux du crime était en cours. Le général lui a dit qu’il le rappellerait le moment
venu. M. Nammar ne se rappelait pas le nom de ce général, mais savait qu’il
travaillait avec le général Al-Haj. Il n’avait pas autorité pour faire ouvrir les rues à
Beyrouth, et n’a pas donné d’ordres pour l’enlèvement des véhicules du convoi. Il a
nié aussi avoir eu quelque contact avec le palais présidentiel [déposition de témoin].

72. Par la suite, il a été confirmé (par les listes d’appels téléphoniques) que le
général Ali Al-Haj avait bien appelé depuis son téléphone fixe M. Nammar sur son
portable dans la soirée du 14 février 2005. Il a été confirmé également que
M. Nammar avait appelé le général Al-Haj le lendemain [déposition de témoin].

Le Gouverneur de Beyrouth, M. Yacoub Sarraf

73. Selon ses déclarations, il n’a donné aucune instruction. L’armée et la police
avaient pris la direction des choses. Il avait été en rapport téléphonique avec
M. Fadi Nammar le 14 février 2005.

Le général Naji Moulaeb, chef par intérim de la police de Beyrouth

74. Entre 20 h 30 et 22 heures, le 14 février 2005, le général Moulaeb a reçu à son
bureau un appel téléphonique du général Ali Al-Haj, qui lui ordonnait d’enlever les
véhicules des lieux du crime et de les mettre en sûreté, étant entendu que la rue
serait rouverte dans les deux jours suivants. Les véhicules seraient disponibles si des
experts voulaient venir les inspecter. Le général Moulaeb a été surpris par cet ordre,
et ne l’a pas accepté. Il a dit au général Al-Haj n’avoir rien à faire avec les lieux du
crime, qui relevaient de l’autorité du juge Mezher. Le général Al-Haj a dit au
général Moulaeb de se mettre en rapport avec le juge, ce qu’il a fait. Le juge a été
surpris aussi, et a demandé la raison de cette hâte. Le général Moulaeb lui a dit avoir
reçu ses ordres du général Al-Haj, et être étonné lui aussi. Le juge lui a demandé de
lui donner quelques moments, et lui a dit qu’il le rappellerait. Après un moment
(entre 10 et 30 minutes), le juge l’a rappelé et lui a dit que les véhicules pouvaient
être enlevés [déposition de témoin].

Le général Moustapha Hamdane

75. Après l’explosion, le 14 février 2005, le général Hamdane a pris toutes les
mesures voulues pour protéger le Président et les zones présidentielles. Il ne se
souvenait pas des détails, mais il ne s’était pas rendu sur les lieux de l’explosion. Il
n’a pas donné d’ordres ou de directives au sujet des activités sur les lieux du crime,
car cela ne relevait pas de ses attributions. Il n’avait donc rien eu à voir avec l’ordre
de nettoyer la rue, de combler le cratère, ou d’enlever les véhicules du convoi
[déposition de témoin].

Le général Ashraf Rifi, chef des Forces de sécurité intérieure

76. Lors d’une réunion avec la Commission d’enquête internationale indépendante
le 1er juin 2005, le général Rifi a déclaré que la personne qui avait donné l’ordre de
transporter un ou des bulldozers sur les lieux du crime pour combler le trou causé
par l’explosion, etc. était le général Moustapha Hamdane, qui était à ce moment-là
le commandant de la garde de sécurité du Président Lahoud et qui, de ce fait, en
droit libanais, n’avait rien à voir avec les questions touchant l’enquête sur les lieux
[déposition de témoin].

Enquête libanaise : Ahmed Abou Adas

77. À environ 14 h 11, le 14 février 2005, une heure à peine après l’explosion,
Leila Bassam de l’agence Reuter a reçu un coup de téléphone anonyme d’un homme
dont l’accent n’était pas libanais mais qu’elle n’a pas pu identifier. Selon elle,
l’homme lui a demandé d’écrire, sans parler, ce qu’il allait dire et a lu la déclaration
suivante en arabe classique :
« Nous, Al-Nasr wal Jihad Fi Bilad Al-Cham, déclarons que nous avons
puni comme il le méritait l’infidèle Rafic Hariri afin qu’il serve d’exemple aux
autres. »
L’homme a récité une formule religieuse islamique et a raccroché.

78. Ghassan Ben Jeddou, chef du bureau de Beyrouth d’Al-Jazira, a déclaré avoir
reçu ce jour-là quatre appels téléphoniques contenant le même message. L’auteur du
premier appel, dont M. Ben Jeddou a dit qu’il parlait un mauvais arabe avec un
accent africain, afghan ou pakistanais, a déclaré que Al-Nasr wal Jihad était
responsable de l’exécution de M. Hariri par un attentat-suicide à la bombe. Peu
après, Al-Jazira a informé le public de cette revendication. M. Ben Jeddou rappelle
que Al-Jazira a reçu quatre coups de téléphone dans l’après-midi, le premier vers
13 h 40 et le dernier vers 16 heures. Cependant, les relevés de la compagnie de
téléphone indiquent qu’il n’y a eu que trois appels à Al-Jazira cet après-midi (à
14 h 19, 15 h 27 et 17 h 4). Al-Jazira a reçu ensuite un appel d’une autre personne
anonyme se réclamant du même groupe qui a indiqué, en excellent arabe, où Ben
Jeddou et ses collègues pouvaient trouver une vidéocassette contenant des
informations sur l’assassinat – à savoir, dans un arbre près du bâtiment de la
Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESEAO) dans le
centre-ville – et leur a demandé de s’y rendre dans les 15 minutes. M. Ben Jeddou a
envoyé un collègue qui a trouvé une enveloppe blanche contenant une déclaration
dactylographiée détaillée et une vidéocassette. Après plusieurs appels du même
groupe demandant pourquoi la cassette n’avait pas été diffusée, Al-Jazira l’a
retransmise plus tard durant l’après-midi.

79. La lettre accompagnant la cassette, dont la provenance est, selon ses termes, le
groupe Nasr et Jihad de la Grande-Syrie, déclare en partie :
« Que Dieu soit loué car la bannière de Nasr et Jihad est victorieuse en
Grande-Syrie et, avec la bénédiction de Dieu, l’agent des infidèles à La
Mecque et à Médine, Rafic Hariri, a reçu une juste punition par une opérationsuicide
exécutée par le moujahid Ahmed Abou Adas portant la bannière de
Nasr et Jihad en Grande-Syrie, le lundi 14 février 2005, cinquième jour de
muharram 1426 suivant le calendrier islamique, à Beyrouth […] Ci-joint un
film montrant le martyr Ahmed Abou Adas, exécuteur de l’opération. »
Dans la cassette, un individu s’identifiant sous le nom de M. Abou Adas emploie des
formules analogues.

80. Peu après la diffusion de la cassette, les autorités libanaises qui s’étaient
amplement renseignées sur le compte de M. Abou Adas, ont commencé à interroger
sa famille et ses associés. Une partie de ces informations venait apparemment de
cheikh Ahmed Abdel-Al, du groupe islamique Ahbache actif dans la zone des camps
palestiniens où M. Abou Adas aurait vécu. Cheikh Abdel-Al a déclaré à la
Commission qu’il avait reçu, peu après la diffusion de la vidéo, un appel du palais
présidentiel lui demandant s’il avait des informations sur cette personne. Selon ses
dires, M. Abdel-Al avait obtenu des renseignements au sujet de M. Abou Adas, y
compris son adresse, et savait qu’il se rendait souvent à Ein al Helwa, était
wahabbite et instruit, avait probablement étudié l’informatique et avait rendu visite
à Abou Obeida (chef adjoint de Jund al Cham). Cheikh Abdel-Al avait également
obtenu le nom des membres de la famille et des amis de M. Abou Adas ; il avait
envoyé ces renseignements par télécopie au Président Lahoud, à Ali Al-Haj, Albert
Karam, Jamea Jamea et Maher al Toufeily. Cheikh Abdel-Al aurait également
rencontré, dans la soirée du 14 février 2005, un agent du renseignement syrien,
Jamea Jamea, à qui il avait communiqué les informations sur M. Abou Adas, que
Jamea Jamea a ensuite transmises aux Forces de sécurité intérieure (FSI).

81. Les FSI se sont rendues chez Abou Adas avec un membre des Ahbache, ont
confisqué un ordinateur ainsi qu’un certain nombre de disques compacts dont le
contenu était essentiellement de nature islamique fondamentaliste. Bien que le
rapport de la perquisition ait noté que la plupart des documents enregistrés dans
l’ordinateur étaient téléchargés d’Internet, aucun élément n’indiquait que la maison
de M. Abou Adas avait accès à Internet. De nombreux amis et membres de la famille
de M. Abou Adas ont été interrogés par les autorités (y compris par les FSI et les
services du renseignement militaire) dans les jours qui ont immédiatement suivi
l’explosion. M. Abou Adas lui-même n’a toutefois pas pu être localisé. Le jour de
l’explosion, 10 personnes ont été interrogées, plus une quarantaine durant les deux
mois suivants. L’enquête libanaise a révélé par ailleurs que M. Abou Adas avait été
employé durant l’été 2004 dans un magasin d’ordinateurs qui appartenait à Cheikh
Ahmed Al-Sani, membre du réseau Ahmed Miqati et Ismail Al-Khatib.

82. Dans un rapport du général Sayed au juge Mezher, daté du 17 février 2005, le
général a conclu que la cassette était authentique et que « Ahmed Abou Adas, qui y
est filmé, […] avait manifestement participé à l’assassinat ». Cette conclusion
repose uniquement sur le fait que « Abou Adas a fait sa déclaration sans se cacher le
visage, ce qui est caractéristique de la manière adoptée par les auteurs d’un attentatsuicide
dans des cas analogues. Cela indique qu’il doit avoir été personnellement
responsable du déclenchement de l’explosion ». [Informations sur les faits relatifs à
la diffusion sur Al-Jazira d’une cassette dans laquelle l’attentat est revendiqué,
no 606/A’A, 17 février 2005.]

Enquête australienne

83. Le 15 février 2005, une demande a été transmise à la police fédérale
australienne par le Procureur général qui demandait que six individus soient arrêtés
en qualité de suspects dans l’assassinat de Rafic Hariri. Le responsable des FSI à
l’aéroport international de Beyrouth a transmis une information sur ces six individus
au général Haj, chef des FSI. Le général a transmis à son tour ces renseignements
directement au Procureur général, le juge Rabia Kaddoura, qui a contacté les
autorités australiennes. L’enquête australienne a exonéré ces six suspects de toute
participation au crime, conclusion à laquelle ont souscrit les autorités libanaises
chargées de l’enquête.

84. Le dossier montre que les autorités libanaises avaient fondé leurs soupçons sur
les facteurs suivants :
a) Les six personnes concernées avaient quitté l’aéroport international de
Beyrouth une heure et demie après l’attentat ;
b) Les six personnes n’avaient pas de bagages ;
c) L’une des six personnes ressemblait à M. Abou Adas qui était décrit dans
une vidéo d’un groupe extrémiste ayant revendiqué l’attentat.

85. Les autorités australiennes ont mené une enquête poussée pour aider les
autorités libanaises, qui a consisté notamment à lancer des alertes dans l’aéroport, à
interroger les six personnes et autres membres du groupe, à rechercher des traces
d’explosif (sur les individus, les sièges de cabine et les bagages) et à examiner
l’appareil pour trouver éventuellement des explosifs. Les six personnes identifiées
comme « suspectes », qui n’avaient soi-disant pas de bagages, en avaient en réalité.
Trois des six suspects ont été soumis à un examen scientifique et technique.

86. Les conclusions de l’enquête australienne sont les suivantes : a) le groupe se
rendait à Jeddah dans le cadre d’un pèlerinage religieux ; b) aucun des échantillons
prélevés ne contenait de traces d’explosif commun, organique ou inorganique ou de
restes d’explosif ; c) aucune des personnes interrogées par les autorités australiennes
au cours de l’enquête n’avait participé à l’assassinat de Hariri et ne disposait
d’informations à ce sujet.

V. L’enquête de la Commission

Aperçu général

87. La Commission a été déclarée opérationnelle par le Secrétaire général le
16 juin 2005. Du 16 juin au 6 octobre, 244 dépositions de témoins, 293 notes
d’enquêteurs et 22 déclarations de suspects ont été publiées. Un certain nombre de
perquisitions ont été effectuées et 453 pièces à conviction ont été saisies sur les
lieux de l’attentat. Au total, 16 711 pages de documents ont été produites. Trente
enquêteurs de 17 pays ont participé aux travaux d’enquête de la Commission, ainsi
que des experts extérieurs.

88. Dès le départ, l’importance du facteur temps a été soulignée. La Commission a
été déclarée opérationnelle quatre mois après le crime, ce qui signifie que les
auteurs et leurs complices avaient eu beaucoup de temps pour détruire des éléments
de preuve et se concerter, et qu’il n’était guère possible de retrouver des témoins
potentiels et de revenir sur les omissions passées, les pertes fortuites ou délibérées
et la destruction de pièces à conviction.

89. Le premier mois de fonctionnement de la Commission a été essentiellement
consacré à informer les enquêteurs de l’état actuel des travaux, y compris
l’évaluation des mesures prises par les autorités libanaises. Beaucoup de temps a été
passé à analyser les documents remis à la Commission par le Procureur général, et
des éclaircissements ont été demandés aux principaux témoins, dans les domaines
suivants :
 Reconstitution des faits et gestes de M. Hariri avant l’explosion ;
 Constatations et résultats des activités des autorités libanaises entreprises sur
le lieu du crime et dans les environs ;
 Falsification d’éléments de preuve ;
 Travaux routiers en place sur le lieu de l’explosion ;
 La piste Abou Adas ;
 La camionnette Mitsubishi Canter ;
 Recueil et analyse de listes de numéros de téléphone ;
 Recueil et analyse des photos, vidéos et documents de télévision en circuit
fermé rassemblés auprès de diverses personnes et décrivant la scène avant et
après l’explosion ;
 Opérations financières.

90. Ces activités ont abouti à la découverte de nouveaux témoins. Une ligne
téléphonique spéciale a été établie afin que le public puisse contacter la Commission
au sujet de l’affaire : cette mesure a donné lieu à plusieurs interrogatoires et à
plusieurs pistes qu’il a fallu suivre.

91. La compilation et l’organisation des dossiers et des éléments de preuve ont
pris beaucoup de temps et il a fallu améliorer le système de stockage et
d’enregistrement des informations qui comprennent des milliers de pages de
documents et de témoignages écrits ainsi que de nombreuses vidéos et
photographies. Dans le domaine juridique, il a fallu faire des recherches dans le
droit pénal et le Code de procédure pénale libanais afin de se conformer aux
protocoles requis pour les perquisitions, les arrestations, les interrogatoires de
suspects et les pièces à charge. L’assistance des autorités libanaises a été
extrêmement utile à cet égard.

92. Le deuxième mois a été caractérisé par un changement d’orientation des
enquêtes et des priorités en ce sens que les enquêteurs ont dû suivre de nouvelles
pistes et chercher de nouveaux témoins à la suite des conclusions et analyses
précédentes. De nombreuses sources ont contacté la Commission et fourni des
informations utiles. La grande majorité des responsables libanais compétents ont été
interrogés afin d’obtenir des éclaircissements sur la répartition des tâches, les
chaînes de commandement et leurs attributions, ainsi que sur les décisions qui
avaient été prises (ou qui ne l’avaient pas été). Durant cette période, les moyens de
la Commission ont été renforcés et de nouveaux logiciels ont été installés pour
améliorer le fonctionnement de la base de données.

93. Au cours du troisième mois, le lieu du crime et les environs, y compris le fond
de la mer voisin, ont été passés au crible par une équipe d’experts hollandais,
britanniques et japonais. Il s’agissait de trouver des preuves matérielles sur le lieu
de l’explosion, de reconstituer l’engin explosif utilisé et d’identifier la camionnette
Mitsubishi Canter. Ces opérations se sont déroulées sur place en septembre.

Préparatifs de l’assassinat

94. Malgré toutes ses activités, la Commission n’a pas pu dégager des pistes ou
des indices nouveaux concernant le motif et la raison de l’assassinat de M. Hariri
qui auraient été susceptibles de compléter ceux qui découlaient des événements
survenus durant la seconde moitié de 2004 – la décision de M. Hariri de
démissionner de son poste de premier ministre, l’issue prévue des élections
générales libanaises à la suite de la campagne électorale massive du Courant du
Futur et de la réaction des autorités libanaises face à l’affaire de l’huile d’olive en
février 2005 (les fautifs avaient été arrêtés par les autorités libanaises alors qu’ils
distribuaient gratuitement de l’huile d’olive à l’instigation de M. Hariri) [notes
d’enquêteur] et surtout les résultats des élections. La Commission a entendu de
nouveaux témoins qui hésitaient à contacter les autorités libanaises dans lesquelles
ils n’avaient pas confiance et qui ont déclaré que l’assassinat de l’ancien Premier
Ministre n’aurait pu se produire à l’insu des autorités libanaises et sans l’aval de la
République arabe syrienne.

95. La structure et l’organisation des services de renseignement syriens et libanais
au Liban, au moment de l’explosion, y compris les protocoles régissant
l’établissement des rapports, montrent que ces services exercent une influence
considérable sur la vie quotidienne du pays. Il suffit de rappeler à cet égard les
documents rassemblés par l’ancien poste de renseignement syrien, Villa Jabr, dans la
forêt de Bologne (Liban) et la conversation téléphonique interceptée entre le général
Ghazali et un haut responsable libanais le 19 juillet 2004 à 9 h 45, dont des extraits
sont transcrits ci-après :
« Ghazali : Je sais qu’il est tôt, mais j’ai pensé que nous devions vous
tenir au courant. Le Président de la République m’a dit ce matin qu’ils étaient
deux à diriger le pays, le Premier Ministre et lui-même. Il a dit que ça ne
pouvait pas durer ainsi. Le Premier Ministre l’irrite continuellement, il faut
constamment crier et lui dire de se taire. Le Président dit qu’il ne peut pas
continuer comme ça.
[…]
X : Allez-y doucement. Pouvez-vous nommer un gouvernement en ce
moment ?
Ghazali : Certainement. Quel pourrait être le problème ? Nous pouvons
nommer Botros Harb.
[…]
Ghazali : Laissez-moi vous dire une chose. Laissez le mouvement des
travailleurs descendre dans la rue le 20 à Solidere et Koraytem.
X : Il faut qu’on en parle. Ne vous emballez pas. Il faut tenir compte
des meilleurs intérêts de la Syrie et du Liban.
Ghazali : Nous avons à coeur les meilleurs intérêts de la Syrie, mais je
parle en ce moment de Rafic Hariri.
X : Donc, la décision est prise.
Ghazali : Je tiens à vous dire une chose. À chaque fois que nous
voulons parler à Hariri, il faut l’agripper et il ne répond pas toujours.
X : Qu’il aille au diable. Qu’est-ce que cela peut bien me faire ?
Ghazali : Et à moi donc ? Le Président ne peut pas le supporter, alors
pourquoi le devrais-je ?
X : Bon, alors qu’il aille rôtir en enfer […]
[…]
Ghazali : Non. Il faut qu’il soit couvert de ridicule, qu’il soit considéré
comme celui qui a ruiné et endetté le pays. Laissez le peuple descendre dans la
rue à Koraytem et Solidere ; laissez les manifestations se poursuivre jusqu’à ce
qu’il soit forcé de donner sa démission comme un chien.
X : Il y a une autre solution. Je lui envoie un message disant :
démissionnez, bon Dieu !
Ghazali : Ne faites pas ça ou il dira qu’on l’a forcé à démissionner.
Laissez la rue ... vous voyez ce que je veux dire. Sinon, il aura un bon
argument à présenter à ses patrons américains et français.
X : Donc on laisse la rue agir ?
Ghazali : C’est le mieux.
X : Allons-y. »

96. Un témoin d’origine syrienne résidant au Liban, qui prétend avoir travaillé
pour les services de renseignement syriens au Liban, a déclaré qu’environ deux
semaines après l’adoption de la résolution 1559 (2004) du Conseil de sécurité, de
hauts responsables libanais et syriens avaient décidé d’assassiner Rafic Hariri. Selon
le témoin, un responsable de la sécurité libanaise est allé plusieurs fois en
République arabe syrienne pour préparer le crime et a eu des rendez-vous une fois à
l’hôtel Méridien de Damas et plusieurs fois au palais présidentiel et dans le bureau
d’un haut responsable de la sécurité syrienne. La dernière réunion a eu lieu chez le
même responsable syrien 7 à 10 jours avant l’assassinat, en présence d’un autre
responsable de la sécurité libanaise. Le témoin avait des contacts étroits avec de
hauts responsables syriens en poste au Liban.

97. Au début de janvier 2005, un de ces responsables a déclaré au témoin que
Rafic Hariri posait un gros problème pour la Syrie. Environ un mois plus tard, le
responsable lui a dit qu’il y aurait bientôt un « tremblement de terre » qui réécrirait
l’histoire du Liban.

98. Le témoin s’est rendu dans plusieurs bases militaires syriennes au Liban. À
Hammana, il a observé à diverses reprises – les 11, 12 et 13 février 2005 – une
camionnette Mitsubishi dont la plate-forme arrière était recouverte d’une bâche
blanche. La Mitsubishi a quitté la base dans la matinée du 14 février. Cette
camionnette, qui a été utilisée pour transporter la bombe, était entrée au Liban le
21 janvier à 13 h 20 à partir de la République arabe syrienne, traversant la frontière
de la Bekaa par une voie réservée aux militaires. Elle était conduite par un colonel
syrien de la 10e division de l’armée de terre.

99. Le 13 février 2005, le témoin a conduit l’un des responsables syriens dans le
quartier Saint-Georges à Beyrouth, en mission de reconnaissance, comme il l’a
compris par la suite, après l’assassinat.

100. En ce qui concerne M. Abou Adas, le témoin a déclaré qu’il n’avait joué aucun
rôle dans le crime sinon en tant que comparse. Il avait été détenu en République
arabe syrienne et obligé sous la menace d’une arme d’enregistrer la cassette vidéo.
Ensuite, il avait été tué en Syrie. La vidéocassette a été envoyée à Beyrouth dans la
matinée du 14 février 2005 et remise au général Sayed. Un civil qui avait un casier
judiciaire et un fonctionnaire de la sûreté générale ont été chargés de cacher la
cassette à Hamra et d’appeler ensuite Ghassan Ben Jeddo, reporter à la télévision
d’Al-Jazira.

101. Selon le témoin, le général Sayed a étroitement collaboré avec le général
Moustapha Hamdane et le général Raymond Azar à la préparation de l’assassinat de
M. Hariri. Il a également assuré la coordination avec le général Ghazali (et, entre
autres, des gens de Ahmed Jibril au Liban). Le général Hamdane et le général Azar
ont assuré le soutien logistique, fournissant l’argent, les téléphones, les voitures, les
talkies-walkies, les beepers, les armes, les cartes d’identité, etc. Ceux qui avaient
connaissance du crime avant qu’il ne soit commis comptaient notamment Nasser
Kandil et le général Ali Al-Haj.

102. Quinze minutes avant l’assassinat, le témoin se trouvait dans les parages du
quartier Saint-Georges. Il a reçu un coup de téléphone de l’un des responsables
syriens qui lui a demandé où il se trouvait. Lorsqu’il a répondu, le responsable lui a
demandé de quitter immédiatement les lieux.

103. Un autre témoin a contacté la Commission et a déclaré qu’il avait rencontré le
général Hamdane à la mi-octobre 2004. Le général avait parlé dans des termes très
négatifs de M. Hariri, en l’accusant d’être pro-israélien. Il a terminé la conversation
en disant : « Nous allons l’envoyer en voyage, bye-bye Hariri ». Après l’assassinat,
il a été vivement conseillé au témoin de ne parler à personne de cette conversation.

104. Un autre « témoin », devenu par la suite un suspect, Zuhir Ibn Mohamed Said
Saddik, a donné à la Commission des informations détaillées sur le crime, en
particulier au sujet des préparatifs. On trouvera aux paragraphes 105 à 110 ci-après
les principaux points de la déposition de M. Saddik.

105. L’un des principaux éléments de la déposition de M. Saddik est un rapport
rédigé selon lui par Nasser Kandil. Suivant ce rapport, M. Hariri et Marouan
Hamadé s’étaient rencontrés en Sardaigne. À la fin du rapport, M. Kandil déclarait
qu’il faudrait prendre la décision d’éliminer M. Hariri. Il était chargé de préparer et
de mener une campagne visant à ruiner la réputation de M. Hariri sur le plan
religieux et journalistique. Le parti baas au Liban avait décidé de se débarrasser de
M. Hariri par tous les moyens possibles et de l’isoler puisque la tentative faite par le
Président Lahoud pour l’éliminer de la scène politique avait échoué.

106. M. Saddik a déclaré que la décision d’assassiner M. Hariri avait été prise en
République arabe syrienne et avait été suivie de réunions clandestines au Liban
entre hauts responsables libanais et syriens chargés de préparer l’exécution du
crime. Ces réunions ont commencé en juillet et ont duré jusqu’en décembre 2004.
Sept haut responsables syriens et quatre libanais auraient pris part au complot.

107. Les préparatifs ont commencé dans l’appartement de M. Saddik à Khaldeh et
se sont poursuivis dans un appartement à Dahiye, un quartier de Beyrouth. Certaines
personnes concernées se sont rendues aux alentours de l’hôtel St. George sous
différents déguisements et à divers moments afin de préparer l’assassinat.

108. M. Saddik a également donné des informations sur la camionnette Mitsubishi
et a indiqué que le conducteur désigné était un Iraquien à qui l’on avait fait croire
que la cible était le Premier Ministre iraquien Iyad Allaoui (qui se trouvait à
Beyrouth avant l’assassinat).

109. M. Saddik avait été informé que du TNT et des explosifs spéciaux avaient été
utilisés afin de diriger les soupçons vers des groupes extrémistes islamiques étant
donné que des explosifs de ce genre n’avaient été utilisés que lors d’opérations en
Iraq.

110. M. Saddik s’est rendu avec Abdel-Karim Abbas dans un camp à Zabadani. Il a
déclaré y avoir vu la camionnette Mitsubishi Canter : des mécaniciens y
travaillaient ; les côtés de la plate-forme du véhicule ainsi que les portes avaient été
élargis et remplis d’explosifs ; des explosifs avaient été également placés sous le
siège du conducteur. M. Saddik avait vu dans le camp un jeune homme qu’il avait
pu identifier comme étant M. Abou Adas après avoir vu la vidéo à la télévision le
14 février 2005.

111. Le 30 août 2005, la Commission a envoyé une lettre officielle à la République
arabe syrienne en posant des questions au sujet du camp de Zabadani. La réponse a
été remise personnellement au chef de la Commission à New York, confirmant
l’existence du camp mais niant qu’il ait été utilisé à d’autres fins que pour des
activités éducatives de jeunes. Toutefois, d’autres renseignements fournis à la
Commission indiquent que des activités se sont produites dans le camp entre le 5 et
le 9 septembre 2005 en vue de modifier les caractéristiques et les opérations du
camp. Des photographies prises par satellite montrent également l’existence de
hauts murs et de tours de guet dans la zone.

112. Le 26 septembre 2005, les enquêteurs de la Commission ont rencontré
M. Saddik. Le 27 septembre, M. Saddik a confessé dans un document manuscrit
qu’il avait participé aux préparatifs immédiats de l’assassinat (janvier et février
2005) et qu’il avait servi de chauffeur durant toute la journée du 14 février pour
plusieurs des suspects susmentionnés.

113. Par la suite, le 13 octobre 2005, à la suggestion de la Commission, le
Procureur général libanais a lancé un mandat d’arrêt contre M. Saddik, qui a été
arrêté le 16 octobre.

114. Au stade actuel de l’enquête, certaines informations fournies par M. Saddik ne
peuvent pas être confirmées par d’autres éléments.

115. L’épouse de M. Saddik a confirmé que, de juillet à décembre 2004, son mari
avait à diverses occasions rencontré beaucoup de gens chez eux à Khaldeh et dans
d’autres endroits. Il ne voulait pas qu’elle soit présente étant donné que ces
personnes ne tenaient pas à être identifiées. Elle a également confirmé que Dhafer
Al-Youssef, en compagnie de trois autres personnes qui lui étaient inconnues, leur
avait rendu visite.

116. Les aveux de M. Saddik au sujet de son implication directe dans l’attentat, qui
ont mené à son arrestation, renforcent sa crédibilité.

117. D’autres témoins ont informé la Commission que la veille de l’assassinat de
M. Hariri, le chef du groupe de protection rapprochée de M. Hariri (M. Yehya Al-
Arab, alias Abou Tareq, mort depuis) avait rencontré le général Ghazali. Il semble
que M. Al-Arab ait été profondément secoué par cette rencontre. Au lieu de faire
immédiatement rapport à M. Hariri comme à l’accoutumée, il est rentré chez lui, a
débranché son téléphone et n’a pas bougé pendant plusieurs heures. La version de
cette rencontre donnée par le général Ghazali n’est pas compatible avec les
renseignements donnés à la Commission par d’autres témoins.

Autres éléments à prendre en compte

118. Ce qu’il faut aussi garder à l’esprit en ce qui concerne les préparatifs de
l’attentat, c’est notamment les mesures de surveillance visant M. Hariri prises par
les Forces de sécurité intérieure et la mise sur table d’écoute des téléphones de
M. Hariri par le Renseignement militaire (voir la section intitulée Écoute
téléphonique de M. Hariri).

119. Une des premières mesures prises par le général Al-Haj après avoir été nommé
à la tête des Forces de sécurité intérieure a été de réduire de 40 à 8, en novembre
2004, le nombre de fonctionnaires des services de sécurité affectés à M. Hariri. La
raison invoquée était que le Président et le Premier Ministre lui avaient écrit pour lui
dire que la législation nationale devait être appliquée à tous les niveaux et en toutes
circonstances, et qu’un décret (no 3509 de 1993) fixait à huit personnes l’effectif à
affecter aux personnalités de la catégorie à laquelle appartenait M. Hariri. La
Commission n’a pas pu déterminer si la protection d’autres personnalités avait été
affectée par ce décret.

120. Il reste des activités menées avant l’explosion rue Minet el-Hosn, à Beyrouth,
sur lesquelles il faudrait pousser plus loin l’enquête, ce qui pourrait permettre
d’élucider certains détails concernant la phase des préparatifs et donc mener aux
coupables.

121. Il ressort de l’enquête que huit numéros de téléphone et 10 téléphones
portables ont été utilisés pour organiser la surveillance de M. Hariri et pour exécuter
son assassinat. Les lignes ont été ouvertes le 4 janvier 2005 au Liban-Nord, entre
Terbol et Menié. Elles ont été utilisées certains jours pour observer les habitudes de
M. Hariri, surtout dans Beyrouth.

122. Le 14 février 2005 à 11 heures, six des téléphones ont été utilisés dans une
zone délimitée par la Place du Parlement, l’hôtel St. George et les axes Zoqaq el-
Blat et Bachoura, depuis des points permettant d’observer tous les itinéraires entre
le Parlement et le palais de Koraytem. Quatre appels ont été effectués avec le
téléphone situé au Parlement à 12 h 53, heure à laquelle le convoi motorisé de
M. Hariri a quitté la place de l’Étoile, vers les autres téléphones. Les téléphones
n’ont pas été utilisés depuis 12 h 56, heure de l’explosion, et ils n’avaient jamais été
utilisés, depuis début janvier jusqu’au 14 février 2005, que pour communiquer entre
eux.

123. Compte tenu de tout cela, notamment de la conversation du 16 août 2004 qui a
déjà été évoquée, il est peu probable qu’un tiers aurait pu faire ce qu’il fallait pour
surveiller et écouter M. Hariri pendant plus d’un mois avant l’attentat et consacrer
les ressources et les moyens logistiques et autres nécessaires à la conception, à la
préparation et à l’exécution d’un crime de cette ampleur, sans que les autorités
libanaises compétentes s’en aperçoivent. Il s’agit notamment de l’achat, de la
manipulation et de l’entreposage d’une grande quantité d’explosif extrêmement
instable, du vol d’une camionnette Mitsubishi Canter, du recrutement des ressources
humaines voulues et de l’entretien d’une base pour les préparatifs.

Conclusion

124. Il y a de bonnes raisons de penser que la décision d’assassiner l’ancien
Premier Ministre Rafic Hariri n’aurait pas pu être prise sans l’approbation, au
plus haut niveau, de responsables syriens de la sécurité, ni son exécution
organisée sans la complicité de leurs homologues des services de sécurité
libanais.

Écoute téléphonique de M. Hariri

125. D’après un témoin, des agents des Forces de sécurité intérieure ont reçu
l’ordre de tenir M. Hariri sous surveillance fin janvier et début février 2005. La
Commission n’en a trouvé aucune trace au cours de son enquête.

126. Le colonel Ghassan Toufeili était chargé de la branche technique du Service
libanais du renseignement militaire, dont fait partie le service des
télécommunications – et des écoutes téléphoniques. Celles-ci visaient des
personnalités politiques et militaires et des personnes suspectes. Ce colonel avait
pour supérieur hiérarchique le général Raymond Azar, qui dirigeait le
Renseignement militaire et qui lui donnait ses ordres oralement plutôt que par écrit.
Plusieurs personnalités importantes – anciens présidents, premiers ministres et
députés – étaient sous écoute permanente. Bien que n’étant plus Premier Ministre au
début de 2005, M. Hariri était encore un personnage extrêmement important sur les
plans politique et économique, au Liban et au Moyen-Orient. Aussi était-il sur
écoute en permanence. Le service technique écoutait et enregistrait ses
conversations. Des fonctionnaires de la Sûreté générale assuraient le soutien de
l’unité militaire de Toufeili. Le général Azar et le chef de l’armée, le général Michel
Sleimane, recevaient chaque jour les comptes rendus. Le chef de la Sûreté générale
libanaise, Djamil Al-Sayed, les recevait également. D’après la déclaration du
colonel Toufeili, le général Azar les transmettait au Président de la République
libanaise et au général Ghazalé, chef du Service syrien du renseignement militaire
au Liban.

127. Le colonel Toufeili a indiqué que la Brigade de la Garde républicaine avait
aussi son propre service d’écoute téléphonique.

Conclusion

128. Les lignes téléphoniques de M. Hariri étant constamment sous écoute, les
services de sécurité et de renseignement syriens et libanais étaient au courant
de ses déplacements et de ses rencontres.

Travaux d’entretien de la chaussée

129. La Commission a aussi cherché à savoir si on avait creusé sous la chaussée
devant l’hôtel St. George dans les jours ou les semaines qui ont précédé l’assassinat.
Il a été suggéré que des travaux inhabituels, avec pose de barrières en fil de fer et
ouverture de bouches d’égout, auraient été effectués sur la chaussée devant l’hôtel
peu avant l’attentat, ce qui signifie que des individus participant au complot auraient
eu la possibilité de poser une bombe ou un engin explosif télécommandé sous la
chaussée et de provoquer ainsi l’explosion.

130. D’après les registres municipaux, les dernières autorisations de travaux dans
les parages du lieu du crime délivrées avant l’explosion l’ont été en janvier 2005.
Par exemple, du 3 au 8 janvier 2005, la compagnie des eaux de Beyrouth a été
autorisée à creuser à la recherche d’une conduite et à creuser sous les principales
artères autour de l’hôtel St. George. Ogero, la société de télécommunication, a été
autorisée à poser un câble entre le 13 et le 20 janvier 2005. Cependant, certains
témoins ont dit qu’il se pouvait qu’en fait il y ait eu des travaux dans l’espace situé
devant l’hôtel moins longtemps avant l’explosion, y compris la veille. Par exemple,
un chauffeur de taxi a déclaré avoir déposé deux passagers à l’hôtel Phoenicia le
12 février 2005, vers 6 h 15. Lorsqu’il a tourné à gauche pour s’engager dans la rue
Minet el-Hosn, il s’est rendu compte que la rue était coupée juste devant l’hôtel
St. George, en face de la banque HSBC, qu’il y avait des travaux, comme en
témoignaient notamment deux bouches d’égout ouvertes devant le St. George, et
qu’il se trouvait là des ouvriers et des militaires. Un autre témoin a remarqué que
l’installation des câbles téléphoniques avait commencé à la marina, où il travaillait,
mais qu’ils n’étaient pas en service, n’ayant pas été reliés à un câble extérieur, et
qu’aucun câble n’était connecté pour les téléviseurs et les ordinateurs. Une autre
personne a indiqué que le dimanche après-midi, veille de l’explosion, son épouse et
lui s’étaient dirigés vers le lieu de l’explosion et avaient vu trois personnes
travaillant au milieu de la chaussée et faisant descendre dans un trou creusé près de
l’hôtel St. George quelque chose qui semblait être une palette ; ils avaient aussi
remarqué deux câbles noirs d’un peu plus de 1 cm de diamètre, qui allaient du trou à
l’hôtel. En revanche, d’autres témoins étaient certains qu’il n’y avait pas eu de
travaux dans les parages les jours qui ont précédé l’explosion.

Conclusion

131. La question de savoir si on a creusé devant l’hôtel St. George reste
ouverte ; la Commission n’est pas parvenue à aller plus loin que les souvenirs de
certains témoins, qu’il a été impossible de confirmer. Il reste néanmoins qu’il
semble ressortir clairement de l’examen des archives municipales que si on a
creusé à une date proche de celle du crime, c’est sans autorisation de la ville.

Exécution de l’attentat

132. Une agence de la banque HSBC se trouve près du lieu de l’explosion. Elle
avait son propre système de surveillance par télévision en circuit fermé, qui a
enregistré le passage du cortège de M. Hariri juste avant l’explosion, mais pas
l’explosion elle-même. En examinant de très près l’enregistrement, on y voit une
camionnette blanche Mitsubishi Canter entrer dans la zone de l’explosion peu avant
le cortège de M. Hariri.

133. On voyait très bien sur l’enregistrement que cette camionnette se déplaçait à
peu près six fois moins vite que tous les autres véhicules parcourant le même
chemin. En faisant une analyse chronologique, on s’est aperçu qu’alors qu’une
voiture normale parcourait la cinquantaine de mètres que couvrait le champ de la
caméra en 3 ou 4 secondes et un gros camion en 5 ou 6 secondes, la camionnette
Mitsubishi a mis environ 22 secondes à parcourir cette distance, après être entrée
dans le champ 1 minute 49 secondes avant le convoi de M. Hariri.

134. Grâce à des échantillons recueillis sur les lieux du crime et à des analyses de
police scientifique et technique, on a réussi à identifier la camionnette Mitsubishi.
Au vu d’une partie du bloc moteur trouvé sur les lieux, on a pu déterminer qu’il
s’agissait d’un véhicule volé le 12 octobre 2004 à Sagamihara, au Japon.

135. La Commission a interrogé tous les survivants du cortège de M. Hariri, les
témoins oculaires qui étaient sur les lieux et dans les alentours immédiats, ainsi que
les commerçants, employés, marchands, habitants, etc., du quartier.

136. Aucun n’avait rien remarqué d’inhabituel le 14 février 2005, ni rue Minet el-
Hosn ni dans les environs immédiats, par rapport aux activités qui y sont menées
normalement.

137. Une des grandes questions à régler, pour la Commission, était de savoir
comment on avait su que M. Hariri passerait par le littoral pour rentrer au palais de
Koraytem après son rendez-vous au Parlement.

138. Tout le monde pouvait savoir que M. Hariri assisterait à une réunion
préélectorale au Parlement ce matin-là. On savait aussi qu’il retournerait ensuite au
palais de Koraytem, puisqu’il y avait invité plus de 20 personnes à déjeuner.

139. Pour revenir de la place de l’Étoile au palais de Koraytem, il y avait trois
itinéraires possibles. La décision de passer par le littoral a été prise par un des
responsables de la garde privée de M. Hariri juste avant le départ et communiquée à
la voiture de tête, mais il avait déjà été prévu le matin que ce serait le chemin à
prendre si le convoi pouvait retourner au palais avant 14 heures. Si ce n’avait pas
été le cas, un autre itinéraire aurait été choisi. Le convoi a quitté la place de l’Étoile
pour emprunter la rue Ahdab et la rue Foch. Au coin de la rue Foch et de la rue du
Port, il a été retardé plusieurs minutes par quelque chose qui bloquait la circulation.
À cette intersection, il a tourné à gauche et pris la route du Littoral vers Aïn
Mreyssé et l’hôtel St. George.

140. Le convoi était formé de six voitures. La première, un Land Cruiser Toyota,
avait à son bord quatre agents des Forces de sécurité intérieure ; la deuxième était
une Mercedes 500 S avec à son bord trois gardes du corps appartenant à la garde
privée de M. Hariri ; la troisième était une Mercedes blindée conduite par M. Hariri,
avec M. Fleyhane comme passager ; les quatrième et cinquième étaient des Mercedes
500 S, dont chacune avait à son bord trois gardes du corps appartenant à la garde
privée de M. Hariri et qui roulaient à côté de la troisième ; la dernière était une
ambulance Chevrolet entièrement équipée avec à son bord trois employés de
M. Hariri, dont deux ambulanciers secouristes. Les deuxième, quatrième et
cinquième voitures étaient dotées d’appareils de brouillage en état de marche et en
fonctionnement.

141. Lorsque le convoi est passé devant l’hôtel St. George au coin de la rue Minet
el-Hosn, à 12 heures 56, il s’est produit une énorme explosion qui a tué M. Hariri et
21 autres personnes. Elle a aussi fait plus de 220 blessés et gravement endommagé
les immeubles et les véhicules se trouvant à proximité. M. Hariri a été transporté à
l’hôpital de l’Université américaine, où son corps a été identifié et la cause du décès
déclarée être une blessure au cerveau ayant entraîné un arrêt cardiaque.

142. Une Opel qui avait suivi le convoi de la place de l’Étoile au coin de la rue
Foch et de la rue du Port n’a pas été identifiée. Il convient de noter qu’après que le
convoi avait été retardé à un carrefour à trois branches il avait fait un petit bout de
chemin à contresens dans une rue à sens unique, de la place de l’Étoile à la rue
Foch, suivi par l’Opel. La Commission n’a pas réussi à élucider la cause qui a fait
que le convoi a été retardé audit carrefour.

143. Il est constaté dans le rapport FitzGerald (S/2005/203) que M. Hariri avait pris
la route du Littoral six fois au cours des trois mois qui ont précédé l’attentat, mais il
ne faut pas oublier que pendant cette période il était apparu moins de 10 fois en
public à Beyrouth.

144. La Commission n’a rien trouvé qui indique qu’il y ait eu des fuites provenant
du personnel de M. Hariri qui travaillait dans son entourage, ni des complices parmi
les membres de ce personnel. En revanche, elle a établi que M. Hariri avait été
surveillé pendant au moins un mois avant l’explosion, par des gens qui préparaient
l’attentat (voir la section intitulée Écoute téléphonique de M. Hariri).

145. Les insuffisances des premières mesures prises par les autorités libanaises et
l’altération des moyens de preuve pendant le premier examen des lieux du crime ont
gêné la détermination du type d’explosif employé. Les premiers échantillons de
résidus recueillis ont été analysés dans un « itemizer », appareil qui donne
uniquement une indication de la nature de l’explosif. En l’occurrence, il s’agissait
de TNT, mais les échantillons n’ont été soumis à aucune analyse de laboratoire de
police scientifique. Cela a gêné l’enquête, puisqu’il a été impossible de remonter à
la source des explosifs, piste qui aurait ensuite pu mener aux coupables.

146. D’autre part, on n’a saisi les enregistrements d’aucun système de surveillance
par télévision en circuit fermé dans le quartier, autres que celui de la banque HSBC.
Il se peut que cet acte de négligence ait empêché d’exploiter des éléments
importants.

Conclusion

147. Il n’aurait pas été difficile pour des individus en dehors de l’entourage
direct de M. Hariri de prédire quel chemin son convoi suivrait le 14 février
2005. C’est la camionnette Mitsubishi Canter filmée par le système de sécurité
de la banque HSBC qui transportait les explosifs. Du fait que les autorités
libanaises ont négligé de prendre les mesures voulues en matière d’enquête et
de procéder à un examen complet des lieux du crime, de manière
professionnelle et immédiatement après l’explosion, il est difficile de trouver les
réponses à des questions essentielles concernant l’exécution de l’attentat, par
exemple savoir quel a été le type d’explosif employé, et des indices importants,
par exemple ceux qu’on aurait pu trouver dans les enregistrements de télévision
en circuit fermé, ont peut-être été perdus.

Utilisation de cartes téléphoniques prépayées

148. Les enquêtes menées par les Forces de sécurité intérieure et par le
Renseignement militaire ont toutes mené à six cartes de téléphone prépayées dont
les relevés des appels montrent qu’elles ont tenu une place déterminante dans la
préparation de l’assassinat. Il en ressort en effet qu’à partir d’environ 11 heures le
14 février 2005, les téléphones portables utilisés avec ces cartes se trouvaient entre
la place de l’Étoile et l’hôtel St. George, à quelques rues les uns des autres, et de
nombreux appels ont été faits de l’un à l’autre et uniquement entre ces appareils. Ils
étaient positionnés de manière à couvrir tous les itinéraires possibles entre le
Parlement et le Palais de Koraytem. Les relevés indiquent donc que les utilisateurs
de ces téléphones étaient placés de manière à pouvoir surveiller le cheminement de
M. Hariri, quel que soit le chemin qu’il ait pu prendre ce jour-là. L’un d’eux, posté
près du Parlement, a appelé quatre autres portables à 12 h 53, heure à laquelle le
convoi a quitté la place de l’Étoile. Les appels et l’utilisation des cartes ont cessé à
12 h 53 le 14 février, quelques minutes à peine avant l’explosion, et les lignes n’ont
jamais plus été utilisées depuis.

149. La suite de l’enquête a révélé que ces six lignes (ainsi que deux autres) avaient
été activées le 4 janvier 2005 en appelant le 1456. Dans tous les cas, l’appel
provenait du même lieu, dans le Liban-Nord entre Terbol et Minié. Entre leur achat,
début janvier 2005, et le moment de l’explosion, il n’y a eu d’appels sur ces lignes
qu’entre elles. Dans le même temps, jusqu’à l’assassinat, il semble y avoir une
corrélation entre l’emplacement des appareils et les déplacements de M. Hariri, ce
qui pourrait signifier que les téléphones ont été utilisés pour surveiller ces
déplacements.

150. En concertation avec les autorités libanaises, la Commission a poussé plus loin
l’enquête sur l’origine de ces lignes téléphoniques. Les six cartes prépayées, ainsi
que quatre autres, venaient d’un magasin à Beyrouth appelé Powergroup Company,
qui appartenait à un membre réputé actif des Ahbash entretenant des liens étroits
avec le cheikh Ahmed Abdel-Al. D’après les dossiers de la société, les lignes
avaient été mises à la disposition de la succursale du magasin à Tripoli. Un des
employés de ce dernier a indiqué qu’il avait reçu, le 30 décembre 2004, un appel de
Raed Fakhreddine, propriétaire d’un autre magasin de téléphones portables à Tripoli
et neveu de Tarek Ismat Fakhreddine, homme d’affaires en vue et conseiller de
l’ancien Premier Ministre du Liban, Omar Karamé. Raed Fakhreddine aurait voulu
acheter d’urgence 10 cartes prépayées ; l’employé du magasin de Tripoli a remarqué
que cette demande était en soi inhabituelle, vu que cet individu n’avait pas coutume
d’acheter des lignes dans son magasin et ne commerçait généralement avec lui que
pour lui acheter des téléphones mobiles. Le porteur a dit à la Commission qu’il avait
payé 700 dollars des États-Unis pour l’achat des 10 lignes à l’intention de Raed
Fakhreddine. Les formulaires obligatoires aux yeux de la loi pour l’achat de lignes
de téléphone portable n’ont pas été remplis le jour même, mais plus de deux
semaines plus tard, le 12 janvier 2005. Les papiers exigés pour l’achat que Raed
Fakhreddine a présentés se sont révélés être des faux. Le 14 septembre 2005, les
Forces de sécurité intérieure l’ont arrêté en même temps que d’autres personnes
ayant trempé dans l’acheminement et la vente des cartes téléphoniques. Par la suite,
la Commission a interrogé Raed Fakhreddine en tant que suspect. Tout en
reconnaissant avoir acheté les lignes, celui-ci a nié toute connaissance de
l’utilisation des six lignes dans le cadre de l’assassinat de M. Hariri.

151. Sur les 10 téléphones portables utilisés avec ces 10 cartes téléphoniques, il a
été établi que 5 venaient d’un magasin à Tripoli.

Conclusion

152. L’investigation concernant les cartes téléphoniques prépayées est une des
pistes les plus importantes de l’enquête pour ce qui est de savoir concrètement
qui était sur le terrain pour exécuter l’assassinat. Il faut qu’elle soit poussée
jusqu’au bout.

Appareils de brouillage

153. Trois des véhicules du convoi de M. Hariri étaient équipés d’appareils de
brouillage destinés à déformer le signal d’un engin explosif improvisé
télécommandé.

154. Quelqu’un a indiqué à la Commission qu’un collaborateur de confiance de
M. Hariri avait touché à ces appareils avant l’explosion, mais elle n’a pas pu
corroborer cette information. D’ailleurs, tous les éléments dont on dispose indiquent
que les appareils étaient en bon état de marche au moment de l’assassinat. Les
responsables de leur entretien ont dit qu’ils les vérifiaient à fond tous les trois mois,
que cela avait été fait pour la dernière fois début janvier 2005 et qu’on n’avait
relevé aucun problème. En outre, un des gardes du corps de M. Hariri avait examiné
le système de brouillage deux jours avant l’explosion et l’avait trouvé en bon état de
marche. Un des trois appareils a été complètement détruit par l’explosion, un a été
retrouvé et est gardé comme preuve et le troisième fonctionne encore : on l’a essayé,
et il fonctionne correctement. D’autre part, les experts en explosifs néerlandais ont
conclu dans leur rapport sur les deux appareils qui avaient été retrouvés que celui
qui était intact était en état de marche au moment de l’assassinat. Enfin, les sociétés
de télécommunication MTC Touch et Alfa ont indiqué que leurs réseaux avaient été
perturbés environ de midi à 13 heures, le 14 février, entre la place de l’Étoile et
l’hôtel St. George. Les enquêteurs de la Commission ont procédé à une
reconstitution le 19 août 2005, avec la collaboration des deux sociétés, en utilisant
trois véhicules semblables à ceux du convoi de M. Hariri, équipés des mêmes
appareils de brouillage et en empruntant le même chemin que le convoi, de la place
de l’Étoile à l’hôtel St. George. Cette reconstitution a temporairement perturbé les
télécommunications, de manière à peu près semblable à ce qui avait été observé le
14 février, même compte tenu d’autres facteurs qui pourraient avoir eu un effet sur
les télécommunications dans le quartier. On peut donc supposer qu’au moins un des
trois appareils était à la fois en état de marche et en fonctionnement au moment de
l’explosion.

155. Au moins un brouilleur était donc en fonctionnement, mais l’enquête a révélé
qu’il y avait des moyens de déjouer ces appareils, de les déborder ou d’y échapper.
Les possibilités sont par exemple les suivantes : un attentat-suicide à la bombe ; une
explosion déclenchée sans fil en utilisant des fréquences différentes de celles des
brouilleurs, ou au contraire les mêmes ; une explosion déclenchée sans fil au moyen
des brouilleurs eux-mêmes ; une explosion déclenchée sans fil au moyen d’un
téléphone par satellite de Thuraya, la seule compagnie de téléphone offrant des
liaisons satellite sur le territoire libanais ; une explosion déclenchée au moyen d’un
cordeau détonnant ; une explosion déclenchée au moyen d’une autre sorte de câble,
par exemple un câble téléphonique installé sur place, comme cordeau de mise à feu.
Compte tenu des investigations menées à ce jour, plus précisément des résultats de
l’analyse effectuée sur le lieu du crime par la police scientifique néerlandaise, il
paraît possible à la Commission que l’explosion ait été le fait d’un kamikaze, mais il
n’en reste pas moins que les autres possibilités méritent d’être étudiées plus avant
pour savoir s’il était possible d’y recourir seules ou en même temps qu’à un
kamikaze.

Conclusion

156. Il semble que les brouilleurs du convoi de M. Hariri étaient en état de
marche et en fonctionnement le 14 février au moment de l’explosion. La suite
de l’enquête permettra peut-être d’en savoir plus sur le moyen utilisé pour
mettre à feu l’engin explosif.

Interférences avec les télécommunications au centre-ville

157. Il a été indiqué à la Commission que l’antenne de télécommunication qui
dessert le quartier de Riad el-Solh, dans lequel se trouve le lieu du crime, avait subi
des interférences le 14 février 2005 entre 9 heures et 14 heures. La question a été
étudiée avec le Ministère des télécommunications. L’information a été confirmée
grâce à des renseignements donnés par l’entreprise de télécommunication MTC
Touch. De ce fait, les communications des utilisateurs de téléphone mobile qui se
trouvaient dans le secteur ne pouvaient pas passer par cette antenne, et elles étaient
détournées sur d’autres. Jusqu’à présent, on n’a pas trouvé d’indice montrant
clairement que c’était le résultat d’une manipulation effectuée par le personnel de la
société, mais l’hypothèse ne peut pas être complètement exclue. Il reste également
possible que quelqu’un d’extérieur à l’entreprise, ou une organisation criminelle,
une société ou une autorité quelconques, ait réussi à créer ces interférences, par
exemple avec un appareil mobile. D’autre part, on ne peut pas exclure qu’il y ait un
rapport direct entre ces interférences et l’assassinat.

Conclusion

158. Il semble qu’une antenne de télécommunication du quartier du lieu du
crime ait subi des interférences. C’est un aspect de l’enquête qu’il convient de
creuser à fond.

Lieu de l’attentat

159. Les autorités libanaises n’avaient pas procédé à un examen systématique du
lieu de l’attentat avant la mise en place de la Commission. Un tel examen étant
fondamental dans toute enquête criminelle, la Commission a jugé nécessaire de
demander aux États Membres de l’ONU de l’aider en détachant des experts en vue
de déterminer, avant tout, si l’explosion avait été souterraine ou avait eu lieu en
surface.

Équipe de police scientifique et technique allemande

160. Le 6 juillet 2005, l’équipe de police scientifique et technique allemande,
composée de quatre spécialistes de l’analyse scientifique et technique, a remis à la
Commission son rapport, dont les principales conclusions sont les suivantes :
Les constatations et conclusions de l’équipe d’experts suisse semblent
pleinement fondées. Compte tenu de la dispersion des pièces du camion
Mitsubishi Canter que l’on a retrouvées, il est vraisemblable que ce véhicule a
joué un rôle important dans le déroulement des événements et a sans doute été
utilisé pour transporter la bombe.
Après expertise et examen de tous les faits, la conclusion la plus
probable est qu’il y a eu explosion en surface. Si tel est bien le cas, la charge
explosive devait être d’une tonne environ. L’explosif utilisé devait être
extrêmement puissant. L’analyse d’un échantillon A prélevé sur les murs du
cratère montre qu’il s’agissait de TNT. Mais ce résultat ayant été obtenu alors
qu’aucun expert de la Mission d’établissement des faits de l’ONU au Liban
n’était présent, il doit être considéré comme préliminaire et non définitif. Au
cours des travaux que nous avons menés sur le lieu de l’attentat, nous n’avons
pu trouver aucun indice concernant le type de détonateur utilisé.

Équipe de police scientifique et technique hollandaise

161. Au cours de la période du 12 août au 25 septembre 2005, une équipe de police
scientifique et technique hollandaise a examiné le lieu principal de l’attentat et les
zones périphériques présentant un intérêt. L’équipe hollandaise était composée de
sept experts spécialisés dans les enquêtes menées à la suite d’explosions. L’analyse
scientifique du lieu de l’explosion avait pour objet de trouver des indices matériels
permettant de déterminer le type d’engin explosif utilisé. Toutefois, l’examen du
lieu d’un attentat près de six mois après sa survenance n’est pas pratique courante.
En outre, on sait que le lieu de l’attentat avait subi un certain nombre de
modifications. De tels facteurs réduisent sérieusement la validité des conclusions
que l’on peut tirer de l’analyse des éléments trouvés sur place. On ne peut jamais
exclure la possibilité que des éléments trouvés sur le lieu de l’attentat aient été
manipulés ou y aient été placés intentionnellement. Malgré tout, l’équipe a estimé
qu’il serait utile de procéder à une fouille systématique du lieu, car il y avait des
chances que certaines parties de la zone concernée soient restées en l’état. C’était
notamment le cas des étages supérieurs des hôtels Byblos et St. George. D’après les
Forces de sécurité intérieure, la zone de l’attentat a été entourée d’un cordon de
sécurité le 15 février 2005 et est depuis lors gardée 24 heures sur 24.

162. Lors de l’enquête qu’elle a menée sur le lieu de l’attentat, l’équipe de police
scientifique et technique hollandaise a reçu l’aide de nombreuses personnes,
notamment de membres de la police scientifique et technique des Forces de sécurité
intérieure, d’une équipe de plongeurs britanniques, d’un expert français en
explosifs, d’un spécialiste de police scientifique et technique nord-irlandais, d’un
ingénieur allemand spécialisé dans les dispositifs de brouillage, d’une équipe
japonaise d’enquêteurs de police scientifique et technique, d’un expert en
automobiles allemand, d’un expert en automobiles hollandais et de plusieurs
spécialistes libanais.

163. Un rapport cohérent et complet sur les constatations et les résultats de
l’enquête menée sur le lieu de l’attentat a été remis à la Commission. Les quatre
principales conclusions de ce rapport de 87 pages sont les suivantes :
a) Mise à feu d’explosifs de grande puissance. Les dégâts subis par les
bâtiments, véhicules, lampadaires et autres objets situés à proximité du lieu de
l’explosion montrent qu’une forte charge d’explosifs de grande puissance a été mise
à feu sur le côté gauche de l’entrée principale de l’hôtel St. George, rue Minet
el-Hosn. La détonation a mis le feu à de nombreux véhicules dans un rayon de 20 à
30 mètres autour du centre de la déflagration. Le type de dégâts constatés montre
qu’il y a eu une seule explosion d’une charge explosive de grande puissance.
b) Véhicule Mitsubishi Canter. D’après l’analyse des indices matériels
recueillis, notamment des restes humains identifiés par l’expert médico-légal
libanais, de l’enregistrement de vidéosurveillance de l’agence HSBC et des dégâts
subis par les véhicules garés dans la rue, l’hypothèse la plus vraisemblable est qu’un
fourgon Mitsubishi Canter contenant l’engin explosif improvisé a été déclenché
lorsque le convoi de six véhicules transportant M. Hariri est arrivé à sa hauteur. Le
numéro gravé sur le moteur du fourgon Mitsubishi Canter, qui faisait partie des
débris récupérés sur le lieu de l’attentat, a permis de retrouver le numéro
d’immatriculation et l’année de fabrication du véhicule.
On n’a en revanche trouvé aucune trace des composants de l’engin explosif
parmi les débris, en dehors des pièces du véhicule Mitsubishi Canter dans lequel
l’engin était placé, ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu de la puissance de
l’explosion et de la taille de la charge explosive. Quelques morceaux de circuits
imprimés endommagés, qui pourraient faire partie du mécanisme de mise à feu, ont
été recueillis. Toutefois, il faudra les faire examiner par des experts en électronique
si l’on veut avoir une idée du rôle qu’ils ont joué.
c) Emplacement des véhicules du convoi et du véhicule piégé. Lorsque
l’engin explosif a été déclenché, le fourgon Mitsubishi Canter était garé presque
dans l’alignement des autres véhicules garés le long du trottoir en face de l’hôtel
St. George, l’avant du véhicule dirigé vers l’ouest. Il n’était pas tout à fait aligné sur
les autres véhicules si l’on en juge par l’impact de la déflagration sur le véhicule le
plus sérieusement endommagé, une Ford rouge qui était vraisemblablement garée
devant le Mitsubishi. Le côté arrière gauche de la Ford rouge a été la partie du
véhicule la plus endommagée par l’explosion, ce qui signifie que le Mitsubishi
n’était pas garé tout à fait dans l’alignement de la Ford rouge.
Parmi les six véhicules du convoi, celui qui se trouvait le plus près du centre
de la déflagration au moment de l’explosion était la Mercedes noire portant le
numéro 404. Les dégâts subis par ce véhicule montrent que l’engin a explosé sur sa
droite, ce qui signifie que la Mercedes noire se trouvait très vraisemblablement à la
hauteur du Mitsubishi. D’après le type de dommages subis par les véhicules du
convoi, on peut dire que les véhicules 401, 402 et 403 (à bord duquel se trouvaient
MM. Hariri et Fleyhan) venaient de dépasser le Mitsubishi lorsque l’explosion a eu
lieu. La partie avant droite des véhicules 405 et 406 a subi les dommages les plus
graves, ce qui signifie que ces véhicules n’avaient pas encore dépassé le Mitsubishi
au moment de l’explosion.
d) Mécanisme de déclenchement de l’engin explosif. D’après les éléments
matériels présentés dans ce rapport et compte tenu du fait qu’on n’a trouvé qu’une
petite quantité de restes humains appartenant à une personne non identifiée, mais
aucun reste d’une certaine taille tel que jambe, pied ou avant-bras, l’hypothèse la
plus probable est que l’engin explosif a été déclenché par un kamikaze. Une autre
hypothèse, qui semble toutefois moins vraisemblable, est que la mise à feu aurait pu
être télécommandée. Toutefois, on n’a retrouvé aucune trace d’un dispositif de
détonation à distance sur le lieu de l’attentat.

Équipe de police scientifique et technique britannique

164. Le 5 septembre 2005, l’équipe de police scientifique et technique britannique a
remis son rapport à la Commission. L’équipe britannique, qui était composée de sept
experts, avait pour tâche de faire des recherches dans les fonds marins et la marina
jouxtant le lieu de l’explosion. L’équipe britannique a été assistée dans sa tâche par
des plongeurs de l’équipe de lutte contre l’incendie et de sauvetage de la Défense
civile libanaise. Quarante articles ont été recueillis et saisis au cours des fouilles
sous-marines, dont la grande majorité étaient des pièces de véhicules.

Équipe de police scientifique et technique japonaise

165. Le 27 septembre 2005, l’équipe japonaise a présenté son rapport à la
Commission. L’équipe, qui était composée de trois experts de police scientifique et
technique et d’un interprète, avait pour tâche d’identifier le fourgon Mitsubishi
Canter.

166. Les experts japonais ont examiné toutes les pièces retrouvées sur le lieu de
l’attentat et en ont conservé 69 dont ils pensaient qu’elles pouvaient provenir du
Mitsubishi Canter. Sur ces 69 pièces, 44 ont été identifiées comme provenant du
véhicule Canter fabriqué par la société japonaise Mitsubishi Fuso.

167. Le fourgon Mitsubishi Canter a été identifié ; il s’agit d’un véhicule qui avait
été volé à Sagamihara (Japon) le 12 octobre 2004.

Équipe d’experts nord-irlandais et français spécialisés
dans les engins explosifs improvisés

168. Les experts ont souscrit aux observations et conclusions de l’équipe de police
scientifique et technique hollandaise.

Conclusion

169. L’explosion qui a tué M. Hariri et 22 autres personnes a eu lieu en surface.
Une charge d’explosifs militaires d’au moins une tonne a été utilisée à cette fin.

Après l’attentat : analyse et évaluation

170. La Commission a déployé d’importants moyens pour retracer le parcours de
M. Hariri, ses déplacements et ses faits et gestes avant l’explosion, ainsi que
d’autres événements, afin de trouver le mobile du meurtre et les raisons qui ont pu
le motiver.

171. La Commission a interrogé les parents, les employés, les amis, les associés et
les collègues de M. Hariri. Ces efforts n’ont guère abouti qu’à éclaircir les raisons
qui avaient poussé M. Hariri à démissionner de son poste de Premier Ministre.

172. Les renseignements recueillis confirment qu’il existait une relation tendue
entre M. Hariri d’une part, et le Président Lahoud et les autorités syriennes, d’autre
part. D’autres éléments viennent étayer cette thèse, notamment la conversation
téléphonique entre le général Ghazali et un haut responsable libanais le 19 juillet
2004, la conversation entre le Président al-Assad et M. Hariri le 26 août 2004, la
démarche entreprise en République arabe syrienne auprès de M. Hariri en octobrenovembre
2004 par Yehya Al-Arab, Wissam El-Hassan et Salim Diab, l’engageant à
renforcer sa protection en raison des tensions politiques, et la réponse de M. Hariri
affirmant : « ils n’oseront pas me toucher » ; la réunion entre le général Ghazali et
Yehya Al-Arab le 13 février 2005 ; et la réaction des autorités libanaises lors de la
distribution d’huile d’olive en février 2005.

173. La Commission a interrogé tous les acteurs clefs parmi les autorités libanaises
compétentes ainsi que leurs experts qui avaient participé aux premières étapes de
l’enquête. Au début de l’enquête, tous prétendaient ne pas avoir eu la moindre idée
que quelque chose se tramait contre M. Hariri et que sa vie était en danger. À l’issue
des travaux qu’elle a menés dans le laps de temps limité dont elle disposait, la
Commission est arrivée à une conclusion diamétralement opposée. Il y avait, autour
de M. Hariri, un certain nombre de signes avant-coureurs des menaces à sa sécurité,
suite aux événements qui s’étaient produits au cours du deuxième semestre 2004 et
compte tenu, en particulier, des attentats à la bombe qui avaient déjà été perpétrés
contre certaines personnes au Liban.

174. Le 30 août 2005, les autorités libanaises ont arrêté et placé en détention quatre
hauts responsables des services de sécurité et de renseignement libanais, en vertu de
mandats d’arrêt délivrés par le Procureur général du Liban. Celui-ci avait agi sur la
base de recommandations de la Commission selon lesquelles il y avait des motifs
raisonnables et suffisants qui justifiaient leur arrestation et leur détention pour
complicité de meurtre dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Il s’agit du
général Djamil Al Sayed, ancien Directeur général de la Sûreté générale ; du général
Ali Al-Haj, ancien responsable des Forces de sécurité intérieure ; du général
Raymond Azar, ancien responsable des services du renseignement militaire ; et du
général Mustapha Hamdan, commandant de la Garde présidentielle.

175. Tous les quatre ont été interrogés par la Commission en présence d’un avocat.
Chacun continue de nier avoir participé de quelque façon que ce soit à la préparation
ou à l’exécution de l’assassinat de Rafic Hariri, avoir eu connaissance avant
l’attentat de l’existence d’un complot, ou avoir mené ou ordonné toute action visant
à entraver l’enquête après coup.

176. Comme dans toute enquête, la Commission a pris pour points de départ la
victime, le lieu de l’attentat et les témoins. En outre, la Commission a mené les cinq
enquêtes subsidiaires ci-après.

1. Ahmed Abou Adas

177. L’enquête menée par la Commission sur Abou Adas avait pour objet de
retrouver sa trace et d’évaluer la probabilité qu’il ait commis l’attentat-suicide
qu’on lui a imputé.

178. La Commission n’a pas été en mesure d’interroger le père de M. Abou Adas,
qui avait été interrogé par les autorités libanaises le 14 février 2005. Il est en effet
décédé le 7 mars 2005 peu de temps après avoir comparu devant le juge
d’instruction.

179. La mère de M. Abou Adas, Nehad Moussa, a été interrogée par la Commission
le 7 juillet 2005. Elle avait auparavant été interrogée au moins quatre fois par les
autorités libanaises, la première fois le 14 février 2005. Elle avait aussi été détenue
illégalement, ainsi que le père de M. Abou Adas, Tayssir, pendant une dizaine de
jours. Elle a déclaré à la Commission qu’elle avait relaté ce qui suit aux autorités
libanaises : M. Abou Adas avait disparu le 16 janvier 2005 et n’avait pas donné
signe de vie depuis. Début janvier 2005, M. Abou Adas lui avait expliqué qu’il avait
rencontré un certain « Mohammed », qui désirait se convertir à l’Islam – il était
chrétien – et que M. Abou Adas aidait. Selon M. Abou Adas, Mohammed, qui
semblait être riche, disparaissait de temps à autre pendant une huitaine de jours. Le
soir du samedi 15 janvier 2005, après l’une de ces disparitions, Mohammed a appelé
M. Abou Adas à leur domicile, pour lui dire qu’il passerait le prendre le lendemain
matin et qu’il avait une surprise pour lui. M. Abou Adas est parti avec Mohammed
le dimanche 16 janvier 2005 en promettant à sa mère qu’il ne serait absent que
quelques heures, car il lui avait promis de l’aider à nettoyer un grand tapis. M. Abou
Adas n’est jamais rentré. Le lundi matin, la mère de M. Abou Adas a reçu un appel
d’une personne qui lui a dit de ne pas s’inquiéter pour Ahmed, qui se trouvait à
Tripoli où leur véhicule était tombé en panne. Ils attendaient simplement que le
véhicule soit réparé. Mme Moussa a compris qu’il s’agissait de « Mohammed »,
auquel elle avait parlé au téléphone deux jours plus tôt. Elle a demandé à parler à
son fils, mais son interlocuteur lui a dit qu’il appelait du garage alors que son fils
l’attendait dans une maison où il n’y avait pas de téléphone. Il a ajouté que son fils
serait de retour à temps pour l’aider à nettoyer le tapis. Le même jour, vers
21 heures, elle a reçu un autre appel dudit « Mohammed », qui lui a cette fois
déclaré qu’ils n’avaient eu ni accident ni panne, mais que M. Abou Adas avait
l’intention de se rendre en Iraq et ne reviendrait pas. Lorsque Mme Moussa a
exprimé sa surprise et déclaré que son fils n’avait jamais manifesté un tel intérêt
auparavant, son interlocuteur lui a dit qu’il essaierait d’obtenir le numéro de
téléphone de M. Abou Adas pour qu’elle puisse essayer de le faire changer d’avis.
Puis il a raccroché et n’a jamais rappelé depuis. La famille a signalé la disparition
de M. Abou Adas aux Forces de sécurité intérieure le 19 janvier 2005.

180. Lorsque la Commission l’a interrogée à nouveau par la suite, Mme Moussa a
ajouté que le meilleur ami de M. Abou Adas était un homme du nom de Ziad
Ramadan, qui avait été son collègue dans une société d’informatique quelque deux
ans auparavant. La dernière fois qu’elle avait parlé à M. Ramadan, c’était lorsqu’il
l’avait appelée pour lui demander des nouvelles de son fils, quelques jours après la
disparition de celui-ci. Lorsqu’elle avait été interrogée par les autorités libanaises,
Mme Moussa avait confirmé que son fils n’avait pas de permis de conduire et que
leur maison n’était pas équipée d’une liaison Internet.

181. La Commission n’a pas réussi à localiser Ziad Ramadan pour l’interroger. Il
semble qu’après avoir été interrogé par les autorités libanaises le 14 février 2005,
M. Ramadan est retourné en République arabe syrienne avec sa famille. Lorsqu’il a
été interrogé par les autorités libanaises, M. Ramadan a déclaré qu’il connaissait
M. Abou Adas depuis deux ans environ, et qu’ils avaient tous deux travaillé dans la
même société pendant deux mois. M. Ramadan avait vu M. Abou Abas le jeudi ou le
vendredi avant sa disparition, et celui-ci lui avait parlé de son nouvel emploi qui
consistait à décorer des couvertures de livres.

182. Une autre relation de M. Abou Adas semble présenter un grand intérêt, compte
tenu des informations dont on dispose sur ses déplacements et de certaines
coïncidences troublantes, mais, jusqu’à présent, ni la Commission d’enquête, ni les
autorités libanaises n’ont réussi à l’interroger. Il s’agit de Khaled Midhat Taha, qui a
rencontré M. Abou Adas quand ils étaient tous deux étudiants à l’Université arabe,
où ils fréquentaient la même mosquée. D’après les renseignements dont on dispose
concernant les déplacements de M. Taha, celui-ci a quitté l’aéroport international de
Beyrouth pour les Émirats arabes unis le 21 juillet 2003 et est retourné à Beyrouth le
17 octobre 2003. Par ailleurs, on a la preuve qu’il est entré au Liban par la route, en
provenance de la République arabe syrienne, le 15 janvier 2005, la veille de la
disparition de M. Abou Adas . Le lendemain, M. Taha a quitté le Liban par la route
en direction de la République arabe syrienne. Le nom de M. Taha ne figure pas sur
les fichiers de sortie du Liban avant le 15 janvier 2005, ce qui indique qu’il était
entré en République arabe syrienne illégalement avant cette date. Une enquête plus
poussée a révélé que trois des adresses électroniques utilisées par M. Taha ont été
créées à partir de Damas et la quatrième à partir du Liban même, alors qu’il
prétendait se trouver en Turquie à ce moment-là. Par ailleurs, la date de son départ
définitif du Liban pour la République arabe syrienne – le 16 janvier 2005 – est la
même que la date de la disparition de M. Abou Adas, ce qui suggère un lien possible
entre le voyage de M. Taha au Liban et la disparition de M. Abou Adas . En outre,
comme les autorités libanaises l’ont signalé dans leur rapport, il n’a jamais été arrêté
pour son entrée apparemment illégale en République arabe syrienne avant le
15 janvier 2005, même lorsqu’il est retourné en République arabe syrienne le
16 janvier 2005, ce qui est inhabituel et donne à penser que quelqu’un a facilité son
départ et son retour le jour suivant. La Commission a récemment contacté les
autorités syriennes pour qu’elles lui fournissent des informations détaillées sur
Khaled Taha, en particulier sur ses entrées en République arabe syrienne et ses
sorties du pays.

183. Comme on l’a mentionné plus haut, les libanais interrogés pendant l’enquête
étaient des amis et des relations de M. Abou Adas, d’anciens voisins, des personnes
qu’il avait fréquentées à la mosquée, ainsi que d’anciens collègues et camarades de
classe. La Commission a interrogé à nouveau un certain nombre d’entre eux. Aucun
n’avait entendu parler d’Al-Nasra wal Jihad, le groupe auquel Abou Adas prétend
appartenir dans la vidéocassette où il revendique l’attentat-suicide. Nombre d’entre
eux ont déclaré avoir été arrêtés par les Forces de sécurité intérieure, qui les ont
menottés, leur ont placé un bandeau sur les yeux, les ont déshabillés, et les ont
gardés en détention pendant un certain temps tout en les interrogeant sur M. Abou
Adas et ses liens avec des groupes islamiques ; la plupart ont déclaré à leurs
interrogateurs que, selon eux, M. Abou Adas était un solitaire et un introverti et
n’était pas suffisamment intelligent pour être capable de commettre un tel crime.

184. En réponse à une demande transmise par les autorités libanaises, le
Gouvernement syrien a informé la Commission qu’il n’y avait aucune trace dans ses
ordinateurs d’une éventuelle entrée de M. Abou Adas en République arabe syrienne,
pas plus d’ailleurs que d’une sortie. Les autorités iraquiennes ont fait savoir aux
autorités libanaises, par l’intermédiaire de l’ambassade d’Iraq à Beyrouth, que
M. Abou Adas n’avait pas obtenu de visa pour l’Iraq.

185. La Commission a par ailleurs demandé à recevoir des informations détaillées
de la part de tout organisme libanais qui aurait placé M. Abou Adas sous
surveillance entre septembre 2004 et janvier 2005. Les réponses à cette demande
confirment qu’aucun service officiel libanais n’avait placé Abou Adas sous
surveillance au cours de la période considérée.

186. La Commission a reçu des informations d’un certain nombre de sources,
confidentielles et autres, sur le rôle et les déplacements de M. Abou Adas . Bien que
les renseignements fournis par ces sources n’aient pas été vérifiés de manière
indépendante, il est intéressant de noter qu’aucun indice n’est venu étayer la théorie
selon laquelle M. Abou Adas aurait été un kamikaze solitaire, agissant pour le
compte d’un groupe islamique fondamentaliste. Il en ressort au contraire que, selon
toute probabilité, M. Abou Adas a été utilisé comme bouc émissaire par les autorités
syriennes et libanaises et n’est pas l’instigateur du crime. Ainsi, un des témoins a
déclaré avoir vu M. Abou Adas dans le couloir menant au bureau du général Ghazali
à Anjar en décembre 2004. Un autre témoin a prétendu que M. Abou Adas était
actuellement incarcéré en République arabe syrienne et serait tué une fois que
l’enquête serait terminée. Selon ce témoin, M. Abou Adas n’a joué aucun rôle si ce
n’est celui d’un leurre, et la vidéocassette a été enregistrée quelque 45 jours avant
l’assassinat. Par la suite, il a déclaré que le général Assef Shawkat avait obligé
M. Abou Adas à enregistrer la cassette à Damas une quinzaine de jours avant
l’attentat. Il a ajouté que la cassette avait été remise à Al-Jazira par une femme
surnommée « Oum Alaa ». Un autre témoin a déclaré que, le lendemain de
l’assassinat, Faysal Al-Rasheed avait affirmé avec insistance que l’affaire était
résolue et que l’auteur était M. Abou Adas, qui avait commis un attentat-suicide et
dont le corps se trouvait toujours sur le lieu de l’attentat. Zuhir Saddik a déclaré
que, début février 2005, il avait vu M. Abou Adas au camp d’entraînement de
Zabadani, en République arabe syrienne, et que, d’après les informations dont il
disposait, M. Abou Adas avait initialement prévu de commettre l’attentat mais avait
changé d’avis à la dernière minute. Il a ajouté que M. Abou Adas avait ensuite été
tué par les Syriens et que son corps avait été placé dans le véhicule contenant la
bombe, et avait donc été détruit sur le lieu de l’attentat.

187. À ce jour, aucun élément de preuve par ADN pouvant être lié à Abou Adas n’a
été retrouvé sur le lieu de l’attentat.

188. Malgré des mois d’enquête, à la fois par la Commission et par les autorités
libanaises, M. Abou Adas reste un personnage mystérieux. Quelques conclusions
importantes peuvent cependant être tirées de l’enquête sur Abou Adas .

189. En dehors de la vidéocassette, dont il ne fait aucune doute qu’elle a été
enregistrée par M. Abou Adas, il existe peu d’autres indices pour étayer l’idée qu’il
est l’auteur de l’attentat-suicide. Il n’y a aucune preuve, mise à part la revendication
faite dans la vidéocassette, de l’existence d’un groupe appelé Nasra et Jihad de la
Grande République arabe syrienne. Ainsi, ce groupe n’est mentionné par aucune
source publique avant le 14 février 2005, et ni les autorités libanaises ni les amis et
connaissances de M. Abou Adas ne semblent avoir ne serait-ce qu’entendu parler de
ce groupe avant le jour de l’assassinat. Les services de sécurité des pays voisins,
auxquels la Commission a demandé des informations concernant l’attentat, ne
savent rien de ce groupe non plus. En outre, les explications qui ont été données de
la disparition de M. Abou Adas le 16 janvier 2005 ne concordent pas avec l’idée
qu’il allait commettre un attentat-suicide un mois plus tard. Il est à noter également
qu’aucune des personnes qui le connaissaient bien ne l’estimaient capable de
commettre un tel crime, compte tenu de sa personnalité et de son niveau intellectuel.
Enfin, bien qu’il soit toujours possible qu’on ne puisse retrouver sur le lieu de
l’attentat aucune trace de l’ADN d’un kamikaze déclenchant une explosion d’une
telle puissance, on notera qu’il n’existe aucune trace de l’ADN de M. Abou Adas sur
le lieu de l’attentat ni d’ailleurs aucun autre indice et, notamment, aucun
témoignage, de sa présence sur le lieu de l’attentat au moment des faits.

190. Toutefois, une constatation semble se dégager clairement de l’enquête : une
grande partie des renseignements recueillis sur M. Abou Adas et sur sa disparition
mènent à une piste syrienne. Les déplacements atypiques de Khaled Taha – son
entrée au Liban en provenance de République arabe syrienne la veille de la
disparition de M. Abou Adas, ainsi que ses tentatives visant à dissimuler sa présence
en République arabe syrienne en essayant de faire croire que ses courriels
provenaient de Turquie alors qu’ils étaient en réalité envoyés de Syrie – constituent
des indices qui laissent à penser que la République arabe syrienne est impliquée
dans la disparition de M. Abou Adas et qui ne peuvent être écartés comme étant de
simples coïncidences. En outre, les vagues renseignements dont on dispose à propos
de « Mohammed », qui semblent indiquer qu’il s’agit d’un Syrien, et le retour
précipité du meilleur ami de M. Abou Adas, Ziad Ramadan, peu de temps après
avoir été interrogé par les autorités libanaises, sont des indices supplémentaires
d’une implication de la République arabe syrienne dans la disparition de M. Abou
Adas . Enfin, la plupart des renseignements recueillis au sujet de la disparition de
M. Abou Adas conduisent à la République arabe syrienne et à des responsables
syriens, ainsi qu’à certains responsables libanais. S’il est vrai que peu
d’informations ont été corroborées de manière indépendante, il est révélateur de
constater qu’il n’existe aucun autre indice donnant à penser qu’une autre entité
aurait participé à la disparition de M. Abou Adas ou que celui-ci aurait été un
kamikaze. Bien qu’on ne puisse pas parler de certitude, l’existence de liens aussi
nombreux avec la République arabe syrienne justifie la poursuite de l’enquête.

Conclusion

191. Il n’existe aucune preuve de l’appartenance de M. Abou Adas au groupe
nommé Al-Nasra wal Jihad fi Bilad Al-Cham, dont il dit être membre dans la
vidéocassette diffusée par Al-Jazira, ni même de l’existence passée ou présente
d’un tel groupe. Aucun indice (en dehors de la vidéocassette) ne vient confirmer
qu’il aurait conduit le camion contenant la bombe qui a tué M. Hariri. Les
éléments dont on dispose montrent qu’il est probable que M. Abou Adas a
quitté son domicile le 16 janvier 2005 et a été emmené, de gré ou de force, en
République arabe syrienne, où il a disparu depuis.

2. Analyse des communications téléphoniques

192. L’un des aspects les plus importants de l’enquête a été l’analyse des
communications téléphoniques. Un logiciel spécial a été utilisé pour analyser et
rechercher de nombreux appels téléphoniques passés par les personnalités
identifiées comme les plus importantes pour l’enquête, ce qui a permis à la
Commission d’aboutir à un résultat optimal rapidement et avec un personnel limité.
L’assistance des compagnies de téléphone et des autorités libanaises a été essentielle
au succès de cette analyse. Par exemple, les compagnies de télécommunications
libanaises MTC Touch et Alfa ont répondu rapidement aux demandes de
renseignement sur des abonnés à leur service mobile et de relevés d’appels. Le
Ministère des télécommunications a fourni des informations similaires à la
Commission sur les lignes de téléphones fixes. Cette prompte assistance a été
inestimable car elle a permis aux enquêteurs d’analyser rapidement certains appels
bien précis et d’établir des schémas de communication entre des groupes particuliers
d’abonnés. Au total, la Commission a demandé des informations sur environ 2 235
abonnés et obtenu des données de connexion relatives à environ 70 195 appels.
L’analyse des communications téléphoniques, qui avait déjà été critique s’agissant
d’ouvrir des pistes et d’établir des liens entre les principaux suspects impliqués,
continuera d’être au centre de cette enquête au fur et à mesure de son évolution.

193. Selon Ghassan Ben Jeddou, le Directeur d’Al-Jazira, Al-Jazira a reçu quatre
appels l’après-midi du 14 février avant la diffusion de la cassette vidéo d’Abou
Adas. Les relevés indiquent toutefois que seulement trois appels ont été reçus par
Al-Jazira cet après-midi-là, à 14 h 11, 15 h 27 et 17 h 4.

194. Il n’a pas été possible de déterminer quand le quatrième appel reçu par Al-
Jazira a été passé, ni son origine.

195. Leila Bassam de l’agence Reuters a déclaré que, le 14 février, l’agence avait
reçu un appel téléphonique, selon les relevés à 14 h 11, concernant la revendication
par M. Abou Adas de l’attentat à l’explosif.

196. Les relevés des communications téléphoniques montrent que la même carte
prépayée a été utilisée pour contacter Al-Jazira et Reuters pour tous les appels
susmentionnés. Cette carte a été achetée à Beyrouth (Najaar) le 10 février 2005. Les
appels à Al-Jazira et à Reuters ont été passés à partir de quatre cabines
téléphoniques différentes, toutes situées à Beyrouth et dont une est près du bâtiment
de la CESAO dans le centre-ville, à 2 kilomètres environ du lieu de l’attentat. Cette
carte prépayée a été utilisée uniquement pour appeler Al-Jazira et Reuters et rien
n’indique qu’elle ait été utilisée pour d’autres appels.

197. La cassette vidéo de M. Abou Adas avouant le crime a été déposée dans un
arbre en face du bâtiment de la CESAO à Beyrouth, dans le centre-ville. La
Commission a obtenu et visionné les enregistrements du 14 février 2005 des
caméras de surveillance de la CESAO pour essayer d’identifier tout individu ou
véhicule pouvant être lié au dépôt de la cassette vidéo et aux appels ultérieurs à Al-
Jazira. Toutefois, après avoir visionné ces images, il est apparu qu’il n’était pas
possible d’identifier clairement les véhicules ou individus s’approchant de l’arbre
situé en face de la CESAO. Les enquêteurs de la Commission ont aussi interrogé les
vigiles de Protectron Security, la société qui assure la sécurité des aires de
stationnement situées près des sièges de la CESAO et d’Al-Jazira à Beyrouth, mais
aucun des vigiles interrogés en service ce jour n’a remarqué d’activité inhabituelle
qui aurait pu avoir un rapport avec le dépôt d’un objet dans l’arbre se trouvant en
face de la CESAO.

Conclusion

198. Il n’a pas encore été possible d’identifier l’individu ou les individus ayant
téléphoné à Al-Jazira et à Reuters le 14 février, ni celui ou ceux qui ont déposé
la cassette vidéo de M. Abou Adas.

3. Utilisation de cartes de téléphone prépayées

199. Le juge d’instruction Elias Eid a obtenu des relevés de tous les appels
téléphoniques reçus le 14 février 2005 par Al-Jazira et les a examinés. Il a estimé
qu’un appel passé à partir d’un téléphone portable était particulièrement important :
l’appel adressé à Al-Jazira le 14 février 2005 à 22 h 7 au moyen d’une carte
prépayée. Cette même carte prépayée a reçu un appel téléphonique une minute après
l’explosion, à 12 h 57, d’une cabine téléphonique située à Tripoli près d’un bâtiment
abritant les Services de renseignement syriens. Le 30 janvier, quelqu’un a appelé la
ligne fixe du domicile de M. Abou Adas à partir de cette même cabine téléphonique
de Tripoli.

200. La Commission a obtenu et examiné les relevés d’appels correspondant à la
carte prépayée numéro 03925152 sur la base de cette information du juge Eid.
L’enquête menée jusqu’ici par la Commission a révélé que s’il n’y a pas d’abonné
identifié, la carte conserve la trace de communications significatives. Le 8 février
2005, par exemple, cette carte prépayée a eu un contact avec un téléphone portable
dont le numéro est celui de Tarek Ismat Fakhreddin. M. Fakhreddin, important
homme d’affaires, est un proche d’Omar Karamé, qui était alors Premier Ministre.
Tarek Fakhreddin a aussi, quelques heures après l’explosion, appelé le général
Hamdane, le général Azar, le général Haj et l’agent de renseignement syrien Jamea
Jamea. De plus, il a eu des contacts téléphoniques avec son neveu Raed Fakhreddin
à 13 h 37 le 14 février 2005. De lourds soupçons pèsent sur Raed Fakhreddin : il
aurait acheté les cartes prépayées utilisées pour organiser l’assassinat. La carte
prépayée a aussi eu des contacts avec un autre numéro de téléphone qui avait été en
contact avec le portable de Raed Fakhreddin en décembre 2004 et en janvier, février
et mars 2005.

201. Un lien a aussi été établi entre cette carte prépayée et de hauts responsables
libanais et syriens. Par exemple, cette carte a été en contact avec trois numéros
différents qui ont eux mêmes été en contact avec le téléphone portable de
Moustapha Hamdane en janvier, mars et juillet 2005. Deux jours avant l’explosion,
le 12 février 2005, elle a également été en contact avec un téléphone portable dont
le numéro appartient à l’ex-Ministre Abel Rahim Youssef Mourad. Le téléphone
portable de M. Mourad a appelé Ali Haj après l’explosion. Les téléphones portables
de M. Mourad et de Tarek Ismat Fakhreddin ont été en contact le 17 janvier 2005, le
lendemain de la disparition d’Ahmed Abou Adas. Cette carte prépayée a aussi eu des
contacts avec un numéro de téléphone qui est lui-même en contact régulier avec un
numéro de téléphone portable appartenant au politicien Nasser Kandil, et elle a été
en contact avec deux numéros de téléphone portable en février et mars 2005, qui ont
eux-mêmes été en contact le 14 et le 17 février 2005 avec le numéro de portable
utilisé par l’agent de renseignement syrien Jamea Jamea.

202. La carte prépayée a eu des contacts le 5 janvier 2005 avec un numéro de
téléphone qui a été en contact le 26 janvier 2005 avec le numéro de téléphone de
Younis Abdel-Al, d’Al-Ahbache, frère d’Abdel-Al mentionné ci-dessus. Cette carte
a aussi été en contact, le 5 janvier, avec un autre numéro de téléphone, lequel a, par
deux fois, le 10 janvier 2005, été en contact avec un numéro de téléphone
appartenant à Walid Abdel-Al, frère de Younis et Ahmed Abdel-Al et membre de la
Brigade de la Garde républicaine de Moustapha Hamdane.

Conclusion

203. L’identification de celui ou ceux qui ont utilisé cette carte prépayée le
14 janvier 2005 est importante et est une priorité pour l’enquête.

4. Enquête menée par les autorités australiennes

204. Dans un entretien avec la Commission, Adnan Addoum, Ministre de la justice
au moment de l’attentat, a déclaré qu’il pensait que les enquêteurs de la Commission
devaient suivre cette piste et interroger les six suspects australiens sur l’objet de leur
voyage. Il estimait que ces six suspects l’étaient d’autant plus que le véhicule qui
aurait été utilisé pour l’attentat était un véhicule à conduite à droite (comme en
Australie). Il a ajouté qu’« à cause des pressions exercées par les médias et les
religieux, le juge d’instruction n’a[vait] pas accordé assez d’importance à ce point ».

205. Les enquêteurs de la Commission ont examiné de manière approfondie les
résultats des enquêtes menées au Liban et en Australie sur ces six suspects et,
comme indiqué ci-après, ont conclu que rien ne permettait de penser qu’ils aient
participé d’une manière ou d’une autre à l’assassinat d’Hariri. En procédant à cet
examen, les enquêteurs de la Commission savaient également que six cartes SIM
avaient été utilisées en relation avec l’assassinat et que cette utilisation avait pris fin
au moment de l’explosion. Notant qu’il y avait six Australiens suspects et six cartes
SIM suspectes, une singulière coïncidence, la Commission a jugé prudent de
prendre connaissance des enquêtes menées par les autorités australiennes et
libanaises à cet égard.

206. Après avoir examiné attentivement le dossier, la Commission peut souligner
les points suivants :
 Les autorités libanaises ont contacté Interpol et demandé son assistance pour
retrouver et interroger les suspects identifiés conformément au protocole en
vigueur.
 Le protocole suivi par Interpol était correct.
 Les autorités australiennes ont été contactées via Interpol pour qu’elles se
penchent sur la question.
 Les autorités australiennes ont mené une enquête approfondie et en ont
présenté les résultats dans un rapport aux autorités libanaises.
 Les autorités libanaises, sur la base du rapport des autorités australiennes, ont
à bon droit suspendu l’enquête en ce qui concerne cette piste.

Conclusion

207. Compte tenu de ce qui précède, l’enquête menée par les autorités
australiennes et ses résultats doivent être considérés comme concluants. Les
suspicions de M. Addoum sont sans fondement et aucun élément ne vient les
étayer. Les investigations menées à cet égard ont détourné les autorités
libanaises d’autres pistes d’enquête.

5. Ahmed Abdel-Al

208. Cheikh Ahmed Abdel-Al, personnalité connue d’Al-Ahbache, était responsable
des relations publiques ainsi que des questions militaires et de renseignement au
sein d’Al-Ahbache, l’Association des projets philanthropiques islamiques, un
groupe libanais ayant de forts liens historiques avec les autorités syriennes. Abdel-
Al s’est révélé être un personnage important de par ses liens avec plusieurs aspects
de la présente enquête, en particulier par le biais de son téléphone portable qui a eu
de nombreux contacts avec toutes les personnalités importantes qui y sont
impliquées ; de fait, il semble qu’aucune autre personnalité n’est aussi liée
qu’Abdel-Al aux divers aspects de la présente enquête.

209. Abdel-Al a été entendu comme témoin puis comme suspect par la
Commission. Certaines de ses actions, et certaines des déclarations qu’il a faites,
donnent à penser qu’il tente de dissimuler des informations aux enquêteurs. Par
exemple, il a essayé de cacher l’origine de son numéro de téléphone portable en
donnant sa carte prépayée, le 12 mars 2005, à son ami d’Al-Ahbache Mohammed
Halawani et en demandant que la carte soit enregistrée au nom d’Halawani.
Interrogé par la Commission, il a fallu à Halawani plusieurs heures pour avouer que
le numéro de téléphone en question était en fait utilisé par Ahmed Abdel-Al. De
plus, selon la déclaration d’Abdel-Al, le 14 février 2005, il a quitté son domicile et
s’est rendu au siège d’Al-Ahbache. Ses relevés téléphoniques attestent qu’à 11 h 47
il a eu un contact téléphonique avec un numéro qui a appelé son domicile plusieurs
fois immédiatement avant l’explosion – à 12 h 26, 12 h 46 et 12 h 47. Abdel-Al a
déclaré à la Commission qu’il avait appelé chez lui peu après l’explosion, à 12 h 56,
mais les relevés téléphoniques montrent que l’appel a été passé à 12 h 54, deux
minutes avant l’explosion. Abdel-Al a déclaré que le jour de l’explosion, il n’avait
pas quitté le bureau d’Al-Ahbache pour des raisons de sécurité. Les relevés
téléphoniques montrent que quatre appels ont été passés au numéro de l’agent de
renseignement syrien Jamea Jamea, à 11 h 42, 18 h 14, 20 h 23 et 20 h 26. Selon un
témoin, Abdel-Al s’est rendu au bureau de Jamea Jamea le soir de l’attentat à
19 h 30 et s’est entretenu avec lui de M. Abou Adas. De plus, peu après sa visite au
bureau de Jamea Jamea, son téléphone portable a enregistré un appel adressé au
général Ghazali, à 19 h 56. Abdel-Al a par ailleurs tenté d’aiguiller l’enquête sur la
piste Abou Adas, non seulement en fournissant aux autorités libanaises de nombreux
renseignements sur M. Abou Adas peu après l’explosion, mais aussi en déclarant à
la Commission que le service de sécurité d’Al-Ahbache avait vu M. Abou Adas
avant l’assassinat dans le camp palestinien d’Ain Al-Hilweh avec Abou Obeida,
l’adjoint du chef du groupe terroriste Asbat al Ansar.

210. Il y a aussi eu de nombreux contacts entre Ahmed Abdel-Al et la Sûreté
nationale libanaise le jour de l’explosion. Par exemple, Abdel-Al a eu des contacts
téléphoniques presque quotidiens avec le brigadier général Fayçal Rachid, chef de la
Sûreté nationale à Beyrouth, et le 14 février 2005, ils ont eu des contacts
téléphoniques à 10 h 35, 20 h 8, 21 h 13, 21 h 40 et 22 h 16. Ahmed Abdel-Al a
aussi eu des contacts avec le suspect Raymond Azar, de l’armée libanaise, le
14 février 2005 ainsi que les 16 et 17 février 2005. Il y a eu un appel entre le
téléphone portable d’Albert Karam, un autre membre du service de renseignement
de l’armée libanaise, et Ahmed Abdel-Al le 14 février également, à 12 h 12, environ
44 minutes avant l’attentat.

211. Le téléphone d’Abdel-Al a aussi eu de nombreux contacts avec celui de
Moustapha Hamdane, 97 appels ayant été échangés entre ces deux téléphones entre
janvier et avril 2005. Sur ces appels, quatre ont été passés le 14 janvier 2005 après
l’explosion. Ahmed a eu deux contacts téléphoniques avec son frère, Walid Abdel-
Al, un membre de la Garde républicaine, le jour de l’explosion à 16 h 25 et 17 h 29.
En outre, Abdel-Al a reçu un appel le 11 février 2005 à 22 h 17 de la cabine
téléphonique qui avait été utilisée pour appeler Al-Jazira peu après l’explosion le
14 février. Il a également reçu un appel le 4 février 2005 à 19 h 34 et le 26 février
2005 à 9 h 33, tous deux de la cabine utilisée pour appeler Reuters peu après
l’explosion.

212. Abdel-Al était fréquemment en contact avec son frère, Mahmoud Abdel-Al,
également actif dans l’association Al-Ahbache. Les appels passés à partir du
téléphone de Mahmoud Abdel-Al le 14 février sont eux aussi intéressants : quelques
minutes avant l’explosion, à 12 h 47, il a appelé le téléphone portable du Président
du Liban Émile Lahoud et à 12 h 49, il a appelé le téléphone portable de Raymond
Azar.

213. Abdel-Al avait aussi des liens notables avec une importante cache d’armes
découverte dans le sud de Beyrouth en juillet 2005. Les Forces de sécurité
intérieures ont découvert cette cache le 26 juillet 2005 et cinq personnes, qui avaient
des liens étroits avec l’ancienne milice des Mourabitoun, ont été arrêtées. L’une
d’elles était le chauffeur et garde du corps de Majed Hamdane, le frère de
Moustapha Hamdane, qui dirige une société qui aurait assuré la sécurité de l’hôtel
St. George. Abdel-Al aurait trouvé un emploi d’électricien au Palais présidentiel à
une autre des personnes arrêtées. De plus, immédiatement après les arrestations, un
autre individu a pris la fuite et a téléphoné sans délai à Ahmed Abdel-Al.

Conclusion

214. Les preuves, notamment ses liens avec d’autres personnalités importantes,
en particulier Moustapha Hamdane et la Garde républicaine, ses appels
téléphoniques et son implication dans l’enquête menée par le Liban sur
M. Abou Adas, font d’Ahmed Abdel-Al un personnage clef de toute enquête en
cours.

VI. Conclusions

215. La Commission estime que l’assassinat du 14 février 2005 a été perpétré par
un groupe très bien organisé et disposant de ressources et de moyens considérables.
Le crime a été préparé pendant plusieurs mois. À cette fin, les déplacements de
M. Rafic Hariri ont été observés et minutés et les itinéraires de son convoi notés de
manière détaillée.

216. Sur la base des résultats des enquêtes de la Commission et des autorités
libanaises à ce jour, des preuves matérielles et documentaires réunies et des pistes
suivies jusqu’à présent, il existe des preuves convergentes d’une implication aussi
bien libanaise que syrienne dans cet attentat terroriste. Il est notoire que le
Renseignement militaire syrien était omniprésent au Liban au moins jusqu’au retrait
des forces syriennes en application de la résolution 1559 (2004). Les anciens
responsables de la sécurité libanaise avaient été nommés par lui. Les institutions et
la société libanaises ayant été infiltrées par les services de renseignement syriens et
libanais travaillant en tandem, il n’est guère concevable qu’un complot aussi
complexe en vue d’un assassinat puisse avoir été ourdi à leur insu.

217. La Commission estime également que M. Hariri a été assassiné dans un
contexte de polarisation et de tension politiques extrêmes. Les accusations et contreaccusations
qui ont visé principalement M. Hariri pendant la période qui a précédé
son assassinat corroborent la conclusion de la Commission selon laquelle le mobile
de l’assassinat est probablement politique. Toutefois, comme le crime n’a pas été le
fait d’individus mais d’un groupe sophistiqué, il semble fort vraisemblable que la
fraude, la corruption et le blanchiment d’argent aient aussi pu motiver certains des
individus ayant participé à l’opération.

218. La Commission estime que l’enquête doit encore se poursuivre. Durant la
brève période de quatre mois, plus de 400 personnes ont été interrogées, 60 000
documents étudiés, plusieurs suspects identifiés et certaines pistes importantes
établies. Pourtant, l’enquête n’est pas terminée.

219. La Commission conclut que l’enquête devrait être poursuivie par les autorités
sécuritaires et judiciaires libanaises compétentes, qui ont prouvé durant l’enquête
qu’avec l’assistance et l’appui de la communauté internationale, elles peuvent aller
de l’avant et parfois prendre les devants de manière efficace et professionnelle.
Dans le même temps, les autorités libanaises devraient examiner toutes les
ramifications de l’affaire, y compris les transactions bancaires. L’explosion du
14 février doit être clairement évaluée à la lumière de la série d’explosions qui l’ont
précédée et suivie, car il peut y avoir des liens entre certaines de ces explosions,
voire entre toutes.

220. La Commission estime donc que, si les autorités libanaises le souhaitent, un
effort soutenu de la communauté internationale pour établir une plate-forme
d’assistance et de coopération avec les autorités libanaises dans le domaine de la
sécurité et de la justice est essentiel. Ceci renforcera considérablement la confiance
du peuple libanais dans son système de sécurité, tout en lui donnant davantage
confiance dans ses propres capacités.

221. La décision récente de procéder à de nouvelles nominations à des postes de
responsabilité dans les services de sécurité a été saluée par toutes les parties
libanaises. Il s’agit d’une étape importante dans l’amélioration de l’intégrité et de la
crédibilité de l’appareil de sécurité. Elle a toutefois été prise après des mois de vide
sécuritaire et un long débat sectaire et politique. Il y a beaucoup à faire pour
surmonter les divisions sectaires, dégager la sécurité de l’emprise du politique et
restructurer l’appareil de sécurité pour éviter hiérarchies parallèles et les
chevauchements et pour renforcer la responsabilité.

222. La Commission conclut, après avoir entendu des témoins et interrogé des
suspects en République arabe syrienne et avoir établi que de nombreuses pistes
désignent directement des agents des services de sécurité syriens comme étant
impliqués dans l’assassinat, qu’il incombe à la Syrie de clarifier une part
considérable des questions non résolues. Si les autorités syriennes, après des
hésitations initiales, ont coopéré de manière limitée avec la Commission, plusieurs
des personnes interrogées ont tenté d’égarer l’enquête en faisant des déclarations
fausses ou inexactes. La lettre adressée à la Commission par le Ministre des affaires
étrangères de la République arabe syrienne s’est révélée contenir des informations
fausses. On ne pourra faire toute la clarté sur cet assassinat qu’aux termes d’une
enquête approfondie et crédible, et conduite d’une manière ouverte et transparente
qui satisfasse pleinement la communauté internationale.

223. Grâce à l’enquête menée jusqu’ici par la Commission, un certain nombre de
personnes ont été arrêtées et accusées d’avoir comploté en vue de commettre un
meurtre et d’infractions connexes en relation avec l’assassinat de M. Hariri et de 22
autres personnes. La Commission estime bien entendu que tous les intéressés, y
compris les personnes accusées de crimes graves, doivent être considérés comme
innocents tant que leur culpabilité n’a pas été prouvée dans le cadre d’un procès
équitable.

Source
ONU (secrétariat général)

Documents de référence sur la crise libanaise :

 Accords de Taëf (23 octobre 1989)
 Résolution 1559 (2 septembre 2004) souveraineté du Liban
 Rapport d’évaluation du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (1er octobre 2004)
 Rapport Fitzgerald (24 mars 2005)
 Résolution 1595 (7 avril 2005) Commission d’enquête
 Premier rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (26 avril 2005)
 1er rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Mehlis) (20 octobre 2005)
 Deuxième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (26 octobre 2005)
 Résolution 1636 (31 octobre 2005) Comité des sanctions
 2ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Mehlis) (10 décembre 2005)
 Résolution 1644 (15 décembre 2005) Prorogation de la Commission
 Résolution 1655 (31 janvier 2006) Prorogation de la Finul
 Document d’Entente CPL-Hezbollah (6 février 2006)
 3ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (14 mars 2006)
 Rapport préliminaire du Secrétaire général de l’ONU sur la création d’un tribunal spécial pour le Liban (20 mars 2006)
 Résolution 1664 (29 mars 2006) Tribunal pénal international
 Troisième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (19 avril 2006)
 Résolution 1680 (17 mai 2006) Souveraineté du Liban
 4ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (10 juin 2006)
 Résolution 1701 (11 août 2006) Cessation des hostilités
 Premier rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (daté 18 août 2006)
 Deuxième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (12 septembre 2006)
 5ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (25 septembre 2006)
 Quatrième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (19 octobre 2006)
 Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la création d’un tribunal spécial pour le Liban (15 novembre 2006)
 6ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (12 décembre 2006)
 Troisième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (14 mars 2007)
 7ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (15 mars 2007)
 Cinquième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (7 mai 2007)
 Quatrième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (28 juin 2007)
 8ème rapport sur l’assassinat de Rafik Hariri (Brammertz) (12 juillet 2007)
 Sixième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (24 octobre 2007)
 Cinquième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (30 octobre 2007)
 Rapport du groupe de travail sur les détentions arbitraires du Comité des Droits de l’homme de l’ONU (30 novembre 2007) Détention arbitraire des généraux libanais
 Sixième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le suivi de la cessation des hostilités (28 février 2008)
 Septième rapport semestriel du Secrétaire général de l’ONU sur l’application de la résolution 1559 (21 avril 2008)