Carlos Lage

Excellences,
Plongé dans des guerres et menacé de toujours plus de guerres, le monde où nous vivons est toujours plus injuste et inégal.
La fin de l’affrontement Est-Ouest n’a pas marqué, comme en rêvaient beaucoup, le début de la paix. L’histoire réelle a été, de fait, celle de la domination croissante d’une nation qui exerce des pressions économiques et politiques sans le moindre scrupule, qui estime avoir le droit d’envahir n’importe quel pays pour atteindre ses objectifs et qui conduit le monde ordinaire où nous vivons à sa perte.
Quelques simples exemples suffisent à décrire l’absurdité et la cruauté de l’ordre international qu’on nous a imposé.
Plus d’un billion de dollars se gaspille chaque année en dépenses militaires, tandis que onze millions d’enfants meurent dans le même temps de maladies qu’on pourrait prévenir ou guérir.
Un autre billion s’envole en publicité, tandis que 860 millions d’êtres humains ne savent ni lire ni écrire.
Les pays riches allouent 17 milliards de dollars par an à nourrir leurs animaux domestiques, tandis que plus de 800 millions de personnes se couchent tous les soirs la faim au ventre.
Nous, les pays latino-américains, nous formons tous les ans 1 200 000 universitaires, au coût d’au moins 20 000 dollars chacun, mais 20 p. 100 des plus brillants, soit
240 000, nous est volé pour aller travailler ou faire des recherches dans les pays riches qui leur offrent des conditions que nos nations ne sauraient leur garantir et sans que nous touchions pour autant la moindre indemnisation.
Les combustibles fossiles s’épuisent. Les réserves prouvées et probables de pétrole et de gaz augmentent moins que la consommation. Les sociétés riches ont été incapables de lancer des programmes d’économie d’énergie radicaux et profonds qui permettraient de gagner assez de temps pour mettre au point de nouvelles technologies.
L’environnement se dégrade parce qu’une société irrationnelle stimule une soif de consommation que les pays riches ont imposée tant chez eux que chez les autres.
Des milliards de personnes sont lancées au chômage, à la pauvreté, à la faim, aux maladies. Le néolibéralisme a créé une nouvelle catégorie d’êtres humains : les surplus.
On veut nous imposer une véritable dictature mondiale par la guerre et le pouvoir économique, tout en prétendant masquer la réalité sous un discours intolérant et trompeur.
La démocratie et les droits de l’Homme, convertis plutôt en prétexte qu’en objectif, ne sauraient exister dans un monde toujours plus inégal où des milliards de personnes ne sont même pas en mesure de lire ces mots, à plus forte raison de les comprendre.
Les concepts de « démocratie limitée », d’ « intervention humanitaire », de « guerre préventive » et de « changement de régime » sont des concepts fascistes : ce ne sont pas des théories modernes faites pour défendre la liberté et combattre le terrorisme. Les concepts de « sécurité humaine » et de « responsabilité de protection » camouflent l’intention de violer la souveraineté et de châtrer l’indépendance, celle, bien entendu, des pays pauvres, jamais celle des puissants.
La pauvreté, dans notre monde à économie globalisée, découle de siècles de colonialisme et de néocolonialisme, ainsi que d’un ordre économique international injuste et criminel, et non de la prétendue corruption et de l’incapacité de nos gouvernements comme on veut nous en faire accroire. Plus de privatisation, plus de déréglementation, plus de libre-échange égalent plus d’inégalité, plus de pauvreté, plus de marginalisation.
Le trafic de drogues et les mafias prennent naissance dans la demande croissante des sociétés les plus riches, dérivent de la culture de la consommation et de l’argent en tant que motivations exclusives de l’être humain. Les drogues et la criminalité se multiplient à cause de cette demande croissante, non faute de gendarmes et d’armées ou faute de chars, de vedettes rapides et d’armes perfectionnées dont nous devrions donc nous doter auprès des pays riches.
Le terrorisme est la conséquence de l’injustice, de la carence d’éducation et de culture, de la pauvreté et des inégalités, des humiliations essuyées par des nations entières, du mépris et de la sous-estimation d’une conviction religieuse, de l’arrogance, de l’abus et des crimes. Il ne prend pas racine dans des idéologies radicales qu’il faudrait balayer à coups de bombes et de missiles.
Les puissants ne s’efforcent même plus de camoufler dans leurs discours leur hypocrisie et leur deux poids deux mesures.
La puissance hégémonique exige que les criminels, où qu’ils se trouvent, soient jugés, voire extradés aux Etats-Unis, tandis que les militaires de ce pays, pour des crimes semblables ou pires, doivent jouir de l’immunité. Sinon, elle coupe les crédits et les aides économiques.
__ L’on érige des murs aux frontières, l’on crée des polices anti-émigrants, mais jamais pour bloquer le passage de scientifiques, de médecins, d’infirmières, d’informaticiens et de techniciens hautement qualifiés.
Les puissances dominantes proclament le libre-échange, mais jugent indispensables de dépenser presque un milliard de dollars par jour en subventions agricoles, soit le triple de la somme qu’elles allouent à l’aide publique au développement.
Ce n’est pas vers nos banques qu’affluent les réserves du monde, mais nous recevons des ordres qu’il est impardonnable de violer : aucun obstacle ne peut être imposé aux flux de capitaux ; notre argent doit aller financer le déficit de l’économie étasunienne.
Il faut éliminer les mines antipersonnel, mais pas les armes chimiques ni les armes nucléaires : nul autre ne peut en posséder que le seul pays qui ainsi l’ordonne et a utilisé les unes et les autres contre la population civile.
Tel est le monde dont nous a fait cadeau le Consensus de Washington. Tel est le monde dont nous a fait cadeau le néolibéralisme. Tel est le monde dont nous ont fait cadeau les transnationales, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, le gouvernement des Etats-Unis et les pays puissants. Et cet ordre – ou ce désordre – mondial économique et politique qui nourrit les inégalités et conduit au chaos, l’on prétend le perpétuer parce qu’il bénéficie à quelques nations, et même pas à toutes, de là-bas.

Un autre monde est nécessaire, urgent et possible, et il n’est nul besoin de guerre pour le conquérir. Si nous en prenons conscience, si nous nous unissons, si nous nous disposons à défendre, à coups d’idées et en restant fermes, nos droits, nous pouvons y parvenir.
Notre Mouvement doit jouer un rôle essentiel dans la recherche d’un nouveau système de relations internationales. Nous sommes non alignés sur les guerres, non alignés sur le terrorisme, non alignés sur l’injustice, sur les inégalités, sur les doubles standards. Nous sommes alignés sur la paix et la justice.
Nous devons lutter pour un monde où l’agression, l’occupation d’un pays pour en obtenir des avantages matériels ou géopolitiques seront impensables, où les agressions comme celle que souffre aujourd’hui le peuple libanais ou les atrocités comme celles que commet Israël contre le peuple palestinien, ne seront plus permises.
Où l’on ne tentera pas d’interdire à une nation souveraine d’accéder aux utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, tout en aidant une autre à accumuler des arsenaux atomiques.
Il faut lutter pour imposer une conception d’un nouvel ordre économique mondial plus juste et plus équitable, où les pays du tiers monde bénéficieront d’un traitement spécial et différencié.
Les organisations financières internationales sont discréditées et inhabilitées à comprendre nos problèmes et à leur apporter une réponse. Elles doivent être éliminées pour en créer d’autres qui souhaitent supprimer la faim, et non les affamés.
Les Nations Unies doivent être réformées et converties en un véritable instrument de coopération et de paix, en une organisation qui soit en mesure d’appliquer les principes fondateurs de la Charte. Le Conseil de sécurité doit accroître le nombre de ses membres, modifier ses méthodes de travail, rendre ses délibérations transparentes et supprimer le privilège injuste et humiliant du veto.
Nous savons que ces objectifs ne sont pas aisés à atteindre, mais la seule manière d’y arriver est de nous battre pour. Aux yeux de beaucoup, la fin du colonialisme, la déroute du fascisme, la victoire du Viêt-nam, la disparition de l’apartheid paraissaient autrefois impossible. Le meilleur de l’histoire de l’homme, ce sont les rêves réalisés qui paraissaient avant irréalisables.

Mesdames et messieurs,
Ces journées-ci à La Havane seront des journées de travail et d’optimisme : tandis que le Mouvement des pays non alignés se fortifie, Fidel se rétablit.
Nous exprimons notre gratitude au gouvernement malaisien pour son travail à la tête du Mouvement, à vous tous pour être venus malgré les pressions et des augures catastrophiques, et pour apporter vos positions et vos vues qui, qu’elles coïncident ou non, proposent un avenir meilleur pour nos peuples.
Beaucoup de vous nous ont déjà rendu visite. D’autres le font pour la première fois. Dans les minutes dont vous pourrez peut-être disposer à votre gré, vous connaîtrez notre réalité, l’esprit d’un peuple qui a décidé, voilà quarante-sept ans, de prendre en main ses destinées et d’édifier une société juste et solidaire, face à tous les risques, à toutes les menaces, à toute les agressions et à un blocus aussi criminel et prolongé, que ridicule.
A la disparition de l’URSS et du camp socialiste européen, nous nous sommes retrouvés pratiquement seuls, agrippés à notre drapeau et au socialisme. Le gouvernement étasunien intensifia son blocus en y ajoutant de nouvelles lois, de nouveaux amendements et contre-amendements, reprit ses actes terroristes et déclencha une offensive diplomatique et médiatique internationale sans précédent contre la Révolution cubaine.
Un Empire en pleine décadence morale déversa toute sa haine sur notre petite île.
La fin de la Révolution semblait inéluctable, même pour de nombreux amis. Or, la Révolution a pu résister, parce qu’elle avait réalisé une immense œuvre d’équité et de bien-être.
La Révolution a pu résister parce qu’elle avait réalisé une œuvre encore plus grande de justice et de dignité.
Parce que la Révolution n’a jamais menti à son peuple, parce que la vérité et la morale ont présidé à chacune de ses actions, parce que nous avons défendu l’unité comme la prunelle de nos yeux, parce que nous n’avons pas prêté l’oreille aux chants de sirène, parce que nous avons refusé de croire que ce sont la concurrence, l’argent, la vanité, l’égoïsme qui font agir les hommes, et non le sens de l’honneur et la solidarité.
La Révolution cubaine, on peut le dire, a vécu dans les années 90 les moments les plus durs et les plus difficiles de son histoire ; elle vit aujourd’hui, on peut l’affirmer, l’époque la plus sûre et la plus prometteuse.
Un miracle, dira-t-on, mais à tort : c’est la prouesse de tout un peuple, prêt à tout, héroïque, stoïque, au nom duquel je vous souhaite la bienvenue dans la patrie de Martí et de Fidel.

Je vous remercie.

Source
Agence Cubaine de Nouvelles
L’Agence Cubaine de Nouvelles (ACN) est une division de l’Agence d’information nationale (AIN) de Cuba fondée le 21 mai 1974.

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