La France est périodiquement secouée d’un phénomène cyclique : le syndrome du sujet médiatique unique (SMU) [1] : Une seule personne occupe le devant de la scène médiatique dans sa totalité pour une longue période, reléguant dans l’ombre toute autre protagoniste, même le plus respectable, tout autre sujet, même le plus digne, paré de toutes les qualités, sans le moindre défaut, suscitant l’admiration éperdue de la presse et des foules jusqu’à l’infini… Jusqu’à sa chute, qui déclenche alors une curée d’une férocité à la mesure de la complaisance antérieure.

Dans les années 1980, la France a eu droit au phénomène Bernard Tapie, du nom de cet industriel charmeur qui ensorcela journalistes et politiques au point de devenir ministre de la République française, jusqu’à ce qu’une chasse à l’homme judiciaire le rejette dans l’opprobre généralisée.

Dans les années 1990, ce fut au tour du phénomène Jean Marie Messier. Le génie de la finance internationale déchaîna des élans d’admiration jusqu’au collapsus final, qui déclencha une risée universelle en même temps que le démantèlement du deuxième groupe mondial de communications Vivendi-Universal et l’exil vers les États-Unis de cet ancien jeune prodige de l’élite intellectuelle française.

Nous voilà dans les années 2000 devant le phénomène Nicolas Sarkozy, seul homme sans doute à devoir restaurer la sécurité de la France, à redresser ses finances publiques en état de faillite, le principal barrage à l’extrême droite française, le tombeur de la gauche et le redresseur de la France, le champion de la lutte antisémite et de la discrimination positive.

En somme le nouvel homme providentiel de la décennie, le sauveur suprême. Du moins à en juger par ses déclarations et les commentaires savants de la presse française, souvent révérencieuse, rarement impertinente, à l’égard des puissants.

À croire que la France souffre d’une pénurie d’hommes et de femmes de valeur et de talents ou plus simplement d’hommes et de femmes de bonne volonté.

Le ministre de l’Intérieur et ancien ministre des Finances, le vibrionnaire candidat à la succession de Jacques Chirac à la magistrature suprême, est aujourd’hui au faîte de sa gloire.

Une critique dans ce contexte, c’est à dire hors du concert des louanges, sans que ne pointe à l’horizon la moindre perspective de trébuchement, est un exercice périlleux.

Assumons en le risque tant il est vrai que des débordements de comportement jamais dénoncés, une falsification des faits de gestion jamais relevée, s’ils venaient à persister, pourraient desservir à terme tout autant la démocratie que le renom de la France dans le monde.

Au ministère de l’Intérieur, malgré tous ses déplacements musclés et médiatisés sur le terrain, malgré tous les bulletins de victoire relayés par une presse compréhensive, la criminalité ordinaire a augmenté en France de 10,1 pour cent au premier trimestre 2004 par rapport à la période correspondante de 2003, elle même en augmentation déjà de 7,3 pour cent par rapport à 2002, alors que les bavures policières à l’encontre des civils ont triplé en trois ans.

Les violences commises par les policiers dans l’accomplissement de leur fonction sont ainsi passées de 20 actes en 2001 à 70 bavures en 2003, entraînant la mort de deux personnes en 2003 dans des opérations d’expulsion d’immigrés, au cours d’embarquement forcés à bord des « charters de la honte », selon l’Observatoire de la déontologie de la sécurité publique.

Au ministère des Finances, son entrée en fonction en fanfare dans un contexte de luxe tapageur a obéré, d’emblée, la crédibilité d’un discours volontariste.
La réquisition de trois des cinq logements officiels du ministère pour en faire des appartements de fonction pour la famille et le personnel affecté à son service, ainsi que la mobilisation d’une escouade de 24 policiers pour la protection rapprochée et d’une flotte automobile de sept voitures augure mal d’une politique de rigueur que la France se doit de s’imposer pour sortir de ses difficultés financières.

Il est, en effet, inconvenant d’exiger des autres ministères des compressions de dépenses, et de faire, dans le même temps, étalage de luxe. Indécent de se déplacer avec un tel déploiement de forces, sans susciter des interrogations sur cette forme puérile d’autoritarisme, la marque d’une immaturité politique.

Le déploiement d’un dispositif de sécurité et de confort proportionnellement plus important que celui affecté à la protection du Général Ricardo Sanchez, le chef du corps expéditionnaire états-unien en Irak, autrement plus exposé que M. Sarkozy, retentit comme une manifestation précoce de prépotence.

Un tel comportement frappe de caducité une démarche d’exemplarité dans la gestion des affaires publiques.
L’ami du patronat français a privilégié, sur le plan économique, le faste à la sobriété, sur le plan interne, dans la pure tradition coloniale française, la répression à la prévention.

Donnant une dimension policière à sa politique de sécurité avec des résultats aléatoires, il a aggravé les problèmes lancinants de la société française.

Plus préoccupante est la projection internationale de sa politique sécuritaire : En prenant à deux reprises le contre-pied de Jacques Chirac dans des manifestations internationales, l’héritier auto-désigné a largement contribué à accréditer l’idée d’une duplicité de la diplomatie française.

Ainsi, le 5 mars 2003, alors que le président français serrait la main à Alger de Yacef Saadi, l’ancien adversaire algérien du général Jacques Massu dans la bataille d’Alger durant la guerre d’indépendance nationale (1954-1962), Nicolas Sarkozy refaisait décollait, le jour même, à une heure de décalage, le premier « charter de la honte » à destination de l’Afrique, occultant ainsi l’éclat de cette réconciliation nécessaire entre l’ancien colonisateur et son ancienne possession.

À moins d’impérieuses nécessités d’intérêt national, ses retrouvailles se devaient d’être exemptes de toute pollution. M. Sarkozy pouvait y surseoir et « les charters de la honte » attendre au sol la fin de la visite présidentielle en Algérie. Cela n’a pas été le cas. La visite algérienne de Jacques Chirac en a été entachée, de même que la réputation de la France qui dispose, en la matière, du monopole de cette pratique. Se restreindre devant un désir de parasitage est une marque des hommes d’expérience.

Il en a été de même pour l’affaire du « voile islamique » [2], déclenchée, contre toute attente, dans la foulée de l’installation du Conseil français du culte musulman, en octobre 2003. S’agissait-il alors de donner des gages à la droite radicale française en contrepartie de la mise en place d’un organisme représentatif de l’islam en France ? De faire preuve d’habileté tactique ?

La réactivation de cette querelle en plein congrès des associations musulmanes de France, alors que l’affaire était en phase d’accalmie depuis une demi dizaine d’années, que le port ostentatoire du voile ne concernait que trois cents élèves et que l’opinion mondiale était polarisée par l’intervention états-unienne en Irak, a suscité une tollé dans le monde arabe et musulman.

Tranchant avec l’attitude de la France dans la nouvelle guerre d’Irak, l’affaire du voile a relancé le procès de la duplicité de la diplomatie française et l’occasion pour l’administration Bush de donner, à bon compte, des leçons de liberté religieuse à leurs contestataires français, sans pour autant que le problème ne gagne en clarté. Était-ce le but recherché ? Se réserver pour les batailles décisives est également la marque des grands hommes.

Le ministre des Finances d’un État en cessation de paiement se doit au premier chef de redresser la barre et de tenir les engagements internationaux de son pays.

Le voyage de Nicolas Sarkozy à Washington fin avril 2004, alors que l’administration Bush se débattait dans le scandale des tortures des prisonniers irakiens, de même que celui qu’il a effectué deux ans plus tard en septembre 2006, apparaîtront rétrospectivement comme un point noir de la juvénile carrière diplomatique du ministre d’État, ministre de l’Intérieur, ancien ministre des Finances, de l’Économie et de l’Industrie de la France.

Un voyage à Canossa, par similitude avec le voyage effectué dans ce petit village d’Italie par l’empereur Henri IV en vue d’implorer le pardon du pape Grégoire VII en janvier 1077, passé à la postérité comme une démarche d’humiliation devant l’adversaire.

Se faire adouber par les associations juives états-uniennes, un des principaux partisans du boycottage des produits français durant la guerre d’Irak, en pleine déconfiture diplomatique du tandem Bush-Sharon, et, dans le même temps, prendre à partie l’opposition socialiste pour sa frilosité dans la lutte contre l’antisémitisme constitue tout à la fois un contresens diplomatique, une contrevérité politique, une fanfaronnade démagogique.

À la surenchère électoraliste, la sagesse commande, sur un sujet aussi passionnel, un discours de vérité : l’antisémitisme, résiduel en France, a préexisté à l’arrivée des arabes et des musulmans en France et ses épisodes, douloureux, sont connus de tous.

L’Histoire en est témoin de l’affaire Dreyfus, au XIX me siècle, à la collaboration du régime de Philippe Pétain avec l’Allemagne nazie.

La pédagogie politique et le sens civique commandaient de rappeler à cette occasion le rôle du sultan du Maroc, le futur Mohamed V, dans son opposition à l’application sur son territoire des lois de Vichy sur les juifs et sa contribution à la lutte contre l’antisémitisme. L’occasion en a été manquée.

Si la stigmatisation est une arme du combat politique, elle ne doit jamais se faire au détriment de la vérité.
Dans le même ordre d’idées, l’instrumentalisation de l’appartenance communautaire dans la vie politique en France a préexisté à la prise de conscience politique de la communauté arabo-musulmane.

Les vociférations des organisations telles, le Renouveau juif et du mouvement Siona, dans les années 1980, appelant à des votes sanctions contre Valéry Giscard d’Estaing ou même contre François Mitterrand, pourtant briseur de l’embargo anti-israélien et premier président de la République française à avoir effectué une visite officielle en Israël, sont là pour le rappeler. Les faits sont vérifiables dans leur chronologie.

Fausse bonne idée que ce voyage à Canossa-Washington, intervenu au pire moment alors que George Bush et Tony Blair faisaient face à une levée de boucliers de leurs propres diplomates contre leur gestion du conflit irakien, assurée à coups de mensonges sur les armes de destruction massive, de tortures et d’aveuglement pro-israélien. Mauvaise querelle, à tous égards, que celle faite par M. Sarkozy à ses adversaires quand on songe au zèle pro-israélien manifesté constamment par les socialistes de Suez, en 1956, lors de l’expédition anglo-franco-israélienne contre l’Égypte, à Bir Zeit (Palestine), en l’an 2000, quarante plus tard, qui a donné lieu à la lapidation du Premier ministre socialiste Lionel Jospin pour avoir qualifié de « terroriste » le Hezbollah libanais, enfin à la carbonisation politique d’un intellectuel socialiste Pascal Boniface coupable du crime absolu de lèse-majesté, la critique de la politique israélienne.

Il est malsain de souffler sur la braise pour le plaisir de la gesticulation médiatique. Une lecture hémiplégique de l’Histoire entrave toute cohésion nationale future.

L’UMP (Union pour la Majorité présidentielle anciennement, Union pour un mouvement populaire actuellement) sera son zénith et son nadir.
Sur les décombres du RPR moribond et les déboires de son chef naturel Alain Juppé, Nicolas Sarkozy a été sacré chef de la majorité présidentielle avec les encouragements juvénilement médiatiques de son benjamin, Louis.

« Bonne chance mon papa » retentira toutefois rétrospectivement comme un camouflet suprême d’une amère ironie. L’apothéose du régicide tournera en effet au vaudeville avec la fugue de sa dulcinée -équivalant à un abandon du domicile conjugal- avec le « maître des cérémonies », le propre ordonnateur du sacre, cauchemardesque scénario jamais imaginé même par le cinéaste le plus facétieux d’Hollywood.

Parangon de l’ultralibéralisme, l’homme réagira selon sa pente naturelle. Avec un autoritarisme d’une brutalité extrême : le directeur de la publication coupable du dévoilement de ses déboires conjugaux sera décapité professionnellement et un éditeur, téméraire, sommé de renoncer sur le champ à son projet romanesque.

La loi d’airain de la morphologie politique : complexe d’infériorité ? Désir forcené d’ascension sociale ? Lors de ses entretiens avec les grands hommes de la planète, Nicolas Sarkozy se dresse, littéralement, sur la pointe de ses pieds, pour se hisser à l’égal de ses interlocuteurs, du moins dans les clichés officiels, dans une volonté de dépassement des lois de la morphologie politique édictées, sous forme de sentence prémonitoire, par son modèle absolu, Napoléon Bonaparte, à savoir : « les hommes qui ne mesurent pas 1M60, le destin leur passe par dessus la tête ». « Que penser de ce compensé ? Sa talonnette d’Achille ? ce n’est pas une question d’attaque physique, mais d’étiquette éthique. Si le ministre veut nous leurrer sur sa taille que serait-ce sur ces mesures s’il est un jour président ? », décrètera, un jour, à la suite d’une nouvelle jonglerie talonnière, un des oracles de la presse quotidienne parisienne [3].

L’outrage habite cet homme qui a fait de l’invective son outil de communication privilégié. Son passage au ministère de l’Intérieur, s’il n’a pas réduit la délinquance, a en revanche enrichi le vocabulaire politique de deux de ses plus beaux fleurons de la stigmatisation française : Racaille et Karcher. Bon nombre d’observateurs lui imputeront l’exacerbation de la flambée péri-urbaine de l’automne 2005 par ses outrances verbales et ses rodomontades.

Candeur juvénile ou machiavélisme éhonté, Nicolas Sarkozy se choisira comme conseiller exclusif pour la neutralisation des troubles des banlieues françaises, M. Avi Dichter, ministre israélien de la Sécurité publique, celui-là même qui est en charge de la répression de l’Intifida palestinienne dans les territoires sous occupation israélienne, transposant dans l’ordre symbolique, volontairement ou non, le conflit israélo-palestinien sur le territoire national.

Dans une démarche à portée démagogique, à connotation électoraliste, il s’assurera, en récividiste, la collaboration d’un ancien réserviste de l’armée israélienne, Arno Klarsfeld, tant sur la définition du « rôle positif » de la colonisation que pour la régularisation des sans-papiers [4]. Curieuse façon de promouvoir la laïcité, un des principes cardinaux de la République française, en assurant la promotion d’un homme ayant réclamé une nationalité étrangère, en l’occurrence israélienne, par conviction religieuse. Non moins curieuse façon d’assurer la visibilité et la crédibilité de la diplomatie française en s’assurant les services de réserviste israélien, un pays en guerre contre des pays amis de la France, le Liban et la Palestine [5].

Nicolas Sarkozy est un être « mal-latéralisé » [6], qui ne distingue pas sa gauche de sa droite et qui confond la droite et l’extrême droite.

L’horizon indépassable de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy est l’échéance présidentielle de 2007, une date qui coïncide avec la relégation de la France dans la hiérarchie des nations, dans son classement en tant que puissance économique, diplomatique que culturelle, passant de la 4e place à la 9e à l’horizon de l’an 2010, supplantée économiquement par le Japon, l’Inde et la Chine, nouveaux géants de la scène internationale, et, sur le plan culturel, par l’Hispanidad, l’agrégation de locuteurs de la langue espagnole dans le monde, près de 450 millions de personnes en Amérique latine, en Espagne ainsi qu’au cœur même des États-Unis (près de 50 millions de personnes), qui feront de l’Espagne un centre d’influence dans le monde, plus important que la Francophonie avec ses 120 millions de locuteurs.

Que les intellectuels de cour, ces êtres qui gravitent autour de notre Sujet Médiatique Unique du début du XXIe siècle, qui ont troqué leur statut d’intellectuels pour celui de courtisan, lui rappellent à l’occasion ces quelques vérités d’évidence : à savoir que le principal gisement de la Francophonie du XXIe siècle se situe en Algérie, au Maghreb ainsi que sur le continent noir, c’est à dire les destinations actuelles des « charters de la honte ».

Au delà des similitudes entre MM. Chirac et Sarkozy, existe cependant une différence de taille : l’aîné, en vieux routier de la politique, à l’inverse de son cadet, n’a jamais joué contre son camp dans les forums internationaux. La marque d’un certain sens de l’État.

A Washington, le « petit Nicolas » s’est livré à une prestation politicienne, quand se dégageait du discours du « grand Dominique » une prestance morale, en harmonie avec la haute idée que la France veut donner d’elle même.

A tous égards, le voyage à Washington de M. Sarkozy a représenté le négatif du voyage à New York de M. De Villepin, l’ancien ministre des affaires étrangères, en plein débat du Conseil de sécurité de l’ONU sur le conflit irakien. Une mauvaise manière faite à la France, qui a gommé dans l’opinion l’impact du plaidoyer français.

L’homme de la rupture n’a renoncé à rien de l’héritage du gaullisme électoral, s’emparant sans le moindre inventaire de la totalité du legs : parti, cadres, militants, électeurs et financement. L’homme de la rupture n’a renoncé en rien aux combines électoralistes de l’ancien parti gaulliste comme tendrait à le prouver le maelstrom magmatique du feuilleton Clearstream où il apparaît à la fois victime et bourreau, manipulateur et manipulé.

Mais que l’on ne s’y trompe pas : l’homme que l’UMP s’est choisi comme candidat présidentiel pour les élections de 2007 n’est toutefois pas l’héritier du gaullisme mais le chef de file du courant atlantiste, un des points d’articulation de l’axe israélo-américain dans la sphère euro-méditerranéenne.

Les humoristes anglais désignent Tony Blair de caniche britannique de George Bush. Les Français se sont surpris, un jour, de se découvrir, à leur insu, « tous américains », de par la volonté du Directeur du Monde, Jean Marie Colombani. A n’y prendre garde, un tel schéma pourrait se reproduire.

Que les hommes de bonne volonté se liguent donc pour que la France ne dispose jamais d’un caniche français au président américain. Car s’il suffit d’un décret pour faire un ministre d’état, il en faut davantage pour faire un homme d’état.

[1« Sujet médiatique unique » (SMU), l’expression est de Daniel Schneiderman, animateur d’Arrêt sur image (France 5).

[2« Nicolas Sarkozy agite le voile islamique », Réseau Voltaire, 19 janvier 2004.

[3« Sarkozy, c’est le pied », par Gérard Lefort, Libération, 4 novembre 2006.

[5« Quel statut juridique pour les soldats français de l’armée israélienne ? » par René Naba, Réseau Voltaire, 9 août 2006.

[6« Mal-latéralisé », déficience relevée surtout chez les enfants et qui consiste à ne pas distinguer sa droite de sa gauche.