Alors que Ben Laden s’apprête à célébrer son 11 septembre dans une grotte aux confins de l’Afghanistan et du Pakistan, il a tout lieu d’être satisfait. Il a certes perdu sa base en Afghanistan dès décembre 2001, mais depuis qu’il a lancé sa guerre à l’Amérique, il a réussi à atteindre presque tous les objectifs qu’il s’était fixés.
Ben Laden visait à déclencher une guerre planétaire « contre les croisés et les juifs » pour cimenter « l’Umma » musulmane et son milliard et demi d’êtres humains autour de lui et de son idéologie, contre les régimes arabo-musulmans impies et corrompus. George W. Bush a beau prétendre que « les trois quarts des dirigeants de son organisation ont été tués ou arrêtés », Al-Qaida s’est démultipliée et son idéologie enflamme de nouvelles recrues sans cesse plus nombreuses. Quant à ses ennemis, ils sont partout sur la défensive, à la fois impuissants et profondément divisés. L’Amérique a malheureusement réagi comme on pouvait s’y attendre au 11 septembre : avec un mélange d’unanimisme patriotique, de messianisme intact, une méconnaissance totale de ce qui venait de la frapper et sûre de la puissance inégalée de ses armes, mais pour la première fois consciente de sa terrible vulnérabilité. Elle s’est lancée comme un seul homme dans sa « guerre mondiale contre le terrorisme », s’arrogeant le droit non seulement de balayer le régime taliban, mais tout régime jugé dangereux ou complice du terrorisme.
Trois ans après, rien n’est réglé, ni en Afghanistan ni en Irak, où la première armée du monde est engluée dans une méchante « guerre d’Algérie », incapable de ramener l’ordre ou de se retirer, servant de nouvelle ligne de front à des milliers de combattants islamistes importés d’Iran et de tout le Moyen-Orient. Le même Ben Laden peut être tout aussi satisfait s’il regarde du côté de Moscou ou les derniers attentats et la prise d’otage en Ossétie du Nord ont soudé la Russie tout entière sur la même ligne que Bush : la guerre totale contre le terrorisme islamique, prélude à d’autres bains de sang dans le Caucase qui fourniront de nouveaux candidats au « martyr ». Ben Laden peut aussi se réjouir de la situation en Europe où il remarquera l’étendue des divisions. Mais ce n’est pas tout. S’il regarde du côté de l’Europe, Ben Laden observera avec délice l’étendue des divisions entre Européens, l’impuissance flagrante de l’Europe, la paralysie de l’OTAN. On trouve d’un côté le « camp de la paix » franco-allemand (que Vladimir Poutine vient de déserter), mais que l’Espagne a rejoint après son 11 septembre à elle (le 11 mars dernier) et sa sortie en catastrophe d’Irak. De l’autre, l’Angleterre, la Pologne et les nouveaux venus de l’Est, de plus en plus nerveux et divisés quant à la poursuite de leur engagement en Irak. Enfin, les pays arabo-musulmans paniquent. Cerise sur le gâteau, le prix du baril de pétrole a explosé.
On assiste à une dislocation du système international précisément au moment où la Corée du Nord et sans doute l’Iran également ont ouvertement violé le Traité de non prolifération. On peut craindre un embrasement. En cherchant bien, on trouvera grâce au colonel Kadhafi (qui a renoncé à sa bombe) et à l’arrestation d’A.Q. Khan quelques raisons de se rassurer. On notera aussi, avec soulagement, que le travail de nos services de renseignement a permis d’éviter à temps des attentats chimiques à Londres et à Paris. Maigre consolation car nous arrivons au moment où la violence terroriste va rencontrer la prolifération. Nos pays doivent donc se rassembler au lieu de se diviser. Les Américains et les Russes ont, à mon sens, raison de considérer que cela est bien une guerre. Contrairement à ce que l’on entend trop souvent chez nous et dans l’Europe entière, ceux qui se livrent à cette violence de masse sont bel et bien en guerre contre nous, France comprise. Je refuse de voir dans le « militarisme » américain, israélien ou russe la cause du problème comme on l’entend trop souvent chez nous. Je ne transformerais pas les victimes en bourreau. Il faut combattre l’idéologie islamiste qui rejette la démocratie.
Il est temps, grand temps, que les grandes démocraties s’asseyent autour d’une table pour définir une stratégie commune mêlant la défense de nos territoires à la transformation progressive d’un monde arabe qu’il faut aider à sortir de la pauvreté et de l’échec.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Trois ans après le 11 septembre », par Pierre Lellouche, Le Figaro, 11 septembre 2004.