Trois ans après le 11 septembre, on a reçu des bonnes nouvelles comme la chute des talibans qui a privé Al Qaïda d’une base en Afghanistan, des attentats déjoués et des membres d’Al Qaïda arrêtés, mais au rayon des mauvaises nouvelles, Al Qaïda sévit toujours et Ben Laden, jusqu’à plus ample informé, n’a toujours pas été arrêté. Al Qaida s’est largement redéployé et continue de frapper, même si ce n’est pas tout à fait à la même échelle que le 11 septembre 2001.
Face à l’hyperterrorisme et à sa capacité de destruction de masse, les États-Unis ne sont pas une superpuissance, et c’est une grave erreur de lecture que de le croire. La fin de la Guerre froide a certes fait des États-Unis la seule superpuissance dans le monde, mais ils ne sont pas devenus pour autant plus puissants. Ils sont devenus moins puissants car ils ont perdu de l’influence du fait de la perte de l’ennemi soviétique. Durant la Guerre du Vietnam, les États-Unis avaient compris qu’il fallait avant tout préserver l’unité et n’avaient pas tenu rigueur aux Européens qui n’envoyaient pas de soldats au Vietnam. La Guerre d’Irak a, au contraire, brisé l’unité du monde occidental mais sans nuire, en revanche, sur un plan technique et logistique, à la coopération entre les services chargés de lutter contre le terrorisme. C’est évidemment pour les pays du Moyen-Orient et pour le Sud asiatique musulman que la guerre d’Irak a les effets les plus néfastes. Dans ces pays, il est devenu très difficile aux Américains d’obtenir la mobilisation des gouvernements en faveur des objectifs de la politique américaine. Après le 11 septembre, on avait pourtant pu observer une forte mobilisation autour des États-Unis, y compris dans le monde arabe, mais elle s’est rapidement érodée à cause de la Guerre d’Irak et du fait qu’une partie des Européens sous-estime la vulnérabilité au terrorisme. La même erreur d’appréciation se reproduit au sujet de la tragédie de Beslan. Le problème vient aussi du fait que de nombreux Américains ont tendance à tenir le terrorisme international pour une affaire intérieure des États-Unis.
Il y a trois cercles au sein d’Al Qaïda : premier cercle le holding, ou direction générale, très petite et ramassée, très centralisée et hiérarchisée ; deuxième cercle, qui prospère depuis le 11 septembre, les franchisés, une succession de groupe qui peut exprimer sa « créativité » dès lors que, respectant la charte fondamentale de l’organisation, il reçoit « un label de qualité » de la direction générale ; et enfin, le troisième cercle, des organisations terroristes et des groupes jihadistes tout aussi fanatiques qu’ Al Qaïda, mais qui ne s’inscrivent pas forcément pour autant dans sa mouvance. C’est dans ce troisième cercle qu’on trouve les réseaux tchétchènes et le Hamas.
Al Qaïda a un objectif à long terme, le jihad mondial. Aussi penser qu’une attitude hostile à la guerre d’Irak aurait pu suffire à s’immuniser contre l’hostilité d’Al Qaïda est une erreur. Ce qui compte, ce ne sont pas les positions de la France, mais que c’est une terre de mécréance. Al Qaïda peut nous frapper à tout moment et ce n’est pas parce qu’elle ne frappe pas qu’elle ne prépare rien. On pourrait également changer d’échelle avec l’emploi d’armes bactériologiques. Un danger contre lequel il faudrait se prémunir.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Nous renouons avec le tragique », par François Heisbourg, Le Figaro, 13 septembre 2004. Ce texte est adapté d’une interview.