L’économie n’est pas une science, du moins pas au sens où la répétition d’une expérience aboutit toujours au même résultat. D’ailleurs, les prévisions économiques sont souvent bien loin de la réalité, en particulier lors des points de retournement du cycle, l’insuffisance des données, le manque de fiabilité des modèles et les chocs aléatoires contribuant fréquemment à produire des résultats peu concluants. À cela s’ajoute la difficulté encore plus grande d’évaluer la marge d’erreur des prévisions, à tel point qu’il n’est guère exagéré de dire que nous sommes plutôt confrontés à des incertitudes fondamentales – et à quantité d’impondérables – qu’à de simples risques.

L’histoire économique fournit des références utiles à cet égard. La « grande inflation » des années 1970 avait totalement pris de court la plupart des observateurs et des autorités, tout comme le rythme de la désinflation et la reprise économique ultérieure, une fois que l’on s’est attelé au problème. De même, quasiment personne n’avait anticipé la Grande Dépression des années 1930, ni les crises qui ont secoué le Japon et l’Asie du Sud-Est au début et à la fin des années 1990, respectivement. En fait, chaque épisode de repli a été précédé d’une période de croissance non inflationniste suffisamment vigoureuse pour conduire nombre de commentateurs à présager l’avènement d’une « ère nouvelle ». Des surprises analogues peuvent être observées au niveau microéconomique. Juste avant sa faillite, en 1998, le fonds LTCM avait subi, sur divers marchés, des chocs de prix près de dix fois supérieurs à ce qu’on pouvait attendre compte tenu de l’expérience passée. Par conséquent, tous ses postulats de départ – diversification adéquate, liquidité abondante et capitalisation satisfaisante – se sont avérés totalement erronés.

Naturellement, beaucoup feront valoir que cette expérience nous a permis de mieux comprendre les processus économiques. Cette affirmation n’est cependant guère facile à démontrer. Les économistes de banque centrale, par exemple, établissent généralement leurs prévisions d’inflation à l’aide de modèles économétriques rendant compte des interactions salaires–prix. Or, pour travailler avec précision, ils doivent répondre correctement à au moins cinq questions. Quel est le meilleur moyen de mesurer les capacités excédentaires dans l’économie nationale ? Quel est le taux de croissance tendanciel de la productivité ? Les influences de l’étranger se limitent-elles aux seuls prix à l’importation ? Les salaires sont-ils déterminés par les anticipations sur les prix ou par l’évolution effective des prix ? Si les anticipations jouent un rôle déterminant, sont-elles influencées par la crédibilité des banques centrales ou par autre chose, comme l’inflation constatée, voire perçue ? Pour l’heure, chacune de ces questions suscite bien des divergences, tout comme de nombreux aspects tout aussi fondamentaux concernant d’autres paramètres économiques.

De fait, au vu des vastes mutations en cours, il n’est pas difficile d’affirmer que nous comprenons peut-être moins bien aujourd’hui qu’auparavant les processus économiques. Dans l’économie réelle, la conjonction du progrès technologique et de la mondialisation a révolutionné la production. La sphère financière, elle aussi, a connu des bouleversements avec l’arrivée de nouveaux acteurs, l’introduction de nouveaux instruments et les changements de comportement. Sur le plan monétaire, les banques centrales, de plus en plus autonomes, ont considérablement évolué dans leur politique et leur stratégie de communication. Face à toutes ces transformations, qui pourrait prétendre, en toute sincérité, que rien n’a changé ?

De surcroît, une incertitude toute particulière pèse sur la politique monétaire. Si les banquiers centraux sont plus déterminés que jamais à maintenir la stabilité des prix, le rôle joué par la masse monétaire et le crédit est de plus en plus controversé, et ce, au milieu d’interrogations évoquées précédemment sur le processus d’inflation. Pour certains d’entre eux, comme pour nombre d’universitaires renommés, ni la monnaie ni le crédit ne serait d’une quelconque utilité dans la conduite de la politique monétaire. Pour d’autres, par contre, la croissance trop rapide des agrégats pourrait présager soit un réveil de l’inflation, soit un cycle expansion–contraction aux caractéristiques indésirables.

Dans ce contexte, on ne peut raisonnablement attendre des banques centrales ou des marchés un discernement infaillible. Il importe donc que ces derniers continuent à exercer leur propre jugement en toute indépendance et ne se contentent pas d’adopter les convictions des banques centrales – stratégie qui pourrait se révéler dangereuse. De leur côté, les autorités doivent poursuivre leurs efforts visant à améliorer la résilience du système face à des chocs inévitables autant qu’inattendus.

Motifs de préoccupation actuels pour les autorités

Selon la prévision consensuelle, obtenue par enquête auprès d’économistes, la récente vigueur de la croissance se poursuivra, l’inflation restera généralement modérée et les déséquilibres des paiements courants s’atténueront progressivement. Pour ce qui est des marchés financiers, selon la prévision pour 2007, les taux longs se maintiendront autour des niveaux actuels. Il va de soi que cette prévision suppose, implicitement, l’absence de troubles géopolitiques majeurs et de turbulences financières susceptibles de se propager dans l’économie réelle.

S’agissant du court terme, une prévision augurant un avenir très semblable au passé présente maints avantages. De fait, à regarder de près les erreurs de prévision commises ces dernières années, on pourrait conclure qu’il y a lieu d’être encore plus optimiste : globalement, la croissance réelle a été plus soutenue que prévu, tandis que, le plus souvent, l’inflation a cadré avec les prévisions, et ce, malgré le vif renchérissement des matières premières sur les quelque douze derniers mois. Les taux d’intérêt à long terme ont aussi été invariablement inférieurs aux niveaux anticipés. Sachant que les erreurs de prévision ont souvent tendance à se répéter, on pourrait tabler, avec une relative confiance, sur la poursuite d’une évolution favorable. C’est seulement pour les déséquilibres des échanges commerciaux que la réalité a été bien pire que les anticipations, mais là aussi, comme le souligne l’Introduction de ce rapport annuel, des signes d’amélioration sont perceptibles.

Pourtant, il n’est pas difficile de recenser les incertitudes susceptibles d’infirmer cette prévision à court terme, voire de la contrarier à horizon plus lointain. Plusieurs sources de préoccupation sont analysées ci-après séparément, sans préjuger toutefois de leur interaction possible. Comme le précise la section suivante, les thèses qui se focalisent sur ces phénomènes d’interdépendance voient généralement dans l’accès facile au financement le lien de causalité qui les relie.

Une première incertitude a trait à la résurgence possible de l’inflation mondiale, voire des anticipations d’inflation. On estime que la plupart des grands pays industriels ont atteint, ou presque, les limites de leurs capacités. Les pressions désinflationnistes exercées par les économies émergentes semblent aussi s’atténuer dans le contexte d’une croissance intérieure parfois prodigieuse. En Chine, surtout, il apparaît de plus en plus clairement depuis quelques mois que les mesures destinées à ralentir l’économie n’ont pas encore produit leurs effets. C’est en partie pour cela que le fort renchérissement de l’énergie et des matières premières dans le monde n’a pas montré le moindre signe de modération, et d’aucuns s’interrogent sur la capacité des entreprises de continuer à compenser cette hausse des coûts par des économies sur d’autres postes de dépenses. Enfin, beaucoup s’inquiètent, en outre, de la très vive expansion des agrégats de monnaie et de crédit, surtout dans des pays comme la Chine qui ont recours aux interventions pour contrer l’appréciation de leur monnaie.

Compte tenu du rôle encore crucial des États-Unis dans l’économie mondiale, l’éventuel impact inflationniste de la hausse cyclique des salaires et de la baisse des gains de productivité est une source d’incertitude à court terme. Il convient également de prendre en considération deux facteurs de moyen terme. Le ratio prix de l’immobilier/loyer a atteint un chiffre record. À moins d’une diminution notable du numérateur, un retour à la normale supposerait une augmentation des loyers qui se répercuterait directement sur l’IPC. De plus, s’il importe de corriger les déséquilibres des échanges commerciaux, l’ajustement pourrait comporter une nouvelle baisse, peut-être même sensible, du dollar. Aux États-Unis, la contraction des marges sur les importations, alliée à l’accroissement de la productivité, a suffi jusqu’à présent à contenir la transmission des variations de change aux prix. Reste à savoir jusqu’à quand.

De ce point de vue, le récent ralentissement conjoncturel aux États-Unis doit être considéré comme salutaire. Pourtant, dans le courant de l’année 2006, on a commencé de s’inquiéter à l’idée que cette décélération bénéfique ne s’avère, en fait, trop prononcée. Les intervenants ont d’abord porté leur attention sur le marché des prêts hypothécaires de moindre qualité, mais la question sous-jacente est beaucoup plus vaste. Le taux d’épargne des ménages américains est, pour un temps, devenu négatif, la faible progression des salaires ne permettant pas de soutenir la vive progression de la consommation et de l’investissement résidentiel. Des conditions de crédit accommodantes, sur le marché hypothécaire surtout, ont favorisé l’alourdissement de la dette et le renchérissement du logement, lequel a lui-même procuré à la fois la sûreté motivant une intensification des prêts et la sensation de richesse justifiant un surcroît de dépense.

C’est la possibilité d’un inversement de tendance qui est source d’inquiétude. Les niveaux du service de la dette sont déjà élevés et les taux hypothécaires pourraient encore augmenter. Il suffirait que les prix du logement cessent de monter – mouvement qui s’est peut-être déjà amorcé – pour atténuer à la fois le recours au crédit et le sentiment de confiance découlant d’un accroissement de richesse. Par ailleurs, quand les suppressions d’emplois dans le bâtiment commenceront à traduire la baisse, jusqu’à présent bien plus marquée, du nombre de mises en chantier de logements, le revenu salarial, la sécurité de l’emploi et la confiance pourraient s’en trouver davantage affectés. Si l’investissement en capital fixe des entreprises, déjà inexplicablement faible compte tenu du niveau élevé des bénéfices et d’un financement peu onéreux, venait aussi à diminuer, cela pourrait annoncer une décélération accrue et peut-être indésirable de la croissance américaine.

Si c’est là le risque encouru, il faut aussi noter que le ratio dette/revenu des ménages aux États-Unis augmente depuis des décennies sans avoir entamé gravement la confiance des consommateurs. L’accélération de la hausse des salaires pourrait aussi donner un second souffle à la consommation. La part salariale est historiquement faible et pourrait remonter. En outre, les États-Unis sont plutôt en « fin de cycle », stade auquel le chômage est faible et où la rémunération a normalement tendance à s’accroître. Toutefois, cette dernière éventualité pourrait aussi avoir des conséquences indésirables : les tensions inflationnistes pourraient s’intensifier (supra) ou, si les revendications salariales compriment les marges bénéficiaires, les attentes des marchés d’actions pourraient être déçues, avec d’éventuelles incidences tant sur les prix des actifs que sur l’investissement des entreprises. Si les États-Unis devaient connaître un fort ralentissement, toute la question est de savoir quels en seraient les effets sur les autres économies. D’une part, la demande intérieure s’est récemment raffermie dans la zone euro et au Japon ainsi que dans plusieurs économies émergentes. De plus, contrairement au ralentissement lié à l’informatique lors du passage à l’an 2000, il n’y a pas eu de bulle synchrone de l’industrie qui pourrait brusquement éclater au niveau mondial. Au moment où les échanges commerciaux sont en plein essor, la diminution de la part des exportations à destination des États-Unis constitue aussi un signe positif pour la poursuite de la croissance mondiale.

D’autre part, en Allemagne comme au Japon, le redressement de la demande intérieure a été très largement dû à l’investissement des entreprises, lui-même stimulé par la vigueur de la demande d’exportations. Cela vaut également pour la Chine, où la croissance économique a été décrite par le Premier ministre Wen Jiabao comme « instable, déséquilibrée, désordonnée et insoutenable ». En outre, même sans cycle conjoncturel synchrone, la confiance des chefs d’entreprise à travers le monde pourrait être affectée par un repli marqué de l’activité américaine. Et, même s’il est vrai que la part des exportations directes à destination des États-Unis a diminué par rapport aux chiffres globaux mondiaux – ces derniers incluant une forte proportion d’importations de biens destinés à l’assemblage en Chine –, l’exposition indirecte de nombreux pays d’Asie à un tassement de l’activité américaine pourrait encore être importante. Enfin, il convient de noter que les États-Unis sont loin d’être les seuls à dépendre de la consommation alimentée par la dette ; dans certains pays, les taux d’épargne sont même fortement négatifs. On peut voir là une autre source possible de contagion.

Aux incertitudes à court terme concernant l’inflation et la croissance viennent s’ajouter plusieurs préoccupations de moyen terme, au nombre desquelles figure en bonne place la persistance des déséquilibres substantiels des échanges commerciaux dans le monde. S’agit-il d’un problème appelant, de la part des autorités, une riposte visant à réduire la possibilité d’une correction ample, et peut-être brutale, des cours de change ? Ou bien peut-on supposer que les flux de capitaux nécessaires pour financer de tels déficits seront durablement disponibles à des conditions comparables ?

Les pays affichant un gros déficit sont généralement ceux où la demande intérieure a augmenté relativement vite et où les taux d’intérêt sont donc relativement élevés. En principe, leur monnaie devrait se déprécier, ce qui leur permettrait, à terme, de réduire leur déficit extérieur, la demande intérieure s’infléchissant alors sous l’effet de la hausse des taux. Malheureusement, dans la pratique, des taux relativement hauts attirent souvent des capitaux privés d’une telle ampleur qu’ils induisent une appréciation du change, et non l’inverse, et un renchérissement des actifs domestiques, source d’un surcroît de dépenses. Ces deux évolutions ne peuvent qu’aggraver le déficit commercial. Ce processus faisait véritablement partie intégrante de l’histoire des États-Unis avant 2001 ; sa seconde composante est encore bien présente. Par ailleurs, ces dernières années ont été témoins de plusieurs variations sur le thème des opérations spéculatives de carry trade, dont les répercussions ont été plus amples encore sur des économies de moindre dimension comme la Nouvelle-Zélande et certains pays d’Europe centrale et orientale. Un grand nombre de ces économies, y compris celles où les données fondamentales se sont sensiblement améliorées, redoutent qu’une brusque inversion de ces flux de capitaux ne complique sérieusement la gestion macroéconomique.

Le déficit commercial des États-Unis est de nature très particulière, en raison surtout du rôle de monnaie de réserve du dollar. Ainsi, l’importante baisse des entrées de capitaux privés après 2001 a été contrebalancée par des apports de capitaux publics, ce qui n’a entraîné qu’une dépréciation graduelle du dollar. Cette situation a présenté l’avantage d’être relativement gérable, la contrepartie étant l’absence de réduction sensible du déficit américain. S’ajoutent à cela le passage progressif en déficit du compte de services et l’ampleur croissante de la dette extérieure, de sorte que le dollar reste clairement vulnérable à une soudaine perte de confiance du secteur privé et, probablement, à une hausse correspondante des primes de risque. Dans une certaine mesure, une telle évolution serait salutaire dans le cadre du processus d’ajustement extérieur, mais elle pourrait, dans le même temps, amplifier les tensions inflationnistes à court terme et les risques d’un repli plus grave.

La pérennité des afflux de capitaux publics peut aussi être remise en cause pour au moins deux raisons. Premièrement, les autres pays risquent d’être de plus en plus enclins à réduire leurs interventions et à laisser leur monnaie s’apprécier. Leur motivation peut être, certes, de vouloir limiter les pertes découlant d’une exposition en devises sans cesse croissante ; mais elle sera probablement davantage déterminée par la multiplication des signes de distorsion sur le plan intérieur, qui résultent des interventions sur les changes et des politiques accommodantes qui ont eu pour effet de contenir l’appréciation de la monnaie. En Chine, au Japon et dans certains pays producteurs de matières premières, les autorités se sont déjà déclarées publiquement très préoccupées par les investissements excessifs et de possibles affectations inadéquates des ressources dans leurs pays respectifs. Au surplus, les tensions inflationnistes s’accentuent dans plusieurs pays, et la stérilisation semble devenir de plus en plus difficile à réaliser (supra ).

Deuxièmement, les détenteurs de gros portefeuilles de réserves pourraient commencer à réduire leur part des nouveaux avoirs en dollars EU. D’un côté, selon le principe de la parité des taux d’intérêt, une telle stratégie ne permet pas d’accroître les rendements à des horizons suffisamment lointains, ce qui va à l’encontre d’un redéploiement des portefeuilles qui restent essentiellement libellés en dollars. D’un autre côté, la variabilité de tels rendements mesurés en monnaie locale pourrait être réduite si la composition en monnaies du portefeuille de réserves était choisie dans cette optique. Reste à savoir si cette préoccupation serait suffisante pour inciter à diminuer notablement la part du dollar et si, ce faisant, le cours de change serait sensiblement modifié, autrement que par un mouvement généralisé d’imitation par le secteur privé. Ce qui est plus certain, c’est que, dans leur recherche du rendement, les gestionnaires de réserves seront attirés par les monnaies facilitant l’accès aux actions et autres instruments rémunérateurs.

Une dernière source de préoccupation à moyen terme tient aux vulnérabilités potentielles des marchés financiers et à leurs éventuelles répercussions sur les établissements financiers. Comme le précise l’Introduction, les prix de presque tous les actifs enregistrent une hausse pratiquement continue depuis la mi-2003. Pour certains observateurs, il n’est pas difficile de trouver, au cas par cas, des justifications plausibles aux renchérissements et donc à leur caractère soutenable. C’est ainsi que le niveau très bas des primes de risque sur les émissions souveraines cadre avec une amélioration sensible de la gouvernance et des politiques macroéconomiques dans de nombreux pays. La relative faiblesse des primes sur les entreprises à haut risque s’explique, quant à elle, par les bénéfices élevés et les taux de défaut très faibles de ces dernières années. La modération exceptionnelle des primes d’échéance pourrait tenir à l’absence de volatilité des principales variables macroéconomiques depuis quelque temps. Le renchérissement des produits de base et des objets d’art peut être attribué à la demande émanant des nouvelles économies émergentes, tandis que celui du logement – désormais presque un phénomène mondial – s’explique par le repli des taux hypothécaires à long terme.

Pourtant, compte tenu de la difficulté inhérente à l’établissement de valorisations à plus long terme, le marché pourrait être devenu déraisonnablement exubérant en réaction aux annonces favorables. Les succès passés semblent généralement inciter à une plus grande prise de risque, à plus d’effet de levier, plus de financement, plus de valorisation, plus de sûretés et, à nouveau, à une plus grande prise de risque. Ces dernières années, ce phénomène s’est manifesté par un raccourcissement progressif des épisodes de volatilité financière. La bonne tenue des marchés face aux chocs successifs semble avoir de plus en plus encouragé l’idée qu’une baisse des prix constitue une opportunité d’achat. Le danger d’un tel processus auto-alimenté réside dans le fait qu’il peut, et même doit, finir par s’inverser en cas de surestimation des données fondamentales. Si, en outre, la liquidité s’assèche et que les corrélations entre prix des actifs se renforcent, une éventuelle surréaction à la baisse n’est pas à exclure. De tels cycles ont déjà été observés à maintes reprises.

La question qui vient immédiatement à l’esprit est de savoir qui pourrait pâtir d’un tel retournement. Les grandes banques d’investissement et banques commerciales paraissent très bien capitalisées et nombre d’entre elles ont réalisé des bénéfices records. Elles portent maintenant une attention toute particulière aux questions de gestion des risques. Pourtant, les marchés doivent déjà avoir détecté certaines sources de préoccupation, comme en témoigne l’augmentation des primes des contrats dérivés sur défaut pour certains des plus grands noms, relativement importante, compte tenu de leur notation de crédit. La première préoccupation tient au risque de marché et à l’effet de levier. Les bilans ont considérablement gonflé, et les mesures de valeur en risque sont restées constantes en dépit d’un fort recul de la volatilité. La deuxième source d’inquiétude est liée à la stratégie « émission et distribution » : les établissements initiateurs pourraient, en période de troubles, se retrouver avec un stock d’actifs dépréciés. Il y a lieu de s’inquiéter que les banques fournissent à présent de plus en plus, outre des prêts-relais, des capitaux-relais pour favoriser le nombre toujours croissant de fusions–acquisitions d’entreprises. On pourrait craindre aussi qu’elles n’aient, à dessein ou non, conservé un niveau significatif de risque de crédit dans leurs portefeuilles.

En supposant que les gros établissements aient réussi à mieux répartir les risques inhérents à leurs prêts, que savons-nous des détenteurs ultimes de ces risques et de leur capacité de les gérer ? En toute franchise, rien ou si peu. Les risques sont intégrés le plus souvent à diverses formes de titres adossés à des actifs de plus en plus complexes et opaques. Ces instruments sont, par ailleurs, souscrits par un large éventail de banques de second rang, fonds de pension, compagnies d’assurances, fonds spéculatifs ou autres, voire par des particuliers, attirés par des notations souvent élevées. Malheureusement, les notations ne traduisent que les pertes de crédit attendues, et non la probabilité exceptionnelle d’événements extrêmes pouvant avoir une forte incidence sur les valeurs de marché. Les fonds spéculatifs pourraient être les plus exposés, nombre d’entre eux s’étant souvent spécialisés dans l’achat d’instruments extrêmement risqués, et leur effet de levier intrinsèque peut s’en trouver multiplié en conséquence.

Par définition, il n’est pas possible de formuler une prédiction à partir de toutes ces incertitudes. De fait, les interprétations sont multiples, surtout si l’on prend en compte les diverses interactions possibles. Pourtant, il faut noter que derrière chacun de ces grands thèmes de préoccupation se profile un dénominateur commun : des conditions de financement extrêmement accommodantes, évoquées dans l’Introduction. Si cette observation ne remet pas en cause la prévision consensuelle en tant que telle, elle devrait au moins servir à rappeler que des événements extrêmes affectant l’économie mondiale pourraient avoir, à un moment ou à un autre, des coûts bien plus élevés qu’on ne le suppose généralement.

Le 77e rapport annuel de la Banque des règlements internationaux est intégralement disponible sur http://www.bis.org/publ/arpdf/ar2007f.htm