Ce qui se passa en détail au-dessus de la selle du Rottal doit encore être vérifié. Néanmoins, certaines choses peuvent déjà être dites. La hauteur de la neige fraîche amena des guides expérimentés à éviter la « Jungfrau » et à se rabattre sur le « Mönch » qui était moins exposé.

Comme une partie des soldats suisses étaient déjà partis en direction du Mönch mercredi après-midi et avaient déclenché une plaque de neige, ils voulaient partir à l’assaut de la Jung­frau jeudi. Le guide autrichien Patrik Gufler, présent dans la cabane du Mönchsjoch mercredi soir, le confirme. Vu les circonstances, lui-même se tourna en direction du Mönch pour s’attaquer à la Jungfrau le lendemain, quand la neige fraîche se serait un peu tassée.

Les 14 soldats suisses prirent une autre décision, sans que les raisons soient connues jusqu’à présent. Les déclarations de X., qui expliqua, lors de la conférence de presse du DDPS en marge de la cérémonie d’adieux officielle d’Andermatt, au nom de ses collègues décédés que ce fut une décision prise démocratiquement de choisir la voie qui suivait l’arête, soulève plus de questions que de compréhension. Que penser de cette déclaration ? Dans l’armée il y a des responsabilités bien définies et les supérieurs respectifs doivent porter cette responsabilité même s’ils cèdent aux désirs de leurs recrues. Si dans ce cas de figure les guides de montagne expérimentés et les officiers ne prirent pas le commandement, ils doivent en rendre compte.

Robert Bösch, un guide de montagne patenté, déclara dans la Neue Zürcher Zeitung du 18 juillet également que « les jeunes recrues ne peuvent, sur le fond, pas être rendues responsables des décisions prises en montagne ».
Le fait que les deux premières cordées n’étaient pas conduites par un guide de montagne – un aspect qui ne fut soulevé jusqu’à présent par aucun média – doit étonner tout alpiniste. Les recrues étaient toutes très jeunes et il leur manquait une bonne portion d’expérience, même s’ils étaient déjà familiers avec le monde alpestre. Si tous les guides de montagne expérimentés et présents sur les lieux déconseillent de prendre cet itinéraire et que l’un d’eux défend même à son frère qui était parmi les recrues de se joindre au groupe désirant aller à la Jungfrau, les dangers étaient clairs et auraient nécessité l’intervention décidée des supérieurs.

Est-ce que des supérieurs bien formés et responsables, nécessaires à toute armée qui doit fonctionner correctement, deviennent de plus en plus rares sous la nouvelle direction de l’armée Keckeis/Schmid ? Un ancien sous-officier a déclaré que ces évènements ne l’étonnaient pas, étant donné que les structures de la direction sont chaotiques, que personne ne sait réellement de quoi il est responsable, et que personne n’a la vue d’ensemble.

La déclaration qu’une recrue ait glissé ou fait un faux-pas et aurait ainsi entraîné les autres est, d’après les dires d’un autre guide de montagne, plutôt invraisemblable, car il y avait tant de neige qu’on y serait resté enfoncé ; ainsi, la chute ne pouvait presque pas avoir d’autre raison qu’une plaque de neige détachée. Christian Cotting, directeur de la Commission de droit du Club alpin suisse (CAS) explique : « Si un guide de montagne décide de parcourir un flanc aussi raide, alors il faudrait garantir avec les mesures de sécurités standards qu’une cordée qui commence à glisser ne puisse pas en emporter une seconde. » Armin Oehrli, président des expertises lors d’accidents en montagne déclara à l’agence de presse sda : « Si l’explication de la plaque de neige n’est pas correcte, alors il faut vraiment qu’une autre explication soit convaincante. » C’est très invraisemblable que les 14 membres de l’expédition soient tombés sans qu’une avalanche y ait joué un rôle.

Pourquoi ces activités de camouflage du DDPS ?

Indépendamment de ce qui c’est réellement passé à la Jungfrau, la responsabilité en incombe clairement au DDPS respectivement aux officiers responsables. Le récit de X. semble être une tentative d’enlever une partie de la pression de l’armée. Mais même si sa version des faits est correcte, cela ne change rien à la responsabilité des supérieurs. L’armée suisse, représentée par le conseiller fédéral Samuel Schmid, semble avoir des problèmes avec cette question de responsabilité. On dissimule, on rejette et l’on utilise X. pour prouver l’innocence du DDPS. Force majeure ? Un faux-pas ? Une décision prise en commun – tous portent la responsabilité ? Tout cela ne compte pas. Il y a des décisions qui ont été prises, et aussi fatal que ce soit, elles étaient fausses.

Une autre question est aussi en suspens. Pourquoi l’expédition n’est-elle arrivée à cet endroit qu’à 10 heures ? A un moment où le soleil était déjà relativement haut dans le ciel, ce qui rendit la neige mouillée et lourde ? « Danger d’avalanche accrue », selon Patrick Gufler. A ce moment ils n’avaient de loin pas encore atteint le sommet et la descente aurait eu lieu pendant les heures de midi. Vu les conditions d’enneigement, on aurait dû partir beaucoup plus tôt ou rebrousser chemin. L’expert en avalanches Werner Mutter déclara dans le SonntagsZeitung du 22 juillet qu’« arrivés à la croupe de la montagne, les recrues auraient au plus tard dû faire demi-tour ». X. déclara aussi que ce n’était pas le sommet qui était le but, mais le chemin en soi. Alors, pourquoi n’ont-ils pas choisi la course moins exposée en direction du Mönch ? Un grand nombre de questions, toutes aujourd’hui encore sans réponses. Mais ces réponses doivent être trouvées. Il y a aussi des faits avérés qu’il ne faut pas délayer pour des raisons de calcul politique. C’est ce dont le DDPS est redevable au moins au défunts, mais surtout aux familles.