Silvia Cattori : En mai dernier vous aviez annoncé que vous comptiez partir en bateau à Gaza en août 2007 [1] Pourquoi avez-vous reporté cette expédition au printemps prochain ?

Greta Berlin : Nous avons décidé de reporter ce départ pour trois raisons principalement.

Premièrement, nous avons dû changer nos plans parce que nous n’avons pas encore obtenu à ce jour un montant suffisant pour acheter les bateaux dont nous avons besoin.

Deuxièmement, nous nous sommes rendus compte que beaucoup d’aspects logistiques tels que, l’enregistrement du bateau, les assurances à conclure, le recrutement d’un capitaine et d’un équipage de confiance, allaient nous prendre davantage de temps.

Et, bien sûr, la raison la plus importante qui a conduit au déplacement de la date est que nous avons décidé de faire coïncider cette action avec le 60ième anniversaire de la Nakba. [2]

Silvia Cattori : N’aviez-vous pas une responsabilité à l’égard des assiégés de Gaza qui comptaient sur la venue d’un bateau pour mobiliser l’opinion ? Si votre départ est reporté au printemps 2008, n’allez-vous pas beaucoup les décevoir ?

Greta Berlin : Nous sommes déterminés à mener à bien ce projet de lever la voile pour Gaza. Depuis la fin de l’année dernière, des dizaines d’entre nous y ont travaillé dur, et nous n’avons pas l’intention de nous arrêter.

Hedy Epstein : Nous y sommes plus engagées que jamais. Nous ne voulons pas décevoir quiconque, y compris nous-mêmes.

Silvia Cattori : Les associations solidaires de la Palestine vous ont-elles apporté le soutien espéré ?

Greta Berlin : Beaucoup d’entre nous ont été sollicités pour parler du projet de par le monde. La plupart des associations qui se sont intéressées à ce projet sont encore, pour l’instant, états-uniennes. Nous serions ravis d’être sollicités par des groupes de solidarité d’autres pays.

Silvia Cattori : Quel écho votre initiative a-t-elle trouvé auprès des médias ?

Greta Berlin : Nous avons reçu un énorme soutien de la part des sites Internet et de la part des journalistes qui s’expriment sur ce média.

Nous avons même été surprises de découvrir que notre expédition à Gaza avait soulevé l’intérêt de l’« Israeli National News » qui a écrit un article à ce sujet. C’est ainsi que à la question : « Est-ce que la Marine israélienne va tenter d’arrêter le bateau et de le renvoyer à son point de départ ? » un fonctionnaire de la sécurité israélienne a répondu que de nombreux facteurs conditionneraient la décision finale, mais qu’il était très vraisemblable qu’Israël choisirait de ne pas s’impliquer. Et de conclure par le dédain : « Si ces gens veulent prendre …des vacances au "Hamastan", je leur souhaite bonne chance »

Hedy Epstein : Nombre d’entre nous ont également été contactés par la presse arabe et les médias musulmans qui ont déjà informé leur public sur ce projet.

Silvia Cattori : Depuis que votre projet a été initié, la situation politique a totalement changé. Gaza souffre maintenant, non seulement de la guerre de l’occupant, mais également de la « guerre » anti-Hamas du président palestinien Abbas. Dans ce contexte, où les grandes puissances ont isolé Gaza, ne craignez–vous pas d’être accusés de parti pris avec un mouvement qualifié de “terroriste” ?

Greta Berlin : Le monde s’emploie à affamer les Palestiniens pour les contraindre à se soumettre, simplement parce qu’ils ont voté démocratiquement pour le parti qu’ils souhaitaient porter au pouvoir. Je trouve cette exclusion du Hamas obscène ! Parce que les Etats-Unis, Israël, et l’Union Européenne n’aiment pas les principes que défend ce mouvement Hamas, on le taxe de « terroriste ». Israël a financé le Hamas dans les années 1970 pour contrecarrer le gouvernement laïc d’Arafat. Alors pourquoi le Hamas est-il devenu soudain un groupe « terroriste » parce qu’il résiste à l’occupation ?

Hedy Epstein : Aux États-Unis, on a soutenu de nombreuses organisations « terroristes », comme le Groupe Stern, l’Irgun, la Haganah. Ces sont les tenants de ces organisations qui sont les premiers terroristes au Moyen-Orient. Ce sont elles qui se sont par la suite muées en Gouvernement d’Israël, tenant le pouvoir du haut en bas de l’échelle.

Nous savons tous que les autorités israéliennes exercent un contrôle total -terrestre, aérien et maritime- qui maintient les gens dans une prison en plein air. D’une certaine manière, notre action est un « test de véracité » concernant les mensonges d’Israël, selon lesquels il aurait quitté Gaza.

Gaza est soumise à un blocus inhumain. En 2000, avant la deuxième Intifada, les pêcheurs de Gaza pêchaient 823 tonnes de poisson pour nourrir leurs familles et pour la vente au marché. Depuis qu’Israël a fermé Gaza et refusé de laisser les gens pêcher, ils peuvent à peine prendre 50 tonnes par mois, une quantité insuffisante pour nourrir leurs familles ou pour la vente. Et les poissons qu’ils arrivent à pêcher sont minuscules ; sans compter que la pêche si près des côtes, détruit le cycle de reproduction.

Greta Berlin : Selon les « Accords d’Oslo », les Palestiniens ont le droit de pêcher jusqu’à six miles de la côte. Israël ne les laisse même pas entrer dans leurs bateaux sans leur tirer dessus et détruire les bateaux. L’armée israélienne a tué de nombreux pêcheurs au cours des deux dernières années. [3]

Silvia Cattori : Que dites-vous à ceux qui vous reprochent d’avoir un parti pris, qui vous suspectent "d’antisémitisme", que vous devriez plutôt vous intéresser au Darfour ?

Hedy Epstein : La « communauté » juive américaine est déjà en train de remuer ciel et terre pour apporter son soutien aux populations au Darfour en « donnant de l’argent ». Cette « communauté » projette sa mauvaise conscience sur ceux d’entre nous qui défendent la paix et la justice pour les Palestiniens, au lieu de désavouer ce qui est fait en notre nom (juif). Des projets d’aide, comme celui du Darfour, sont principalement soutenus par des organisations sionistes qui veulent détourner l’attention du vrai problème qui est celui du sort réservé par Israël aux Palestiniens.

Greta Berlin : Ecoutez, c’est nous, les Etats-Unis qui finançons l’occupation de la Palestine. Nous versons 10 millions de dollars PAR JOUR à Israël pour occuper la Palestine, tuer, affamer, et chasser la population autochtone au profit des colonisateurs. Nous avons une obligation morale de nous occuper de cette question car c’est principalement nous qui avons permis à Israël que cette tragédie se poursuive.

Silvia Cattori : Que comptez-vous faire pour surmonter les obstacles qui ont retardé votre départ pour Gaza ?

Greta Berlin : Nous faisons tout ce que nous pouvons pour faire connaître le projet Free Gaza et collecter suffisamment de fonds pour l’achat de deux ou trois bateaux. Nous devons encore trouver 250’000 dollars. En l’espace de deux mois, nous avons collecté près de 30’000 dollars.

Donc nous savons que l’on peut y parvenir si tous ceux qui lisent cet entretien, ou d’autres articles qui parlent de notre projet, versent une contribution en allant simplement sur notre site web, freegaza.org et en cliquant sur Donate.

Silvia Cattori : Et si, pour quelque raison, ce projet ne se réalisait pas ?

Hedy Epstein : Si cela devait arriver, ce que nous ne pensons pas, nous verserions l’argent collecté à des projets humanitaires à Gaza. Il n’y aura, hélas, pas de pénurie de projets à financer, aussi longtemps que la communauté internationale continuera d’affamer la population de Gaza.

[1« Greta Berlin : "Pourquoi nous allons naviguer jusqu’à Gaza" », par Sivia Cattori, Réseau Voltaire, 6 juin 2007.

[2La Nakba (cataclysme) c’est ainsi que les Palestiniens qualifient les massacres, les destructions de villages et la déportation de près d’un million des leurs en 1948 par des organisations terroristes juives

[3« Israelis Keep a Fishy Watch », Jon Elmer, The Electronic Intifada, 16 février 2007