Le gouvernement états-unien envisage d’envoyer des troupes au Pakistan afin de neutraliser al-Qaïda dans son refuge du Waziristan, dans le nord du Pakistan. Cette initiative fait partie de sa doctrine de la « guerre préventive ».

Il prétend que le bastion d’al-Qaïda, situé dans une zone montagneuse isolée, constitue une menace pour la sécurité des États-Unis. Selon la direction du Renseignement national, « al-Qaïda demeure la plus grave menace pour les États-Unis […]. Nous estimons que ce groupe a protégé et renouvelé des éléments clés de ses capacités d’attaque contre les États-Unis, notamment un refuge sûr dans les zones tribales administrées au niveau fédéral (FATA), ses lieutenants opérationnels et sa direction. » [1]

Lors de séances à huis clos du Sénat et des commissions des Services armés et du Renseignement, James Clapper, sous-secrétaire à la Défense chargé du Renseignement, a confirmé la détermination du gouvernement de démanteler le « réseau terroriste » à l’intérieur du Pakistan :

« Les États-Unis ne sont pas restés passifs pendant que le réseau militant responsable des attaques du 11-Septembre contre New York et Washington renouvelait ses forces dans le nord du Warizistan. […] Je pense que notre objectif sera non pas d’éliminer ce refuge, mais certainement de le rendre moins sûr et moins attirant pour al-Qaïda, comme nous l’avons fait pour les autres [2].

Cette déclaration a été faite à la suite de la publication, le 11 juillet 2007, du National Intelligence Estimate (Évaluation du Renseignement national) qui fait état d’une attaque possible des États-Unis par al-Qaïda. Le rapport suggère également que le bastion d’où al-Qaïda prépare ses opérations terroristes est situé dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan. Aussi bien Washington qu’Islamabad accusent des membres militants de tribus du Waziristan d’« héberger al-Qaïda et de soutenir les talibans ».

La Maison-Blanche est favorable à une opération militaire américaine au Pakistan

Selon Frances Townsend, conseillère de Bush pour la sécurité intérieure, « la Maison-Blanche n’exclut pas l’utilisation de la force pour attaquer les camps terroristes du Pakistan ». [3]

Tous d’accord

Se fondant sur le consensus qui s’est établi entre les diverses agences de renseignements, le Département d’État a fait des déclarations semblables. Au cours d’auditions séparées devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat, le sous-secrétaire d’État Nicholas Burns s’est déclaré largement d’accord avec le Pentagone et la Maison-Blanche : « Dans certaines circonstances, les États-Unis agiront de manière unilatérale contre al-Qaïda au Pakistan. » [4]

La logique de ces déclarations est qu’al-Qaïda prépare sans aucun doute depuis son bastion du Waziristan un second attentat important dirigé contre les États-Unis et que « nous devons les attaquer ».

Selon les commissions du Sénat et de la Chambre des représentants, l’engagement militaire du Pakistan s’est révélé inefficace. Elles demandent une opération militaire états-unienne soigneusement préparée et dirigée contre al-Qaïda : « Al-Qaïda se trouve maintenant dans une zone du Pakistan pratiquement inaccessible aux forces armées et au gouvernement pakistanais. Elle l’a toujours été. Il est très difficile d’opérer dans cette région », a déclaré Edward Gistaro, meilleur expert de la CIA en matière de menaces transnationales.

Procurer un refuge sûr aux combattants d’al-Qaïda ?

L’Administration Bush utilise la présence supposée de forces d’al-Qaïda dans le nord-ouest du Pakistan pour justifier une intervention militaire préventive dans un pays souverain. Une telle opération pourrait être lourde de conséquences. Elle pourrait conduire à une extension de la « guerre contre le terrorisme » des États-Unis au-delà des frontières du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

Le bastion d’al-Qaïda au Waziristan représente-t-il une menace pour les États-Unis ? Comment al-Qaïda a-t-il réussi à établir son quartier-général dans le nord-ouest du Pakistan ? La question est essentielle si l’on veut évaluer la volonté du gouvernement Bush de neutraliser le réseau terroriste. Le bastion d’al-Qaïda a été établi dans les mois qui ont suivi l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis et l’OTAN. La campagne militaire commença au début d’octobre et se termina à la fin novembre 2001. L’invasion était une guerre punitive dirigée contre l’Afghanistan dont on soupçonnait le gouvernement taliban d’avoir appuyé les attaques du 11-Septembre. (Il n’existe actuellement pas de preuve d’implication du gouvernement afghan dans ces attentats.)

À la fin novembre 2001, l’Alliance du Nord, appuyée par les bombardements US, s’empara de la ville de Kunduz, dans le nord du pays. 8 000 hommes ou plus « ont été pris au piège dans la ville les derniers jours du siège, dont la moitié environ étaient des Pakistanais, des Ouzbeks, des Tchétchènes et divers mercenaires arabes. » [5].

Parmi ces combattants se trouvaient plusieurs officiers supérieurs de l’armée et des renseignements pakistanais envoyés sur le théâtre des opérations par l’Armée pakistanaise. Leur présence dans les rangs des forces des talibans et d’al-Qaïda était approuvée par Washington. Les services de renseignements militaires pakistanais, l’ISI, qui ont également joué un rôle direct dans les attentats du 11-Septembre, supervisaient l’opération.

Dans une déclaration faite à la Maison-Blanche le 26 novembre 2001, le président Bush a confirmé la détermination des États-Unis de poursuivre les terroristes : « Il y a longtemps, j’ai dit qu’un de nos objectifs était de les faire sortir de leurs tanières en les enfumant, de les mettre en fuite et de les juger […] J’ai dit aussi que nous utiliserions tous les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif, et c’est exactement ce que nous allons faire. »

Curieusement, au lieu d’arrêter les « combattants étrangers » d’al-Qaïda qui se battaient aux côtés des talibans, l’Armée états-unienne a facilité leur évacuation vers le nord-ouest du Pakistan dans des avions militaires.

Un grand nombre de ces « combattants étrangers » n’ont jamais été ni jugés ni mis en détention ni interrogés. Tout au contraire : Comme le confirme Seymour Hersh, ils ont été placés en sécurité sur l’ordre du Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld :

« L’Administration Bush a ordonné au Commandement central américain de mettre sur pied un couloir aérien spécial pour assurer la sécurité des vols de Kunduz vers le coin nord-est du Pakistan. […]
Moucharraf a obtenu le soutien de l’Amérique pour ce pont aérien en les mettant en garde : L’humiliation causée par la perte de centaines, voire de milliers de soldats et d’agents des services secrets pakistanais compromettrait sa survie politique. Un agent des services secrets américains m’a dit que les Etats-Unis étaient très désireux d’aider Moucharraf. Un analyste de la CIA a déclaré avoir compris que la décision d’autoriser le pont aérien avait été prise par la Maison Blanche et qu’elle était motivée par le désir de protéger le dirigeant pakistanais. A l’époque, ce pont aérien était justifié. Un grand nombre de ceux qu’ils ont fait disparaître comme par enchantement étaient des dirigeants talibans dont le Pakistan espérait qu’ils pourraient jouer un rôle dans un gouvernement afghan après la guerre. Selon cet agent, Moucharraf voulait récupérer ces hommes pour avoir une carte à jouer lors de futures négociations. Nous étions supposés avoir accès à eux, mais ce ne fut pas le cas et les talibans que nous avons sauvés restent inaccessibles aux services secrets américains.
 »

Selon un ancien haut responsable états-unien de la Défense, le pont aérien a été approuvé parce que les Pakistanais pensaient qu’il y avait des agents des services secrets et des combattants clandestins qui devaient sortir de là. [6]

En d’autres termes, la version semi-officielle était : « On s’est fait avoir par les Pakistanais. »

Parmi 8 000 hommes ou plus, 3 300 se sont rendus à l’Alliance du Nord, ce qui fait qu’il restait entre 4 000 et 5 000 hommes « portés disparus ». Selon des sources émanant des services de renseignements indiens [7], au moins 4 000 hommes, dont deux généraux de l’armée pakistanaise, ont été évacués [8]. L’opération a été qualifiée avec désinvolture de « grosse erreur » ayant entraîné des « conséquences non souhaitées ». Selon des responsables états-uniens, « ce qui devait être une évacuation limitée a apparemment échappé à tout contrôle et, conséquence imprévue, un nombre inconnu de talibans et de combattants d’al-Qaïda ont réussi à se joindre à l’exode. » [9]

Un article de la presse indienne a confirmé que ceux qui ont été évacués, par la grâce de l’Oncle Sam, n’étaient pas des talibans modérés mais plutôt des talibans « purs et durs » et des combattants d’al-Qaïda. [10]

Terroristes ou forces utiles aux services de renseignement ?

L’évacuation des combattants pakistanais et étrangers d’al-Qaïda vers le nord-ouest du Pakistan faisait partie d’une opération de l’armée et des services secrets dirigée par des agents de l’ISI pakistanais en accord avec leurs homologues de la CIA.

Un grand nombre de ces « combattants étrangers » ont été intégrés dans les deux principaux groupes terroristes rebelles cachemiris Lashkar-e-Taiba (« Armée des purs ») et Jaish-e-Muhammad (« Armée de Mahomet »). Ainsi une des principales conséquences de l’évacuation appuyée par les États-uniens fut de renforcer ces organisations terroristes cachemiries.

On sauve des combattants d’al-Qaïda et on enlève des civils

Pourquoi l’Armée états-unienne a-t-elle organisé ce pont aérien destiné à mettre en sécurité plusieurs milliers de « combattants étrangers » ? Pourquoi ne les a-t-elle pas arrêtés et envoyés au Camp Delta de Guantanamo ? Quel est le rapport entre leur évacuation d’une part et l’emprisonnement (sur la base d’accusations inventées de toutes pièces) de « combattants ennemis » dans le camp de concentration de Guantanamo ?

Alors que le Secrétaire à la Défense Rumsfeld prétendait à l’époque que les détenus de Guantanamo étaient des « tueurs brutaux », on a des preuves que la plupart d’entre eux étaient des civils :

« L’Alliance du Nord a reçu des millions de dollars du gouvernement états-unien et a poussé à arrêter des milliers de civils innocents en Afghanistan sous prétexte que c’étaient des terroristes afin d’aider le gouvernement états-unien à justifier la « guerre contre le terrorisme ». Certains futurs prisonniers de Guantanamo ont été arrêtés par des soldats pakistanais patrouillant le long de la frontière et qui recevaient des primes. D’autres ont été capturés par des seigneurs de la guerre afghans et vendus aux États-uniens qui offraient des primes pour la capture de combattants talibans et de ceux d’al-Qaïda. Dans les rapports classifiés des services de renseignements, un grand nombre de prisonniers sont décrits comme étant des paysans, des chauffeurs de taxi, des cordonniers et des ouvriers ». [11]

Alors que les combattants d’al-Qaïda et leurs conseillers pakistanais de haut rang étaient « sauvés » sur ordre de Donald Rumsfeld, des civils innocents, qui n’avaient absolument aucun lien avec les opérations militaires ont été, également sur son ordre, systématiquement qualifiés de « combattants ennemis », enlevés, interrogés, torturés et envoyés à Guantanamo. Pourquoi ?

L’Administration Bush avait-elle besoin de « recruter des prisonniers » dans la population civile et de les faire passer pour des « terroristes » afin de confirmer son engagement dans la « guerre globale contre le terrorisme » ? Avait-elle besoin de « combler le vide » laissé par l’évacuation en secret de plusieurs milliers de combattants d’al-Qaïda ? En d’autres termes, ces détentions faisaient-elles partie de la campagne de propagande du Pentagone ?

Inversement, le gouvernement Bush avait-il besoin de l’existence d’un bastion d’al-Qaïda pour continuer ses opérations dans sa guerre préemptive contre le terrorisme ? Ces « terroristes » étaient-ils nécessaires au sein du groupe de militants islamistes cachemiris dans le contexte d’une opération secrète conjointe de l’ISI et de la CIA ?

Quelle qu’en ait été la raison – nous sommes ici en présence d’une opération diabolique des services secrets.

Plus de 600 hommes provenant de 42 pays différents ont été détenus à Guatánamo. Alors que les États-uniens continuent de prétendre que ce sont des « combattants ennemis », un grand nombre d’entre eux n’avaient jamais mis les pieds en Afghanistan. Ils ont été enlevés dans divers pays comme le Pakistan, la Bosnie, la Gambie, transférés vers la base militaire états-unienne de Bagram, en Afghanistan, puis dirigés sur Guantanamo. Parmi les prisonniers, il y avait quelques adolescents de 13 à 15 ans. Selon des responsables du Pentagone, ces garçons ont été internés à Guantanamo « parce qu’ils étaient considérés comme une menace et qu’ils pouvaient fournir aux autorités américaines des renseignements très précieux » [12]. Selon le journal britannique Muslim News, « on a ignoré tout respect des normes du droit international en enlevant des musulmans partout dans le monde, en les transférant à Guantanamo et en les soumettant à une justice sommaire. »

On a arrêté des adolescents mais aucun des vrais « combattants étrangers » évacués par la grâce de l’Oncle Sam n’a été considéré comme une menace pour la sécurité.

À la poursuite d’al-Qaïda dans le nord-ouest du Pakistan

Dans les mois qui ont suivi l’invasion de l’Irak, le Pentagone a décidé de renforcer ses opérations antiterroristes dans le nord-ouest du Pakistan avec le soutien de l’Armée pakistanaise. Ces opérations ont été déclenchées dans les zones tribales du nord à la suite de la visite à Islamabad du Secrétaire d’État adjoint Richard Armitage et de l’assistante du Secrétaire d’État Christina Rocca en octobre 2003.

L’opération a été diffusée en direct par le réseau de télévision national dans les mois précédant les élections présidentielles de novembre 2004. Les cibles étaient Ben Laden et son bras droit Ayman al-Zawahiri censés se cacher dans le nord du Pakistan.

Le Pentagone qualifia cette stratégie d’approche « marteau et enclume », « les troupes pakistanaises pénétrant dans les zones tribales semi-autonomes de leur côté de la frontière et les forces afghanes et américaines balayant les zones inhospitalières de l’autre côté ». [13].

En mars 2004, le Sunday Express britannique citait une source des services de renseignement états-uniens :

« Ben Laden et environ 50 de ses partisans avaient été coincés dans la chaîne de Toba Kakar au nord de la ville pakistanaise de Quetta et observés par satellite. […] Le Pakistan envoya alors une troupe spéciale de plusieurs milliers de soldats dans la zone tribale du Waziristan-Sud. »

Ironie amère, c’est dans cette région septentrionale du Pakistan que quelque 4000 « combattants étrangers » avaient été évacués sur ordre de Rumsfeld en novembre 2001. Et ces unités d’al-Qaïda étaient ravitaillées par l’ISI. [14]

Ainsi, les unités des services de renseignements militaires du Pakistan (ISI) qui ont coordonné l’évacuation des combattants étrangers en novembre 2001 pour le compte des États-uniens sont maintenant impliquées dans la recherche « marteau et enclume » des membres d’al-Qaïda dans le nord-ouest du Pakistan avec le soutien des forces armées régulières de ce pays.

D’un point de vue militaire, c’est absurde.

Pourquoi les États-uniens n’ont-ils pas arrêté les combattants d’al-Qaïda en novembre 2001 ? Par incompétence ou mauvaise préparation militaire ? Ou était-ce une opération secrète destinée à sauver et à soutenir l’« ennemi numéro un » ? Parce que sans cet ennemi, il n’y aurait pas de « guerre contre le terrorisme ». L’opération a certainement un sens au point de vue de la propagande de guerre : Les terroristes sont bien là-bas, c’est nous qui les y avons transférés. En les poursuivant maintenant, nous montrons au monde que nous sommes déterminés à les éliminer. La campagne de Bush a besoin de quelque chose de plus qu’une « guerre contre le terrorisme » purement rhétorique. Elle a besoin d’une « vraie guerre contre le terrorisme », avec un quartier général d’al-Qaïda dans la zone tribale du Waziristan qui a été choisie.

Où est la menace ?

Depuis peu, l’existence d’un bastion d’al-Qaïda est utilisée pour justifier une intervention militaire états-unienne au Pakistan sous prétexte qu’une « attaque contre le territoire américain » est en train d’être organisée dans ces montagnes inaccessibles qui ont peu d’infrastructures et de réseaux de communication.

Incroyable ?

Source : « Rumsfeld Helped Al Qaeda Establish a Stronghold in Northwestern Pakistan », Mondialisation.ca, 26 juillet 2007.

Traduction : Horizons et débats

[1Inside the Pentagon, 26 juillet 2007.

[2Cité par Reuters, 26 juillet 2007.

[3Fox News, 22 juillet 2007.

[4Reuters, 26 juillet 2007.

[5Seymour M. Hersh, « The Gateway », The New Yorker, 21 janvier 2002.

[6Seymour Hersh, op. cit.

[7Citées par Hersh.

[8Ibid.

[9Cité par Hersh.

[10Times of India, 24 janvier 2002.

[11Témoignage communiqué par l’avocat de Mohammad Sageer, cité dans America’s War on Terrorism.

[12Washington Post du 23 août 2003.

[13The Record, Kitchener, 13 mars 2004.

[14UPI, 1er novembre 2001.