Dans un village bolivien, deux marginaux allemands font de la réclame pour une production écologique

En Bolivie, une initiative personnelle de deux Allemands entend encourager l’abandon de l’économie conventionnelle du gaspillage.
Les rivières de Rio Misca et de Yourouma jaillissent, en Bolivie, dans les Andes basses, traversent les vallées de Santa Cruz de la Sierra et se jettent dans le Rio Piraí. Ce dernier coule vers l’Amazone, se jette dans un des fleuves géants qui approvisionnent en eau le gigantesque bassin de l’Amazone et finit par se jeter dans l’océan Atlantique. Dès le début de cet enchaînement pourtant, ce déroulement séculaire est grandement dérangé par l’intervention humaine. Le déboisement et le brûlis menacent de détruire l’équilibre de ce système écologique. Les séquelles, ce sont des phénomènes extrêmes, tels que le manque d’eau et des inondations comme il y en a eu récemment dans les plaines boliviennes, lorsque après une longue période de sécheresse, des masses d’eau incontrôlables ont anéanti les fortunes de plusieurs milliers d’êtres humains. Qui en est responsable ? C’est « El Nino », un phénomène climatique qui apparaît en moyenne tous les quatre ans et qui est accompagné d’un réchauffement anormal à grande échelle qui englobe la couche couvrant l’intégralité de l’océan Pacifique sous les tropiques.
Une réflexion approfondie sur les causes de cette catastrophe de l’environnement manque presque totalement. Comme la nécessité urgente et quotidienne de gagner son pain promeut une planification économique à court terme, c’est la nature qui en fait les frais. Pourtant, la protection de l’environnement a surtout besoin d’une réflexion à long terme.
Alexandra Danzl et Thomas Schramm exigent une révision totale des conceptions. Leur projet « Un mode de vie sans détruire », a été développé avec les habitants du petit village Comunidad Alto de La Yourouma, à 5 heures de voiture de la ville est-bolivienne de Santa Cruz de la Sierra, où eux aussi habitent. Àgés tous les deux de cinquante ans, ils ont abandonné la vie qu’ils menaient jusqu’ici en Allemagne.
C’est avec les événements du 9-11-2001 qu’ils ont véritablement pris conscience que « quelque chose n’est pas normal dans notre monde » dit Alexandra qui, avant de quitter l’Allemagne, possédait une compagnie qui opérait dans la sous-traitance. Avec son partenaire qui était initialement dans le traitement du pétrole et qui, plus tard, s’est reconvertit en informatique, elle se penche alors sur les formes alternatives d’économie et de vie en commun. Mais en Allemagne, où tout est réglementé, ils n’ont que des possibilités d’épanouissement limitées.
Ils cherchent quelque chose de nouveau, refusant le réformisme écologique, « parce qu’il ne lutte que contre les symptômes et ne traite pas causes des dégâts qu’engendre le système existant, un système qui génère lui-même sa propre destruction », déclare Schramm. « Ce qu’on fait généralement dans la protection de l’environnement, ce n’est pour nous que du fard », ajoute Danzl. « Depuis des siècles, l’incapacité du système économique est évidente, ce système ne sait pas résoudre les problèmes fondamentaux des hommes. À l’époque moderne, la foi aveugle dans le progrès a mené la nature au bord de l’effondrement écologique planétaire ». Les deux s’installent finalement dans une vallée isolée, à 30 km de Samaipata où Che Guevara est supposé s’être arrêté pendant sa tentative d’établir, de façon violente, la Révolution cubaine sur le continent entier. Ils y vivent très modestement depuis maintenant trois ans.
Le projet des deux Allemands est modeste, mais radical. Avec le petit producteur local, la Comunidad, ils travaillent à mettre en place un plan de protection de l’environnement subventionné par l’Etat et des mesures d’atténuation de la pression économique pour que les coutumes, telles que le déboisement et le brûlis qui servent à étendre de plus en plus la surface cultivable, disparaissent lentement. Le reboisement évite l’érosion du sol, ce qui contribue à la protection et au maintien du bassin d’eau des rivières Misca et Yorouma. Les non-producteurs vivant en aval profitent ainsi à la fois des produits des paysans et du fait que les dégâts environnementaux sont évités.
Ils espèrent surtout que le gouvernement socialiste actuel leur donnera un soutien parce que sa politique de développement mise sur la promotion des petits producteurs et de la culture écologique. Ils ont déposé une demande de 880 000 dollars pour les cinq ans à venir.
Ce n’est pas seulement le paysan qui est responsable de la protection de la nature. Le consommateur entre, lui aussi, dans ce cycle. « Un changement ne dépend pas seulement du paysan. Une forme de collaboration des consommateurs pourrait être de donner une subvention. » 600 000 dollars de subvention sont ainsi prévus pour les petits paysans afin que ceux-ci travaillent d’une manière écologiquement acceptable. Cela veut dire faire d’une pierre deux coups : on évite la pauvreté parmi les paysans et on protège la nature en faisant des paysans des écologues rémunérés. « Le financement par des subventions de l’État doit être compris comme une nécessité pour sauvegarder les fondements de notre vie », déclare le programme du projet. Si la vie à la campagne reste économiquement supportable, moins de main-d’œuvre s’enfuira dans les villes.
Afin de contribuer à propager localement « la vie en commun solidaire parmi les hommes et avec la nature », les deux se sont mis d’accord sur une collaboration avec l’association culturelle Che Guevara « Mambo Tango » de Samaipata. « Il doit être évident pour tous que la protection de l’environnement n’est pas seulement un devoir d’une minorité, mais un devoir de la société entière. » •

Source
Horizons et débats (Suisse)