La Société suisse de sociologie a organisé du 12 au 14 septembre à l’Université de Bâle un congrès international au sujet de « la Guerre ! ». Plus de 300 participants ont discuté pendant trois jours dans plus de 80 ateliers et séances plénières sur des questions relatives à la guerre et à la paix. Des lectures pendant l’heure de midi, une table ronde publique ainsi que deux expositions – l’une présentant des photos sur la guerre du Viet Nam et l’autre des dessins faits par des enfants de Tchétchénie qui montraient clairement « Ce que la guerre cause comme dégâts » – complétaient le programme.
Ueli Mäder, doyen de la faculté de philosophie et d’histoire de l’Université de Bâle et professeur à l’Institut de sociologie de même qu’organisateur de ce congrès, a salué les participants notamment avec une citation tirée du manifeste contre la guerre de ­Wolfgang Borchert :

« Il n’y a alors qu’une chose à faire ! Toi. Homme travaillant à la machine et homme travaillant dans l’atelier. S’ils t’ordonnent demain de ne plus faire de tuyaux pour les conduites d’eau, ou de marmites pour la cuisson mais des ­casques en acier et des mitrailleuses, il n’y a alors qu’une chose à faire : Dis non ! »

Pour la non-violence et la paix, contre la guerre et les meurtriers

Dans son discours d’ouverture, Christoph Maeder, Président de la Société suisse de sociologie et professeur à l’Etablissement pédagogique d’enseignement supérieur de Thurgovie, a souligné l’actualité et la constance de ce thème. Actuel, parce que dans le monde entier, le fléau de la guerre menace sous toutes ses formes les êtres humains et les sociétés, et constant, parce que l’histoire peut être interprétée (mais pas seulement) comme une suite infinie de guerres. Il a invité les participants à relever le défi de cette thématique difficile de la guerre et à réfléchir sur celle-ci et à la comprendre sociologiquement.
Johan Galtung, chercheur dans le domaine de la paix à Oslo et détenteur du prix Nobel alternatif, a tenu l’exposé d’ouverture. Il a parlé sur le sujet « Guerre : historiographie, éthiologie et abolition ». Galtung ne croit pas que l’homme soit mauvais. Son expérience lui fait dire qu’il existe dans beaucoup de conflits un rapport entre différents facteurs économiques, politiques, culturels et sociaux.
Pour comprendre ces relations, la recherche dans le domaine de la paix devrait avoir une orientation « transdisciplinaire ». Dans le travail relatif à la recherche sur la paix, on devrait être ouvert à de nouveaux signaux. Sinon, il pourrait arriver qu’une solution nous plaise tellement qu’elle nous barre le chemin à nous-mêmes dans notre travail de médiateur. Cependant, pour Galtung, comprendre ne signifie pas accepter : « Je prends parti pour la non-violence et la paix, contre la guerre et les meurtriers. Je ne reste pas ­neutre. »

« Eelam tamoul » – une patrie pour les Tamouls

Dans une interview avec OnlineReports, ­Galtung a développé une proposition pour une solution au Sri Lanka méritant l’attention : comme solution possible, il suggère un « Etat fédéral souple avec une grande autonomie pour la population tamoule. Pour atteindre ce but, les Tamouls doivent avoir le droit de désigner la partie du Sri Lanka qui leur appartient, non pas comme ‹Nord› mais comme ‹Eelam tamoul›. ‹Eelam tamoul› est la patrie, on est prêt à mourir pour l’‹Eelam tamoul›. Ces cinq dernières années, j’ai soutenu cette opinion en me référant à un ­exemple ana­logue qui a conduit à la paix : Si New Delhi est prêt à avoir un Tamil Nadu, il serait alors possible que Colombo ait un Eelam tamoul. Du reste, dans le Tamil Nadu, le mouvement pour l’indépendance tamoule a presque complètement disparu depuis que les Tamouls hindous peuvent officiellement utiliser leurs propres noms. »

Comment la guerre vient-elle dans les têtes ?

« Les médias entre le marché de la guerre et le journalisme de la paix ». Tel a été le titre de la table ronde qui a clos le premier jour. Les participants étaient notamment Johan Galtung, Jörg Becker, professeur de sciences politiques à Marbourg et Innsbruck et co-auteur de l’ouvrage « Operation Balkan. Werbung für Krieg und Tod » [1] [Opération Balkan : propagande en faveur de la guerre et de la mort], Werner Ruf, professeur de relations internationales à Kassel, Karin Wenger, collaboratrice à la « Neue Zürcher Zeitung », Karl Baratta, dramaturge au théâtre de Bâle.
Les participants ont été unanimes sur le fait que les médias portent une grande responsabilité. Johan Galtung a déclaré que la paix et non la guerre doit être thématisée par les médias et qu’il ne s’agit pas seulement de démasquer les raisons des conflits mais d’apporter des propositions pour une solution et des perspectives pour l’avenir. Pour cela, on a besoin de producteurs médiatiques qui sont intéressés par la paix. Karl Baratta a exprimé un aspect central de la soirée : Pour lui, les producteurs médiatiques et artistiques doivent travailler « à ce que la guerre devienne impossible ! »

La colonialisation des médias par l’industrie des relations publiques

On est toujours revenu sur les rapports économiques et les contraintes auxquelles sont soumises les médias. Karin Wenger a dit qu’en Allemagne, elle ne pouvait plus placer ses articles sur la Palestine. Si la consigne venant des étages supérieurs était de désigner le Hamas comme mauvais, on ne pouvait plus écrire rien d’autre. Werner Ruf a ajouté que les producteurs médiatiques avaient « les ciseaux dans la tête » car ils devaient vivre de leur travail. On peut dire la même chose des scientifiques ; dans la science, également, la commercialisation prend toujours plus de place. Souvent, les scientifiques lavent les mensonges des médias postérieurement au lieu de les démasquer. Jörg Becker a dit qu’il s’agissait d’utiliser davantage la plus grande liberté dont disposaient les journaux. Soucieux, il a souligné la colonialisation des médias par l’industrie des relations publiques. Aux USA, il existe maintenant plus d’experts en relations publiques que de journalistes. Dans son livre « Operation Balkan. Werbung für Krieg und Tod », il a montré que la disposition pour la guerre contre la Serbie a été créée par des agences de relations publiques en plaçant dans les médias la Serbie au même niveau que l’Allemagne de Hitler.
Le public a honoré la contribution au débat de l’Afghan Matin Baraki par un applaudissement spontané et approbateur. Celui-ci a critiqué le « langage » dans les médias. Il est question de la guerre en Yougoslavie, en Afghanistan ou en Irak, on parle d’une guerre qui éclate ou de l’équilibre de l’armement. Pourtant, les guerres n’éclatent pas, elles sont programmées et mises en pratique, le prétendu équilibre de l’armement est en vérité un réarmement pour la prochaine guerre et la guerre en Yougoslavie est une guerre contre la Yougoslavie, la guerre en Afghanistan est une guerre contre l’Afghanistan et la guerre en Irak est une guerre contre l’Irak.

Terroriser la population civile au moyen de munitions à l’uranium

Parmi la multitude des exposés riches en contenu, deux sont choisis ici : dans la séance plénière intitulée « guerre civile, ‹failed states› et ‹terror› », Fritz Vilmar, professeur de sciences politiques et chercheur dans le domaine de la paix à l’Université libre de Berlin, a présenté sa documentation sur « Kriegsführung mit Urangeschossen. Uranstaub – Schleichender Massenmord » [2] [La guerre menée au moyen de projectiles à l’uranium. Poussière d’uranium – massacre sournois]. Il a désigné l’emploi de la munition à l’uranium comme un « nouveau chapitre du terrorisme d’Etat ». La poussière d’uranium émanant sous la forme de particules nano du projectile à l’uranium lors de son impact sur une matière résistante dure, provoque de très graves maladies et menace la santé de toute l’humanité. Une campagne mondiale de dissimulation a empêché jusqu’à présent l’information nécessaire et urgente sur ces armes de destruction massive et l’interdiction de celles-ci.

La Suisse doit retirer ses soldats de l’Afghanistan

Remo Gysin, conseiller national de Bâle-Ville s’est référé dans son exposé, Perspectives d’une politique suisse de paix, à ce qui figure dans la Constitution fédérale. Le renforcement de « la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde » est déjà ancré dans le préambule de la Constitution de la Confédération comme l’objectif élémentaire de la Suisse.
L’article 54 de la Constitution définit le but principal de la politique extérieure suisse : « La Confédération s’attache à préserver l’indépendance et la prospérité de la Suisse, elle contribue notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples. » Ce sont depuis des années les objectifs principaux de la Suisse qui dispose de conditions particulières pour leur réalisation.
Le Rapport de politique étrangère du Conseil fédéral de juin 2007 nomme les éléments suivants, qui renforcent l’image d’impartialité de la Suisse dans sa promotion de la paix :
- la neutralité permanente
- l’absence de passé colonial
- le fédéralisme et la multiculturalité
- les principes de non-recours à la force et le règlement pacifique des différends
Il en résulte que la Suisse doit faire face à de grandes exigences pour pratiquer une politique pacifique cohérente. Par exemple, l’exportation de matériel militaire à destination d’Etats menant une guerre n’est pas conciliable avec la Constitution, de même que le soutien au projet du barrage d’Ilisu. De cette manière, la Suisse encourage l’exportation au détriment des droits de l’homme et d’une politique pacifique. En outre, la non-ratification de la Convention 169 de l’OIT pour la protection des peuples indigènes ou la signature de contrats économiques avec d’autres pays ou avec l’OMC sans établir de clauses stipulant des standards relatifs aux conditions sociales, aux droits de l’homme et à l’environnement sont d’autres exemples. De grands efforts sont nécessaires quand on considère des aspects se rapportant à la spécificité des sexes dans la politique pacifique, la lutte contre la traite des femmes et la violence contre les femmes en tant qu’instrument de guerre.
A la fin de son exposé, Remo Gysin a soulevé la question de savoir s’il n’était pas plus effectif et dans l’ensemble plus avantageux pour la Suisse de se limiter à la promotion civile de la paix, où elle présente des avantages comparatifs.
En ce qui concerne l’Afghanistan, il est convaincu que les soldats suisses qui coopèrent avec les troupes de l’OTAN sapent la crédibilité de la Suisse, sa neutralité et son image de médiatrice et même des interventions humanitaires. La Suisse doit retirer ses officiers de l’Afghanistan et se concentrer entièrement sur la promotion civile de la paix.

Il n’y a qu’une chose : « Dis non ! »

Lors de la séance de clôture, Ueli Mäder a une nouvelle fois ramené au centre l’objectif du congrès intitulé « la Guerre ! » en ce qui concerne la paix, en reprenant la citation de Wolfgang Borchert et en la complétant :

Car si vous ne dites pas non, alors le dernier homme traînera… solitaire sous le soleil ardent et empoisonné, solitaire entre les sillons et les idôles froides des blocs gigantesques en béton des villes dépeuplées… – et sa plainte effroyable : Pourquoi ? retentira sans être entendue… Tout cela se produira, demain…, si vous ne dites pas non. »

Christoph Maeder a tracé de nouveau ­l’ébauche relative au devoir de la sociologie en faveur de la paix : analyser, dévoiler et expliquer. Lui-même a conclu, de la contribution en plénière de Peter Imbusch sur la légitimité des interventions militaires et de celle du conseiller national Remo Gysin, que la Suisse doit retirer ses deux officiers de l’Afghanistan et ses 220 soldats de la Swisscoy du Kosovo et centrer entièrement son activité sur la promotion civile de la paix – ceci a été approuvé par un grand applaudissement.
Un programme riche et chargé où il a été pourtant possible de poser des questions et de discuter, une performance de maître dans l’organisation sous la responsabilité du professeur Ueli Mäder et de sa collaboratrice Sarah Schilliger, assistante scientifique à l’Institut de sociologie à l’Université de Bâle.
Nous, les participants à ce congrès, avons le devoir, au delà de celui-ci, de propager la voix de la raison mettant un stop à la guerre, chacun là où il se trouve, chacun selon ses possibilités et ses forces. Cela ne doit plus arriver que les filles et les fils se présentent devant leurs parents pour les accuser de ne rien avoir entrepris contre la guerre et le massacre, comme ce fut le cas de la génération de 68 après la Seconde Guerre mondiale. •

[1Jörg Becker, Mira Beham, Operation Balkan : Werbung für Krieg und Tod, ISBN 3-8329-1900-7

[2Brigitte Runge, Fritz Vilmar, Kriegführung mit Urangeschossen. Uranstaub – Schleichender Massenmord, www.friedenspolitik.com