Le 12 octobre, le parlement allemand a décidé par vote de prolonger d’un an l’engagement de la Bundeswehr dans la cam­pagne FIAS en Afghanistan. 453 députés ont voté pour, 79 contre et 48 se sont abstenus. Le Parlement ne s’est pas non plus opposé à l’obligation imposée par le Gouvernement de voter en même temps l’engagement au sein de la FIAS et l’envoi de Tornados allemands dans la région de guerre en Afghanistan, décidé pour la première fois au mois de mars. Les 79 voix contre et les 48 abstentions sont de précieuses voix contre la politique allemande quant à l’Afghanistan. Elles résultent de l’engagement de tous ceux qui ont fourni un très gros travail d’information depuis des années, des mois et des semaines.

Le vote concernant l’engagement allemand au sein de la soi-disant « Opération liberté immuable » (OLI), dont les USA ont le commandement, a été reporté par le Gouvernement au mois de novembre. On veut faire croire à la population qu’il s’agit de projets différents. Mais c’est faux. Ces deux engagements, d’une part celui de l’OLI mené de façon illégale du point de vue du droit international par les États-Unis (cf. « Raisons militant en faveur d’un « non » à la participation de troupes allemandes à l’OLI et à la FIAS », in : ­Horizons et débats no 38, du 24 septembre) et d’autre part celui de la FIAS, couvert par plusieurs décisions du Conseil de sécurité, sont devenus, entre-temps, sur le plan du personnel, de l’organisation et de la stratégie si étroitement imbriqués qu’on peut parler d’unité. Et l’engagement des avions allemands Tornados est, malgré les démentis officiels, un lien important dans cette stratégie de guerre.
Les mois passés, les mass média —comme s’ils avaient été mis au pas— se sont pro­noncés en faveur de l’engagement militaire allemand en Afghanistan, se servant d’insupportables techniques manipulatives.
La grande majorité de la population allemande s’oppose pourtant depuis des années et de plus en plus fort à un engagement militaire à l’étranger. Cette constance dans le refus est de première importance, car il ne s’agit pas d’un mouvement d’humeur pas­sager, provoqué par un événement fortuit, mais bien d’une volonté fermement exprimée par une majorité de la population allemande.
Il en est donc d’autant plus inquiétant de voir la majorité des députés au parlement ­allemand se prononcer depuis 2001 une fois de plus en faveur d’un engagement militaire en Afghanistan, en contradiction avec la volonté populaire et en tout cas pas en tant que « représentants du peuple » comme cela est consigné dans l’article 38 de la Loi fondamentale. Cette façon de marquer, pendant des années, son mépris de la volonté des citoyens et citoyennes et de ne pas les laisser s’exprimer par les mass média, les bombardant bien au contraire de propagande de guerre, n’a plus rien à voir avec la démocratie.
C’est uniquement à quelques person­nalités et à des institutions indépendantes qu’on doit d’être informé sur la véritable situation en Afghanistan. Horizons et Débats a toujours ouvert ses colonnes à ces informations et continuera.

En prenant ces voix au sérieux, on constate­ :

1. L’engagement de l’armée allemande en Afghanistan, qui dure depuis six ans, n’a pas apporté davantage de sécurité dans ce pays dévasté. La violence a augmenté et fut cette année-ci pire, avec ses 5000 morts, que lors de l’invasion des troupes anglo-saxonnes – sans compter les innombrables victimes de la faim, des maladies, ainsi que des rayonnements et empoisonnements dus à l’utilisation des armes à l’uranium et autres systèmes meurtriers interdits par le droit international. Un rapport actuel de l’ONU fait état pour 2007 d’une augmentation de 30% du nombre de victimes.

2. Les interventions militaires et la guerre continuelle empêchent la mise en œuvre de l’aide humanitaire dont le pays a tant besoin. De nombreuses œuvres humanitaires, parmi elles celles des églises catholique et protestante, s’inscrivent en faux contre la prétention du gouvernement allemand que l’aide humanitaire a besoin du soutien militaire pour assurer sa sécurité (voir l’encadré à la page suivante). C’est le contraire qui est vrai, car dès que des militaires étrangers apparaissent sur place, l’aide humanitaire en souffre quand elle n’est pas carrément rendue impossible.

3. La population afghane ressent de plus en plus la présence de troupes étrangères comme une occupation semant la mort et le malheur. Et ce ne sont pas que les troupes états-uniennes qui sont mises au même niveau que les troupes russes autrefois haïes. Plus les troupes FIAS participent aux combats —et elles le font depuis que la « responsabilité » FIAS a été étendue à l’en­semble du pays sous la direction de l’OTAN— plus elles sont considérées, ainsi que leur pays d’origine, comme des ennemis de l’Afghanistan. À juste titre !

4. La résistance contre les troupes d’occupation grandit de jour en jour. On n’accorde plus de crédit à la prétention des puissances d’occupation quand elles parlent d’« extrémistes » ou de « terroristes ». La résistance s’est développée en un véritable mouvement de libération nationale et la défaite des armées d’occupation n’est plus qu’une question de temps. Peter Scholl-Latour et Seymour Hersh qui parlent de cette défaite à prévoir ne sont pas des journalistes superficiels, mais des auteurs de réputation mondiale.

5. L’engagement de l’armée allemande n’a en rien apporté un supplément de sécurité à l’Allemagne, en matière d’attaques terroristes. L’Allemagne n’est pas défendue dans les lointaines montagnes de l’Hindou Kouch. Bien au contraire : la menace d’un retour de flamme se dessine dans la mesure où les soldats allemands participent à ce régime insupportable d’occupation militaire. Une brochure en papier glacé propage « Paix en Afghanistan, sécurité pour nous tous ». Elle est diffusée par le gouvernement allemand pour plaider en faveur de l’engagement militaire. En fait, l’Afgha­nistan ne connaîtra pas de paix tant que le pays sera occupé.

6. Les troupes d’occupation n’ont vraiment aucun droit de maintenir ce pays sous leur domination et de lui imposer des gouvernements à leur gré. Le temps du colonialisme, de l’impérialisme, voire même de ce qu’on nommait par euphémisme, depuis la Première Guerre mondiale, les pays sous mandat, est bien passé. Il faut s’y faire. D’autant plus que c’est inscrit dans la charte de l’ONU et de la Déclaration des droits de l’homme. C’est le fondement même du droit international. C’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les pays européens, en premier lieu l’Alle­magne, doivent prendre leurs responsa­bilités et mettre un terme aux fauteurs de guerre états-uniens, s’ils ne veulent pas être entraînés vers la défaite finale.

Instaurer la paix en Afghanistan est possible. Les forces de résistance ont déposé déjà en 2003 des propositions de paix. De tels plans existent également en Allemagne. Christoph Hörstel, par exemple, en a formulé un qui mérite d’être discuté sincèrement. L’ exigence du président afghan et du délégué de l’ONU pour l’Afghanistan de faire participer au gouvernement ceux qu’on appelle les Talibans va dans le bon sens pour obtenir un armistice. Le succès dépend toutefois de la volonté d’en finir avec la domination étrangère dans ce pays et de laisser ce peuple décider lui-même de son destin.
Chaque député doit être mis à contribution afin qu’il justifie publiquement sa décision. Aucun député ne pourra se tirer d’affaire par des prétextes. Chaque citoyen est obligé de se rendre compte de quoi il s’agit en s’informant davantage.
Il est important de ne pas s’arrêter à l’argumentation du Gouvernement (Talibans, terrorisme etc.) —aussi important qu’il soit d’y répondre— mais il faut davantage ­prendre en considération la toile de fond de politique mondiale de l’engagement militaire allemand en Afghanistan ; c’est-à-dire qu’il faut un débat public sur la participation allemande à la politique impérialiste et meurtrière de la superpuissance de guerre, des États-Unis – dont les victimes sont l’Afghanistan et les Afghans – prétentions impérialistes qui ne sont ni dans l’intérêt de l’Europe ni dans celui de l’Allemagne. En outre, il s’agira également de savoir dans quelle mesure les critiques prononcées par les politiciens allemands quant à la façon de mener la guerre des États-Unis, sont sérieuses et comment il faut interpréter les tentatives de présenter la politique allemande au sujet de l’Afghanistan comme « meilleure ». Une fois de plus la question se pose de savoir comment obliger les députés à respecter davantage la volonté des électeurs. En effet, il s’agit d’éviter qu’ils ­prennent leur élection comme carte blanche pour agir durant quatre ans par-dessus la tête de leurs électeurs.

Seymour Hersh : « L’Afghanistan sera bientôt perdu »

« Tageszeitung »:En Allemagne, nombreux sont ceux qui estiment que la guerre en Irak est une catastrophe, mais croient que l’intervention en Afgha­nistan est une réussite.
Seymour Hersh : C’est faux. L’Afghanistan sera bientôt perdu.
Sur quoi vous appuyez-vous pour ­paraître si sûr ?
Parce que je me suis entretenu avec des gens qui m’affirment que le pays est dans un état bien pire qu’on ne veut l’admettre. Les Talibans gagnent du terrain et prendront le pouvoir, peut-être seuls, peut-être avec l’Alliance du nord. Il ne s’agit pas du fait que la population souhaiterait voir les Talibans prendre le pouvoir. Mais nous nous sommes créé des ennemis par nos bombardements et notre violence.
En Allemagne, il est question de laisser la Bundeswehr en Afghanistan encore pour 20 ans.
Il est possible que les soldats y restent encore pour 20 ans. Mais alors dans une prison des Talibans. Ce pays est dans le chaos. Nous perdrons la guerre, c’est incontestable. Ce n’est qu’une question de temps jusqu’à ce que l’Afghanistan ­s’effondre.

Source : « Tageszeitung » du 29/9/2007
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Peter Scholl-Latour : « Se retirer, dès que ce sera possible »

Südkurier : Le ministre des Affaires étrangères Steinmeier a plaidé devant le Bundestag pour une continuation de l’engagement de la Bundeswehr en Afghanistan. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que nos troupes doivent rester là-bas ?
_ Peter Scholl-Latour : Elles devraient se retirer dès que possible. L’Afghanistan est un faux terrain pour la guerre. Je ne suis vraiment pas un pacifiste. Mais je suis toujours stupéfait de voir des gens, qui auparavant se présentaient comme ­réellement pacifiques et maintenant jouent avec le feu en Afghanistan, alors qu’ils ne connaissent rien de la situation dans ce pays. Tout ceci montre à quel point l’ignorance prévaut en ce qui concerne la situation dans ce pays.
Le Gouvernement aime à mettre le doigt sur les succès de la reconstruction, qu’on remettrait en question en se retirant.
Les Allemands sont stationnés dans le nord, c’est-à-dire dans une zone privilégiée. Y vivent essentiellement des ­Tadjiques, c’est-à-dire une population qui avait combattu aux côtés de l’Alliance du nord – contre les Talibans. Ces derniers relèvent de l’ethnie des Pachtounes. Par ailleurs, il est faux de penser que les Allemands contrôlent le nord. Je me suis déplacé, en septembre dernier, en voiture privée de Kaboul à Mazar-i-Sharif. Nous avons roulé huit heures en passant par le col de Salang et n’avons rencontré aucun soldat de l’OTAN.
Le ministre de la Défense a prétendu devant le parlement que l’Afghanistan « se trouve sur le chemin du succès ».
C’est une prétention stupide.
Pourquoi ? Comment se présente la ­situation selon vous ?
Je sais que les commandants en Afghanistan ont remis au gouvernement allemand, depuis 2003, des rapports ­réalistes. Il en a reçu aussi des services secrets et de l’ambassadeur actuel. Mais il n’en tient absolument pas compte. On fait la sourde oreille. C’est le même comportement que celui des Américains avant la guerre d’Irak. A l’époque, le président Bush avait balayé d’un revers de main toutes les informations qui ne lui convenaient pas.

Source : « Südkurier » du 22/9/2007