La Fondation Héritage n’est pas un simple laboratoire d’idée, c’est une organisation militante qui fournit des argumentaires aux décideurs états-uniens, en un temps record, pour défendre les points de vue du Parti républicain. Son histoire se confond avec celle des administrations Reagan et Bush fils aux États-Unis, Thatcher au Royaume-Uni [1]. Elle joue aussi un rôle déterminant dans l’élaboration des politiques du département d’État en Amérique latine.

Ainsi, le 3 mai 2004, l’administration Bush a annoncé, via Roger F. Noriega, que 16 pays, dont la Bolivie, le Honduras et le Nicaragua, avaient été choisis pour bénéficier du Millenium Challenge. Cet organisme privé, doté par l’État fédéral d’un milliard de dollars, est destiné à « soutenir des programmes de développement économique, de développement humain, de renforcement de la démocratie et à favoriser la libre entreprise » [2]
Entre autres critères d’obtention de cette aide, le gouvernement états-unien s’en est remis à l’assentiment de la fondation Héritage, qui évalue le degré de « liberté économique » des États candidats.

C’est encore la Fondation qui participe à la validation de résultats électoraux, chaque fois qu’il est nécessaire de confirmer des victoires douteuses de partis pro-états-uniens, comme au Mexique lors des élections de 2000 qui virent la victoire de Vincente Fox.

La Fondation a fait la promotion d’agressions états-uniennes contre Haïti, le Venezuela et Cuba. Dans plusieurs de ses rapports, elle a pressé le gouvernement Bush de faire face « à la menace terroriste en Amérique latine. » [3].
Elle fournit aussi un argumentaire pour justifier du déploiement permanent de troupes US en Amérique latine et d’interventions couvertes. Le 20 février 2004, elle publiait un mémo du lieutenant-colonel James Jay Carafano et de Stephen Johnson intitulé, Renforcer le flanc Sud de l’Amérique requiert plus d’efforts [4]. Les deux experts y décrivaient une supposée menace terroriste, centrant leurs attaques sur Cuba et le Venezuela, les accusant d’interférer dans les « processus démocratiques latino-américains ». Le document mettait en demeure la diplomatie états-unienne de « travailler de manière coordonnée avec d’autres gouvernements pour neutraliser les menaces ».

Des soldats états-uniens en patrouille dans les rues de Port-au-Prince à Haïti

Stephen Johnson, expert la Fondation Héritage et ancien attaché militaire au Honduras, écrivait dans un document en date du 13 avril 2004, Sécuriser un nouveau départ pour Haïti [5] que les États-Unis ne peuvent résoudre tous les problèmes du monde car ceux-ci sont nombreux et leurs ressources sont limitées. C’est pourquoi : « Les autres pays doivent apprendre à se débrouiller tout seuls ». Mais, dans le cas d’Haïti, sa stabilité étant « essentielle » pour les autres économies des Caraïbes, «  les États-Unis ont un intérêt économique et stratégique à l’aider à être autosuffisant et à se régir par lui-même ».
Sans faire allusion à la participation des Etats-Unis dans le renversement d’Aristide [6], Johnson indique que Washington et ses « partenaires internationaux » aident à la reconstruction d’Haïti. Il qualifie de bon début, la formation d’un cabinet de « technocrates non partisans ».
Ses conclusions soulignent que « jusqu’à présent l’administration Bush a aidé à Haïti à préserver l’ordre constitutionnel devant une autocratie rampante ». Elles citent les mots du gouverneur de Floride, Jeb Bush, demandant aux Haïtiens installés aux États-Unis de prendre part au « processus de reconstruction ». Johnson ajoute que : « cependant, il est plus utile et souhaitable que les Haïtiens s’aident eux-mêmes, écartant ainsi les démagogues, tout en construisant des institutions durables. Le leadership des États-Unis pour maintenir le soutien international est un facteur clé pour que la reconstruction soit un succès ».

Le 31 octobre 2002 en sa qualité de secrétaire-assistant pour « l’hémisphère occidental », Otto Reich a fustigé Cuba dans un discours prononcé à Fondation Héritage. Il l’a accusé « d’être une menace permanente pour la sécurité des Etats-Unis », exigeant en outre que le gouvernement cubain mène à bien « des réformes politiques radicales avant que les États Unis ne puissent avoir avec lui des relations diplomatiques normales » [7]. Otto Reich s’était d’ailleurs adjoint comme assistant au département d’État, Dan Fisk, un expert de la Fondation Héritage et ancien assistant parlementaire du sénateur Jesse Helms.

C’est précisément Dan Fisk, le diplomatique états-unien de plus haut rang chargé de Cuba, qui a justifié les récentes restrictions imposées sur les voyages à destinations de l’Île et aux devises envoyées par les exilés à leurs proches, en alléguant que ces restrictions étaient nécessaires parce que Castro essayait « de profiter d’une partie du soutien de la Communauté exilée pour subvenir aux besoins de la population cubaine (…) Le régime a construit sa réputation sur la base d’une révolution qui prétend répondre aux besoins du peuple cubain (…) C’est le régime qui doit nourrir, donner du vêtement et des services médicaux au peuple ». Certes, mais précisément, Cuba est victime d’un embargo depuis quarante ans.

[1« Le prêt-à-penser de la Fondation Héritage », Voltaire, 8 juin 2004.

[2« Le Millenium Challenge, colonialisme libéral » par Paul Labarique, Voltaire, 19 février 2004.

[3Cf . « Estados Unidos ocupa la triple frontera » par Gaston Pardo, IPI/Red Voltaire, 10 février 2004.

[4Strengthening America’s Southern Flank Requires a Better Effort par James Jay Carafano et Stephen Johnson, Heritage Fondation, 20 février 2004.

[5Securing a Fresh Start in Haiti par Stephen Johnson, Heritage Foundation, 13 avril 2004.

[6« Coup d’État en Haïti » par Thierry Meyssan, Voltaire, 1er mars 2004.

[7« U.S. Interests in Latin America », conférence d’Otto Reich, Heritage Foundation, 31 octobre 2002