En adoptant les Objectifs du Millénaire pour le développement, la communauté internationale s’est engagée à réduire de moitié d’ici 2015 la proportion de personnes privées d’accès à l’eau potable et à l’assainissement. En Afrique subsaharienne, ces buts ne seront pas atteints si la progression se poursuit au rythme actuel. Environ 44% des ménages n’ont toujours pas la possibilité de s’approvisionner en eau salubre à moins d’un kilomètre de leur domicile. Les femmes doivent souvent parcourir de longues distances à pied jusqu’au prochain puits. En matière d’assainissement, la situation est encore plus préoccupante : 63% des habitants vivent dans des maisons dépourvues d’installations sanitaires de base. Ils sont donc contraints de faire leurs besoins dans des latrines à ciel ouvert, des seaux ou simplement dans la nature. Ces pratiques favorisent la propagation des maladies diarrhéiques, transmises par les excréments humains.

Un partenariat presque trentenaire

Pour élargir sa couverture en services d’eau et d’assainissement, l’Afrique a besoin non seulement de ressources financières, mais également de professionnels capables de concevoir, construire et gérer les infrastructures nécessaires. En Afrique de l’Ouest, les meilleurs spécialistes sont issus de deux écoles régionales basées à Ouagadougou : l’Ecole inter-Etats d’ingénieurs de l’équipement rural (EIER) et l’Ecole des techniciens supérieurs de l’hydraulique et de l’équipement rural (ETSHER). Créées par quatorze Etats francophones au lendemain des indépendances, elles ont par la suite constitué une structure conjointe.

Depuis 1980, l’EPFL collabore avec l’EIER pour dispenser des formations post-universitaires dans les domaines de l’eau, de l’environnement et du développement. Ce partenariat, financé par la DDC, vise à améliorer la qualité de l’enseignement de l’EIER et à soutenir la recherche sur des problèmes concrets qui affectent l’Afrique.

Des enseignants de l’EPFL animent des séminaires, assistent aux examens et encadrent les travaux de recherche. Les meilleurs étudiants de l’EIER peuvent suivre des formations postgrades à Lausanne.
Les diplômes sont reconnus par les deux institutions. A ce jour, la collaboration a permis de former notamment 237 spécia­listes en gestion de l’eau et hydraulique agricole, et 209 en génie sanitaire et environnement. Par ailleurs, dix chercheurs ont soutenu une thèse de doctorat à l’EPFL sur la base de travaux effectués à Ouagadougou.

Stations d’épuration à l’abandon

L’un d’eux est Koné Doulaye, de nationalité ivoirienne. Sa thèse, soutenue en 2002, portait sur l’épuration des eaux usées par lagunage, une technique faisant intervenir l’énergie solaire pour amorcer un processus de dégradation biologique. « C’est un système naturel et bon marché, idéal pour nos pays. Il en existe d’autres. Le problème en Afrique, c’est que de nombreuses stations d’épuration ne fonc­tionnent plus. Au départ, les agences de coopération investissent beaucoup d’argent dans la construction d’infrastructures. Puis celles-ci tombent en panne, faute de personnel qualifié pour les entretenir. Souvent, les donateurs sont prêts à envoyer des experts du Nord pour résoudre les problèmes. Mais ce n’est pas la bonne solution. Il est préférable de former des ingénieurs et des techniciens sur place. »

C’est dans cet esprit que la DDC finance la collaboration EPFL-EIER : « Nous avons choisi d’investir dans les ressources hu­maines. Ce partenariat, très orienté vers la pratique, contribue à développer les capacités locales », relève Pascal Fellay, chargé de programme.

Thème oublié

La DDC exerce une influence sur le contenu du partenariat pour s’assurer que les formations dispensées répondent aux grands enjeux du développement. Elle tient, par exemple, à ce que les futurs ingénieurs puissent aider leurs pays à atteindre les Objectifs du Millénaire. « Sur le plan de l’accès à l’eau, l’Afrique a fait quelques progrès, car c’est un secteur auquel les milieux politiques accordent beaucoup d’attention. Mais elle est très en retard en ce qui concerne l’assainissement, qui suscite nettement moins d’intérêt. Il importe donc de mettre l’accent sur cette problématique », remarque François Münger, conseiller pour les questions de l’eau à la DDC.

L’EIER travaille en particulier sur le traitement des boues provenant des fosses septiques et des latrines. Actuellement, celles-ci sont simplement déversées dans les rivières, les caniveaux ou sur des terrains vagues. « Il est urgent de développer des technologies de recyclage à prix abordable », souligne Koné Doulaye. « Malheureusement, très peu de scientifiques s’intéressent aux boues de vidange. Ce thème leur inspire une certaine répugnance, alors qu’il est d’une importance cruciale pour la protection de la santé publique. »

Source : « Un seul monde » (No 4/décembre 2007), le magazine gratuit de la Direction du développement et de la coopération (DDC).

L’Afrique forme sa propre élite

Le groupe EIER-ETSHER, à Ouagadougou, s’est restructuré en 2006. La fusion des deux entités a donné naissance à l’Institut international de l’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2IE). Celui-ci est devenu un pôle d’excellence de l’Institut africain des sciences et de la technologie (IAST), créé la même année par l’Institution Nelson Mandela pour la promotion du savoir et la progression des sciences et de la technologie en Afrique subsaharienne.

L’IAST entend assurer la formation, en Afrique et par des Africains, d’entrepreneurs, de dirigeants, de scientifiques capables d’insuffler un nouveau dynamisme économique au continent et d’améliorer les conditions de vie des populations. Il comptera quatre campus d’enseignement supérieur, reliés à des pôles d’excellence, plus petits mais très spécialisés. Le premier campus s’ouvrira en 2008 à Abuja, au Nigeria.

Les anciens de l’EIER font carrière

S’ils sont titulaires d’un diplôme obtenu dans le cadre de la collaboration EIER-EPFL, les ingénieurs et techniciens africains ne rencontrent aucun problème d’embauche. Ils sont immédiatement recrutés par l’un des nombreux organismes, publics ou privés, qui s’occupent d’eau et d’environnement. A travers toute l’Afrique francophone, des anciens de l’EIER occupent des postes de cadres dans des ministères, des municipalités, des bureaux d’ingénieurs, des sociétés d’aménagement ou des institutions internationales.

Ainsi, le Sénégalais Ousseynou Diop est coordinateur régional du programme « eau et assainissement » de la Banque mondiale en Afrique. Le Mauritanien Guéladio Cissé dirige le Centre suisse de recherche scientifique à Abidjan et Alassane Baba-Moussa la Société nationale des eaux du Bénin. Le Sénégalais Cheikh Touré est directeur d’un cabinet d’études international sur l’eau, les déchets et l’environnement, basé à Dakar.