Les rapports et leur élaboration

Les NIE sont des rapports écrits de la Communauté américaine du Renseignement qui font autorité au plus haut niveau pour les questions de sécurité nationale. Ils sont rédigés pour permettre aux décideurs civils et militaires d’élaborer des politiques propres à protéger la sécurité des Etats-Unis. Les NIE fournissent généralement des informations sur la situation actuelle mais ils ont un caractère essentiellement « appréciatif », c’est-à-dire qu’ils évaluent les évolutions futures probables et envisagent leurs implications pour la politique américaine.

Ils sont généralement demandés par des décideurs civils et militaires de haut rang et des chefs politiques membres du Congrès et parfois initiés par le Conseil du Renseignement national (National Intelligence Council NIC). Avant la rédaction du projet, le service de renseignements concerné doit établir un document de référence (Terms of Reference) qu’il soumet à la Communauté du Ren­seignement. Ce document définit des questions clés, désigne les rédacteurs et établit un calendrier pour la rédaction et la publication du rapport.

Un ou plusieurs analystes sont désignés pour rédiger le texte initial. Le Conseil du Renseignement national se réunit ensuite pour critiquer ce projet avant qu’il ne soit soumis à l’appréciation des diverses agences de renseignements. Des représentants des Agences impliquées se réunissent pour coordonner et peaufiner ligne après ligne la totalité du texte. En collaboration avec leurs Agences, ils évaluent également le degré de fiabilité des principaux avis. Ils évaluent également la qualité des sources avec ceux qui ont recueilli les renseignements et le National Clandestine Service s’assure que lesdites sources ne contiennent pas d’informations caduques ou qui ont été sérieusement mises en question.

Tous les rapports des services de renseignements sont examinés par le National Intelligence Board (NIB) où siègent tous les présidents des 16 services et qui est présidé par le directeur du Renseignement national (DNI) [1]. Lorsque le NIB a adopté le rapport, ce dernier est transmis au Président et à des décideurs de haut rang.

La totalité du processus d’élaboration des rapports prend normalement quelques mois au minimum. […]

Exposé des motifs

La présente Estimation du Renseignement national (NIE, National Intelligence Estimate) fait le point sur l’état du programme nucléaire iranien et les perspectives de ce programme dans les dix prochaines années. Ce laps de temps est approprié pour évaluer des capacités, un peu moins pour évaluer des intentions et des réactions étrangères, ­lesquelles sont plus difficiles à projeter sur une décennie.

En présentant cette évaluation de la Communauté du Renseignement sur les intentions et capacités nucléaires iraniennes, le document examine de manière approfondie l’ensemble des renseignements disponibles sur ces questions, énumère les différents scénarios raisonnablement envisageables en fonction de ces renseignements et décrit des éléments essentiels dont nous estimons qu’ils sont susceptibles d’accélérer ou de mettre un terme aux progrès nucléaires de l’Iran.

Ce document constitue un réexamen ­complet des questions abordées par l’estimation de mai 2005

Cette estimation examine les questions essentielles suivantes :
 Quelles sont les intentions iraniennes sur le plan du développement des armes nuclé­aires ?
 Quels facteurs intérieurs sont susceptibles d’influer sur la décision iranienne de développer ou non des armes nucléaires ?
 Quels facteurs extérieurs sont susceptibles d’influer sur la décision iranienne de développer ou non des armes nucléaires ?
 Quel est l’éventail des actions offertes à l’Iran concernant le développement ­d’armes nucléaires et quels sont les facteurs décisifs qui pourraient conduire l’Iran à choisir telle voie plutôt qu’une autre ?
 Quelle est la capacité actuelle et future de l’Iran de développer des armes nucléaires ? Quelles sont nos hypothèses essentielles et quelles sont les principales faiblesses et vulnérabilités iraniennes ?

Cette estimation ne part pas du principe que l’Iran a l’intention d’acquérir des armes nucléaires. Elle s’attache à examiner les renseignements disponibles pour évaluer la capacité et l’intention (ou le manque d’intention) de l’Iran d’acquérir des armes nucléaires – en prenant en compte la dualité [civil ou militaire] du cycle de combustion nucléaire –, ainsi que ses activités nucléaires qui par nature sont au moins partiellement civiles.

Cette estimation part du principe que les objectifs stratégiques et la structure fondamentale de la direction et du gouvernement iraniens resteront les mêmes que ceux qui ont perduré depuis la mort de l’Ayatollah Khomeiny en 1989. Nous sommes bien conscients qu’il est toujours possible que ceux-ci changent au cours du laps de temps auquel s’attache cette estimation, mais nous ne sommes pas en mesure de prédire avec certitude de tels changements ni de prévoir leurs implications. Cette estimation n’examine pas la façon dont les Iraniens pourraient conduire de futures négociations avec l’Occident sur la question nucléaire.

Cette estimation se fonde sur les renseignements disponibles à la date du 31 octobre 2007. […]

Principales conclusions

A. Nous estimons avec un haut degré de certitude que Téhéran a interrompu son programme d’armement nucléaire à l’automne 2003 [2] ; nous estimons également, avec un degré de certitude moyen à haut, que ­Téhéran continue à laisser au moins ouverte l’option visant à développer des armes nucléaires. Nous estimons avec un haut niveau de certitude que l’annonce par Téhéran de sa décision de suspendre son programme déclaré d’enrichissement de l’uranium et de signer le Protocole additionnel à l’accord sur les garanties de sécurité du Traité de non-prolifération auquel il a souscrit a été avant tout la conséquence de la surveillance et des pressions internationales croissantes découlant de la mise au jour des activités nucléaires que l’Iran n’avait jusque-là pas déclarées.
• Nous pensons avec certitude que jusqu’à l’automne 2003, des entités militaires iraniennes travaillaient sous contrôle gouvernemental au développement d’armes nucléaires.
• Nous estimons avec un haut degré de certitude que l’interruption desdits travaux a duré au moins plusieurs années. (Suite à un manque de renseignements discuté par ailleurs dans ce document, le Département de l’Energie et le Conseil national du Renseignement [NIC, National Intelligence Council] ne jugent toutefois qu’avec un degré de certitude modéré que l’arrêt de ces activités traduit un arrêt total du programme d’armements nucléaire de l’Iran.)
• Nous estimons avec un niveau modéré de certitude qu’à la mi-2007, Téhéran n’avait pas relancé son programme d’armement nucléaire, mais nous ignorons s’il a actuellement l’intention de développer des armes nucléaires.
• Nous continuons à estimer avec un degré moyen à haut de certitude qu’à l’heure actuelle, l’Iran ne possède pas d’armes nucléaires.
• La décision de Téhéran de stopper son programme d’armement nucléaire indique qu’il est moins déterminé à développer des armes nucléaires que nous l’avons estimé depuis 2005. Notre estimation selon laquelle ledit programme a probablement été interrompu en premier lieu en raison de la pression internationale indique que l’Iran pourrait être plus facilement influencé sur cette question que nous ne l’avions jugé jusqu’ici.

B. Nous continuons à estimer avec un bas degré de certitude que l’Iran a importé au minimum des matériaux fissiles utilisables à des fins militaires, mais estimons également avec un degré moyen à haut de certitude qu’il n’en a pas obtenu en quantité suffisante pour une arme nucléaire. Nous ne pouvons écarter la possibilité que l’Iran ait acquis à l’étranger – ou acquière à l’avenir – une arme nucléaire ou une quantité de matériau fissile suffisante pour une arme nucléaire. Sans ces acquisitions, si Téhéran veut se doter d’armes nucléaires, il serait contraint de produire par lui-même les matériaux fissiles nécessaires – ce que nous estimons avec un haut degré de certitude qu’il n’a pas encore fait.

C. Nous estimons que si l’Iran décidait de produire suffisamment de matière fissile pour une arme nucléaire, il le ferait probablement grâce à l’enrichissement par centrifugeuses. Malgré l’arrêt de son programme d’armes nucléaires, l’Iran a relancé ses activités déclarées d’enrichissement par centrifugeuses en janvier 2006. L’Iran a fait des progrès significatifs en 2007 en installant des centrifugeuses à Natanz, mais nous estimons avec un degré moyen de certitude qu’il rencontre encore des problèmes techniques significatifs pour les faire fonctionner.
• Nous estimons avec un degré moyen de certitude que la fin de l’année 2009 est la date la plus rapprochée à laquelle l’Iran serait techniquement capable de produire suffisamment d’uranium hautement enrichi pour pouvoir développer une arme nucléaire, mais que cette éventualité est très improbable.
• Nous estimons avec un degré moyen de certitude que l’Iran pourrait être techniquement capable de produire de l’uranium hautement enrichi en quantité suffisante pour une arme au cours de la période 2010-2015. (L’INR [3] juge improbable que l’Iran parvienne à ce résultat avec 2013 en raison des problèmes techniques et programmatiques prévisibles.) L’ensemble des agences admet la possibilité que cette capacité puisse n’être atteinte qu’au-delà de 2015.

D. Des entités iraniennes continuent de développer une série de capacités techniques qui, si la décision en était prise, pourraient être appliquées à la production d’armes ­nucléaires. Le programme civil iranien d’enrichissement de l’uranium, par exemple, se poursuit. Nous estimons également avec un haut degré de certitude que depuis l’automne 2003, l’Iran mène des projets de recherche et développement ayant des applications commerciales et militaires conventionnelles – dont certaines pourraient également être partiellement utilisées pour la mise au point d’armes nucléaires.

E. Nous ne disposons pas de renseignements suffisants pour juger avec certitude si Téhéran est disposé à maintenir indéfiniment l’arrêt de son programme d’armes nucléaires tout en pesant ses options, ou s’il fixera ou a déjà fixé des dates limites ou certains ­critères spécifiques qui l’inciteront à redémarrer son programme.
• Notre estimation selon laquelle l’Iran a interrompu son programme en 2003 pour répondre avant tout à la pression internationale indique que les décisions de Téhéran sont régies par une approche coût-avantage plutôt que par une volonté d’obtenir le plus vite possible l’arme nucléaire quels qu’en soient les coûts politique, économique et militaire. Ce qui, en retour, suggère qu’une combinaison de menaces d’une surveillance et de pressions internationales accrues, alliées à des opportunités offertes à l’Iran d’assurer sa sécurité et son prestige et d’atteindre ses objectifs d’influence régionale par d’autres moyens, pourrait – à condition que les responsables iraniens la perçoivent comme crédible – inciter Téhéran à prolonger l’interruption actuelle de son programme d’armes nucléaires. Il est difficile de préciser ce que pourrait être une telle combinaison.
• Nous estimons avec un degré modéré de certitude qu’il sera difficile de convaincre les dirigeants iraniens de renoncer à un éventuel développement d’armes nuclé­aires étant donné le lien que beaucoup, au sein de la direction iranienne, voient probablement entre le développement ­d’armes nuclé­aires et les objectifs essentiels de l’Iran en matière de sécurité nationale et de politique étrangère, et vu les efforts considérables consentis par l’Iran pour développer de telles armes depuis au moins la fin des années 1980 jusqu’à 2003. Selon notre juge­ment, seule une décision politique iranienne de renoncer à la possession ­d’armes nucléaires pourrait de façon plausible empêcher l’Iran de produire à terme des armes nucléaires – et une telle décision serait par nature réversible.

F. Nous estimons avec un degré modéré de certitude que l’Iran utiliserait probablement des installations secrètes – et non des sites nucléaires déclarés – pour produire de l’uranium hautement enrichi à des fins militaires. Un nombre croissant de renseignements indique que l’Iran s’était effectivement engagé dans des activités secrètes de conversion et d’enrichissement de l’uranium, mais nous pensons que ces initiatives ont probablement été interrompues lors de l’arrêt du programme à l’automne 2003, et qu’à la mi-2007, elles n’avaient toujours pas été relancées.

G. Nous estimons avec un haut degré de certitude que l’Iran ne sera pas techniquement en mesure de produire et de retraiter suffisamment de plutonium pour fabriquer une arme nucléaire avant 2015 environ.

H. Nous estimons avec un haut degré de certitude que l’Iran possède la capacité scientifique, technique et industrielle pour produire à terme des armes nucléaires dans l’éventualité où elle le déciderait. »

titre documents joints


« Iran : Nuclear Intentions and Capabilities », National Intelligence Estimates, 2007


(PDF - 134.2 kio)

[1Le poste de directeur du Renseignement national est un poste ministériel. Sa création a été décidée en 2004 sur recommandation de la Commission d’enquête sur les attentats du 11-Septembre et inscrite fin 2004 dans la Loi sur la réforme des Renseignements et la prévention du terrorisme. Le directeur du Renseignement national a repris des missions essentielles du directeur du Renseignement central (DCI) qui doit se concentrer davantage sur la direction de la CIA. (ndlr)

[2« Nous entendons ici par ‹programme d’armement nucléaire› les activités de conception et de fabrication d’armes nucléaires et les activités secrètes relatives à la conversion et à l’enrichissement de l’uranium. Il ne s’agit pas des activités civiles déclarées de conversion et d’enrichissement de l’uranium. »

[3L’INR (Bureau of Intelligence and Research) est un petit service de renseignements et de recherche du Département d’Etat. (ndlr)