Dans les quotidiens suisses, on prétend souvent que le Conseil fédéral remplit son mandat d’information au travers de ses campagnes de votation. Cette affirmation est fausse. Il est nécessaire de faire une distinction claire entre son devoir d’information de son activité de propagande à l’approche de votations.

Que prévoit le devoir d’information constitutionnel de la part du Conseil fédéral ?

En fait, le Conseil fédéral a un mandat constitutionnel d’informer régulièrement la popu­lation quant à ses projets et à ses activités :
« Il [le Conseil fédéral] renseigne le public sur son activité en temps utile et de manière détaillée […]. »
Article 180 §2 de la Constitution fédérale :
La loi fédérale y relative précise ce devoir d’information du Conseil fédéral :

« Article 10 Information
1 Le Conseil fédéral assure l’information de l’Assemblée fédérale, des cantons et du public.
2 Il informe de manière cohérente, rapide et continue sur son appréciation de la situation, sa planification, ses décisions et les mesures qu’il prend. »

L’initiative populaire « Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale » ne s’en prend qu’à l’activité de propagande du Conseil fédéral lors de campagnes de votations, mais pas contre le fait qu’il « explique sa politique et informe la population sur sa façon de concevoir son gouvernement », comme l’a affirmé à tort la conseillère fédérale Doris Leuthard, le 26 avril, lors de l’assemblée des délégués du PDC. C’est bien le contraire, car le corps électoral exige du gouvernement qu’il informe la population de façon complète sur son activité. Mais le gouvernement ne respecte pas toujours ce mandat constitutionnel – c’est alors souvent suite à des réflexions tactiques qu’il décide jusqu’à quel point il veut rendre public les tenants et aboutissants de ses positions. Notre exécutif tient à tenir cachées particulièrement, et le plus longtemps possible, ses intentions concernant la soumission de la Suisse aux organisations internationales telles que l’OTAN, l’UE et l’OMC.

En conclusion : le devoir d’information du Conseil fédéral comporte en premier lieu l’explication continue de sa politique, et non pas le mandat d’employer, avant une votation, tous les moyens à sa disposition pour « faire passer en votation » un projet et ainsi rendre la souveraineté du peuple caduc.

Que veut l’initiative populaire ?

Au lieu d’informer à temps la population quant à ses projets et à ses activités en vue d’une votation, le Conseil fédéral se lance dans une « activité d’information ». Il y investit l’argent des contribuables par millions pour obtenir les conseils de « spin-doctors » qui doivent le guider dans sa volonté de faire voter le peuple dans son sens à lui. C’est ainsi que depuis plusieurs années la démocratie directe est subrepticement transformée en une « démocratie dirigée », afin que les citoyennes et citoyens puissent être dirigés dans la direction voulue par la Confédération.

Un tel comportement va à l’encontre de la Constitution :
Art. 34 : « La garantie des droits politiques protège la libre formation de l’opinion des citoyens et des cito­yennes et l’expression fidèle de leur volonté. »

L’initiative s’oppose à cette ingérence considérable de l’exécutif dans la libre formation de l’opinion et exige que la souveraineté populaire soit rétablie. C’est pourquoi elle veut limiter l’activité d’information du Conseil fédéral et de l’administration avant les votations populaires à la publication de la brochure explicative et à une brève prise de position dans les médias. De plus, la date de la votation doit être communiquée six mois à l’avance, afin que le citoyen ait suffisamment de temps pour s’informer. Les dossiers pour la votation doivent être fournis gratuitement, à l’encontre de ce qui s’était passé lors des Accords bilatéraux I avec l’UE.

Une information loyale au lieu de propagande

Ceux qui ont lancé l’initiative n’en auraient pas été réduits à ce geste si le Conseil fédéral avait, comme auparavant, correctement agi face aux citoyens et citoyennes, en offrant une information véridique. Pour ma part, j’aurais préféré un échange honnête entre l’Autorité et les citoyens, plutôt que cette façon déloyale qui est devenue celle du Conseil fédéral, provoquant ainsi des réactions qui ont abouti dans le dépôt de l’initiative populaire « Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale. »

On frôle l’absurdité en entendant un journaliste allemand prétendre que le Conseil fédéral se contente de présenter, avant les votations, « le savoir et les informations » et s’abstient de s’immiscer. Selon les directives édictées par l’administration fédérale pour son activité de communication, il ne « serait pas possible de mener une propagande ni quelque forme de communication persuasive » (selon Otfried Jarren dans la Neue Zürcher Zeitung du 30 avril).

On peut supposer que Monsieur Jarren entend par là le « Rapport du groupe de travail de la Conférence des services d’information élargie (GT CSIC) » de novembre 2001 qui fut publié sous le titre « L’engagement du Conseil fédéral et de l’administration dans les campagnes précédant les votations fédérales ».
C’est surtout cette brochure qui a convaincu les initiants de l’urgence de l’initiative populaire « Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale ».

En voici un exemple :
On peut y lire sous le titre « Information des médias par le Conseil fédéral » (page 35) :
« Depuis quelques années, la coutume veut que le Conseil fédéral lance sa campagne environ deux mois avant la votation, par une séance d’information destinée aux médias au Palais fédéral. Pour les thèmes importants, qui concernent plusieurs départements, jusqu’à trois membres du Conseil fédéral peuvent être présents. […]

A l’occasion de la séance d’information, les documents suivants sont en règle générale distribués en trois langues :
• Communiqué
• Brève présentation de l’objet
• Exposé type (également mis à disposition des orateurs intéressés)
• Argumentaire / glossaire
• Résumé des principaux points (fact sheet)
• Brochure explicative du Conseil fédéral
S’agissant de thèmes complexes, des séminaires sont organisés à l’intention des médias, avec la participation de spécialistes de la matière.
La séance d’information rencontre généralement un large écho. La plupart des médias rendent compte des principales déclarations des conseillers fédéraux, qui marquent par leur présence, à ce moment crucial du processus de formation de l’opinion, l’importance qu’ils attribuent à l’objet de la votation et peuvent présenter leurs arguments à la population. […]
Séance d’information à l’intention des médias : conclusion
Le Conseil fédéral devrait toujours s’efforcer d’organiser, si possible avant les autres acteurs, sa séance d’information marquant le début de la campagne.
 »

Commentaires superflus.

La lecture de ce « rapport » du service de communication du Conseil fédéral, décrivant ses propres agissements, est une excellente préparation à la votation du 1er juin.

L’initiative populaire en est un exemple : dénaturation voulue

La propagande orientée du Conseil fédéral ne s’arrête pas même devant la campagne contre l’initiative qui précisément veut faire cesser ces dérives. Lors de l’assemblée des délégués du PDC (parti démocrate-chrétien) du 26 avril, la conseillère fédérale Doris Leuthard a donné comme explication de son refus de l’initiative « Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale » que « les muselières sont destinées aux chiens méchants. Quant au Conseil fédéral, il doit pouvoir expliquer sa politique et informer la population à propos de son devoir de dirigeant. »

C’est faire preuve d’une belle effronterie de la part du Conseil fédéral que d’appliquer aux partisans de l’initiative le terme de « muselière », propagé par l’ancienne chancelière fédérale Annemarie Huber-Hotz, il y a déjà quatre ans pour discréditer l’initiative.

Car, l’initiative n’a en aucun cas pour but d’appliquer une « muselière » au gouvernement, mais de mettre un frein à ses activités de propagande qui, depuis quelques années, prenait des proportions inquiétantes, avec en plus des méthodes qui laissent à désirer. Cela en dit long que le Conseil fédéral ait l’impression de se voir appliquer une muselière dérangeante quand on tente de limiter ses activités de propagande et son engagement de moyens discutables afin de « gagner » des votations contre le peuple.
L’intégration de l’armée suisse dans l’OTAN (votation populaire 2001)

Premier pas :
Information partielle et erronée

La transformation progressive de l’armée suisse en direction de l’intégration dans l’OTAN avait été planifiée des années avant que la votation sur Armée XXI ait lieu en 2001. Le Conseil fédéral aurait pu et dû en informer les citoyens longtemps avant. Mais il ne l’a pas fait. Le Conseil fédéral nous a présenté la transformation de l’armée suisse, d’une armée destinée à la protection de la neutralité en une Armée XXI adaptée à l’OTAN, comme « une mission de paix humanitaire de la Suisse ». Ce n’est que peu avant la votation, que les citoyens et citoyennes, qui ne se sont pas contentés des informations officielles émises par le Conseil fédéral mais qui voulaient aussi connaître les arguments des opposants à Armée XXI, ont appris que la Suisse était depuis plusieurs années déjà membre du Partenariat pour la paix (PPP) et donc déjà bien intégrée dans l’OTAN. Malgré notre démocratie directe, le peuple n’a jamais été consulté pour savoir s’il souhaitait adhérer à cette organisation de l’OTAN nommée PPP.

Analyse de la situation :
Le Conseil fédéral doit « s’impliquer » davantage

Malgré l’absence d’information, voire les informations erronnées mentionnées ci-dessus, le Conseil fédéral ne pouvait pas être sûr que le peuple approuverait la réforme de l’armée, notamment les engagements à l’étranger. Quand on sait que lors de sondages concernant la politique de neutralité du pays le peuple désire maintenir la neutralité à un taux entre 80 et 90%, on comprend qu’il était nécessaire d’engager des moyens très performantes pour faire avaler la pilule au citoyens.
C’est ainsi que le Conseil fédéral s’est rabattu sur des méthodes qui lui ont permis de faire accepter Armée XXI de justesse par le peuple. Il est tragique de constater que par cette décision fatale, la Suisse a renoncé à sa politique de paix et envoie, pour la première fois depuis le XIXe siècle, de nouveau des mercenaires en mission belliciste à l’étranger.

Deuxième pas :
Manipulation par excellence

Peu de temps après la votation, le conseiller fédéral Leuenberger a avoué qu’il avait sciemment divisé les adversaires du projet, tant à gauche qu’à droite, afin de le faire accepter :
« Projet de loi sur l’armée 2001, à propos de l’envoi de soldats suisses à l’étranger. Agitation d’avant-scrutin. La droite était contre, de même qu’une petite partie de la gauche. En tant que président de la Confédération social-démocrate, je me suis élevé contre la campagne diffamatoire de la droite et j’ai assimilé cette campagne à la consigne de vote négatif. C’est ainsi que, pour la gauche qui hésitait, j’ai érigé une barrière morale : il lui fallait voter pour le projet, parce que sinon, elle se retrouvait dans le camp de ses adversaires (de droite). […] Cette intervention semble avoir été décisive pour le oui qui fut donné de justesse au projet. Un acte de séduction, donc, pour un résultat qui me paraît juste et bon. » [1]

Que le conseiller fédéral Leuenberger ait pu avouer, après la votation, aussi cyniquement cette manœuvre – qui laisse pantois tout démocrate – montre à quel point depuis belle lurette cette façon de « diriger » les citoyens « dans la bonne direction » était devenue honorable. Ce n’est que grâce à ce moyen inavouable que le Conseil fédéral a pu faire passer son projet d’Armée XXI.
C’est là-contre que se dresse l’initiative « Souveraineté populaire sans propagande gouvernementale ».

[1Discours du conseiller fédéral Moritz Leuenberger « Le Mal, le Bien, la politique », publié le 6/9/02.