10.1. Le point de vue des États-Unis

265. En mai 2006, les États-Unis ont envoyé une délégation gouvernementale devant le Comité des Nations Unies contre la torture, pour la première fois depuis que l’administration Bush est arrivée au pouvoir. La délégation était menée par le conseiller juridique en chef auprès du ministère des Affaires étrangères, M. John Bellinger.

266. M. Bellinger a présenté un rapport de 184 pages devant le Comité contre la torture, rapport dans lequel les États-Unis avaient compilé leurs réponses écrites exhaustives à la plupart des préoccupations exprimées par le Comité. Il convient de féliciter les États-Unis pour s’être penchés aussi sérieusement sur ces questions, malgré le fait que leur politique en matière de détentions secrètes et d’activités de renseignement demeure, pour l’essentiel, un sujet dont on ne parle pas en public [1].

267. Il n’y avait guère de moment plus opportun pour interroger M. Bellinger sur les questions juridiques nous concernant que la semaine de son retour à Washington, DC, après son intervention devant le Comité contre la torture. Au cours d’une réunion qui a duré environ une heure [2], M. Bellinger et son collègue Dan Fried, secrétaire d’État adjoint aux Affaires européennes, nous ont fourni tout un ensemble d’arguments dignes d’intérêt, qu’il me paraît utile de développer entièrement dans ce rapport, car il s’agit de la meilleure et de la plus récente présentation possible de la position juridique des États-Unis, par les intéressés euxmêmes.

268. M. Bellinger a expliqué clairement, à plusieurs reprises, que le programme de « restitutions » demeure l’un des principaux axes de la politique étrangère des États-Unis : Comme l’a déclaré la secrétaire d’État Condoleezza Rice, nous effectuons des restitutions, nous en avons effectué et nous n’excluons pas d’en effectuer d’autres.

269. Il souhaitait établir clairement une distinction entre la signification originelle de « restitution » et la connotation prise dans les médias et l’opinion publique par la notion de « restitution extraordinaire » : Dans la mesure où, par restitution extraordinaire — ainsi que cela figure dans certaines définitions — on entend le transfert intentionnel d’une personne vers un pays donné, dans lequel on s’attend à ce qu’elle soit maltraitée ou qu’on souhaite qu’elle le soit, alors il va sans dire que les États-Unis ne pratiquent pas de restitution extraordinaire. Les États-Unis ne restituent pas des personnes à d’autres pays afin qu’elles soient torturées, ou en s’attendant à ce qu’elles soient torturées.

270. Pendant la réunion, Dan Fried a eu l’occasion d’expliquer certaines considérations sous-jacentes pour les États-Unis dans la poursuite de leur « guerre contre le terrorisme » : Nous essayons de faire en sorte que les personnes sur notre territoire soient en sécurité ; nous essayons de combattre des organisations terroristes dangereuses et actives, qui ont bien l’intention de nous détruire. Nous essayons de le faire en accord avec nos valeurs et nos obligations juridiques internationales. Dans les faits, cela n’est pas facile, en partie parce que — comme nous l’avons découvert dès le départ — la lutte que nous menons a des contours mal définis, que ce soit dans le cadre du droit pénal ou dans celui du droit de la guerre.

271. En ce qui concerne le fait d’entrer dans tel ou tel cadre juridique, il est particulièrement important de noter que les États-Unis ne se considèrent pas obligés de se soumettre à une quelconque interprétation du droit international autre que la leur. Tout au long de la réunion, M. Bellinger a insisté sur cette position : Nous devons respecter nos obligations juridiques. Rien de tout cela ne peut être fait de manière illégale. De notre point de vue, nous respectons toutes nos obligations juridiques.

272. Dans la même veine, dans l’un de ses développements les plus longs, M. Bellinger a défendu les actions des États-Unis, prenant le contre-pied de leurs partenaires européens : Pour répondre à tous ceux qui affirment que, dans certains cas, nous ne respectons pas nos obligations internationales, je dois dire que, parfois, nous sommes en désaccord sur la définition de ces obligations. En ce qui concerne l’article 3 de la Convention contre la torture, le différend est d’ordre technique. D’après cet article 3, tout État a l’obligation de ne pas renvoyer, expulser ou refouler une personne. Depuis plus de dix ans, la position du gouvernement américain et de nos juridictions a été que tous ces termes font référence à des retours ou à des transferts depuis les États-Unis. Nous considérons donc que l’article 3 de la Convention contre la torture est juridiquement contraignant pour nous pour tout transfert d’une personne depuis les États-Unis, mais nous ne considérons pas qu’il le soit en dehors du territoire américain. De la même manière, depuis plus de dix ans, le Sénat des États-Unis et nos cours de justice ont interprété l’expression « il y a des motifs sérieux de croire que » comme « il y a plus d’une chance sur deux que ». Si nous transférons une personne d’un lieu en dehors des États-Unis vers un autre lieu en dehors des États-Unis, alors, notre politique est que, si nous pensons qu’il existe des motifs sérieux de croire que la personne sera torturée ou maltraitée, nous appliquons les mêmes règles. Je pense que nos juridictions ont pris une position raisonnable en considérant que « il y a des motifs sérieux de croire que » est l’équivalent de « il y a plus d’une chance sur deux que ». Il me semble utile de rappeler que les interprétations juridiques de la Cour européenne des Droits de l’Homme et de nos cours de justice sont différentes, et que vous ne pouvez pas « attaquer » nos tribunaux et notre Sénat pour des positions qu’ils ont prises il y a dix ans sur leur manière d’interpréter le droit. Vous auriez sans doute souhaité que l’interprétation de la Convention contre la torture qui est celle de la Cour européenne des Droits de l’Homme soit la même que la nôtre, mais ce n’est pas le cas. Cependant, nous prenons nos obligations juridiques au sérieux. Il faut reconnaître que le droit est interprété différemment, ce qui n’empêche pas les États-Unis de prendre leurs obligations juridiques au sérieux — c’est indéniable. Cette interprétation explique aussi pourquoi le camp Delta se trouve à Guantanamo Bay, à Cuba, et non dans le désert de l’Arizona. Cette approche formaliste ou positiviste, choque la sensibilité juridique européenne influencée plutôt par des considérations téléologiques, visant donc à optimiser la protection des valeurs qui sont à la base de la norme juridique à interpréter.

273. Comme on pouvait s’y attendre, M. Bellinger s’est montré réticent à aborder les problèmes juridiques liés aux cas de restitution qui auraient eu lieu, et notamment les études de cas effectuées dans ce rapport. Il a mentionné la stratégie que le gouvernement américain a décidé d’adopter et qui consiste à ne pas commenter ce sujet : Nous avons beaucoup réfléchi pour savoir si nous devions répondre aux questions particulières en public et dire qu’il y a eu une, deux ou trois restitutions et quel a été leur itinéraire. Cependant, nous en sommes arrivés à la conclusion que, de par la nature même des activités de renseignement, nous ne pouvons simplement pas apporter de confirmation ou d’infirmation aux questions particulières, même si nous aimerions pouvoir le faire. Je ne vais donc ni confirmer ni infirmer le fait qu’il y ait eu ou non des restitutions qui sont passées par l’Europe.

274. Cependant, le gouvernement des États-Unis est toujours disposé à expliquer les « choix difficiles » qu’il pense devoir assumer afin de protéger ses citoyens [3]. Pour illustrer ce point, M. Bellinger a décrit un possible « dilemme politique » basé sur un scénario réaliste. Dans celui-ci, un membre d’Al Qaïda serait capturé à la frontière kenyane alors qu’il essaie de pénétrer au Kenya, mais les Kenyans ne veulent pas de lui. On sait que cette personne est recherchée par d’autres pays, par exemple l’Égypte, le Pakistan ou la Jordanie et les États-Unis disposent d’un aéronef qu’ils pourraient utiliser pour le restituer à l’un de ces pays. M. Bellinger a terminé son allocution en donnant des pistes de réflexion sur les choix découlant de ce scénario : S’il s’agit de choisir entre laisser libre une personne suspectée de participer à une entreprise terroriste et la renvoyer dans son pays d’origine, ou vers un pays tiers dans lequel elle est recherchée, alors c’est à vous de prendre la décision, parce qu’il n’existe aucun traité d’extradition et vous ne souhaitez certainement pas que nous envoyions davantage de personnes à Guantanamo. S’il s’agit de savoir si la personne va pouvoir disparaître et rester libre, ou si son pays d’origine ou un autre pays la réclame, et que les États-Unis peuvent accéder à leurs demandes, que devrions-nous faire ? Voilà les données du problème. La position des États-Unis est que, dans certains cas, la restitution peut être une solution. »

10.2. Le point de vue du Conseil de l’Europe

10.2.1. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)

275. Les questions juridiques soulevées par les faits examinés dans ce rapport, du point de vue du Conseil de l’Europe, ont été exposées de manière claire et précise par la Commission de Venise, à qui la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme a demandé un avis en décembre 2005 [4].

276. En conclusion, la Commission de Venise affirme la responsabilité des États membres du Conseil de l’Europe de veiller à ce que toutes les personnes qui relèvent de leur juridiction bénéficient des droits fondamentaux convenus internationalement (dont le droit à la sécurité de la personne, l’interdiction de la torture et le droit à la vie), et ceci même dans des cas de personnes se trouvant dans un avion en simple survol du territoire national [5]. La Commission de Venise constate également que les obligations découlant des nombreux traités bilatéraux et multilatéraux dans différents domaines tels que l’autodéfense collective, l’aviation civile internationale et les bases militaires n’empêchent pas les États de remplir celles concernant les droits de l’homme [6].

277. En réponse aux questions précises posées par la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, la Commission de Venise a tiré les conclusions suivantes :

En ce qui concerne les arrestations et la détention secrète

a) Toute forme d’implication d’un État membre du Conseil de l’Europe ou de réception d’information avant une arrestation effectuée par des agents étrangers à l’intérieur de sa juridiction entraîne la responsabilité de cet État aux termes des articles 1 et 5 de la Convention européenne sur les droits de l’homme (voire l’article 3 concernant les modalités de l’arrestation). Un État doit donc empêcher le déroulement de l’arrestation. Si l’arrestation est effectuée par des autorités étrangères dans l’exercice de leur compétence aux termes d’une Convention sur le statut des forces (SOFA), l’État membre du Conseil de l’Europe concerné peut être tenu pour responsable aux termes de la Convention européenne sur les droits de l’homme, car il est obligé de donner la priorité à ses obligations de jus cogens, telles qu’elles découlent de l’article 3.

b) Un État membre du Conseil de l’Europe qui coopère de manière active et passive pour imposer et exécuter des détentions secrètes engage sa responsabilité en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Bien qu’une telle responsabilité ne s’applique pas lorsque la détention est exécutée par les autorités étrangères sans que l’État territorial n’en soit informé, l’État territorial doit prendre des mesures effectives contre le risque de disparition et doit mener une enquête rapide et efficace dès lors qu’il dispose d’éléments de preuve étayant l’allégation qu’une personne se trouve en détention secrète.

c) La responsabilité d’un État membre du Conseil de l’Europe est aussi engagée dans le cas où ses agents (police, forces de sécurité, etc.), agissant ultra vires, coopèrent avec les autorités étrangères ou n’empêchent pas une arrestation ou une détention secrète qui n’a pas été portée à la connaissance du gouvernement. Le Statut du Conseil de l’Europe et la Convention européenne des Droits de l’Homme exigent le respect de l’état de droit, lequel, à son tour, exige la transparence de toutes les formes d’exercice de la puissance publique. Quelle que soit la manière dont un État choisit de réglementer le contrôle politique sur les agences de sécurité et de renseignement, des mécanismes efficaces de contrôle et de supervision doivent exister.

d) Si un État est informé ou soupçonne de manière légitime que des prisonniers sont détenus incomunicado dans des bases militaires étrangères sur son territoire, sa responsabilité en vertu de la CEDH est engagée, sauf s’il prend toutes les mesures en son pouvoir pour mettre un terme à cette situation irrégulière.

e) Les États membres du Conseil de l’Europe qui ont ratifié la Convention européenne pour la prévention de la torture doivent informer le Comité européen pour la prévention de la torture de la présence de tout lieu de détention sur leur territoire afin de lui donner accès à ces lieux. Dans le cas où le droit humanitaire international trouve à s’appliquer, les États doivent accorder au Comité international de la Croix Rouge la permission de visiter ces lieux de détention. En ce qui concerne le transfert de prisonniers entre États

f) Il n’existe que quatre manières légales de transférer un prisonnier à des autorités étrangères : la déportation, l’extradition, le transit et les transferts de personnes condamnées aux fins d’exécution de leur peine dans des autres pays. Les procédures d’extradition et de déportation doivent être définies par le droit applicable, et les prisonniers doivent obtenir les garanties juridiques appropriées ainsi qu’un accès aux autorités compétentes. L’interdiction d’extrader ou d’expulser dans un pays où il existe un risque de torture ou de mauvais traitement doit être respectée.

g) Les assurances diplomatiques doivent être juridiquement contraignantes pour l’État qui les fournit et leur formulation doit être sans équivoque. Lorsqu’il existe des éléments de preuve étayés selon lequel un pays pratique ou tolère la torture à l’encontre de certaines catégories de prisonniers, les États membres du Conseil de l’Europe doivent refuser les assurances dans les cas de demandes d’extradition de prisonniers appartenant à ces catégories.

h) L’interdiction de transférer dans un pays où il existe un risque de torture ou de mauvais traitement s’applique également au transit de prisonniers à travers le territoire des États membres du Conseil de l’Europe. Ces derniers doivent donc refuser toute autorisation de transit de prisonniers dans des circonstances présentant un tel risque. En ce qui concerne le survol

i) Si un État membre du Conseil de l’Europe a des raisons sérieuses de croire qu’un aéronef traversant son espace aérien transporte des prisonniers en vue de les transférer vers des pays où ils pourraient subir des mauvais traitements en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, cet État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que ceci ait lieu.

j) Si l’aéronef d’État en question s’est présenté comme un avion civil, sans avoir dûment demandé d’autorisation préalable conformément à l’article 3 c) de la Convention de Chicago, l’État territorial doit exiger l’atterrissage et doit l’inspecter. En outre, il doit protester par les voies diplomatiques appropriées.

k) Si un aéronef s’est présenté comme un aéronef d’État et a obtenu une autorisation de survol sans toutefois dévoiler la nature de sa mission, l’État territorial ne peut pas l’inspecter, sauf accord du capitaine. Cependant, l’État territorial peut refuser d’autres autorisations de survol à l’État pavillon ou imposer une obligation de se soumettre aux inspections. Si l’autorisation de survol découle d’un traité bilatéral ou d’une Convention sur le statut des forces ou d’un accord relatif aux bases militaires, les termes d’un tel traité doivent être remis en cause si, et dans la mesure où, ils ne permettent pas de prendre des mesures de contrôle visant à assurer le respect des droits de l’homme.

l) Lors de l’octroi d’autorisations de survol aux aéronefs d’État étrangers, les États membres du Conseil de l’Europe doivent assurer le respect de leurs obligations en matière de droits de l’homme. Cela signifie qu’ils pourraient être amenés à insérer de nouvelles clauses, y compris l’inspection, conditionnant les autorisations de survol par voie diplomatique en faveur des avions d’État transportant des prisonniers. Lorsqu’il y existe des raisons plausibles de soupçonner que, dans certaines catégories de cas, les droits humains de certains passagers risquent d’être violés, les États doivent en effet conditionner les autorisations de survol au respect de clauses « droits de l’homme » explicites. La conformité avec les procédures d’autorisation de survol doit être strictement surveillée ; les demandes d’autorisation de survol doivent fournir des informations suffisantes pour que la surveillance puisse être efficace (par exemple, l’identité et le statut [passager volontaire ou involontaire] de toutes les personnes à bord et la destination du vol, ainsi que la destination finale de chaque passager). En cas de nécessité, le droit d’inspecter des avions civils doit être exercé.

m) En vue d’éviter la répétition d’Abus, toute violation des principes de l’aviation civile en rapport avec le transport irrégulier de prisonniers doit être dénoncée et portée à l’attention des autorités compétentes, et, en fin des compte, du public. Les États membres du Conseil de l’Europe pourraient porter d’éventuels manquements à la Convention de Chicago devant le Conseil de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, conformément à l’article 54 de la Convention de Chicago.

n) En ce qui concerne les obligations qui incombent aux États membres du Conseil de l’Europe en vertu de traités, la Commission considère qu’ils ne sont pas tenus d’autoriser les transferts irréguliers de prisonniers ou d’accorder des autorisations de survol inconditionnelles aux fins de lutter contre le terrorisme. La Commission rappelle que si la violation d’une obligation assumée en vertu d’un traité est déterminée par le besoin d’être conforme à une norme impérative (jus cogens), elle ne donne pas lieu à un fait internationalement illicite et l’interdiction de la torture est une norme impérative. Selon la Commission, les États doivent donc interpréter et exécuter les obligations qui découlent des traités, y compris celles qui résultent du traité de l’OTAN, des accords relatifs aux bases militaires, des conventions SOFA, d’une manière compatible avec leurs obligations dans le domaine des droits de l’homme.

10.2.2. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe (art. 52 CEDH)

278. Le Secrétaire Général a fait usage de manière aussi rapidement et complètement que possible du pouvoir d’enquête dont il dispose en vertu de l’article 52 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Dans son rapport daté du 28 février 2006 [7], le Secrétaire Général prend position de manière claire quant aux responsabilités des États membres du Conseil de l’Europe : Les activités d’agences étrangères ne peuvent être imputées directement aux États parties. La responsabilité de ces États peut néanmoins être engagée du fait de leur devoir de s’abstenir d’offrir une aide ou une assistance dans la commission d’un fait illicite, d’approuver cet acte formellement ou tacitement ou, de façon plus générale, des obligations positives qui leur incombent en vertu de la Convention5. Conformément aux règles généralement reconnues sur la responsabilité des États, ceux-ci peuvent être tenus responsables d’avoir aidé ou d’assisté un autre État dans la commission d’un fait internationalement illicite6. Il ne fait guère de doute que l’aide et l’assistance offertes par des agents d’un État partie à ceux d’un autre État pour commettre des violations des droits de l’homme dans le cadre de la juridiction de l’État partie constitueraient une violation de la Convention. Même l’approbation formelle ou tacite des autorités face aux actes d’agents étrangers portant atteinte aux droits de la Convention pourrait engager la responsabilité de l’État partie en application de la Convention. Il va sans dire que la responsabilité indirecte suppose que les autorités des États parties aient eu connaissance de ces activités [8]. Pour ce qui est du résultat de la demande d’information du Secrétaire Général, le rapport du 28 février conclut à titre préliminaire que toutes les formes de privation de liberté sortant du cadre légal ordinaire doivent être définies comme des infractions pénales dans tous les États parties et qu’il y a lieu de les réprimer effectivement. Sont à définir comme telles le fait d’aider ou d’assister les auteurs de ces actes illégaux ainsi que le fait de ne pas signaler de tels actes alors que l’on en a connaissance, et de fortes sanctions pénales devraient être prévues pour les agents de renseignement et les autres agents publics impliqués dans de telles affaires. Toutefois, les difficultés et lacunes les plus importantes ressortant des réponses tiennent à la capacité qu’ont les autorités compétentes de détecter ce genre d’activités illégales et d’y réagir résolument. Quatre principaux domaines dans lesquels des mesures supplémentaires devraient être prises aux niveaux national, européen et international sont identifiés : - la réglementation des activités des services secrets semble insuffisante dans de nombreux États ; des contrôles plus efficaces s’imposent, notamment en ce qui concerne les activités des services secrets étrangers opérant sur le territoire de ces États ; - la réglementation internationale des transports aériens n’offre actuellement pas assez de garanties contre les abus ; il faut que les États aient la possibilité de vérifier si les appareils en transit sur leur territoire ne servent pas à des fins illégales ; cependant, même dans le cadre juridique actuel, les États devraient se doter d’outils de contrôle plus performants ; - les règles internationales relatives à l’immunité des États empêchent bien souvent un État de poursuivre effectivement les agents étrangers qui commettent des délits sur son territoire ; en cas de violation grave des droits de l’homme, l’immunité ne doit pas être synonyme d’impunité. Il faut donc entreprendre de définir clairement, aux niveaux européen et international, des exceptions aux règles traditionnelles en matière d’immunité ; - il ne suffit pas que les États donnent l’assurance que leurs agents à l’étranger se conforment au droit international et national ; encore faut-il intégrer, à cet égard, des garanties formelles et des mécanismes d’exécution dans les accords internationaux et les législations nationales pour protéger les droits couverts par la CEDH [9].

279. Dans ce cadre, le Secrétaire Général, faisant référence à ma note d’information du 21 janvier 2006, se dit préoccupé par le fait que certains États parties n’aient pas répondu ou n’aient répondu qu’incomplètement à sa question relative à l’implication d’agents publics dans de telles privations de liberté ou de tels transports de détenus et si une enquête officielle est en cours ou déjà achevée. Par conséquent, le Secrétaire Général a posé des questions supplémentaires à un certain nombre de pays. Les réponses ne sont pas encore dans le domaine public.

Sommaire

Résumé
Les droits de l’homme : une simple option pour le beau temps ?
La « toile d’araignée » mondiale
Des exemples concrets documentés de restitutions
Les lieux de détention secrets
Détentions secrètes en République tchétchène
L’attitude des gouvernements
Cas individuels : procédures judiciaires en cours
Les enquêtes parlementaires
L’engagement contre le terrorisme
Perspectives juridiques
Conclusion

[1Voir rapport des États-Unis au Comité contre la torture, ainsi que les commentaires récents du Comité (en page 4) sur les détentions secrètes, disponible sur : www.usmission.ch..

[2Le rapporteur est en possession de la retranscription de la réunion avec M. Bellinger.

[3Cf. par exemple les remarques de Condoleezza Rice au moment de son départ pour l’Europe, en décembre 2005 : « Le plus important et le plus ancien devoir de tout gouvernement est de protéger ses citoyens. Parfois, les efforts qu’il fait en ce sens sont incompris. Je souhaite vous aider à comprendre les choix difficiles qu’il faut prendre, et quelquesunes des responsabilités qu’ils entraînent. »

[4Avis sur les Obligations Légales Internationales des États Membres du Conseil de l’Europe concernant les Lieux de Détention secrets et le Transport Interétatique de Prisonniers, adopté par la Commission de Venise lors de sa 66ème Session Plénière (Venise, 17-18 mars 2006) sur la base des observations de MM. Iain Cameron (membre suppléant, Suède), Pieter van Dijk (membre, Pays-Bas), Olivier Dutheillet de Lamothe (membre, France) Jan Helgesen (membre, Norvège), Giorgio Malinverni (membre, Suisse) et Georg Nolte (membre suppléant, Allemagne) – doc. CDLAD( 2006)009.

[5Avis précité, paras. 143-146.

[6Ibid., para. 156. le Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux dans son avis au sujet des responsabilités des États membres de l’UE en matière de droits de l’homme dans le contexte des activités de la CIA en Europe (« restitutions extraordinaires ») en date du 25 mai 2006, à la page 7, arrive à la même conclusion sur la base de l’article 6(1) UE.

[7SG/Inf(2006)5, disponible sur le site web du Conseil de l’Europe sous http://www.coe.int

[8Rapport précité, para. 23 ; voir aussi l’excellente analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme concernant les « obligations positives » des États dans les para. 24-30

[9Rapport précité, p. 1 (résumé non officiel).