Le président George W. Bush a consacré son discours d’investiture du 20 janvier 2005 à exposer les objectifs politiques qu’il assigne à son administration pour son second mandat. Loin des discours classiques d’auto-satisfaction ou de bonnes intentions, il a explicité le chemin déjà accompli dans la transformation des États-Unis eux-mêmes et révélé ses nouvelles ambitions. Désormais, sa croyance religieuse est officiellement érigée en un « principe de sécurité nationale » et aucune nation n’est à l’abri de sa croisade. Il ne s’agit plus de répondre à des attentats en livrant une « guerre au terrorisme », il s’agit de transformer le monde entier pour qu’il se conforme aux croyances de « l’Amérique ».
Dans son ensemble, la presse occidentale persiste à dénier la montée des périls. Elle a choisi de minimiser le caractère exalté de ce propos, d’évacuer ses prétentions prophétiques, et de se borner à y voir une sorte d’emphase folklorique. Pourtant, aucun président états-unien ne s’est jamais exprimé ainsi. Pour la première fois, un hôte de la Maison-Blanche a mis en demeure « chaque dirigeant de cette planète » de clarifier ses choix, d’afficher son camp.
Pour George W. Bush, « il n’y a pas de justice sans liberté », et il appartient aux États-Unis d’apporter la Justice divine sur terre en libérant les peuples opprimés. Pour ses électeurs évangéliques, le moment est venu de réaliser la « Destinée manifeste de l’Amérique » : après la prise de Babylone, voici le temps de l’Armaggedon. Or, l’Histoire nous a appris à redouter les chefs d’État qui tiennent des discours apocalyptiques, à craindre les États qui tournent en sectes, surtout lorsqu’ils sont lourdement armés.
Pour notre part, nous affirmons qu’en Irak et ailleurs, les bombes sèment la mort, pas la démocratie, et qu’il n’y a pas de liberté sans souveraineté.

D’abord, il y a ceux qui ne veulent pas comprendre. Fidèle à lui même, le professeur Joseph S. Nye préconise dans Le Figaro de « redorer le blason de l’Amérique » en développant la « diplomatie publique », euphémisme politiquement correct pour désigner la propagande. Son pays se transforme en État militaro-religieux, l’opinion publique mondiale le perçoit maintenant comme un danger pour la paix mondiale (ainsi que l’atteste un récent sondage de la BBC), mais le professeur Nye persiste à ne voir qu’un problème de communication.

Ensuite, il y a ceux qui craignent d’avoir compris. Par exemple, le diplomate démocrate Richard N. Haas s’inquiète de cette rhétorique de la liberté. Tout cela n’est pas très réaliste et n’a pas grand sens. Cependant, il hésite dans le Washington Post à poursuivre son raisonnement jusqu’au bout. Ainsi, il continue à affirmer que son pays est une démocratie et que les démocraties mûres sont pacifiques par nature, alors que les États-Unis viennent de conquérir l’Irak en violation de la Charte de l’ONU. Il parvient toutefois à dire que ce bellicisme, s’il était victorieux, ne conduirait pas forcément vers un monde meilleur.

Enfin, il y a ceux qui sont terrifiés d’avoir compris. Dans le Guardian, l’ancien conseiller de Bill Clinton, Sydney Blumenthal, relève les objectifs de politique intérieure. M. Bush entend détruire ce qu’il n’a pas encore démantelé de l’État providence, mis en place par le président F.D. Roosevelt durant le New Deal et développé par tous ses successeurs. Il remet en cause le « contrat social » qui fonde la société états-unienne actuelle.
Patrick Seale alerte les lecteurs de Gulf News, du Daily Star et de Dar Al Hayat : M. Bush a les mains libres. À tout instant, il peut attaquer la Syrie ou l’Iran. Il a déjà failli le faire et en a été dissuadé par ses généraux en période électorale. Désormais, plus rien ne le retient.

Et puis, il y a ceux qui sont compris par M. Bush. Ainsi, Amir Taheri applaudit à cette prestation de serment. Dans Gulf News, il affirme que le président n’est pas une marionnette aux mains des néo-conservateurs, mais un vrai chef en phase avec ses conseillers et avec son opinion publique.
Surtout, Robert Kagan exulte dans le Washington Post. Pour lui et ses amis néo-conservateurs, M. Bush vient de dépasser le cadre trop étroit de la « guerre au terrorisme » et les fait entrer dans celui sans limite du concept paradoxal de la démocratisation forcée.