Durant la Guerre froide, les diplomates occidentaux se trouvaient dans des situations compliquées dans les pays communistes quand ils devaient décider s’ils invitaient ou non les dissidents et les défenseurs des Droits de l’homme dans leurs réceptions officielles. Parfois nous n’étions pas invité mais recevions des excuses, d’autres fois nous étions invités mais nous ne nous y rendions pas pour ne pas embarrasser nos amis, d’autres fois encore, nous étions invité à une heure bien plus avancée que celle des représentants officielles afin que nous soyons partis quand ils arriveraient. Quand nous nous croisions, il arrivait que les représentants officiels partent en signe de protestation, ou alors nous partions précipitamment ou prétendions tous ne pas avoir remarqué les autres, ou, en de rares occasions, nous entamions des conversations les uns avec les autres, ce qui souvent représentait les seuls moments de dialogue entre le régime et son opposition (hormis devant les tribunaux).
A l’époque, aucune directive officielle n’interdisait à une ambassade d’inviter un groupe de personnes. Pourtant, c’est bien ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Une des institutions démocratiques des plus puissantes et des plus fortes au monde, l’Union européenne, n’a aucun scrupule à faire une promesse publique à la dictature cubaine pour instituer de nouveau un apartheid diplomatique, s’engageant à préparer leurs listes d’invités selon les souhaits du gouvernement cubain. C’est la vision étriquée de José Luis R. Zapatero qui l’a emporté. Cette mesure va écarter les diplomates de certains de leurs amis et sera du pire effet. Je ne peux trouver aucun meilleur moyen pour l’Union européenne de salir le noble idéal de liberté, d’égalité et de respect des droits de l’homme qu’elle défend.
Cela ne va pas faciliter la tâche des dissidents cubains mais ils survivront à leur absence des cocktails occidentaux. Reste à savoir si l’Union européenne, elle, y survivra. Après cela pourquoi ne pas répondre à des appels d’offre pour construire des bases de missiles sur les côtes de la République populaire de Chine, se faire dicter ses décisions sur la Tchétchénie par les conseillers de Vladimir Poutine ou avoir des liens fraternels avec les pires dictateurs d’Afrique. Où cela s’arrêtera-t-il ? À la libération de Milosevic ? Au refus de visa pour le militant des droits de l’homme russe Sergei Kovalyov ? Aux excuses présentées à Saddam Hussein ? À l’ouverture de pourparlers de paix avec Al Qaida ? Les anciens pays communistes d’Europe doivent se souvenir de leur expérience et ainsi faire la meilleure contribution qu’ils puissent apporter aux fondements communs spirituels, moraux et politiques d’une Europe unie.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« L’indécent hommage à Fidel Castro », par Vaclav Havel, Le Figaro, 28 janvier 2005.