Le 19 août 1993, la police roumaine a saisi à Bucarest 1,4 tonne de haschisch. La drogue, probablement d’origine pakistanaise, avait été débarquée dans le port de Constanza en provenance du Nigéria. Cette saisie, après celle de 4 600 kilos de marijuana nigériane à Rotterdam en 1992, confirme le rôle joué par le Nigéria, à la fois comme pays producteur et comme voie de transit. D’autre part, durant le seul mois de juillet l993, 89 Nigérians ont été arrêtés en Angleterre pour trafic de drogues, principalement de la cocaïne et de l’héroïne. 69 d’entre eux avaient quitté sans encombre leur pays par l’aéroport Moritala Mohammed, à Lagos, un des endroits en principe les plus surveillés par des dizaines d’agents de l’office des stups (NDLEA) et les douaniers. Il est vrai qu’ils sont si occupés à racketter les passagers honnêtes, que les convoyeurs de drogues ne sont pas inquiétés. Par ailleurs, les commanditaires, des hommes d’affaires qui ont pignon sur rue, n’ont guère de mal à "acheter la route". Il arrive également que les trafiquants soient escortés jusqu’à l’avion par des officiers supérieurs en grand uniforme. Si le Nigéria est devenu en effet une des plaques tournantes mondiales du trafic de toutes les drogues - du cannabis à l’héroïne, en passant par la cocaïne, sans oublier les psychotropes destinés aux marchés de l’Afrique de l’Ouest où ils se négocient par sacs de 50 kilos - c’est que le trafic bénéficie de hautes protections. Le chef de la Brigade des stups (NDLEA), Fulani Kwajafa, a informé lui-même la presse, en juillet, que 84 agents des stups ont été mis à pied depuis la fondation de ce service, en 1989, "pour corruption ou sabotage". Son prédécesseur, M. Fidelis Oyakhilome, a été lui même limogé, en janvier l991, pour avoir fait, à la demande de sa maîtresse, lever l’écrou d’un baron de la drogue et en échange de l’équivalent de 400 000 francs. D’autre part, les policiers des stups accusent les juges de libérer les trafiquants. Les magistrats répliquent : "c’est la Force spéciale (Task Force) de la Présidence qui, sous prétexte de décongestionner les prisons, les a vidées des barons de la drogue". Le départ du général Ibrahim Babangida, le 27 août, et la constitution d’un gouvernement civil sous tutelle des militaires, a cependant redonné courage aux journalistes locaux. Ils avaient été échaudés par l’interdiction de six publications qui avaient soutenu Abiola, le probable vainqueur des élections présidentielles annulées du 11 juin. En septembre, un magazine d’audience nationale est revenu sur l’assassinat, en novembre l987, de Dele Giwa, fondateur et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Newswatch, qui enquêtait sur les dénonciations de la presse concernant l’implication de l’épouse du président, Maryam Babaginda dans le trafic de drogue. L’auteur de l’article a révélé que Dele Giwa venait de contacter des services officiels pour vérifier certains éléments concernant cette affaire, lorsqu’il a été tué par l’explosion d’un paquet portant le cachet de la Présidence. Certains militaires, en service ou à la retraite, commencent eux-mêmes à parler. Ainsi, un ancien chef de l’Etat, le général Buhari, dans une interview accordé à un autre hebdomadaire d’opposition, The News, a affirmé qu’il avait été renversé par le général Babangida, en 1985, pour avoir ordonné une enquête sur la participation d’officiers "de haut rang" au trafic de drogue. De nombreux journalistes nigérians se déclarent convaincus que l’épouse de l’ex-président dirigeait un important réseau de drogue qui avait des ramifications dans le monde entier. Les noms d’autres "baronesses" de la drogue, appartenant à la meilleure société de Lagos ou de Kano, circulent au Nigéria. Le départ du général Babangida aurait été, toujours selon ces organes de presse, un moyen de sauver la face avant que la clameur publique ne rende sa position intenable (correspondant de l’OGD au Nigéria, The News, Drugforce).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 25