Le trio belliqueux canadien : (de gauche à droite) le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon, le Premeir ministre Stephen Harper et le ministre de la Défense Peter MacKay, venus chercher leurs ordres au sommet de l’OTAN (Strasbourg, 3 avril 2009).

Durant l’année écoulée, de hauts responsables fédéraux canadiens ont multiplié les déclarations fermes et bravaches à propos de la Russie et de l’Arctique. Sur ce modèle, le ministre de la Défense Peter MacKay a averti que « les chasseurs Canuck décolleront pour accueillir tout appareil non autorisé » ; ce qu’explicitait moins délicatement une agence de presse canadienne bien en cour en tonnant que « les avions de chasse canadiens décolleraient pour "accueillir" tout appareil russe "approchant" l’espace aérien du Canada. » [1]

MacKay a poursuivi : « Nous allons protéger notre territoire souverain » [2]. Ce message était dirigé de façon transparente exclusivement contre la Russie, qui ne compromet d’aucune manière la souveraineté et l’intégrité territoriale du Canada, et non contre les États-Unis, qui le font.

Une autre agence de presse indique que MacKay commentait l’information selon laquelle la Russie envisage de déposer un petit détachement de parachutistes dans presque un an sur une partie de l’Arctique, sur laquelle il est reconnu internationalement qu’elle a des droits. Le ministre aurait ajouté : « Nous avons fait décoller les jets F-18 dans le passé, et ils seront toujours là pour les recevoir. » [3]

La rhétorique d’Ottawa ne correspond pas au contexte. Que signifie « protéger l’espace aérien canadien » de bombardiers à long rayon d’action russes volant dans l’espace aérien international d’une manière qui ne viole ni le territoire du Canada, ni aucun traité ni loi ? D’autant que selon la même dépêche d’agence, Mac Kay reconnaît qu’ « il n’y a pas eu d’intrusion récente de bombardiers russes ». [4]

En réalité, le dernier moulinet de sabre de MacKay s’inscrit dans une série de diatribes comparables émanant du trio qu’il forme avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères du Canada. Elles interviennent de manière révélatrice une année après la guerre de cinq jours entre Géorgie et la Russie.

En août dernier le Premier ministre Stephen Harper a accusé la Russie de revenir à une « mentalité de l’ère soviétique ». Le mois suivant, MacKay a continué avec : « Quand nous voyons un Bear russe [Tupolev Tu-95] approcher l’espace aérien canadien espace, nous l’accueillons avec un F-18. » On est aujourd’hui à presque un an du ministre de la Défense du Canada menaçant la Russie avec les F-18 (chasseurs polyvalents produits par la firme Boeing basée à Chicago). MacKay brandissant la menace des avions de guerre US est conforme à l’air du temps comme il est également le reflet et le représentant des visées des USA et de l’OTAN sur l’Arctique et contre les revendications et les intérêts russes dans cette région.

En février, Barack Obama a effectué sa première visite en dehors des États-Unis en tant que président, en se rendant à Ottawa voir le Premier ministre Harper. Le gouvernement de ce dernier a choisi cette occasion pour mettre en scène une machination qui dans une situation plus grave aurait signifié un départ en guerre ou qui pourrait en avoir précipité une. Le Canada a fait décoller des avions de guerre au dessus de l’océan Arctique pour intercepter des bombardiers russes engagés dans ce qu’ont été depuis 2007 des vols de routine dans un espace aérien neutre.

Utilisant la présence du nouveau président états-unien pour s’assurer le maximum d’attention des médias étrangers, le Premier ministre canadien a déclaré : « Nous défendrons notre espace aérien, nous avons également des obligations de défense continentale avec les États-Unis. Nous remplirons ces obligations pour défendre notre espace aérien continental et nous défendrons notre souveraineté et nous répondrons chaque fois que les Russes violeront la souveraineté du Canada dans l’Arctique ». [5]

Or, les avions russes en question n’ont en aucune manière fait intrusion dans l’espace aérien canadien et de ce fait n’ont pas menacé la « souveraineté » de la nation.

Harper a souligné les « obligations de la défense continentale avec les États-Unis » tout en évoquant une « menace » fantastique posée par un bombardier russe à plusieurs milliers kilomètres de la capitale canadienne où Obama se trouvait à ce moment-là. Peut-être ces déclarations étaient-elles destinées à prouver les mérites d’Ottawa à son voisin du sud. Après tout, Harper et MacKay prenaient la posture d’avoir sauvé le chef d’État US d’un raid de bombardement fictif russe. Peut-être visaient-elles aussi à démontrer que « la défense continentale » est une affaire réciproque qu’appuie la superpuissance mondiale lors de toute future confrontation avec la Russie.

Le troisième membre du triumvirat belliqueux du Canada est le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon. Il s’est adressé en mars à la Russie, déclarant : « Soyons tout à fait clairs ici. Le Canada ne se laissera pas intimider ». Puis, à la fin du mois de juin, il s’est référé au Canada en tant que « superpuissance » à la fois arctique et énergétique.

Une agence de presse canadienne a écrit alors : « En minimisant la récente "chevauchée" de la Russie pour une place dans la ruée du pétrole polaire émergent, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon a déclaré que le Canada était une "superpuissance arctique" » [6]

L’OTAN adapte et forme ses forces en vue d’une éventuelle confrontation avec la Russie dans l’Arctique (ici un sous-marin canadien participe aux exercices de l’Alliance).

L’OTAN militarise le Grand Nord

Bien que les dépêches occidentales tentent de dépeindre la concurrence accrue pour l’énergie de l’Arctique et les voies de transport comme un concours entre les cinq nations qui ont des revendications solides sur la région —États-Unis, Canada, Russie, Danemark et Norvège— toutes, sauf la Russie, sont membres de l’OTAN et obligées en vertu de l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord de fournir une assistance militaire à tout membre qui la demande. La Grande-Bretagne, la Finlande et la Suède —ces deux dernières étant invitées à une rapide et complète intégration dans l’OTAN— ont également rejoint le conflit de l’Arctique. La Norvège a récemment déménagé dans le Cercle Arctique le quartier général de son commandement opérationnel et le Danemark a annoncé des plans visant à établir un Commandement Arctique inter-armées, une force de réaction arctique et un renforcement de la base aérienne de Thulé (Groenland) pour la partager avec ses alliés de l’OTAN.

« Avec le Danemark, qui devient la dernière nation à révéler de grands projets d’organisation de ses capacités militaires arctiques, l’accumulation mondiale des forces dans le Grand Nord accroît les risques de conflit et préoccupe les experts ». [7]

L’année dernière la Norvège a acheté 48 chasseurs Lockheed F-35 en raison de leur aptitude à patrouiller dans l’Arctique. En mars, ce pays a effectué un très important exercice militaire dans l’Arctique impliquant 7 000 soldats de 13 pays, dans lequel un État fictif appelé Northland s’est emparé des plateformes pétrolières offshore.

« Les manœuvres, auxquelles environ 12 000 soldats, 50 avions et plusieurs navires de guerre ont participé, ont déclenché une protestation de la Russie. Elle a protesté à nouveau en juin après que la Suède ait tenu son plus grand exercice militaire du Nord depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. » [8]

Ces événements suivent de près les menées du secrétaire général de l’OTAN et des hauts commandants militaires réunis en Islande les 28 et 29 janvier de cette année pour procéder à un séminaire sur les perspectives de la sécurité dans le Grand Nord. A cette occasion, le secrétaire général de l’OTAN du moment, Jaap de Hoop Scheffer, a déclaré :

« Le Grand Nord va nécessiter encore plus d’attention de la part de l’Alliance dans les années à venir.
Comme la calotte glaciaire diminue, la possibilité augmente d’extraction de minéraux et d’exploitation des gisements énergétiques du Grand Nord.
A notre sommet de Bucarest de l’an dernier, nous sommes convenus de quelques principes directeurs pour le rôle de l’OTAN en matière de sécurité énergétique.... » [9]

La réunion de l’OTAN, qui, pour la première fois a ciblé explicitement le Cercle Arctique comme une zone d’opérations pour l’Alliance, s’est tenue dix-sept jours après que l’administration Bush sortante ait promulgué la Directive Présidentielle de Sécurité Nationale 66. Elle comporte l’affirmation que « les États-Unis ont des intérêts vastes et fondamentaux de sécurité nationale dans la région arctique (…) Ces intérêts incluent des questions telles que la défense anti-missiles et l’alerte avancée ; le déploiement des systèmes mer et air pour le transport maritime stratégique, la dissuasion stratégique, la présence maritime et les opérations de sécurité maritime ; et la garantie de la liberté de navigation et survol ». [10]

La Directive de Sécurité Nationale conteste ouvertement l’affirmation du Canada que le Passage Nord-Ouest, —qui, en raison de la fonte de la calotte glaciaire polaire, est maintenant entièrement navigable pour la première fois dans l’histoire connue— est son territoire exclusif et appelle à l’internationalisation de cette voie navigable stratégique.

Si la souveraineté du Canada et son intégrité territoriale sont menacées, c’est par les États-Unis et non par la Russie.

Vu la possibilité que l’opposition libérale réclame un vote de non-confiance au Parlement canadien le mois prochain et déclenche une élection anticipée, le Premier ministre en place intensifie le thème du « renforcement de la souveraineté du Canada dans l’Arctique oriental ». Il assistera aux exercices militaires annuels dans l’Arctique ce mois-ci, l’Opération Nanook, aux côtés du ministre de la Défense MacKay et du chef d’état-major Walter Natynczyk.

Afin « de voir de près ce mois-ci les efforts du Canada pour renforcer sa présence militaire dans l’Arctique », Harper sera amené par hélicoptère et déposé sur la frégate HMCS Toronto de même que pour sa visite du sous-marin HMCS Charlottetown.

« Les fonctionnaires gouvernementaux ont annoncé les détails de la tournée de Harper, du 17 au 21 août , dans le contexte de la montée des tensions avec la Russie sur les revendications territoriales arctiques. » [11].

Cette année l’Opération Nanook sera une opération de grande envergure avec la participation de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air canadiennes, ainsi que des forces spéciales engagées pour la première fois. Les exercices comprendront le débarquement amphibie d’une unité de la Compagnie de la Réserve Arctique, des exercices anti-sous-marins, des opérations de soutien aérien et un exercice d’accident de masse. [12]

Rappelant à nouveau que les États-Unis sont les rivaux principaux du Canada pour le contrôle du passage Nord-Ouest, en fin juillet, le département d’État des USA a révélé : « Aux États-Unis et au Canada, une expédition commune de 42 jours dans l’Arctique débutera en août pour examiner le plateau continental ». « La mission, programmée du 6 août au 16 septembre, poursuivra la collaboration dans la collecte des données du plateau continental étendu de l’Arctique, collecte commencée au cours de l’examen commun de l’été dernier, avec des projets pour davantage de coopération en 2010. » [13]

Fin juin, lorsque le ministre Cannon a vanté les mérites du Canada en tant que superpuissance arctique, il a révélé par défaut quelle nation était ciblée par son pays et ses alliés de l’OTAN lorsqu’il a salué « les avantages des recherches conjointes avec les scientifiques américains dans les eaux proches de la frontière Yukon-Alaska et avec les scientifiques danois près du Groenland ». Sur l’épineuse question de savoir qui détient le passage du Nord-Ouest —voie navigable à travers l’Archipel Arctique que le Canada considère comme faisant partie de ses « eaux territoriales »—, Cannon a indiqué qu’il n’existe actuellement aucun plan pour tenter de dissuader les États-Unis de considérer cet itinéraire comme un « détroit internationalisé » [14]

La dernière phrase dissipe le sérieux des revendications d’Ottawa concernant sa souveraineté et ses droits territoriaux.

Le Canada est en train de budgétiser des centaines de millions de dollars pour construire un centre d’entraînement militaire arctique à Resolute Bay, pour de « nouveaux navires de guerre et une nouvelle infrastructure militaire dans le Nord (…) et sa propre unité consacrée à l’Arctique basée à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest » [15]. Il faut y ajouter le programme de surveillance par satellite Polar EPSILON et les drones positionnés dans l’Arctique.

Mi-juillet le commandant de l’ US Air Force, le lieutenant général Dana Atkins a évoqué « l’importance d’avoir une forte présence militaire dans l’Arctique devant la continuation des vols côtiers de la Force Aérienne Russe ».

Expliquant quels sont les véritables objectifs des États-Unis et de l’OTAN dans la région, il a ajouté « l’Arctique deviendra de plus en plus important stratégiquement dans l’avenir, non seulement en raison de la valeur estimé à des trillions de dollars de pétrole et de gaz naturel inexploités sous sa surface, mais aussi en raison des occasions de croissance pour des expéditions maritimes dans la zone », ce qui pourrait permettre « à un navire de voyager de l’Asie à l’Europe pour diminuer de moitié ses frais en passant par cet itinéraire plutôt que via le canal de Panama ». [16]

Atkins a préconisé un port en eau profonde sur le versant nord (qui borde l’Arctique) qui était « nécessaire pour mieux défendre la région » [17].

Également à la mi-juin, le Pentagone a tenu ses manœuvres de guerre Northern Edge (bordure septentrionale) en Alaska, « situées entre la Russie et le Canada et à l’intérieur d’une bonne partie du Cercle Arctique », avec plus de 9 000 soldats, des navires et des avions de guerre.

« L’Air Force, la Navy, l’Armée de terre, le Corps des Marines et les Gardes côte ont participé avec des avions à une simulation de combat aérien, souvent en volant à vitesse supersonique, alors que celle est interdite presque partout ailleurs aux États-Unis.

« Les navires de guerre et les forces terrestres se sont aussi synchronisés avec l’aviation en créant une grande force combinée » [18].

En considérant le passage navigable du Nord-Ouest comme un détroit internationalisé, les États-Unis remettent en cause les droits des États riverains sur leurs eaux territoriales glacées. Seule puissance visée : la Russie.

L’encerclement de la Russie

Tandis que les exercices militaires U.S. ont été menés en Alaska, la Russie a organisé des exercices à grande échelle de sous-marins nucléaires sous la calotte glacière arctique, exercices qui comprenaient « le déploiement de plusieurs sous-marins nucléaires d’attaque ... dans la zone de lancement pour assurer la sécurité de … deux sous-marins stratégiques » lanceurs d’engins et qui ont aidé ces derniers à éviter d’être détectés par les défenses US. [19]

« Une source de renseignement russe a précédemment dit que la région autour du Pôle Nord est l’endroit parfait pour des lancements de missiles balistiques parce qu’elle permet aux sous-marins d’arriver sans être détectés dans une zone désignée et de raccourcir le temps de vol des missiles jusqu’à leurs cibles. » [20]

La Russie est la seule nation dans le monde ayant une triade nucléaire —bombardiers stratégiques, missiles balistiques terrestres à longue portée et missiles balistiques lancés par sous-marins— capables de se défendre contre une première attaque nucléaire venant des États-Unis et leurs alliés.

Une description en ligne standard de la nécessité d’un tel système dit, « le but d’une capacité nucléaire à trois branches est de réduire considérablement la possibilité qu’un ennemi détruise l’ensemble des forces nucléaires d’un pays dans une frappe de première attaque ; ceci, à son tour, garantit la crédibilité d’une seconde frappe et augmente ainsi la dissuasion nucléaire de la nation.

Avec le développement d’un système international de missiles intercepteurs, pour ne rien dire de la militarisation de l’espace, les États-Unis, leurs alliés de l’OTAN et ce qu’on est amené à appeler l’ OTAN asiatique sont en train de déployer des missiles intercepteurs et des bases de radar en République tchèque, en Pologne, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Alaska (y compris les îles Aléoutiennes), au Japon, en Australie et partout ailleurs où cela pourrait rendre inutiles la dissuasion nucléaire et les capacités de représailles russes —et chinoises—. Par conséquent, ils préparent le terrain pour une possible première frappe nucléaire qui serait lancée avec une impunité présumée.

Le Cercle arctique est l’endroit où la Russie est en train de concentrer sa dernière ligne de défense contre une telle menace. Si les États-Unis et l’OTAN, utilisant le Canada comme leur avant-garde, affrontent et expulsent la Russie de l’Arctique, la possibilité d’un chantage nucléaire et d’attaques non-provoquées augmente de façon exponentielle.

Le rôle assigné au Canada est de servir soit d’appât dans un piège, soit d’agent provocateur pour déclencher une confrontation avec la Russie. Dans ce cas, les États-Unis et l’OTAN, les premiers par les accords bilatéraux de la défense et la seconde par le biais de la clause d’assistance militaire mutuelle de l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord, auraient à y répondre.

Le Canada, avec une population de 33 millions d’habitants, serait alors présenté comme une petite victime sans défense de « l’impérialisme russe » renaissant. À la manière de ce qui a été dit de l’Estonie et de la Géorgie, respectivement sur la Baltique et sur la mer Noire.

Le mois dernier, après être revenu de ses visites en Ukraine et en Géorgie, toutes deux bordant la Russie et toutes deux promues par les États-Unis à une l’adhésion complète à l’OTAN, le vice président Joseph Biden a donné une interview au Wall Street Journal. Parlant de la Russie, il a déclaré : « C’est une chose très difficile à traiter que la perte d’un empire ». Voilà qui laisse songeur de la part du commandant en second de la superpuissance phare du monde, qui dispose de centaines de bases militaires partout sur la planète avec des centaines de milliers d’hommes.

Il a continué en prévoyant ce qui pourrait avoir été repris mot pour mot du Grand Echiquier de Zbigniew Brzezinski [21] : La primauté américaine et ses impératifs géostratégiques, et son affirmation que la Russie, « une entité politique artificielle » était vouée à se désintégrer, voire à disparaître.

« Ils ont une base démographique qui rétrécit, ils ont une économie en déclin, ils ont un secteur et une structure bancaires qui ne semblent pas être en mesure de résister au cours des 15 prochaines années, ils sont dans une situation où le monde évolue avant eux et ils sont en train de s’accrocher à un passé qui ne peut durer. »

« Ce pays, la Russie, est dans une circonstance très différente de ce qu’il a connu au cours des 40 dernières années, ou plus. » [22]

Le soutien de Joe Biden pour les dirigeants des « révolutions colorées » d’Ukraine et de Géorgie —l’un, Mikhaïl Saakashvili, un ancien résident U.S et l’autre, Viktor Iouchtchenko, marié à une personne née à Chicago et ancien fonctionnaire de Reagan et de George H.W.Bush— s’intègre agréablement dans ce scénario. Il a demandé que les soldats de maintien de la paix russes soient retirés de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud et a décrété que la Russie n’aurait aucune « sphère d’influence » dans l’ancienne Union soviétique, ce qui veut dire dans sa sphère historique. Les quatorze autres anciennes Républiques Soviétique sont considérées par les USA et l’OTAN comme leur territoire privé.

« Alors que nous rétablissons les relations avec la Russie, nous réaffirmons notre engagement pour une Ukraine indépendante. Nous ne reconnaissons aucune sphère d’influence, ni aucune capacité de quelque État que ce soit à opposer son veto au choix fait par une nation indépendante » a déclaré Biden dans la capitale ukrainienne de Kiev. [23]

Les choix qu’il mentionnait incluent —en fait sont centrés sur— l’intégration et l’adhésion à l’OTAN. Pourtant les urnes montrent que 80 % des Ukrainiens y sont opposés.

Biden a été la première personnalité officielle états-unienne majeure à visiter la Géorgie après l’agression géorgienne d’août dernier contre l’Ossétie du Sud et le conflit armé de cinq jours entre la Géorgie et la Russie. Il a promis 1 milliard de dollars d’aide à la reconstruction et préparé le terrain pour l’Accord États-Unis-Géorgie de Partenariat Stratégique, qui a été anoncé en décembre dernier.

En réponse à cette visite, le ministère des Affaires étrangères d’Abkhazie a déclaré que : « En ce moment, les États-Unis utilisent Saakashvili comme un instrument pour menacer la sécurité du Caucase (…) Le gouvernement géorgien continue son processus de militarisation et est en train d’élaborer des plans pour une intrusion militaire revancharde dans des territoires qui ne lui appartiennent pas » [24].

L’Ossétie du Sud a signalé la reprise par la Géorgie du bombardement de sa capitale et d’autres parties de son territoire peu après le départ de Biden de Tbilissi. Le 3 août, le président ossète Edouard Kokoïty a annoncé que les troupes russes stationnées dans son pays commenceraient des manœuvres préventives. [25]

Le même jour, le ministère russe de la Défense a communiqué : « En cas de nouvelles provocations [de part de la Géorgie] menaçant la population de la république et le contingent militaire russe stationné en Ossétie du Sud, le ministère russe de la Défense se réserve le droit d’utiliser tous les moyens et ressources disponibles pour protéger les citoyens de la République d’Ossétie du Sud et les militaires russes. [26]

Le 4 août, la Russie a placé ses troupes d’Ossétie du Sud en alerte maximale, trois jours avant la date du premier anniversaire de l’agression géorgienne (7 août 2008).

Dans l’Azerbaïdjan voisin, qui borde la Russie et la mer Caspienne, il a été annoncé le 1er août que « les spécialistes des Forces navales des États-Unis effectueront des exercices à Bakou pour les Forces Spéciales de la Marine Azerbaïdjanaise » et effectueront« des exercices, [qui] auront lieu du 15 août au 5 septembre, conformément à un plan de coopération bilatérale convenu entre les deux pays » [27].

En déplaçant leur infrastructure militaire en Ukraine (avec ses 2 300 kilomètres de frontières avec la Russie), en Géorgie et en Azerbaïdjan, les USA et l’OTAN feraient manifestement progresser l’encerclement de la Russie déjà en cours dans la Mer de Barents, la Mer Baltique, la Mer Noire et la Mer Caspienne .

Dans la région balte, les avions de l’OTAN ont mené des patrouilles continues à quelques minutes de vol de la deuxième plus grande ville de Russie, Saint-Pétersbourg, depuis 2004. En outre, l’Alliance a ouvert un centre de guerre cybernétique en Estonie, l’an dernier.

Le mois dernier, le Parlement britannique a appelé à « de robustes plans d’urgence couvrant l’éventualité d’une attaque contre les États membres baltes et à la mise au point d’une réponse militaire planifiée de l’OTAN » [28].

L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, comme la Géorgie et le Canada, sont devenus des points de ralliement pour les grandes puissances occidentales. Ils ont placé l’essentiel de la puissance militaire de l’OTAN contre la Russie sur ses frontières ouest, sud et nord.

Alors que les parlementaires britanniques étaient en train de tracer des plans pour que l’OTAN invoque l’article 5 dans la région de la mer Baltique, leurs homologues japonais ont adopté une loi reconnaissant officiellement les quatre îles Kouriles du Pacifique Nord, cédées à la Russie après la Seconde Guerre mondiale, comme « territoire historique » japonais.

Un analyste russe a commenté cette mesure : « Les îles Kouriles sont l’étape stratégique des sous-marins nucléaires russes faisant route de leurs bases de l’intérieur vers l’océan Pacifique (…) Si la Russie donne certaines îles au Japon, cela créera immédiatement un précédent pour que le Japon demande Sakhaline et d’autres îles de la ceinture des Kouriles jusqu’au Kamchatka. » [29]

Une fois ses sous-marins nucléaires délogés des océans Pacifique et Arctique, la Russie serait un objectif encore plus tentant pour une première frappe conventionnelle ou nucléaire.

Le rôle du Canada est de mener la confrontation avec la Russie dans l’Arctique. S’il réussit, intentionnellement ou par accident, à provoquer un incident au-dessus des eaux arctiques, avec ses F-18 fournis par les USA, et si cette rencontre dégénère en une crise plus grave, les États-Unis et l’OTAN sont prêts à le soutenir.

Version française d’André Comte.

[1« Canada will defend Arctic border », Canwest News Service, 1 août 2009

[2bid.

[3« Canada watching Russian Arctic moves closely », Associated Press, 1er août 2009

[4Ibid.

[5Canadian Broadcasting Corporation, 27 février 2009

[6Canwest News Service, 28 juin 2009

[7« Danish northern military plans raise fears of Arctic conflict », Canadian Press, 26 juillet 2009.

[8Ibid.

[9NATO International, 29 janvier 2009.

[11Canadian Press, August 1, 2009

[12National Defence and the Canadian Forces, 10 juillet 2009

[13Ria Novosti, 23 juillet, 2009

[14Canwest News Service, 28 juin 2009

[15Canadian Press, 26 juillet 2009

[16Fairbanks Daily News-Miner, 15 juillet 2009.

[17Ibid.

[18The Evening Times, 17 juillet 2009.

[19Ria Novosti, 15 juillet 2009.

[20Ibid.

[21« La stratégie anti-russe de Zbigniew Brzezinski », par Arthur Lepic, Réseau Voltaire, 22 octobre 2004.

[22« Biden Says Weakened Russia Will Bend to U.S. », interview par Peter Spiegel, The Wall Street Journal, 25 juillet 2009.

[23Azeri Press Agency, 23 juillet 2009

[24The Messenger (Georgie), 29 juillet 2009

[25Interfax, 3 août 2009

[26Ibid.

[27Azeri Press Agency, 1er août 2009.

[28Reuters, 10 juillet 2009. Télécharger le rapport intégral : « Russia : a new confrontation ? », House of Commons, 10 juillet 2009.

[29Russia Today, 9 juillet 2009.