Comme la preuve de l’illicéité de la dissuasion
nucléaire a une importance capitale, je reproduis ici le texte complet du paragraphe 47 de
l’avis consultatif de la Cour internationale de
justice [1] :

« En vue de diminuer ou d’éliminer les
risques d’agression illicite, les États font parfois savoir qu’ils détiennent certaines armes
destinées à être employées en légitime défense contre tout État qui violerait leur intégrité territoriale ou leur indépendance politique. La question de savoir si une intention
affichée de recourir à la force, dans le cas où
certains événements se produiraient, constitue
ou non une « menace » au sens de l’article 2,
paragraphe 4, de la Charte [des Nations Unies] est tributaire de divers facteurs. Si l’emploi de la force envisagé
est lui-même illicite, se déclarer prêt à y recourir constitue une menace interdite en vertu
de l’article 2, paragraphe 4. Aussi serait-il illicite pour un État de menacer un autre État
de recourir à la force pour obtenir de lui un
territoire ou pour l’obliger à suivre ou à ne
pas suivre certaines orientations politiques
ou économiques. Les notions de ‹menace› et
d’‹emploi› de la force au sens de l’article 2,
paragraphe 4, de la Charte vont de pair en
ce sens que si, dans un cas donné, l’emploi
même de la force est illicite – pour quelque
raison que ce soit – la menace d’y recourir le
sera également. En bref, un État ne peut, de
manière licite, se déclarer prêt à employer la
force que si cet emploi est conforme aux dispositions de la Charte. Du reste, aucun État
– qu’il ait défendu ou non la politique de dissuasion – n’a soutenu devant la Cour qu’il
serait licite de menacer d’employer la force
au cas où l’emploi de la force envisagé serait illicite. »

Il s’agit là d’un des passages les plus importants de l’avis. Il remet en cause toute la
base de la licéité de la « dissuasion nucléaire ».
En bref : comme toute destruction massive est
contraire au droit et criminelle, toute menace
de destruction massive est par là même également contraire au droit et criminelle. Donc la
dissuasion nucléaire est de toute évidence illicite et criminelle.

Examinons la phrase-clé suivante : « Si
l’emploi de la force envisagé est lui-même
illicite, se déclarer prêt à y recourir constitue
une menace interdite en vertu de l’article 2,
paragraphe 4. »
Comme l’anéantissement de villes et
l’annihilation de millions d’humains est de
toute évidence contraire au droit, il s’ensuit
que si un État menace de le faire, il viole le
droit. C’est précisément ce que font actuellement les États possédant l’arme nucléaire
avec la dissuasion nucléaire, autrement dit
l’équilibre de la terreur [Mutual Assured Destruction (MAD), destruction mutuelle assurée].

Le paragraphe 47 poursuit ainsi : « Les notions de ‹menace› et d’‹emploi› de la force au
sens de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte
vont de pair en ce sens que si, dans un cas
donné, l’emploi même de la force est illicite
– pour quelque raison que ce soit – la menace
d’y recourir le sera également. »
Encore une fois : comme l’annihilation
massive de millions d’humains est de toute
évidence contraire au droit, la menace de le
faire l’est également. Ici, la Cour condamne
à nouveau implicitement la dissuasion nucléaire.

Ensuite, on peut lire : « En bref, un État ne
peut, de manière licite, se déclarer prêt à employer la force que si cet emploi est conforme
aux dispositions de la Charte. »
Or, à nouveau, la menace de destruction
massive qui est au centre de la dissuasion nucléaire, apparaît comme incompatible avec la
Charte. La Cour conclut avec la remarque :
« Du reste, aucun État – qu’il ait défendu ou
non la politique de dissuasion – n’a soutenu
devant la Cour qu’il serait licite de menacer
d’employer la force au cas où l’emploi de la
force envisagé serait illicite. »
Encore une fois : un État n’a pas le droit
de menacer d’employer la force si son emploi est contraire au droit et aucun des États
n’a soutenu devant la Cour un point de vue
opposé bien que l’occasion s’en soit présentée. La Cour a stipulé que les États possédant
l’arme nucléaire, en fonction de leur propre
argumentation, ne pourront pas à l’avenir
contester légalement l’idée que la dissuasion nucléaire est contraire au droit.
La dissuasion nucléaire est illicite et criminelle car
elle repose sur la menace crédible de faire
une chose – l’annihilation massive de civils –
qui est considérée, au moins depuis la Charte
de Nuremberg de 1945, comme contraire au
droit et criminelle.

Source
Horizons et débats (Suisse)

[1Francis Boyle se réfère à l’avis consultatif publié
le 8 juillet 1996 par la Cour internationale de justice. Cet avis faisait suite à la Résolution 49/75 K
de l’Assemblée générale des Nations Unies qui demandait, le 15 décembre 1994, à la Cour internationale de justice de rendre dans les meilleurs délais
un avis consultatif sur la question suivante : « Est-il
licite, selon le droit international, de recourir à la
menace ou à l’emploi d’armes nucléaires dans quelques circonstances que ce soit ? »