Juan Barahona

C’est le 28 juin que l’ordre constitutionnel a été renversé au Honduras par un coup d’État et le président Zelaya expulsé de son propre pays ; ce faisant, le germe du « Front national contre le coup d’État » venait d’être planté. Depuis, il évolue tous les jours sur les plans politique et organisationnel, en osmose avec le peuple, faisant preuve de courage et de détermination face à la répression et aux assassinats. Non seulement le Front a organisé d’immenses manifestations pacifiques dans les villes, mais il a également créé des milliers de cellules et d’activités locales, en milieu urbain et rural, dispensant en outre une formation politique. Le président Zelaya et le gouvernement légitime évoluent eux aussi et se radicalisent. Celui-ci a d’ailleurs maintenu en place son administration, durant son exil comme depuis sa présence à l’ambassade brésilienne. En outre, M. Zelaya s’est rendu lui-même à Washington ainsi que dans plusieurs capitales sud-américaines pour accroître les soutiens dont il disposes. Par deux fois, il a tenté de rentrer pacifiquement dans son pays par avion et par voie terrestre. Il y est finalement arrivé lors de son troisième essai, malgré les graves dangers qui l’attendaient.

Durant les négociations entre les putschistes et le gouvernement légitime, soutenu par ses alliés du Front, le gouvernement de facto de Micheletti joue la montre. Il tente de gagner du temps en essayant de diviser les forces de la résistance et d’affaiblir le mouvement de masse dans les rues, espérant à terme se légitimer par de nouvelles élections. Néanmoins, les trois forces en question sont désormais plus unies que jamais : le Front et ses adhérents, provenant à la fois des organisations syndicales et sociales et de ses sympathisants dans les rues ; les deux candidats potentiels aux élections présidentielles, tous deux rattachés directement au Front, et le gouvernement Zelaya. Dans cette situation compliquée, leurs tactiques combinées sont un exemple parmi tant d’autres de l’évolution rapide qui caractérise la maturité politique et l’esprit de tous les groupes formant la résistance. Toutes ces forces, loin de succomber aux tactiques impérialistes habituelles cherchant à diviser pour mieux régner, ne font que s’unir davantage. La résistance dans les rues, les nouvelles forces politiques ainsi que le gouvernement constitutionnel de Zelaya se complètent les uns les autres.

Voici des extraits d’un entretien téléphonique exclusif entre Zelaya et un média international, rapporté par le journaliste Giorgio Trucchi présent sur les lieux :

« Question : Vous avez consenti à signer l’Accord de San José portant sur le Plan Arias, lequel n’envisage pas d’acquiescer à la principale revendication du Front national contre le coup d’État, c’est-à-dire de mettre en place un processus pour former une Assemblée constituante. Cela signifie-t-il que vous ayez fait une concession ? [La question porte sur le fait que le Président Zelaya s’abstiendra de convoquer une assemblée constituante d’ici à la fin de son mandat.]

Président Zelaya : La personne qui signera cet Accord, c’est moi, en tant que représentant élu du peuple du Honduras. Le Plan comporte deux parties : d’abord ma réinstallation, qui permettra de dire « non » aux coups d’État. Les présidents latino-américains sont attachés à cette clause, car elle leur donnera l’assurance que la souveraineté des peuples sera respectée et qu’aucune élite militaire, économique ou politique ne pourra remplacer la volonté du peuple. La seconde partie concerne les réformes et les processus sociaux, ainsi que le moment opportun pour les concrétiser. […] [L’Assemblée] constituante ne relève ni du président, ni du régime de facto ni de n’importe quel autre groupe. En fait, elle appartient au peuple du Honduras qui, grâce à une consultation publique, pourra déterminer le moment où il voudra la mettre en place. C’est pourquoi le fait de signer le Plan Arias respecte ma position en ce qui concerne les réformes qui doivent se poursuivre. […] La décision d’instituer une [Assemblée] constituante appartient au peuple qui est souverain […] » [1]

Le 14 octobre, Telesur diffuse une entrevue avec le leader du front, Juan Barahona :

« Question : L’autre point où il sera difficile d’arriver à une entente est le troisième, où l’on propose que le président Zelaya renonce à convoquer une Assemblée constituante.

Juan Barahona : Le président Zelaya a déjà affirmé qu’il était prêt à signer l’Accord de San José et à renoncer à l’Assemblée constituante d’ici à la fin de son mandat. Nous comptons respecter sa position. Cependant, en tant que partisans de la résistance, nous ne renoncerons jamais à la nécessité de convoquer la Constituante […] Il n’y aura pas d’élections si le président Zelaya n’est pas rétabli dans ses fonctions […] Je suis très pessimiste [concernant les négociations] et je n’ai pas beaucoup d’espoir que l’on arrive à un accord détaillé. Les putschistes essaient [depuis le début des négociations] de diviser notre délégation en affirmant qu’il existe de profondes contradictions entre la résistance et le président Zelaya. Nous [membres de la résistance] nous réunissons quotidiennement afin d’établir des stratégies et d’harmoniser nos positions, mais cette campagne de désinformation nous démontre que les putschistes veulent faire échouer le dialogue et nous en faire porter le blâme. Ils sont allés jusqu’à lancer une campagne pour s’attaquer directement à moi, affirmant que j’étais très ferme [un partisan de la ligne dure] et par conséquent, inapte à négocier. En ce sens, il est vrai que je suis ferme, parce que je ne serai jamais prêt à renoncer aux droits du peuple […]. » [2]

Dans le communiqué n° 28 du Front national daté du 13 octobre, il est dit que :
« […] Nous avons retiré notre camarade Juan Barahona du soi-disant dialogue de Gaymuras. Ce dernier agissait à titre de représentant du Front national contre le coup d’État au sein de la délégation du président Zelaya, dans le cadre du dialogue en question.

La délégation conjurée, dans un geste typique d’intransigeance pour freiner la progression des négociations, a tenté de paralyser le dialogue en refusant que notre représentant signe l’accord n° 3. Celui-ci concerne l’institution d’une Assemblée nationale constituante sous réserve, cette dernière servant à mettre par écrit que notre Front ne renonce pas et ne renoncera pas à la lutte pour cette revendication, qui est celle du peuple hondurien. Conscients qu’il s’agissait là d’une manœuvre servant à faire échouer le dialogue sous n’importe quel prétexte – puisque les conjurés eux-mêmes avaient suggéré de signer sous réserve lors d’une séance précédente – nous avons décidé de ne pas nous plier à cette manœuvre et par conséquent, nous avons pris cette décision, laissant le président Zelaya libre de se choisir un autre représentant de confiance. C’est ainsi que l’avocat Rodil Rivera Rodil fut nommé délégué de la commission du président Zelaya en lieu et place de notre représentant.

Cela signifie que le [Front national] a abandonné le dialogue Guaymuras, et que nous allons continuer de nous battre dans les rues pour les revendications que nous avons mises de l’avant depuis le 28 juin : le retour à l’ordre constitutionnel, le rétablissement du président Zelaya dans ses fonctions et la convocation d’une Assemblée constituante.

Nous déclarons que nous respecterons la décision de notre président s’il décide de signer l’Accord de San José, même s’il en accepte toutes les conditions, et nous déclarons que nous l’appuyons totalement lorsqu’il exige que les instigateurs du coup d’État signent un accord stipulant qu’ils abandonnent le pouvoir et qu’ils restituent [à Zelaya] sa charge de président de la République. » [3]

Le 19 octobre, on annonçait :
« Dans un message téléphonique envoyé à la réunion du Front national …[le 18 octobre, Zelaya] a demandé que se poursuive la lutte pacifique pour rétablir la légalité démocratique, qui fut abolie par le coup d’État militaire du 28 juin. Nous allons résister jusqu’à la victoire du peuple […] [et] répétons que la lutte continuera jusqu’à ce que nous vivions dans un pays où règnent justice et équité, dans une démocratie véritablement participative. Le conseil national du Front s’est mis d’accord [le 18 octobre] et a juré de poursuivre sa résistance pacifique jusqu’à ce que Zelaya revienne au pouvoir, et que soit convoquée par la suite une Assemblée nationale constituante […] » [4]

Manifestante tenant une pancarte où l’on peut lire : « La démocratie est un système de gouvernement dans lequel la souveraineté appartient au peuple. Et au Honduras où est elle ??? »

Deux candidats à l’élection présidentielle participent pleinement aux activités du Front national : César Ham, du parti de l’Unification démocratique (UD), et le leader syndical et candidat indépendant Carlos Reyes. Zelaya leur a demandé de se prononcer contre toute participation à des élections dans le contexte actuel, puisque elle donnerait une légitimité au processus électoral des putschistes. [5]

Lors d’un entretien réalisé au Honduras par Giorgio Trucchi avec le leader syndical et candidat présidentiel indépendant Carlos Reyes, celui-ci a affirmé, tel que diffusé le 30 septembre : « […] Si nous, les candidats démocratiques du peuple, ne nous retirons pas de ce processus électoral, nous donnons notre aval à cette machination [fomentée par Micheletti] et affaiblissons la résistance […] » [6]

Cette prise de position fut confirmée le 15 octobre par l’un des leaders du Front, Rafael Alegría, qui a souligné que M. Reyes ne se présenterait pas comme candidat dans les conditions actuelles, afin de « […] s’abstenir de légitimer les coups d’États ou les violations constitutionnelles […] » [7]

Le 19 octobre, le parti UD —le troisième des cinq regroupements les plus importants au Honduras, toutes tendances confondues— a annoncé qu’il se retirait des élections, considérant qu’elles n’étaient « pas constitutionnelles sans la réinstallation du président légitime, Manuel Zelaya » [8]

Cette tendance s’est développée encore davantage le 22 octobre. Même une section du Parti libéral, un parti auquel les auteurs du coup d’État sont liés et un des plus grands partis politiques au Honduras, s’est joint à la protestation contre les élections. Selon une interview accordée à Prensa Latina le 22 octobre : « La coordination du Parti libéral contre le coup du Honduras a confirmé qu’il s’abstiendra de participer aux élections du 29 novembre s’il n’y a pas rétablissement de la démocratie dans le pays .... Pour que les élections soient en mesure d’être reconnues par le peuple et la communauté internationale, la condition indispensable est le retour à l’ordre constitutionnel et du président légitime, Manuel Zelaya. La coordination a été créé au milieu du mois d’août au cours d’une réunion à laquelle ont participé plus de 5 000 délégués du Parti libéral qui a rejeté l’effondrement de la démocratie juridique menée par les militaires le 28 juin… » [9]

Malgré toutes les pressions, le 25 octobre, le Front national, par la voix de son coordonnateur Juan Barahona, a déclaré que le Front s’était reuni le 24 octobre et a confirmé sa position selon laquelle « l’un des accords ratifiés est que si le président Zelaya n’est pas réinstallé dans ses fonctions, il n’y aura pas d’élections le 29 novembre car elles seront boycottées par l’immense majorité du peuple ... Barahona a souligné que les candidats qui se présentent comme indépendants, ceux de l’UD, des sections du parti Libéral, les partis Innovación et Unidad Social Democratica opposés au coup d’État, ont tous prévu leur retrait des élections si Zelaya n’est pas restaurée .... » [10]

Selon une dépêche de Prensa Latina, afin de s’assurer que cette position relative aux élections est claire, le Front a réuni ses comités de base le 25 octobre puis, à la suite du mandat reçu de ce niveau, a décidé la poursuite du mouvement qui en était déjà à son 121e jour. Barahona a confirmé une fois de plus que toutes les formations politiques citées ont prévu leur retrait des élections si Zelaya n’est pas restauré.

Le Front a décidé que « la résistance réalise une variété d’initiatives en vue de mettre fin à la dictature militaire et def aire échouer sa tentative d’obtenir une apparence de légalité à travers des élections ». [11]

Ceci constitue une des étapes les plus importantes de la lutte depuis le coup d’État ; dès le début, l’oligarchie du Honduras et ceux qui la soutiennent directement ou indirectement ont tenté de gagner du temps jusqu’à la tenue d’élections susceptibles de « légitimer » le nouveau régime.

Depuis le 28 juin, toutes les forces progressistes incluant le gouvernement légitime de Zelaya se sont unies, ont développé leur conscience politique, ont organisé des actions communes avec comme objectif immédiat le rétablissement de Zelaya suivi de la formation d’une Assemblée constituante. Les putschistes ont provoqué un mouvement de masse à travers le pays favorable à une renouvellement du Honduras sur la bse d’une nouvelle constitution, de sorte que la tenue d’une Assemblée constituante est devenue un objectif indépendant du sort du président Zelaya. En fait ce renouvellement est déjà visible dans la résistance populaire et la formation du Front.

Dans une entrevue le 23 octobre, Barahona a déclaré que « le Honduras a complètement changé, et que nous allons tirer de tout cela un résultat très positif ; une organisation et une expérience importante. Au cours de ces jours de lutte, le niveau de conscience a augmenté bien qu’avec une centaine de cours sur la lutte de classe. » [12]

Chaque pays de la région a connu des moments historiques qui se sont révélés être des tournants dans leur histoire respective :

 Cuba, en tant que pionnière, est si riche en étapes révolutionnaires historiques. Considérant l’histoire récente, on peut souligner l’attaque de la caserne Moncada en 1953 qui prolonge le combat de José Marti au XIXe siècle, puis le débarquement du Granma en 1956, la guerre de la Sierra Maestra en 1957-1958, avec des événements décisifs tels que l’action historique de Che Guevara à Santa Clara en 1958, qui a brisé les reins de la dictature militaire pro-US.

 Venezuela : 1998 est maintenant synonyme de la première victoire électorale d’Hugo Chávez, après un long combat mené par ce dirigeant et son mouvement, une année qui a changé le cours non seulement du pays, mais de toute l’Amérique du Sud. Néanmoins, un coup d’État organisé par les États-Unis et leurs alliés à Caracas en 2002, s’est transformé en un désastre pour Washington et l’oligarchie vénézuélienne alors que la force politique et organisationnelle du peuple du Venezuela a explosé en une action massive. Le secret de cette réussite, parmi d’autres facteurs tel que le soutien d’une partie de l’armée au président Chavez, c’est une participation populaire massive, ainsi que nous l’a expliqué un de ces révolutionnaires devenu parlementaire [13]. Une marée humaine a débordé les putschistes de Caracas. La conscience politique collective a fait un bond au corus des jours indécis.

 Bolivie 2005 : le leader syndical Evo Morales et son organisation ont été hissés à la tête du gouvernement dans le sillage du mouvement massif des peuples autochtones, jusque là marginalisés. Ils ont agi par la voie démocratique et institué une Assemblée qui a élaboré une nouvelle constitution.

 Nicaragua 2006 : nourri de la tradition des années 1970 et 1980 mais avec une organisation politique et des tactiques renouvelées, Daniel Ortega est revenu au pouvoir par els urnes.

 Équateur 2006 : l’élection de Rafael Correa à la présidence s’est avérée être la première étape d’une succession rapide d’événements politiques, incluant un référendum sur la nécessité d’une assemblée constituante, l’élection de cette assemblée et l’approbation par référendum de la nouvelle constitution qu’elle a élaborée.

L’année 2009 au Honduras marque un tournant décisif pour ce pays, que Zelaya a tenté de sortir de sa condition de nation parmi les plus pauvres d’Amérique latine, et d’émanciper de son statut de colonie économique et militaire des États-Unis. Même si la transformation à laquelle nous assistons n’est pas terminée et le président Zelaya toujours pas rétabli dans ses fonctions, la victoire du peuple hondurien semble inéluctable, à l’instar de ce qu’ont déjà vécu les Cubains, les Vénézuéliens, les Boliviens, les Nicaraguayens, les Équatoriens et d’autres encore.

Traduction : Marie France Bancel et Karine Walsh.

[1« Entrevista en exclusiva con el presidente Manuel Zelaya », par Giorgio Trucchi, Rel-UITA, 5 octobre, 2009.

[3« Comunicado No. 28, Frente Nacional de Resistencia contra el Golpe de Estado », voselsoberano.com, 13 octobre, 2009.

[4« Reanudarán diálogo en Honduras en clima de tensa espera », par Raimundo López, correspondent spécial, Prensa Latina, 19 octobre, 2009.

[6« Con Carlos Reyes de STIBYS. Siento que los golpistas están arrinconados », Giorgio Trucchi, Tegucigalpa, Carlos Amorín, Montevideo, Rel-UITA, 30 septembre, 2009.

[8« Partido hondureño UD se retira de elecciones por considerarlas inconstitucionales », Venezolano de televisión, 19 octobre, 2009.

[9« Liberales se oponen a elecciones en Honduras sin democracia », par Raimundo López, correspondent spécial, Prensa Latina, 22 octobre, 2009.

[10« Acordó resistencia en Honduras nuevas acciones antigolpistas », Prensa Latina, 25 octobre, 2009.

[11« Convocó resistencia a 121 jornada contra golpe militar en Honduras », par Raimundo López, correspondent spécial, Prensa Latina, 26 octobre 2009.

[12« Entrevista con Juan Barahona, dirigente de la resistencia hondureña », tercerainformacion.com, 23 octobre, 2009.

[13Entrevue privée de Lor Mogollón (député de Yaracuy) avec l’auteur, 14 octobre, 2009, Montréal.