Je pense que Rafic Hariri n’était pas tant aimé du peuple que ça, surtout à la fin de son mandat. C’était un voleur ; son départ du gouvernement était dû uniquement à un conflit avec le président au sujet de la privatisation du réseau de téléphonie mobile. La majorité des Libanais vous dirait qu’il était corrompu, qu’il défendait ses intérêts personnels avant tout, mais que cela a construit notre pays et amené la paix. Sa mort était une occasion pour la mosaïque de communautés qui occupent le Liban de s’insurger contre la Syrie qui tire une rente annuelle de 2 milliards de dollars du pays. Je ne pense pas que nous aurions eu le courage de manifester sans l’appui de la France et des États-Unis. Il est clair que les Syriens pourraient nous bombarder à tout moment ; si personne ne nous aide, nous allons mourir, cela fait 20 ans que ça dure.
L’une des revendications de l’opposition, c’est la dissolution des services secrets dont les officiers libanais, depuis le traité de Taëf en 1989, doivent être formés par les Syriens. Il n’y a pas de risque de guerre civile : nous avons essayé cette solution qui n’a rien donné. Actuellement les relations entre l’opposition et le Hezbollah sont prudentes, nous leur avons proposé de se rallier à nous. C’est un dilemme pour la direction du parti : elle veut faire plaisir au peuple mais ne doit pas trop froisser Damas. Les chiites ont détruit un monument à la mémoire de l’ancien président Hafez Al Assad il y a quelques jours à Kana ; ils sont pauvres et souffrent particulièrement de la situation. Ce qui peut affaiblir le Hezbollah, c’est l’affaiblissement de la Syrie. Hariri a entretenu le Hezbollah car le peuple aime cette organisation qui a tant fait pour les chiites. Cette organisation ici n’est pas considérée comme terroriste mais comme un parti démocratique. Au Parlement, ils ont des représentants chrétiens.
Beaucoup de questions restent en suspend, on ne sait pas si les élections vont avoir lieu en mai comme prévu, alors que le code électoral n’a pas encore été modifié. La politique du gouvernement devra être centrée sur le peuple. Pour un traité de paix avec Israël, la question des 300 000 ou 400 000 réfugiés palestiniens qui vivent au Liban est centrale. Beaucoup de gens disent que Hariri a été tué car il était d’accord pour que ces Palestiniens qui sont sunnites restent au Liban, ce qui bouleverserait l’équilibre de la région.

Source
Die Tageszeitung (Allemagne)

« Es gibt keinen Bürgerkrieg im Libanon », par Randa Aractingi, Die Tageszeitung, 5 mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.