Le 31 mai 2010, les pirates israéliens ont attaqué des navires civils dans les eaux internationales.

L’universitaire palestinien Hazem Jamjoum, 28 ans, de passage à Genève le jour où la marine israélienne a stoppé dans le sang la Flottille de la liberté, répond aux questions de Silvia Cattori.

Silvia Cattori : Ce lundi, 31 mai, avez-vous été surpris en apprenant que la marine israélienne avait attaqué la flottille d’aide humanitaire, et tiré sur les navigants qui voulaient se rendre à Gaza ?

Hazem Jamjoum [1] : L’attaque contre la Flottille de la Liberté était d’une certaine manière attendue car le gouvernement israélien et l’armée avaient fait savoir assez clairement qu’ils n’allaient pas autoriser des militants à entrer à Gaza. J’ai été très choqué lorsque j’ai appris qu’ils avaient tué et blessé de nombreuses personnes. On pouvait s’attendre à ce qu’ils empêchent les bateaux de passer et qu’ils arrêtent les militants. Mais qu’ils utilisent cette violence, tirent à balles réelles, ce fut un grand choc pour moi.

Je pense que cela montre la logique selon laquelle les militaires israéliens agissent, en ce sens qu’Israël a montré depuis 62 ans qu’il n’avait aucun problème à tuer des gens [2], à commettre des actes de piraterie ou à violer le droit international. Il devient de plus en plus clair qu’Israël considère qu’il peut continuer de perpétrer des meurtres, qu’il s’agisse de Palestiniens ou de non-Palestiniens. Du reste ce n’est pas la première fois qu’Israël tue des non-Palestiniens.

A l’évidence, la communauté internationale a montré qu’elle ne veut prendre aucune mesure concrète pour punir Israël ou pour lui demander des comptes pour les crimes qu’il commet.

Silvia Cattori : L’attaque de la flottille par les troupes de la marine israélienne en pleine mer a soulevé immédiatement une vague de réactions sans précédent. Des réactions bien plus massives contre Israël que lors des bombardements qui, en huit minutes, avaient laissé près de 300 morts sur le sol à Gaza, le 27 décembre 2008. Est-ce à dire que les vies palestiniennes ne méritent pas la même attention ?

Hazem Jamjoum : C’est un vaste sujet. Premièrement, je pense que, malheureusement, les médias, tout comme Israël, portent peu d’attention à la vie des Palestiniens et des arabes en général. Alors que des arabes sont tués quotidiennement en Irak depuis 2003, cela provoque à peine quelques commentaires à la télévision. C’est pareil avec la Palestine : Israël tue des Palestiniens depuis 62 ans, et d’une manière de plus en plus massive depuis la seconde Intifada, sans que cela ne fasse d’éclat. Je pense que si cette attaque est si importante pour les médias, c’est parce que, parmi les 700 personnes qui étaient sur ces bateaux, ce sont des internationaux qui ont été tués et blessés. Depuis le carnage de Gaza en 2008-2009 il y a eu le développement d’un mouvement international très fort ; la critique sur la politique d’Israël a traversé toutes les strates de la société. L’importance donnée par les médias à l’attaque contre la flottille, met en évidence combien le mouvement a grandi. Il y a des milliers de gens qui ont donné leur argent pour financer ces bateaux.

Silvia Cattori : Avez-vous été surpris par le fait que les États-Unis n’ont pas condamné l’acte de piraterie d’Israël et n’ont pas demandé la levée du blocus ?

Hazem Jamjoum : Pas vraiment. Les États-Unis n’ont jamais tenu Israël comme responsable de ce blocus. Il est devenu très clair qu’ils ne feraient rien pour le lever. Raison pour laquelle c’est cette flottille de la liberté – avec le large soutien du mouvement qui se bat pour lever le blocus – qui allait le faire.

Cette flottille apportait une aide humanitaire, mais ce n’était pas une simple action caritative ; c’était une action politique ; c’était une déclaration politique. L’objectif des organisateurs de la flottille était que, puisque les gouvernements du monde se montrent incapables de tenir Israël pour responsable de ce blocus médiéval — nous n’avons jamais vu un blocus contre une population comme celui-ci depuis près de 800 ans — la flottille allait le faire.

C’était cela le but de cette flottille. C’est aussi le but de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) lancée en 2005 par toutes les organisations de la société palestinienne ; des partis, des syndicats, etc. Cette campagne a commencé à prendre de l’ampleur et à se développer rapidement après le carnage à Gaza, quand les gens, dans le monde entier, ont commencé à voir Israël pour ce qu’il est : un régime d’apartheid, d’occupation, de colonisation. Et l’extension de ce mouvement a rendu, même les médias, plus sensibles à la réalité, au fait qu’Israël n’est pas un État destiné à protéger sa population juive, mais un État qui commet des crimes contre les non juifs d’une manière continue.

Silvia Cattori : Pensez-vous que cette attaque en mer permettra d’en finir avec l’impunité et avec la protection qu’Israël a toujours eue de la part de nos médias ?

Hazem Jamjoum : Oui, Israël était très protégé jusqu’à maintenant, par les médias, les institutions, les pouvoirs. Surtout en Europe où les organisations juives ont utilisé avec succès la culpabilité du génocide de la seconde guerre mondiale, pour mentir en disant, par exemple, que les Palestiniens étaient partis parce que les dirigeants arabes leur avaient dit de le faire. Succès obtenu également en faisant peur aux gens qui critiquaient Israël car cela les exposerait à se voir accusés d’« antisémitisme ».

Or quand vous voyez l’armée israélienne utiliser des chars et des F 16 pour bombarder des populations civiles qui ne sont pas en mesure de se défendre et n’ont nulle part où aller parce que la frontière est toujours fermée, ou quand vous voyez Israël encercler des internationaux, des humanitaires, des députés membres de divers parlements, et commencer à tirer sur eux et sur leurs bateaux, il devient difficile d’accuser ceux qui critiquent l’État d’Israël qui agit de la sorte, d’avoir un comportement « antisémite ».

La seconde chose est l’augmentation des gens de confession juive qui réalisent qu’Israël a fait cela depuis 62 ans au nom des juifs, en abusant du nom des juifs pour couvrir ses crimes. Je crois que le nombre croissant de juifs qui disent « Vous ne pouvez pas continuer de dire cela en mon nom », qui s’opposent au sionisme et à son fondement, qui s’opposent aux crimes commis par Israël, est aussi un important phénomène.

Silvia Cattori : Si Israël a pu poursuivre durant 62 ans sa politique d’épuration ethnique, basée sur la haine et la déshumanisation, n’est-ce pas parce que sa propagande a toujours réussi à renverser la donne ; il a transformé les victimes palestiniennes de sa politique d’apartheid en terroristes ; présenté ses voisins arabes et musulmans comme inférieurs, violents, fanatiques ?

Hazem Jamjoum : Pas seulement Israël du reste. Si vous regardez les films d’Hollywood qui font le portrait des arabes et des musulmans en général, en particulier depuis la soi-disant « guerre contre le terrorisme » — mais même avant — vous constatez que ce portrait, dans la culture populaire, est une déshumanisation qui est complètement raciste. Certes, Israël l’a utilisée à son profit depuis 62 ans. Ce prétendu « monde civilisé occidental », voit les arabes et les musulmans comme des barbares sauvages, des sous-hommes. Si vous regardez les médias israéliens, les Palestiniens, les Israéliens arabes sont décrit comme des sauvages violents, fous, irrationnels. Il y a là un grand travail à faire pour gagner ce combat contre les stéréotypes racistes ; contre cette imagerie dégradante à l’égard des arabes et des musulmans ; et pour expliquer que cette barbarie ne correspond pas à la réalité et que l’histoire montre tout ce que les civilisations occidentales leur ont en fait emprunté ou, comme on peut le voir dans les musées, physiquement volé.

Silvia Cattori : Ce qui rend le contexte encore plus difficile à comprendre au dehors, est que les autorités de Ramallah et leurs représentants à l’extérieur font le jeu de l’occupant israélien. Le jour même de l’attaque israélienne contre la flottille, Elias Sambar, représentant palestinien à l’UNESCO, (invité sur la chaîne de télévision France 2) ne cachait pas cette fracture. « Vous savez ce que je pense du Hamas » disait-il à Daniel Shek, ambassadeur d’Israël en France, qui n’avait pas de mots assez durs pour incriminer le Hamas. Comment comprendre cette complaisance à l’égard d’un occupant colonial qui martyrise si cruellement la Palestine et un tel mépris, de la part d’un diplomate palestinien, de l’autorité du Hamas issue des urnes ?

Hazem Jamjoum, lors d’une conférence à Toronto.

Hazem Jamjoum : Cette direction palestinienne a mis toute sa stratégie dans un mauvais panier, à savoir l’idée que, en parlant avec Israël et en convaincant la communauté internationale, elle pourra apporter la preuve que, d’une manière ou d’une autre, la négociation pourra aboutir à donner leurs droits aux Palestiniens. Au cours des 13 à 14 dernières années, il est apparu parfaitement — et criminellement — clair que ces négociations bénéficiaient uniquement à Israël qui les utilise comme méthode pour voler les terres en renvoyant toujours à plus tard la soi-disant « solution », et en utilisant ce temps pour continuer de consolider son régime d’apartheid, son vol de la terre palestinienne et la construction de ses colonies.

La diabolisation du Hamas va de pair avec la diabolisation générale des groupes politiques islamiques, et également avec la préparation d’une guerre contre l’Iran, le Hamas étant décrit comme faisant partie du camp iranien. Il faut que cela soit clair : le Hamas est aussi le choix populaire, élu démocratiquement en 2006, et nous considérons ce vote comme un vote de rejet des négociations. Quand les Palestiniens ont voté en 2006 en faveur du Hamas, ils ont dit au Fatah qu’ils n’acceptaient pas les négociations. Parce qu’elles ont prouvé qu’elles étaient un échec. Le fait que ce leadership à Ramallah continue les « discussions de proximité » et les négociations ne fait que prouver que sa stratégie a échoué.

Silvia Cattori : Il semble que le président Mahmoud Abbas n’ait pas véritablement appelé à mettre fin au blocus. Est-ce bien ainsi ?

Hazem Jamjoum : Je ne sais pas. Je ne me souviens pas. Ils ont critiqué le blocus à un certain moment, mais je ne sais pas s’ils ont vraiment essayé de manière consistante et systématique de travailler au travers des Nations Unies et au travers de leurs contacts internationaux pour briser le blocus de Gaza.

Il est parfaitement clair que les dirigeants de Ramallah ont pris très fortement position contre le Hamas et voient le Hamas comme quelque chose qui brise leur monopole politique et comme une menace. Ils suivent la même ligne qu’Israël vis-à-vis du Hamas et cela est extrêmement regrettable ; en particulier quand, parfois, ils saisissent l’occasion de parler de réconciliation avec le Hamas et dans le même souffle ils s’opposent totalement au Hamas et le diabolisent.

Je pense que les deux parties, aussi bien la direction du Fatah que celle du Hamas, doivent revenir aux demandes fondamentales des gens. Ils doivent couper leurs liens avec le régime d’apartheid et revendiquer les droits fondamentaux des Palestiniens — le droit de retour des réfugiés et la pleine égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël — qui ont été complètement laissés de côté dans l’agenda du leadership palestinien, alors qu’ils représentent la grande majorité des Palestiniens dans le monde : il y a environ 6,4 millions de réfugiés palestiniens dispersés dans le monde, et environ 1,5 million de Palestiniens qui sont citoyens d’Israël. Ils sont négligés par les deux directions [du Fatah et du Hamas, ndt].

Silvia Cattori : Le refus des États-Unis de condamner Israël au Conseil de Sécurité et d’exiger la fin du blocus israélien vous a-t-il surpris ?

Hazem Jamjoum : Non, je ne suis pas surpris. Les États-Unis sont très clairs ; Israël est l’allié stratégique numéro un des États-Unis dans la région. Ils considèrent Israël comme étant une extension des États-Unis au Moyen Orient. C’est ainsi que le gouvernement des États-Unis voit Israël depuis les années 70. Je pense que les politiciens états-uniens croient en cette politique ; en dépit du fait que l’intérêt que représente Israël pour les États-Unis soit extrêmement contestable. Les militaires états-uniens — tout récemment le général Petraeus — ont dit très clairement que les États-Unis perdent des vies à cause de leur soutien à Israël. C’est un aveu très exact. Les gens qui, au sein du département d’État US ont dit, dès 1948, que le soutien à Israël est en fait contraire aux intérêts économiques et stratégiques des États-Unis, avaient raison.

Silvia Cattori : Cela ne changera pas ?

Hazem Jamjoum : Je pense que cela changera, que cela doit changer, vu l’élargissement aux États-Unis du mouvement qui appelle au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions (BDS) contre Israël, et le soutien au BDS du Green Party qui est le troisième parti, le soutien de politiciens de plus en plus nombreux, en particulier ceux qui ont visité Gaza après le carnage, et ceux qui ont le courage de dire leur opinion. Mais les politiciens ne peuvent pas simplement s’opposer à Israël car cela entraîne des conséquences ; cela demande que le mouvement social aux États-Unis devienne plus fort, et je pense que ces mouvements qui sont critiques vis-à-vis d’Israël et demandent la fin de la politique d’apartheid d’Israël sont en train de se développer. Je suis prudemment optimiste. Cela exige plus de travail.

Il ne s’agit pas seulement du soutien des États-Unis. L’Europe est le plus grand importateur de produits israéliens dans le monde, alors que les relations entre les États-Unis et Israël sont surtout basées sur la finance et les investissements. C’est pourquoi la campagne de BDS est si importante. Comme marché de produits, l’Europe est le marché principal. Après le marché interne entre Israël et la Palestine, le plus gros est avec l’Union Européenne ; l’Union Européenne a un accord de libre échange avec Israël, et les échanges culturels sont très importants. Tout cela représente un défi.



Exposé d’Hazem Jamjoum (en anglais) sur l’apartheid en Palestine

[1Spécialisé dans le domaine des Relations internationales et des études relatives à la Paix et aux Conflits, Hazem Jamjoum est l’un des membres fondateurs de la « Coalition Against Israeli Apartheid », du « Sumoud Political Prisoners Solidarity Group », et de l’ « Israeli Apartheid Week ». Réfugié palestinien de la troisième génération, il est responsable de la rédaction et chargé de la communication du « Badil Resource Center for Palestinian Residency & Refugee Rights » à Béthléem, Palestine, une des organisation qui a participé au lancement, en 2005, de l’appel au Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël (BDS)

[2Lire l’article d’Hazem Jamjoum : « Not an analogy : Israel and the crime of apartheid », The Electronic Intifada, 3 avril 2009.