L’Afghanistan est constamment sous les projecteurs de l’actualité en raison des menaces qu’il peut représenter pour la communauté internationale. Toutefois, il est rare que l’on rappelle que les problèmes de ce pays touchent d’abord les Afghans eux-mêmes, et c’est ce à quoi s’est employé le Rapport national sur le développement humain en Afghanistan. Parrainé par la Banque mondiale et l’Agence canadienne de développement international, il révèle des résultats alarmants. Malgré une reprise économique, l’Afghanistan occupe la 174ième place sur 178 pays figurant au classement de l’indicateur du développement humain 2004.
Ces résultats ne signifient pas que les dirigeants actuels ont échoué, ils marquent la situation causée par le conflit et la longue vacance des institutions. Il faudra au moins une génération pour inverser la tendance. L’Afghanistan est en passe d’élaborer un nouveau programme de développement centré sur l’éradication de la pauvreté. Il doit éviter de reproduire les échecs de développement du passé : concentration dans les villes aux dépens des zones rurales, négligence des causes structurelles des inégalités, dépendance à l’égard des financements externes, absence de consultation avec les communautés et disparités dans la répartition des moyens entre les régions. Les maigres ressources disponibles devraient être distribuées avec équité pour lutter contre la corruption et assurer l’égalité des chances à tous. Les situations d’après-conflit présentent un défi pour le modèle de l’État et nous forcent à réfléchir sur la pertinence d’instaurer une économie libérale. Une économie qui se concentre sur l’amélioration du secteur privé comme moteur de la croissance, est-elle vraiment la plus appropriée pour garantir la mise en service et la distribution adéquate des biens publics les plus essentiels pour la sécurité humaine dans les situations d’après-conflit ? Lorsque le secteur public s’effondre, le privé ne saurait être le garant de cette responsabilité. Au contraire, il pourrait contribuer à creuser les écarts et à créer de nouvelles inégalités.
Ces funestes résultats ne devraient pas non plus être considérés comme la conséquence de l’insuffisance des fonds injectés dans le pays. Toutefois, il serait bon de davantage insister sur les besoins plutôt que sur l’offre de dons internationaux. Notre rapport met en garde contre le danger que représente un afflux important de capitaux avant la constitution de capacités d’absorption locales et d’institutions nationales, ce qui risque d’encourager la dépendance et la corruption.
Il est important de reconnaître que plus que la lutte contre le terrorisme, la vraie insécurité dont souffrent les Afghans est d’ordre économique. Nous ne nions pas les défis sécuritaires. Mais les priorités du gouvernement afghan devraient être l’emploi, la lutte contre la pauvreté écrasante et l’éradication des inégalités. Les intérêts sécuritaires des autres nations ne sont pas toujours dans l’intérêt propre des Afghans. Ce constat a été récemment vérifié lorsque le gouvernement états-unien a envisagé d’éradiquer la drogue en Afghanistan par la pulvérisation aérienne des récoltes. De telles solutions sont préjudiciables aux fermiers endettés et , rendant la drogue plus chere, ne font qu’enrichir les trafiquants. De même, il ne faut pas se concentrer exclusivement sur les « provinces voyous » qui continuent d’abriter Al Qaïda au détriment des autres. La focalisation exagérée sur un problème de sécurité déformé cache l’urgence de s’attaquer au sous-développement et la nécessité d’un processus politique de réconciliation nationale.
En Afghanistan, l’élection présidentielle a permis de rappeler qu’il faut, en premier lieu, rendre compte au peuple. Cela relève de la responsabilité du président Karzai et de ses alliés internationaux, qui ont fait du problème de l’Afghanistan le problème du monde entier.

Source
Le Monde (France)

« Pour les Afghans, la pauvreté est une menace plus redoutable que le terrorisme », par Shahrbanou Tadjbakhsh, Daud Saba et Omar Zakhilwal, Le Monde, 17 mars 2005.