Les 18 et 19 mars Jacques Chirac a reçu à Paris Gerhard Schröder, Vladimir Poutine et José Luis R. Zapatero. Cette rencontre organisée par l’Élysée élargit à l’Espagne les rencontres des chefs d’État de la France, de l’Allemagne et de la Russie ayant lieu depuis les positions communes prises lors de la crise irakienne. L’Europe vit actuellement une époque cruciale : soit elle existe politiquement et arrive à assurer son indépendance stratégique, soit son poids politique naissant sera dilué au sein d’une Union à 25, elle se réduirait alors à une vaste zone de libre-échange. Or, je pense que l’Europe stratégique ne peut naître sans y associer la Russie.
Pour construire l’Europe de la sécurité, pour contrôler notre approvisionnement énergétique, pour notre autonomie aéronautique et spatiale, pour développer nos infrastructures de transport continentales, l’Union a besoin de la Russie, comme la Russie a besoin de nous. Avec les Russes, nous pouvons construire les meilleurs avions de cinquième génération du monde et assurer notre autonomie en matière de satellites d’observation et de navigation. L’Espagne, la France, et l’Allemagne sont à même d’influencer de manière décisive la politique russe de l’Union alors que le dialogue stratégique entre l’Union européenne et la Russie n’a de stratégique que le nom. Le projet de Traité constitutionnel, s’il est adopté, n’est pas à même d’assurer l’indépendance stratégique européenne car il impose une compatibilité de la politique de défense de l’Europe avec celle arrêtée dans le cadre de l’OTAN. L’Espagne, la France, l’Allemagne, et la Russie disposent de la masse critique nécessaire pour jouer ce rôle et pour jeter les bases d’une « Europe-puissance » à même de participer sur la scène internationale à l’équilibre de la paix. Au XXIe siècle la contribution de la Russie sera décisive en raison de sa position géostratégique entre le Proche-Orient, l’Asie et le Pacifique.
Poutine est prêt à faire de la coopération stratégique européenne sa priorité, il n’a pas hésité à se joindre aux positions communes franco-allemandes durant la crise irakienne. Encore faut-il que des pays de l’Union prennent position sur les questions stratégiques. Les journaux français occultent totalement le potentiel d’une coopération de l’Europe et de la Russie. Certes, il faut dénoncer les atteintes aux Droits de l’homme en Russie, mais il ne faut pas cacher ce qu’on peut retirer du partenariat. L’Europe continentale a une tradition de protection sociale et un rapport à l’économie différent de celui des pays anglo-saxons. Nous pouvons, forts de cet héritage, favoriser l’émergence d’une globalisation à visage humain, éviter l’écueil du heurt des civilisations.
La ville de Baden-Baden accueille déjà un Forum germano-russe où le président de la Région Alsace, Adrien Zeller est intervenu pour la première fois le 10 mars, de concert avec les organisateurs allemands et russes. Ce forum devrait être l’année prochaine pleinement tripartite.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Madrid-Paris-Berlin-Moscou : l’Europe de la paix », par Henri de Grossouvre, Le Figaro, 21 mars 2005.