La situation ne s’est pas améliorée avec l’arrivée de Saakashvili au pouvoir, au contraire. Les conditions sociales se sont dégradées. La nouvelle loi sur l’enseignement a été perçue négativement par les Arméniens du Djavakhk [1]. Il est prévu de passer de l’Arménien au Géorgien et on a aussi diminué le volume des cours d’histoire arménienne. Cela va nécessiter un apport de cadres dans la région car nos enseignants sont en majorité spécialisés en arménien. Le gouvernement géorgien stimule ces modifications démographiques en payant plus cher les enseignants géorgiens, cela ne peut être pris que négativement. Ils compliquent aussi volontairement les échanges avec l’Arménie, lors du dernier meeting à Akhalkalak [2], le peuple exigeait la construction d’un terminal douanier.
Contrairement à ce qu’il avait promis, Saakashvili est venu les mains vides, le 28 décembre dernier. La situation s’est échauffée quand il a été question du retrait des bases russes, les Arméniens du Djavakhk ont eu peur. Nous ne savons pas qui remplacerait les Russes, un contingent turc ou géorgien ? Nous nous souvenons des atrocités commises par les Géorgiens entre 1940 et 1945 et nous ne voulons ni d’eux, ni des Turcs. Les retombées économiques seraient importantes pour une région où le chômage est chronique. Le rétablissement des visas oblige à payer une centaine de dollars pour aller en Russie et là-bas peu importe que tu sois Géorgien ou Arménien, tu as juste le temps de travailler pour payer ton billet retour. Nous avons des problèmes sociaux, des problèmes de sauvegarde de notre culture, de notre langue. Il y a des questions vite réglées dans d’autres régions qui ne le sont pas dans la nôtre et il ne s’agit pas d’obstacles financiers. Je pense que le gouvernement commencera à investir chez nous quand il n’y aura plus d’Arméniens.
Il y a des centres européens chez nous dont un centre des minorités nationales enregistré au ministère de la Justice géorgien. Tous ces centres sont des outils du pouvoir. Les gouvernements géorgiens mènent la même politique envers notre région depuis un siècle : venir à bout de ces zones de peuplement arméniennes. Je n’ai pas compris pourquoi la totalité des Arméniens qui servaient dans la base russe ont été envoyés dans d’autres régions de Russie récemment, non pas que cela fasse une grosse différence, mais cela permet de joindre l’utile à l’agréable. Il n’y a plus de heurts avec les minorités azéries car nous avons les mêmes problèmes. L’attitude du gouvernement envers eux est similaire. Nous sommes contre la construction de la voie ferrée reliant Kars en Turquie à Akhalkalak en Géorgie passant par le Djavakhk, le but est uniquement d’isoler l’Arménie, partenaire de la Russie.
La Russie utilise le problème des Turcs Meskhètes pour faire pression sur la Géorgie [3], la Géorgie utilise l’avis défavorable des habitants du Djavakhk pour justifier son refus sur l’arène internationale. Nous espérons que la Russie et la Géorgie vont s’entendre sur les bases militaires. Il y a un troisième protagoniste, les États-Unis avec à leurs côtés la Turquie et l’Azerbaïdjan qui a des intérêts dans la région. Nous serions à l’épicentre d’une éventuelle confrontation. Nous défendons les intérêts de notre « mère-patrie », l’Arménie, ce qui ne veut pas dire que nous faisons partie du peuple arménien. Ils ont des solutions et des ressources pour nos problèmes socio-économiques, mais le gouvernement géorgien entrave leurs initiatives. Une commission intergouvernementale doit étudier la question. Pour l’instant il ne s’agit que de manifestations, mais si cela devait dégénérer en conflit, les Arméniens ne resteraient pas les bras croisés. La Russie doit maintenir sa base, reste à savoir si elle a les ressources politiques ou économiques pour le faire.

Source
Regnum (Russie)

« Москва должна сохранить военные базы в Грузии », par David Rstakian, Regnum.ru, 21 mars 2005. Ce texte est adapté d’une interview.

[1nom arménien pour la région géorgienne de Samstkhe-Javakheti

[2nom arménien de Akhalkalaki

[3La Géorgie a promis au conseil de l’Europe de rapatrier les Turcs meskhètes déportés par Staline de Samstkhe-Javakheti au Kazakhstan, en 1944.