Il n’est pas de concept plus enraciné dans la conscience nationale états-unienne que celui qui présente les États-Unis comme « le pays N°1 », « le plus puissant ». Ses principaux médias se conforment pour l’essentiel à cette ligne, qui tend à faire des États-Unis la tête de pont d’une civilisation dans laquelle ce pays s’imposerait incontestablement en référence absolue. En effet, remettre en cause ce présupposé reviendrait à commettre un suicide politique.
De fait, toute personne contestant cette vérité établie se voit immanquablement taxée d’ « anti-américanisme ». Nous sommes un Empire ; avez-vous toujours des doutes là-dessus ? Il est certain que nous le sommes. Un Empire sans base de production manufacturière.

Nous sommes un Empire qui doit quémander 2 milliards de dollars par jour à ses compétiteurs pour être en mesure de fonctionner. De cette manière, la duperie est impossible à démasquer. Nous sommes les n°1. Si vous croyez qu’il en est vraiment ainsi, voici quelques chiffres du pays dans lequel vous vivez réellement :

  Les États-Unis se situent à la 49ème place mondiale en termes d’aphabétisation [1].

  Les États-Unis occupent la 28ème place en termes d’alphabétisation mathématique, dans un classement comprenant 40 pays [2].

  20% des États-uniens pensent que le soleil tourne autour de la Terre. Par ailleurs, 17% d’entre eux croient que la Terre effectue une rotation autour du soleil une fois par jour [3].

  L’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA) a révélé que le nombre d’États-uniens ayant bénéficié de moins de neuf ans de scolarité fait figurer les États-unis parmi les plus mauvais élèves des pays développés [4].

  Nos travailleurs sont si ignorants et manquent tellement des compétences de base, que les entreprises états-uniennes dépensent 30 milliards de dollars par an en formation pour combler les lacunes.

  L’Union européenne devance les États-Unis dans les domaines suivants : le nombre de scientifiques et ingénieurs diplômés, l’investissement public en recherche et développement (I+D) et le nouveau capital productif [5].

  L’Europe a surpassé les États-Unis, au milieu des années 90, en devenant le plus grand producteur de littérature scientifique [6].

  Pourtant, le Congrès états-unien a diminué les crédits de la National Science Foundation. L’agence va octroyer, cette année, 1000 bourses de recherche en moins [7]. Les demandes d’étrangers pour assister à des cours universitaires ont baissé de 28% l’année passée. Les inscriptions d’étudiants étrangers ont baissé pour la première fois en trois décennies, mais ont nettement augmenté en Europe et en Chine. L’année dernière, le nombre de diplômés chinois aux États-Unis a baissé de 56%, les Indiens de 51%, les sud-Coréens de 28%. Les États-Unis ne sont dorénavant plus le pays où tout le monde souhaite vivre.

  L’Organisation mondiale de la santé (OMS) « positionne les pays en fonction de leur attitude globale en matière de santé, et les États-Unis se situent en 37ème position ». Pour être précis, en matière de soins de santé à proprement dit, nous nous situons en réalité à la 54ème place. « L’ironie est que les États-Unis dépensent davantage en soins de santé, par tête d’habitant, que toute autre nation dans le monde. » [8]. On paye ainsi davantage pour obtenir moins.

  Les États-Unis et l’Afrique du Sud sont les seuls pays développés au monde qui n’assurent pas les soins de santé à tous leurs citoyens [9]. Pardon, mais depuis quand l’Afrique du sud est-elle un « pays développé » ? C’est en tous cas la compagnie que nous méritons, dans ce domaine.

  Le manque de couverture santé provoque 18 000 morts états-uniennes par an (cela équivaut à 6 fois le nombre de personnes assassinées lors du 11 septembre 2001) [10].

  « L’indice de pauvreté infantile place les États-Unis en 22ème position, c’est-à-dire en avant-dernier, parmi les pays développés. Seul Mexico arrive ensuite. » [11]. Avez-vous été à Mexico récemment ? Ce pays vous paraît-il « développé » ? Quoi qu’il en soit, c’est le seul pays « développé » qui se situe en-deçà de nous, concernant la pauvreté infantile.

  Deux millions de familles états-uniennes (plus de 10% des couples aux États-Unis) « mènent un combat quotidien, pas toujours victorieux, pour s’alimenter ». Les familles dans lesquelles, de fait, « figurait l’année dernière un individu souffrant de sous-nutrition à un degré ou à un autre », se comptent au nombre de 3,9 millions [12].

  Les États-Unis se situent au 41ème rang mondial concernant la mortalité infantile. Cuba affiche de meilleurs résultats [13].

  Les femmes états-uniennes ont, par rapport aux femmes européennes, 70% de chances de plus de mourir lors de l’accouchement [14].

  La cause principale de mortalité chez les femmes enceintes, dans ce pays, est l’assassinat [15].

  Des 20 pays les plus développés au monde, les États-Unis occupaient la dernière position pour la progression de l’indice moyen de rémunération totale de la force de travail durant les années 80. Dans les années 90, la moyenne de l’indice de rémunération totale a augmenté d’à peine 0,1 % par an [16]. Néanmoins, les salariés états-uniens ont travaillé davantage d’heures par an que dans n’importe quel autre pays industrialisé, et ont moins de jours de vacances.

  « 61 des 140 plus grandes sociétés du classement Global Fortune 500 sont européennes, alors que seulement 50 sont américaines. » » [17]. « Lors d’une enquête récente, commandée par Global Finance, il s’est avéré que parmi les 50 meilleures entreprises du monde, une seule n’était pas européenne » [18].

  Actuellement, 14 des vingt banques commerciales les plus importantes au monde sont européennes. Dans l’industrie chimique, la compagnie européenne BASF est leader mondial, et parmi ses six principaux compétiteurs, trois sont européens. En ingénierie et construction, des cinq sociétés les plus importantes, trois sont européennes.
Les deux autres sont japonaises. Des neuf plus importantes entreprises d’ingénierie et de construction, aucune n’est États-unienne. Nestlé et Unilever, deux géants européens, sont à la première et deuxième place mondiale, respectivement. Dans la production et le commerce des denrées alimentaires, deux sociétés européennes se trouvent en tête, et cinq d’entre elles figurent parmi les dix plus importantes, pour seulement quatre sociétés états-uniennes [19].

  Les États-Unis ont perdu, lors de la décennie passée, 1,3 million de postes de travail, absorbés par la Chine [20].

  Les employeurs états-uniens ont supprimé 1 million de postes durant l’année 2004 [21].

  3 600 000 travailleurs États-uniens sont restés en situation de précarité professionnelle l’année dernière, alors que 1 800 000 (un sur cinq) chômeurs étaient sans emploi depuis plus de 6 mois [22].

  Le Japon, la Chine, Taiwan et la Corée du Sud possèdent 40% de notre dette gouvernementale (c’est pour cela que nous disons du bien d’eux). « En maintenant sans hausse les taux d’intérêts, la Chine a joué un rôle très important et peu remarqué dans le maintien du niveau de vie états-unien. » [23]. J’ai par ailleurs lu ceci récemment : nous devons notre niveau de vie à la Chine, parce qu’ils veulent qu’on continue d’acheter tous les produits qu’ils fabriquent.

  À un moment ou à un autre, durant les 10 prochaines années, le Brésil prendra probablement l’avantage sur les États-Unis en devenant le plus grand producteur agricole au monde. Actuellement, le Brésil est le plus gros exportateur de poulet, de jus d’oranges, de sucre, de café et de tabac. L’année dernière, ce pays s’est hissé à la première place comme producteur de viande bovine. (Entendez-vous cela, messieurs les cow-boys ?). En conséquence, alors que nous alimentions un déficit commercial sans précédent, le Brésil affichait une balance excédentaire de 30 milliards de dollars » [24].

  En juillet dernier, les États-Unis ont importé plus de denrées alimentaires qu’ils n’en ont exporté [25].

  George W. Bush a obtenu 62 027 582 voix lors de l’élection, et John Kerry 59 026 003. Le nombre de personnes en mesure de voter, mais qui ne se sont pas rendues aux urnes, s’élève à 79 279 000 [26]. Cela représente plus du tiers de la population. Et ce n’est pas tout. Lorsque plus du tiers des Irakiens ne va pas voter, aucun pays du monde ne peut considérer qu’il s’agissait d’élections légitimes.

  Un tiers de l’ensemble des enfants états-uniens naît hors mariage. La moitié de l’ensemble des enfants états-uniens vit dans un foyer monoparental [27].

  Les États-uniens dépensent plus d’argent dans le jeu que dans le cinéma, les vidéos, DVDs, musique et livres réunis [28].

  « Près de un États-unien sur quatre pense qu’il est admissible d’avoir recours à la violence pour obtenir quelque chose qu’il souhaite. » [29].

  43 % des États-Uniens pensent que la torture est parfois justifiée, selon un sondage effectué par PEW [30].

  « Pour l’année 2002, près de 900 000 enfants états-uniens ont été victimes de mauvais traitement ou de négligences ; les chiffres pour l’année passée se font toujours attendre. » [31].

  « L’association internationale des responsables de police a annoncé que les ajustements effectués par l’administration Bush, concernant l’aide fédérale destinée aux services de police locaux, ont laissé la nation dans un état de vulnérabilité sans précédent. » [32].

Les premiers au monde ? Pour ce qui est des catégories les plus importantes, nous ne figurons même pas dans les dix premiers. Nous en sommes loin d’ailleurs. Les États-Unis occupent la première place mondiale seulement pour ce qui est de l’armement, le consumérisme, la dette et l’admiration de soi.

[1The New York Times, 12 décembre 2004.

[2Ibid.

[3The Week, 7 janvier 2005.

[4Voir le livre superbement documenté de Jeremy Rifkin : How Europe’s vision of the future is quietly eclipsing the american dream (« Comment la vision européenne de l’avenir éclipse doucement le rêve américain »), éditeur : Jeremy P. Tarcher, 2004, p.78. _ Note du traducteur : l’un des précédents ouvrages de J. Rifkin, L’économie de l’hydrogène, prédisait l’avènement de ce vecteur comme carburant de la société future, contre l’avis de la plupart des scientifiques. En 2003, George W. Bush fit de l’ « économie de l’hydrogène » son nouveau cheval de bataille, permettant de soulager la conscience de l’Empire qui se lançait alors dans une ambitieuse guerre de ressources en Irak.

[5The european dream, Op. cit., p.70.

[6Op. cit., p.70.

[7The New York Times, 21 décembre 2004.

[8The european dream, Op. Cit., pp.79-80.

[9The european dream, Op. Cit., p.80.

[10The New York Times, 12 janvier 2005.

[11The european dream, Op. Cit., p.81.

[12The New York Times, 12 janvier 2005.

[13The New York Times, 12 janvier 2005.

[14The New York Times, 12 janvier 2005.

[15CNN, 14 décembre 2004.

[16The european dream, Op. Cit., p.39.

[17The european dream, Op. Cit., p.66.

[18The european dream, Op. Cit., p.69.

[19The european dream, Op. Cit., p.68.

[20CNN, 12 janvier 2005.

[21The Week, 14 janvier 2005.

[22The New York Times, 9 janvier 2005.

[23The New York Times, 4 décembre 2004.

[24The New York Times, 12 décembre 2004.

[25The New York Times, 12 décembre 2004.

[26The New York Times, 26 décembre 2004.

[27CNN, 10 décembre 2004.

[28The european dream, Op. Cit., p.28.

[29The european dream, Op. Cit., p.32.

[30Associated Press, 19 août 2004.

[31USA Today, 17 décembre 2004.

[32USA Today, 17 novembre 2004.