La femme d’affaire et journaliste néconservatrice Ann Marlowe vient de publier la première étude sur la vie et l’oeuvre du théoricien français de la contre-insurrection David Galula. Cette étude est d’autant plus importante que Mme Marlowe est proche du général David Petraeus dont la stratégie en Afghanistan est principalement inspirée par les théories de Galula.

Né en 1919 en Tunisie, dans une famille de marchands juifs, David Galula fut naturalisé français en 1929 et élevé au Maroc. Se destinant à la carrière des armes, il entre à l’Académie militaire de Saint-Cyr. Durant l’occupation allemande, les autorités françaises de Collaboration envoient les officiers juifs à l’étranger pour les soustraire à la répression nazie. Il part donc faire du renseignement dans le Maroc de son enfance. Il ne rejoint les Forces libres qu’en 1942.
A la Libération, il accompagne le colonel Jacques Guillermaz en Chine, où celui-ci avait été attaché militaire d’ambassade. Galula est fait prisonnier par les troupes communistes, puis est libéré grâce à une intervention US. Il rencontre en 1948 sa future épouse, Ruth Morgan, une diplomate de l’ambassade des Etats-Unis à Nankin (alors capitale de la Chine de Chang Kai-Tchek). Durant cette période, il étudie les théories du stratège Mao Tsé-Toung.
Il est alors affecté comme observateur à la Mission des Nations Unies dans les Balkans. Il y étudie la stratégie des communistes durant la fin de la guerre civile. De 1951 à 56, il est envoyé par le renseignement militaire français comme attaché à Hong Kong. Il y rencontre d’une part le futur responsable de la contre-insurrection US, le général Edward Lansdale, et d’autre part le futur putschiste, le général Raoul Salan, qui mène alors la guerre coloniale en Indochine.
En 1956, Galula se porte volontaire pour la guerre coloniale en Algérie. Avec Roger Trinquier, il exerce une influence intellectuelle sur la création en Algérie du Service d’action psychologique et d’information (SAPI) de triste mémoire. La divulgation de ses écrits confidentiels par Le Monde soulève une vive émotion. Beaucoup y voient la main-mise du fascisme sur les armées française.
Galula se tient à l’écart du putsch des généraux, puis de l’OAS, mais il s’expatrie au Etats-Unis avec le général Paul Ausaresses après que le président Charles de Gaulle ait dissout le SAPI et ses avatars administratifs. Tandis qu’Ausaresses va enseigner la torture à Fort Bragg, Galula rejoint la Rand Corporation. Il se lie avec le général William Westmoreland (futur commandant des troupes US au Vietnam) qui lui obtient un poste à Harvard auprès d’Henry Kissinger (futur secrétaire d’Etat), dont il devient très proche.
Il reviendra par la suite en France, puis au Royaume-Uni où il travaillera pour l’OTAN. Il meurt prématurément en 1967.

L’oeuvre de Galula est fondamentale : partant de l’étude des guérillas communistes, il a formulé la théorie la plus aboutie de la contre-insurrection, c’est-à-dire de la guerre coloniale. Ses idées ont été mises en oeuvre par les Français pour « pacifier » l’Algérie, puis par les Etats-Uniens au Vietnam. Après des années d’oubli, elles sont aujourd’hui la référence des troupes d’occupation en Afghanistan et en Irak.

L’intérêt que Galula suscite aujourd’hui montre que le colonialisme états-unien n’est pas uniquement la continuité de l’Empire britannique, mais aussi du colonialisme français.

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David Galula : His Life and Intellectual Context, par Ann Marlowe, Strategic Studies Institute, US Army War College, 27 août 2010.