Le Président Bashar al-Assad, qui a hérité un régime tenant le pouvoir depuis quatre décennies en Syrie, a dit qu’il pousserait à davantage de réformes politiques dans son pays et cela montre à quel point la violente révolte que connaît l’Egypte est en train de contraindre les dirigeants du Moyen-Orient de repenser leurs approches respectives.

Au cours d’une rare interview, M. Assad a déclaré au Wall Street Journal que les protestations en Egypte, en Tunisie et au Yemen nous font entrer dans une « nouvelle ère » au Moyen-Orient et que les gouvernants arabes auront sans doute à faire davantage pour satisfaire les aspirations montantes de leurs peuples, tant sur le plan politique que sur le plan économique.

The Wall Street Journal : Nous avions beaucoup de questions à vous poser, la semaine passée, et voici que nous en avons d’encore plus nombreuses…

Bachar el-Assad : C’est le Moyen-Orient… Ici, chaque semaine, vous êtes confronté à quelque chose de nouveau ; si bien que quoi que vous disiez cette semaine ne sera plus valable la semaine prochaine ; La Syrie est située, géographiquement et politiquement, au cœur du Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes concernés par la plupart des problèmes, cela depuis toujours, pour ainsi dire, que cela soit directement ou indirectement…

The Wall Street Journal : Merci encore de nous recevoir. Nous apprécions ce privilège. Peut-être pourrions-nous commencer précisément par la situation dans la régionale, qui fait toutes les unes. En tant que président de la Syrie, que pensez-vous de ce qui se produit en Tunisie, en Egypte, en Algérie et en Jordanie ? Dans quel sens pensez-vous que se déroulent ces changements, et qu’est-ce que cela signifie, pour la Syrie ?

Bachar el-Assad : Cela signifie que si vous avez de l’eau stagnante, vous allez avoir de la pollution et des microbes. Et parce que nous avons connu cette stagnation, depuis des dizaines d’années, et en particulier durant les dix dernières années, en dépit des vastes changements qui affectent le monde et certaines zones du Moyen-Orient, dont l’Irak, la Palestine et l’Afghanistan, parce que nous avons eu cette stagnation, nous sommes infectés par les microbes. Donc, ce que vous voyez actuellement, dans cette région, c’est une sorte de maladie. Voilà, c’est ainsi que nous voyons les choses.

Si vous voulez parler de la Tunisie et de l’Egypte, nous sommes extérieurs à ce problème ; en fin de compte, nous ne sommes ni les Tunisiens ni les Egyptiens. Nous ne pouvons pas être objectifs, d’autant que la situation est toujours trouble et pas du tout claire. Rien n’a été encore réglé. Donc quoi que vous entendiez ou quoi que vous lisiez, en ce moment, ne peut être ni vraiment réaliste, ni vraiment précis ou objectif. Mais je peux vous parler de la région de manière générale plutôt que vous parler de la Tunisie ou de l’Egypte, parce que nous sommes la seule et même région. Nous ne sommes pas des copies les uns des autres, mais nous avons beaucoup de choses en commun. Si bien que je pense que le problème, c’est le désespoir.

Dès lors que l’on a une insurrection, il est évident qu’il y a de la colère, mais cette colère est nourrie par le désespoir. Le désespoir a deux causes : une cause interne et une cause extérieure. La cause interne, c’est notre faute à nous, en tant qu’Etats et en tant que responsables officiels, et la cause externe, c’est vous qui en êtes responsables, en tant que grandes puissances ou en tant que ce que vous appelez, vous autres, en Occident, la « communauté internationale », alors que pour eux (les peuples du Moyen-Orient, Ndt.), la fameuse communauté internationale n’est constituée que des Etats-Unis et de quelques pays, mais certainement pas du monde entier. Aussi appellerai-je ces pays les ‘grandes puissances’, qui ont été impliquées dans cette région, depuis des décennies.

Quant à la cause interne, elle tourne autour de la nécessité de changer, de changer la société, et nous devons être à la hauteur de ce changement, en tant qu’Etat et en tant qu’institutions. Vous devez progresser afin d’être à la hauteur du progrès réalisé par la société. Quelque chose doit être réalisé afin d’obtenir cet équilibre. C’est la question la plus importante. Pour l’Occident, tout tourne autour des problèmes que nous connaissons dans notre région du monde, l’absence de paix, l’invasion de l’Irak, ce qui se passe en Afghanistan, et ses répercussions, aujourd’hui, au Pakistan et dans d’autres régions. Cela a conduit à ce désespoir et à cette colère. Ce que je vous dis là, ce ne sont que les grands titres de chapitres, quant aux détails, vous pourriez en avoir assez pour en parler des jours durant, si cela vous dit. Je ne vous indique ici que la manière dont nous voyons la situation de manière générale.

The Wall Street Journal : Quelles sortes de changements ? Comment définiriez-vous les mutations en cours ?

Bachar el-Assad : Parlons d’abord de tout ce qui n’a pas changé jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce jour, nous n’avons que deux choses… Mais si vous voulez parler de choses nouvelles dans notre vie, vous aurez de nouveaux espoirs, et de nouveaux conflits. Vous avez beaucoup de gens qui arrivent sur le marché du travail et qui ne trouvent pas d’emploi, et vous avez de nouveaux conflits, qui créent du désespoir. Donc, je vous le rappelle : une cause interne et une cause extérieure. Bien entendu, si vous voulez parler des changements internes, il en est de plusieurs sortes : politiques, économiques et administratifs.

Ce sont les changements dont nous avons besoin. Mais, en même temps, vous devez faire progresser la société, et cela ne signifie pas la faire progresser techniquement au moyen de qualifications supérieures. Non, cela signifie ouvrir les esprits. De fait, les sociétés, au cours des trente années passées, en particulier depuis les années 1980, sont devenues de plus en plus fermées en raison d’un renfermement des mentalités ayant entraîné de l’extrémisme. Cette tendance aura des répercussions en termes de moindre créativité, de déficit de développement et de recul de l’ouverture des esprits. Or, vous ne pouvez pas réformer votre société ou vos institutions sans ouvrir votre esprit. Donc, le problème central, c’est de savoir comment ouvrir les esprits, comment ouvrir la société dans son ensemble, et cela concerne tout le monde, dans la société, cela concerne chaque membre de la société. Je ne parle pas ici de l’Etat, ni des classes moyennes ou de Monsieur Tout-le-Monde. Non, je parle de chacun d’entre nous, responsables y compris : si vous avez l’esprit fermé, en tant que responsable officiel, vous ne pouvez pas faire progresser votre société, et inversement.

Voilà pour la situation vue de l’intérieur. Vue de l’extérieur, quel rôle joue l’Occident ? Cela fait maintenant vingt ans que nous avons commencé le processus de paix (en 1991). Qu’avons-nous réalisé ? La façon la plus simple de répondre à cette question consiste à nous demander si la situation est meilleure, ou si au contraire elle est pire ? Nous pouvons dire, par exemple, que la situation est 5 % meilleure que ce qu’elle était avant que nous ayons entrepris le processus de paix. Je peux vous dire, franchement, que la situation est bien pire. C’est la raison pour laquelle vous avez beaucoup plus de désespoir encore. C’est le résultat final. Si vous parlez de l’approche, j’ai toujours mis en garde contre le fait que le problème générerait un cycle de désespoir, en particulier en matière de paix. C’est bien ce dont je parle maintenant. Nous avons d’autres facteurs : vous avez, par exemple, les négociations, d’où découlent des espoirs exagérés, suivis par l’échec ; vient alors un autre espoir, puis un autre échec. Ainsi, avec le temps, le diagramme se poursuit, et c’est effectivement ce qui s’est produit : un petit mieux, et puis un bien plus grave recul. C’est un exemple (de ce que je vous disais), à propos de la paix.

En interne, la question a trait à l’administration et aux sentiments du peuple, à sa dignité ; elle a trait à la participation du peuple au processus de décision de son pays. C’est une autre question très importante. Je ne parle pas ici à la place des Tunisiens et des Egyptiens ; je parle des Syriens. C’est une attitude que nous adoptons toujours ; nous avons un contexte plus difficile que la plupart des autres pays arabes, mais malgré cela, la Syrie est stable. Pourquoi ? Parce que nous partageons toujours, étroitement, les convictions du peuple. C’est la question essentielle. Quand il y a divergence entre votre politique et les intérêts et les convictions du peuple, vous avez ce vide qui génère les perturbations. Le peuple ne vit pas que d’intérêts matériels ; il vit aussi de convictions, en particulier liées à des considérations tout ce qu’il y a de plus idéologiques. Tant que vous n’aurez pas compris la dimension idéologique de notre région, vous ne pourrez comprendre ce qu’il s’y passe.

The Wall Street Journal : Si la Syrie est plus en ligne avec son peuple en termes de politique étrangère, pourquoi la réforme politique y représente-t-elle un tel défi interne ? C’est là une chose à laquelle vous avez œuvré, mais les gens ont le sentiment qu’il n’a pas été réalisé de grand progrès en la matière ?

Bachar el-Assad : Nous avons entrepris les réformes dès mon accession au pouvoir. Mais la manière dont nous considérons la réforme diffère de la vôtre. Pour nous, vous ne pouvez pas mettre la charrue avant les bœufs. Si vous voulez commencer à compter, vous allez compter 1,2,3,4… ; vous ne pouvez pas commencer par le 6, et puis revenir en arrière. Pour moi, le 1, c’est ce que je viens de mentionner : comment faire progresser l’ensemble de la société. Pour moi, en tant que gouvernement et qu’institutions, la seule chose que je puisse faire, c’est, disons, publier des décrets et des lois. De fait, ça n’est pas ça, la réforme. La réforme pourrait commencer par quelques décrets, mais la vraie réforme, c’est la méthode permettant d’ouvrir la société et d’initier un dialogue.

Le problème, avec les Occidentaux, c’est qu’ils commencent par les réformes politiques pour obtenir la démocratie. Si vous voulez aller vers la démocratie, la première chose que vous devez faire, c’est impliquer votre peuple dans le processus de décision, et non pas de prendre les décisions à sa place. La question, ça n’est pas ma démocratie, à moi en tant que personne, c’est notre démocratie à nous, en tant que société. Par conséquent, comment allons-nous commencer ? Vous allez commencer en créant le dialogue. Comment ? Nous n’avions pas de médias privés, avant ; nous n’avions pas Internet, nous n’avions pas d’universités privées, nous n’avions (même) pas de banques. Tout, absolument tout, était contrôlé par l’Etat. Vous ne pouvez pas créer la démocratie que vous exigez de cette manière là. Il existe différentes manières de créer la démocratie.

The Wall Street Journal : Parce que, si je vous comprends bien, si vous faites cela avant d’avoir ouvert les mentalités chez votre peuple, cela a pour conséquence l’extrémisme ?

Bachar el-Assad : Non, non ; ça n’est pas pour ça, mais parce que le dialogue est une pratique et que vous devez vous entraîner sur la façon d’entretenir un dialogue. Quand vous ne parlez pas et puis que, de but en blanc, vous vous mettez à parler, vous ne parlez pas de manière pertinente ni de manière productive. Nous sommes en train d’apprendre, mais nous apprenons cela de nous-mêmes. Vous n’apprenez rien de qui que ce soit, dans ce monde. Quand vous faites des réformes, cela doit être des réformes nationales. Vous pouvez apprendre, si vous voulez, des expériences d’autrui, ou de certains aspects de ces expériences, mais vous ne pouvez faire vôtres ces expériences dans leur globalité. La première chose que vous ayez à apprendre, c’est comment mener un dialogue et comment faire en sorte que ce dialogue soit productif. Ainsi, nous avons commencé à avoir un dialogue, en Syrie, via les médias, il y a de cela six ou sept ans. Aujourd’hui, la situation est à cet égard meilleure qu’il y a six ans, mais elle n’est pas optimale. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire, car il s’agit d’un processus. Si j’avais été élevé dans un contexte différent… ; mais je dois me former et, pour être réalistes, nous devons attendre la prochaine génération pour faire cette réforme. Premier point. Deuxième point, en Syrie, nous avons un principe très important, que je fais mien : si vous voulez être transparent vis-à-vis de votre peuple, ne pratiquez aucune politique cosmétique, que ce soit pour le tromper ou pour mériter quelque applaudissement en Occident. En Occident, les gens veulent vous critiquer : laissez-les vous critiquez et ne vous en souciez pas. Soyez transparent avec votre peuple et dites-lui quelle est la réalité. Ce que vous faites aujourd’hui pourrait être mauvais, aujourd’hui, mais excellent l’année prochaine. Par conséquent, le temps est quelque chose d’extraordinairement important, en matière de réforme ; tout dépend de l’ampleur des avancées que vous pouvez réaliser au temps ‘t’.

Pour reprendre l’image de l’eau stagnante, nous avons besoin d’eau courante, mais la question est celle de la vitesse de ce flux. Si elle est très élevée, il peut être destructeur, ou il peut nous inonder. Par conséquent, ce qui est requis est un flux d’eau claire s’écoulant paisiblement.

The Wall Street Journal : De ce que nous avons vu en Tunisie et en Egypte ces dernières semaines, retirez-vous la conclusion qu’il y a certaines réformes que vous devriez accélérer, chez vous, en Syrie ? Etes-vous préoccupé par l’idée que ce qui se passe en Egypte pourrait se reproduire en Syrie ?

Bachar el-Assad : Si vous n’aviez pas vu le besoin de réforme avant ce qui s’est produit en Egypte et en Tunisie, il est trop tard pour faire une quelconque réforme. Primo. Secundo, si vous le faites simplement à cause de ce qui s’est produit en Tunisie et en Egypte, alors, ça sera une réaction, et non pas de l’action ; et dès lors que ce que vous faites, vous le faites en réaction à quelque chose, vous allez échouer. Donc, il vaut mieux que la réforme soit pour vous une conviction, et c’est ce que je répète à chacune de mes interviews ou à chacune de mes interventions publiques. Nous disons toujours que nous avons besoin de réforme, mais nous précisons le genre de réforme dont nous avons besoin. Premier point. Second point, si vous voulez comparer ce qui se passe en Egypte et ce qui se passe en Syrie, vous devez regarder les choses d’un point de vue différent : pourquoi la Syrie est-elle stable, alors que ses conditions sont plus dures que celles de l’Egypte ? L’Egypte est soutenue depuis longtemps financièrement par les Etats-Unis, alors que nous sommes soumis à embargo par la plupart des pays du monde. Nous avons de la croissance, alors que nous manquons de beaucoup des choses nécessaires pour notre peuple. En dépit de tout ça, le peuple syrien ne se révolte pas. Donc, le problème ne se résume pas à la réforme et à la satisfaction des besoins. C’est une question d’idéologie, de croyance, la question, c’est celle de la cause qui est la vôtre. Grande est la différence entre avoir une cause et avoir un vide. Ainsi, comme je vous l’ai dit, nous avons beaucoup de choses en commun (avec les Egyptiens et avec les Tunisiens, Ndt.), mais nous avons aussi quelques différences.

The Wall Street Journal : Donc, en quelque sorte, ces peuples devraient être à même de bouger plus vite, n’est-ce pas ?

Bachar el-Assad : Exactement. Or, c’est le contraire qui se produit. Ils vous disent de bouger plus vite, et en même temps, ils vous collent un embargo ! Pour partie, le fait de bouger plus vite relève de la technique. Une partie du problème, c’est la manière de faire progresser votre administration, parce qu’à la fin du compte, tout, dans la société, a un lien avec l’administration, que ce soit les lois, le système judiciaire et d’autres questions techniques. A moins que vous ne procédiez à ces réformes en vue d’une économie plus dynamique et de plus de performance, les gens ne seront pas satisfaits, et le point le plus important, dans toute réforme, c’est les institutions. Vous ne pouvez pas avoir de démocratie sans institutions. Vous ne pouvez pas avoir une démocratie qui serait fondée sur les états d’âme des personnes ne visant que leur intérêt propre. Par conséquent, ce qui est premier, c’est le dialogue et les institutions.

TheWall Street Journal : Partageriez-vous l’idée que certaines des réformes entreprises ici (en Syrie, Ndt.) ont été remises en cause par la guerre en Irak ? En effet, vous êtes arrivé au pouvoir à un moment où la situation devenait très difficile, or, aujourd’hui, cette période semble toucher à sa fin, et cela vaut aussi pour le Liban ?

Bachar el-Assad : Oui. Catégoriquement. Je vais vous expliquer de quelle manière. J’ai mentionné à l’instant l’ouverture d’esprit et son contraire, la fermeture d’esprit. Vous ne pouvez pas avoir de réforme tant que vous conservez une mentalité fermée. Bien sûr, vous devez être actif, et non pas passif, parce que vous n’allez pas attendre que les mentalités s’ouvrent, comme ça, toutes seules, d’elles-mêmes… Vous devez faire quelque chose afin de contrer cette fermeture. Mais quand vous avez des guerres, vous avez nécessairement du désespoir, et vous allez avoir nécessairement des tensions ; et quand vous avez des tensions, vous devenez introverti, et non pas extroverti ; vous ne pouvez ni créer ni vous développer. Par conséquent, la réforme doit être fondée sur l’ouverture active de votre esprit, et le fait que vous ouvriez votre esprit, cela ne peut pas venir de décrets ou de lois. Cela découle de tout un ensemble de circonstances et si vous ne disposez pas de ces circonstances, tout ce que vous allez faire sera improductif, voire contre-productif.

The Wall Street Journal : Avez-vous un calendrier pour aller dans un tel sens ?

Bachar el-Assad : Cela dépend de la question de savoir si vous êtes (ou non) le seul capitaine à bord de ce bateau. Nous ne sommes pas le seul capitaine. Je viens de mentionner de quelle manière nous avons été affectés par la situation en Irak et au Liban. Il y a beaucoup de choses que nous voulions faire en 2005 et que nous sommes en train de projeter de les faire en 2012 ; vous vous rendez compte : cinq ans après ! Il n’est pas réaliste d’avoir un tel timing, car vous ne vivez pas dans une situation où vous pourriez contrôler les événements. J’ai commencé en mentionnant le fait que chaque semaine nous sommes confrontés à quelque chose de nouveau. Donc a fortiori, vous ne pouvez pas prévoir ce qui se produira dans un an. Bien entendu, vous vous fixez toujours certaines échéances, mais vous ne pouvez tenir un calendrier que dans de rares cas.

The Wall Street Journal : Pensez-vous que nous sommes en train de nous diriger vers une ère totalement nouvelle, avec de nouvelles puissances, comme la Turquie et la Syrie ?

Bachar el-Assad : Oui, c’est une nouvelle ère, mais elle ne fait pas que commencer ! C’est du moins mon avis. J’ai commencé par la révolution iranienne, mais c’est bien ça, le problème : nous ne cessons d’oublier. Nous n’avons pas de mémoire. Nous avons oublié que quelque chose s’est produit, en Iran, en 1979, et puis, parce que rien de semblable ne s’est produit depuis, nous avons oublié. Mais c’est la même ère : la révolution à laquelle nous assistons est contre quiconque voudrait s’opposer à la conviction du peuple. Comme je l’ai dit, je suis extérieur à cela, maintenant ; je ne peux pas parler de ce qui se passe du point de vue interne, or je veux être précis et objectif. Mais non, ça n’est certainement pas le début de notre ère, certainement pas. C’est peut-être le début d’une ère au sein du monde arabe, mais il ne faut pas oublier que l’Iran fait partie de notre région (le Moyen-Orient, Ndt.). L’Iran est frontalier avec l’Irak. Vous avez eu une insurrection, en Irak, en 1991, contre Saddam (Hussein). Mais cette insurrection a été écrasée dans le sang avec le soutien des Etats-Unis, en particulier dans le Sud du pays. Cela a empêché Saddam d’opprimer les Kurdes, mais cela lui a permis d’opprimer le peuple dans le Sud de l’Irak, à l’époque, c’est-à-dire les chiites.

The Wall Street Journal : Pensez-vous que dans cette (nouvelle) ère, avec ce qu’elle comporte, les Etats-Unis auront une influence considérablement diminuée ?

Bachar el-Assad : Dans cette (nouvelle) ère, nous avons eu l’Iran, l’insurrection en Palestine, l’Intifada, en 1987, et puis vous avez eu le dessus en 1993. Aujourd’hui, c’est au tour du monde arabe. C’est absolument le même concept : colère et désespoir. En Palestine, il y avait du désespoir et de la colère contre Oslo, et avant Oslo, c’était parce que les Palestiniens n’avaient aucun droit. Aujourd’hui, la révolte est contre ce qui est en train de se passer dans le monde arabe. C’est quelque chose de nouveau, certes, mais je ne qualifierait pas cela de « nouvelle ère », parce que cette ère n’est pas nouvelle, mais il s’agit de quelque chose de nouveau (dans cette ère), de quelque chose qui va changer beaucoup de choses, et en tout cas la manière dont nous pensons, nous, en tant que gouvernements et que responsables officiels, au sujet de notre peuple. C’est là le point le plus important, et une autre chose qui est va changer, c’est la manière dont l’Occident et les grandes puissances regarderont notre région, ainsi que la manière dont nous considérerons nos Etats et nos responsables étatiques. Voulez-vous quelque chose simplement pour vous rassurer et vous calmer, vous, ou voulez-vous quelque chose pour rassurer et calmer le peuple ? Telle est la question. Que choisiriez-vous ? C’est la question à laquelle l’Occident devrait répondre au plus tôt afin de savoir comment traiter avec ses intérêts dans la région. C’est donc la le plus important pour nous, à savoir la manière dont l’Occident s’apprête-t-il à analyser la situation et les leçons qu’il s’apprête à en tirer.

The Wall Street Journal : Pensez-vous que l’Occident ou les Etats-Unis auront moins d’influence ou moins de capacité de dicter leur volonté, en raison de ces changements ?

Bachar el-Assad : C’est (bien) la première fois que j’entends utiliser le mot ‘dicter’ à propos de l’Occident, car c’est nous que l’on appelle les ‘dictateurs’, or, les ‘dictateurs’ sont supposés ‘dicter’, n’est-ce pas ? La réponse est oui, car vous dictez, en effet, à travers des responsables officiels, à travers des gouvernants, mais vous ne pouvez pas imposer vos diktats à travers les peuples. Et dès lors que le peuple aura son mot à dire, dans le futur, vous allez avoir moins de prépondérance, des Etats-Unis, et pas seulement des Etats-Unis, mais il en ira de même pour tous ceux qui voudraient influencer la région (du Moyen-Orient) de l’extérieur.

The Wall Street Journal : Pouvons-nous parler du Liban ? Etes-vous satisfait de la structure du nouveau gouvernement libanais et pensez-vous que le Liban est désormais installé dans une nouvelle stabilité après un passage difficile, comme l’on dit ?

Bachar el-Assad : Ce qui me satisfait, c’est le fait que cette transition entre les deux gouvernements se soit produite sans heurts, car nous étions inquiets et nous avons exprimé cette inquiétude à propos de la situation libanaise au cours de ces dernières semaines ; par conséquent, l’essentiel est que cette transition se soit déroulée en douceur. Maintenant, la transition suivante ne peut se produire avant que ce gouvernement ait été constitué, et la question qui reste posée est celle de savoir à quel genre de gouvernement nous allons avoir affaire ? Un gouvernement d’union nationale ? Cette question est très importante, car nous parlons ici d’un pays divisé, pas d’un gouvernement stable. Aussi, en l’absence d’un gouvernement d’union nationale, peu importe quelle majorité ou quelle minorité vous avez. Cela ne signifie rien, parce que si vous avez un camp qui l’emporte sur l’autre, cela signifie un conflit, et, au Liban, trois siècles durant, il y a eu des conflits latents susceptibles d’évoluer très facilement vers des guerres civiles généralisées. Jusqu’à présent, tout se passe bien. Nous espérons donc que durant cette semaine, les Libanais pourront constituer un gouvernement d’union nationale, ce qui est l’objectif du Premier ministre. Je pense que la situation s’oriente donc vers ce qui est souhaitable, c’est-à-dire vers l’assurance que les choses se déroulent normalement et de manière pacifique, sans le moindre conflit.

The Wall Street Journal : Etes-vous toujours préoccupé par le fait que le tribunal (international) ou le verdict de celui-ci auront un impact sur cette situation libanaise ? Quelle est la position de la Syrie sur la poursuite de ses investigations par ce tribunal ?

Bachar el-Assad : Ce tribunal résulte d’un accord entre le Liban et l’ONU, et non d’un accord entre la Syrie et l’ONU. Par conséquent, dès le début, nous avons dit, dès les heures qui ont suivi l’attentat, que nous allions coopérer avec la commission d’enquête, afin de l’aider en lui fournissant toutes les informations dont elle a besoin et il était clair, de tous les points de vue, que la Syrie était (très) coopérative. Après la fin de l’enquête, ils sont passés au stade du procès. Le tribunal est une entité juridique résultant d’un accord et, comme nous l’avons indiqué, nous ne sommes pas partie prenante à cet accord. Par conséquent, juridiquement, nous n’avons rien à voir avec le tribunal. Mais en ce qui concerne le Liban, tout dépend du tribunal et de la question de savoir si celui-ci va se montrer professionnel, s’il va trouver la vérité, ou s’il va devenir un énième outil politique. C’est la question, car aujourd’hui, ils sont en train d’évoquer la possibilité de mettre certaines personnes en accusation sans avoir la moindre preuve. Comment pouvez-vous accuser qui que ce soit sans avoir la moindre preuve qu’il s’agit de personnes coupables ou complices ? Ils disent qu’ils soupçonnent des personnes qui étaient proches de la région, des personnes qui ont utilisé le téléphone, des choses de ce genre, c’est-à-dire de pures théories. Mais nous n’avons encore vu aucune pièce à conviction concrète.

Au Liban, ce pays dont on connaît le sectarisme, dans une situation marquée par le sectarisme, mêlé de tension, une telle mise en accusation, qui est irréaliste, parce que je pense que dans aucun pays civilisé l’on ne mettrait qui que ce soit en examen sans la moindre preuve concrète, ne pourra que générer de la conflictualité. La seule garantie, dans un tel cas, c’est le rôle que peut jouer le gouvernement. Si le gouvernement libanais refuse la mise en accusation en raison du manque de preuve, il n’y aura aucun problème, car, au final, tout sera fondé sur des preuves. Et que ce soit en Syrie ou au Liban, nous avons toujours dit, et nous persistons à dire que quiconque est impliqué dans ce crime ou complice de ce crime doit être tenu pour responsable, comme pour n’importe quel autre crime. Donc la question tourne entièrement autour des preuves, et tout dépend, comme je l’ai indiqué, du gouvernement (libanais).

The Wall Street Journal : Pourriez-vous élaborer, à ce sujet, car il semble que la Syrie et l’Arabie saoudite (c’est-à-dire fondamentalement vous-même et le roi Abdullah), ont eu un certain accord sur le Liban, puis le roi s’est rendu aux Etats-Unis, et c’est alors que cet accord semble avoir pris fin. Telle est l’impression que nous avons eue, mais pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de la nature de cet accord, et des raisons pour lesquelles il n’a finalement pas tenu ? Est-ce dû à ce que les Américains ont dit au roi Abdullah lorsque celui-ci séjournait à Washington ? Reste que ce qui avait été convenu d’un commun accord, quelle qu’en ait été la nature, ne s’est pas produit…

Bachar el-Assad : Depuis la constitution du tribunal, une partie des Libanais ont dit « pourquoi avons-nous un tribunal international ? Pourquoi ne pas avoir un tribunal libanais ? » C’était, et cela reste, réaliste et logique. Si vous voulez avoir un tribunal national, mais que celui-ci n’ait pas la capacité de juger des crimes complexes, pourquoi ne pas (y) faire venir des experts extérieurs, avec l’aide de certains pays, ou avec l’aide de l’ONU, peu importe ? Donc, ces Libanais étaient contre l’idée d’avoir un tribunal international, de toutes les manières. Certains d’entre eux dirent pourquoi n’aurions-nous pas un tribunal arabe, en lieu et place ? Ainsi, vous avez différents points de vue. Certaines personnes étaient convaincues qu’il s’agissait d’un tribunal politisé, et des fuites, différentes de celles de WikiLeaks, que l’on appelle les « fuites de la vérité », au Liban, au sujet des dépositions de certaines personnes qui voulaient faire de faux témoignages et aussi au sujet de faux témoins sont aujourd’hui parfaitement élucidées. Par conséquent, il y a eu énormément de bruit au sujet de ce tribunal, en particulier à propos de sa crédibilité et de son professionnalisme.

C’est parce que nous pensions que ce tribunal allait générer des problèmes que nous avons dit : « trouvons une solution. Nous avons deux camps. Le premier, l’opposition libanaise, a dit que nous n’avons absolument pas besoin de ce tribunal, constituons un tribunal libanais et n’acceptons jamais de tribunal international ! » Et le deuxième camp a dit : « D’accord, mais si nous acceptons ce tribunal, nous allons avoir des conditions internes, des exigences et quelque chose, en retour, en matière d’administration…

Je n’ai pas ces éléments à l’esprit là, maintenant ; ce sont des détails secondaires. Mais cela faisait partie du deal, et nous étions très près de parvenir à l’accord final quand le roi Abdullah nous a appelé au téléphone pour nous dire que cela ne semblait pas marcher, parce qu’une des parties prenantes n’était pas prête. Comme il nous parlait via l’interphone, nous n’avons pas évoqué les détails. Bien entendu, nous avons de bonnes relations avec le roi Abdullah, mais je ne l’ai pas encore rencontré, ni lui, ni son fils le prince Abdul-Aziz, qui a été nommé pour faire ce travail. Ils viennent de partir pour le Maroc, me semble-t-il, et il doit venir très bientôt en Syrie. Cela fait donc trois semaines, aujourd’hui, et jusqu’à présent, nous ne savons pas encore ce qui s’est passé exactement… Nous avons besoin de les rencontrer afin de comprendre ce qui s’est passé et quelle était la partie prenante qui n’était pas prête. Qui est responsable, nous ne le savons pas… !

The Wall Street Journal : Concernant la position syrienne sur ce tribunal, pensez-vous que ce tribunal soit crédible, aujourd’hui ? Qu’en pensez-vous ?

Bachar el-Assad : L’ex-Premier ministre Saad al-Hariri a dit qu’il y a eu de faux témoins. Il l’a formellement reconnu. Et les dernières fuites, ces dernières semaines, ont prouvé, ne laissant plus aucune place au doute, la manière dont ils ont tenté de monter tout cela. Normalement, si vous avez un procès qui est fondé sur de faux témoignages, que faites-vous ? Vous changez tout, vous recommencez tout depuis le début, vous vérifiez tous les documents en votre possession ! Comment pourriez-vous continuer avec cette même information, qui vous a amené à fonder vos accusations sur quelque chose de faux ? C’est la une question très simple. Je ne suis pas juriste, vous non plus, sans doute, mais c’est une simple question de vérité. Bien entendu, si le tribunal ne regarde pas cette vérité en face, il n’est plus crédible. Il ne saurait être crédible, en sus du fait qu’il est politisé. Qu’il s’agisse d’un tribunal soumis à des pressions ou d’un manque de professionnalisme, c’est la même chose ! Je ne pense pas que nous ayons affaire à des gens qui ne soient pas professionnels : ce tribunal réuni des juges chevronnés. Par conséquent, il se peut qu’ils soient politisés. Ils doivent remédier à cette situation, s’ils veulent apporter la démonstration de leur crédibilité.

The Wall Street Journal : A propos du Liban, je suis sûr que vous avez entendu John Kerry et d’autres parler de l’existence de relations militaires entre la Syrie et le Hezbollah ? J’ai lu l’interview que vous avez accordée à Charlie Rose. Il a en quelque sorte démenti l’existence d’un transfert d’armes stratégiques entre la Syrie et le Liban. Etes-vous préoccupé, avec toutes ces allégations, par le fait qu’en cas de conflit entre le Hezbollah et Israël, la Syrie y serait entraînée, comme en 2006 ? Est-ce une réelle menace ?

Bachar el-Assad : Permettez-moi de revenir au problème avec les Etats-Unis. Aux Etats-Unis, l’on parle toujours de subtilités, de chapitres du livre sans en lire le titre. Ils parlent d’un sous-titre, dans un chapitre, et si vous leur demandez le titre, ils vous disent qu’ils n’en savent rien. Nous devons parler des gros titres. Nous ne pouvons suivre les Etats-uniens dans cette attitude consistant à picorer à droite et à gauche. Une fois l’on parle du Hezbollah, la fois suivante, l’on parle du Hamas, une fois l’on parle d’armes, et une autre fois, on parle de contrebande ! Si vous voulez traiter d’une situation donnée, que celle-ci soit réelle, ou non, la question posée est de savoir pourquoi vous avez ces problèmes, ou ces facteurs, ou ces sous-titres ? La réponse, c’est parce que vous avez une absence de paix. Donc, en permanence, nous conseillons à tout responsable états-unien et à tout responsable européen de ne pas nous faire perdre notre temps à discutailler de ces choses, pour lesquelles soit cela vous plaît, soit cela vous déplaît, soit vous condamnez, soit vous soutenez ! Il ne s’agit pas de coller des étiquettes ; il s’agit de réalités et de faits. Occupons-nous donc des faits. Tant que vous n’aurez pas la paix, vous aurez tout ce que vous n’aimez pas. Il vaut donc mieux s’occuper du processus de paix, puis, ensuite, tout le reste sera réglé et deviendra normal. En effet, dès lors que vous avez la paix au Moyen-Orient, pourquoi parler d’armements, et si vous ne parlez pas d’armements, pourquoi parleriez-vous de contrebande ? Et c’est là, bien entendu, que vous n’avez pas à parler d’une faction souhaitant combattre Israël ni d’une quelconque autre faction.

Par conséquent, parler de ces choses-là nous vous exempt en rien de parler du processus de paix. Tel est le problème ; vous ne pouvez pas parler, des années durant, de soutien ou de non-soutien, mais cela ne change pas la réalité, n’est-ce pas ? C’est la question. Les responsables états-uniens devraient consacrer leur temps précieux non pas à parler d’ « étiquettes » telles que celles de « terroriste, de méchant, d’isolement » et, à la fin du compte, la réalité n’a pas changé ; elle a suivi sa trajectoire normale, à son rythme naturel.

The Wall Street Journal : Ainsi, vous dites que la Syrie n’est impliquée dans aucun transfert d’armes entre elle et le Liban ?

Bachar el-Assad : Si vous prenez Gaza, Gaza est cernée par l’Egypte et Israël, et les deux sont contre le Hamas, et imposent un embargo réel. Et pourtant, les Gazaouis peuvent obtenir tout ce qu’ils veulent !...

The Wall Street Journal : Mais le principal point, c’est le Hezbollah, non ?

Bachar el-Assad : Le Hezbollah n’est pas soumis à un embargo ; il a la mer, d’un côté, et puis il a la Syrie, et la Syrie a l’Irak, sur une partie de ses frontières. Vous ne pouvez pas empêcher la contrebande, même si vous voulez le faire. Parfois, on demande de vous de fermer les yeux et d’être complices, et d’autres fois, on vous demande de faire la police. Et si vous ne voulez faire ni l’un ni l’autre ? Nous ne voulons ni fermer les yeux, ni être les flics de l’Occident. Nous, nous nous focalisons sur la paix. Quand la principale question va de l’avant, tout le reste progresse. Si vous voulez parler d’un arbre, vous devez parler de son tronc. Vous ne pouvez avoir de branches, en l’absence de tronc, aussi pourquoi voulez-vous parler des branches, en oubliant le tronc ? Parlons du tronc de l’arbre…

The Wall Street Journal : Où en est le processus de paix, à vos yeux ? Le considérez-vous mort ?

Bachar el-Assad : Non, le processus de paix n’est pas mort, parce qu’il n’y a pas d’alternative. Si vous voulez parler de « processus de paix mort », cela signifie que tout le monde doit se préparer pour la prochaine guerre, et c’est là quelque chose qui n’est ni dans notre intérêt ni dans celui de la région. Je pense qu’Israël a retenu la leçon de 2006 : une superpuissance au Moyen-Orient ne peut défaire une petite faction, quel que soit son armement. La technologie est en train de changer, les convictions aussi. Quant aux tactiques, elles ont changé du tout au tout. Tout est en train de changer. Mais malgré cela, nous devons croire que seule la paix peut nous aider. C’est pourquoi nous sommes optimistes et c’est la seule chose qui nous fasse œuvrer à la paix.

Mais pour en revenir à votre question, de savoir où en est aujourd’hui le processus de paix… ; si vous voulez parler du processus de paix dans son ensemble, d’un processus de paix exhaustif, vous avez trois parties prenantes principales : la partie prenante syrienne, qui est une partie arabe, la partie israélienne, et les arbitres, ou les médiateurs. Quant à moi, en tant que partie syrienne, je constate encore que je bénéficie du soutien de mon peuple, ce qui signifie que je dispose d’une large latitude de manœuvre en la matière. Mais bouger, dans ce cas-là, cela ne signifie pas aller quelque part. Vous ne pouvez pas me dire de monter dans le bus avec vous sans savoir où je suis censé aller. Nous ne conduisons pas dans le brouillard. Nous avons affaire à du désespoir, en particulier en ce qui concerne le processus de paix, parce que nous disons toujours non à tout ce qui n’est pas méthodique. Quand les choses seront faites méthodiquement, nous serons prêts à bouger, cet après-midi même. Cela n’exige pas de préparation particulière.

The Wall Street Journal : Et l’initiative, avec les Turcs, dont vous pensiez qu’elle était bien organisée et que cela allait fonctionner ?

Bachar el-Assad : C’est vrai, j’y viendrai. Mais il y a aussi la partie israélienne. Dans le camp arabe, j’ai parlé de la Syrie, parce qu’en ce qui concerne les Palestiniens, comme vous le savez, ils sont divisés, et sans réconciliation, ils ne pourront avoir la paix. Mais c’est plus compliqué que cela encore, et je ne vois aucun espoir, parce que les Israéliens, et même les Etats-uniens, n’ont pas été méthodiques, et ils ont rendu la situation pire. Aujourd’hui, il est plus difficile d’initier ou de reprendre les négociations. Quant à la partie israélienne, tout le monde connaît le gouvernement israélien actuel. C’est un gouvernement de droite. Ce gouvernement est fondé sur une coalition entre divers partis, dont celui de Lieberman, le parti Yisrael Beiteinu, un parti d’extrême-droite. Lieberman lui-même a dit publiquement que tant qu’il serait ministre, il empêcherait le processus israélo-syrien d’aller de l’avant, et je ne sais pas ce qu’il a dit à propos des Palestiniens. C’est un ministre de l’extrême-droite ultra et tout responsable états-unien ou européen a reconnu cette vérité. Avec ce gouvernement en Israël, certains analystes disent qu’il sera très difficile de réaliser la paix, et certains disent même que cela sera impossible.

The Wall Street Journal : Donc, vous vous situez quelque part, dans ces eaux-là…

Bachar el-Assad : Exactement. L’autre partie est l’arbitre, qui était, il y a deux ans de cela, un médiateur, et non pas un arbitre. Un médiateur, c’est quelqu’un qui peut communiquer des points de vue, comme les Turcs ; alors qu’un arbitre doit être plus actif et non pas passif, ce qui est le rôle des Etats-Unis. Le rôle des Etats-Unis est très important, parce que c’est la grande puissance, qui a une relation particulière avec Israël et qui a le poids suffisant pour être la garantie du processus de paix au moment où l’on signera le traité. Mais en réalité, quand vous signez ce traité, c’est le tout début de la paix, c’est le moment où vous devez vouloir faire la paix, parce qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’un traité, et non pas de la paix elle-même, de la vraie paix. La paix, c’est quand vous avez des relations normales, quand vous enterrez la hache de guerre et que les gens peuvent interagir. Cela exige beaucoup d’étapes, et beaucoup de soutien. A ce moment-là, l’arbitre a sans doute un rôle plus important que durant les négociations.

Le problème auquel nous avons été confrontés avec la plupart des responsables états-uniens durant les administrations ayant précédé celle d’Obama, qu’ils aient eu de bonnes ou de mauvaises intentions, c’était le fait qu’ils ne connaissaient que très peu de choses sur notre région. C’est la raison pour laquelle ils ont besoin du soutien d’autres partenaires. Ils ont un rôle complémentaire. Ce rôle peut être celui des Européens, ou, aujourd’hui, celui des Turcs. De fait, peu importe, car cela peut être qui vous voudrez. Mais si vous voulez en revenir à notre méthodologie, cela fait vingt ans que cela dure. Pourquoi n’avons-nous toujours pas réalisé la paix ? Nous n’avons pas été méthodiques. Nous n’avons pas parlé des termes de référence, des principaux chapitres : la terre, la paix, puis, ensuite, « la terre contre la paix ». Mais quelle terre ? Et quelle paix ? Nous n’avons pas défini ces termes. Et parce que nous ne les avons pas définis, nous avons pu louvoyer, au cours des négociations.

Ce que nous avons dit, c’est qu’il vaut mieux définir ces termes avec la Turquie, de définir ce qu’est la terre, et de définir la nature de la sécurité. Définir, ça n’est pas tout faire, c’est parler des points principaux. Par exemple, définir la ligne du retrait, cela consiste à résoudre six points, à se mettre d’accord sur six points controversés. Définir la sécurité, c’est aussi se mettre d’accord sur six points. Une fois que vous disposez de cette référence, vous pouvez passer à des négociations directes, pour lesquelles vous avez besoin d’un arbitre. Dans ces négociations directes, vous ne pouvez pas louvoyer, si vous voulez, parce que tout est très bien défini, nous avons un cadre très clair, et Israël ne peut plus finasser, et l’arbitre ne peut pas gâcher la partie, même si c’est avec de bonnes intentions. Ce qui s’est passé, dans les années 1990, c’est que certains responsables américains ont pensés qu’ils agissaient bien, mais qu’en réalité, ils ont tout gâché, parce qu’ils étaient émotifs et fébriles. Ils voulaient aider Israël dans de bonnes intentions, mais en réalité, ils ont fait capoter tout le processus. Aussi, c’est dans cette partie des négociations indirectes que vous devez arrêter la définition du cadre de référence. Ainsi, aujourd’hui, nous ne disposons pas de ce cadre de référence ; nous avons un gouvernement (israélien) d’extrême-droite et l’arbitre est en train de changer. Le Président Obama envoie son équipe ou Mitchell et son assistant, qui font depuis quelque temps la navette entre la Syrie et Israël. Il y a quelques jours encore, ils étaient ici, à Damas. Ils s’efforcent de faire face à cette situation difficile. Mais jusqu’ici, il n’y a pas eu de réponse positive de la part des Israéliens. Ce qui est en train de se passer est donc positif, mais seulement virtuellement. Il n’y a encore rien de concret. Pour être très précis, telle est, aujourd’hui, la situation du processus de paix.

The Wall Street Journal : … et, vous ne recevez aucun message de la part des Israéliens ? Je sais que M. Hoenlein vous a rencontré récemment ; il ne vous a transmis aucun message ?

Bachar el-Assad : Il nous apporté une atmosphère positive. Mais, encore une fois, je lui ai dit que nous nous en tenons toujours à la réalité. Nous comprenons le signal, mais il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’un satellite et d’un radar ; nous ne sommes pas des ordinateurs, pour parler ainsi de questions purement virtuelles. Nous vivons avec la réalité et avec des faits ; or, rien, dans la réalité, ne s’est produit jusqu’à ce jour, rien de concret, rien au sujet du territoire, rien à propos de la ligne de retrait. Or, c’est par cela que commence un processus de paix. Vous occupez la terre, vous voulez, vous dites-nous, vous retirer. Mais vous voulez vous retirer jusqu’où ? Cela devrait être jusqu’à la frontière que vous avez violée en la traversant, il y a de cela plus de quarante ans.

The Wall Street Journal : Si certains de ces détails commencent à être pris en compte, fusse seulement conceptuellement, vous pensez qu’il est possible, aujourd’hui, pour la piste syrienne, d’aller de l’avant avec un peu plus d’allant, même au sein du cadre général actuel de la paix… Je veux dire : la piste palestinienne est particulièrement chaotique, en ce moment, non… ?

Bachar el-Assad : Vous voulez me poser la question de savoir s’il y a quelque chose de positif sur notre piste… ?

The Wall Street Journal : Oui ; pourriez-vous avancer, de votre côté, même si la partie palestinienne n’est pas en mesure de le faire ?

Bachar el-Assad : C’est là une question très importante, parce que beaucoup de gens ne comprennent pas la différence entre la Paix et un traité de paix. Et nous, nous parlons toujours de la paix globale, parce que si vous voulez avoir une vraie paix, avec des relations normales entre les peuples, vous devez avoir une paix globale. En Syrie, nous avons en effet 500 000 Palestiniens, et il y en a autant au Liban. Ils jouissent de tous leurs droits, chez nous, en Syrie, sauf du droit de vote, étant donné qu’ils ne sont pas citoyens syriens, mais ils ont tous les autres droits des Syriens…, ils sont représentés au gouvernement, ils sont partout, en Syrie, ils font partie intégrante de notre société. Aussi le peuple syrien les voit-il avec sympathie, et si vous ne trouvez pas de solution qui les satisfasse, vous ne pourrez pas avoir une vraie paix. Certes, vous pourrez avoir un traité de paix. Mais à quoi aspirons-nous ? A un traité ? A une rencontre entre officiels ? A une ambassade entourée par des forces de police, avec laquelle personne n’osera entrer en relation ? Les gens n’auraient donc pas de relations, et ils se haïraient mutuellement ? Non, ce dont nous avons besoin, c’est de relations normales. Pour nous, la paix, c’est avoir des relations normales, comme celles qui existent entre la Syrie et tous les autres pays. Par conséquent, le fait d’avoir un traité de paix avec la Syrie ne saurait qu’être un pas vers la paix, mais certainement pas la paix. C’est la raison pour laquelle le fait d’avoir une paix globale est très important. La paix globale, c’est la véritable solution.

The Wall Street Journal : Mais vous pourriez considérer cela comme une étape intermédiaire, à l’intérieur d’un mouvement de plus grande ampleur ?

Bachar el-Assad : On pourrait définir cela de deux manières : cela pourrait être une phase intérimaire permettant de réaliser l’autre phase, au sens que cela pourrait permettre de soutenir cette autre phase. Mais nous pouvons considérer cette hypothèse d’une manière différente : si vous avez la paix avec la Syrie, pourquoi auriez-vous besoin de la faire avec les Palestiniens ? C’est ainsi que pourraient penser les Israéliens, et cela ne créerait aucune stabilité, parce qu’il y cinq millions de Palestiniens qui vivent en dehors de la Palestine, et qui continuent à espérer qu’ils feront partie de cette paix. Mais si vous leur dites « désolé, j’ai obtenu tout ce que je voulais, avec ce traité, vous ne me concernez plus désormais ; ils perdront tout espoir et ils auront recours aux moyens du désespoir, et il y aura une bombe, dirigée soit contre nous, soit contre la paix aux frontières. Donc, encore une fois, si vous ne parvenez pas à une paix globale, vous n’obtiendrez pas la stabilité. Par conséquent, regardons la situation sous l’angle négatif afin de faire en sorte que cette paix soit globale. Si vous regardez la situation de manière positive, à savoir que nous allons faire la paix avec vous et cela constituera une avancée – mais si ça n’est pas le cas, que se passera-t-il ? C’est seulement une possibilité, et pour moi, je pense qu’il est plus que probable que l’issue sera négative. C’est pourquoi il vaut mieux rechercher une paix globale dès le début. Cela ne signifie nullement, toutefois, que les deux pistes (la piste syrienne et la piste palestinienne, ndt) doivent progresser de manière synchrone, mais cela signifie bien que, tout au moins, ces deux processus doivent avancer en parallèle.

The Wall Street Journal : Pourriez-vous nous donner une idée sur la proximité atteinte par les positions syrienne et israélienne du temps d’Olmert… parce que j’étais en Turquie, la semaine passée, et j’en ai entendu parler ?

Bachar el-Assad : J’allais vous en parler. J’étais, de fait, au téléphone avec le Premier ministre turc Erdogan, et Olmert était dans l’autre pièce, où ils étaient en train de déjeuner ensemble, et celui-ci n’avait cessé de faire des va-et-vient auprès d’Olmert, et il apportait la réponse à son conseiller de l’époque, M. Gül (qui est ministre des Affaires étrangères, aujourd’hui). Et il était question de la ligne du retrait. Il disait que la ligne de retrait aurait dû être basée sur les six points formulés par la Syrie. J’ai répondu que non, que ces points sont sur la ligne. Alors, il est revenu, disant : « la ligne dépendra de ces points ». J’ai alors demandé ce que signifiaient ces termes : « dépendra » et « sera basée » ? Ce sont des termes extrêmement vagues. C’est sur la ligne. Aussi il a dit à Erdogan : « D’accord, laissez-moi réfléchir. Si cela présente pour moi une difficulté, je continuerai à y réfléchir après mon retour en Israël et je vous tiendrai au courant ». C’était quatre jours avant qu’Israël n’attaque Gaza. Après ça, la Syrie, et encore plus la Turquie, étaient furieuses d’avoir été trompées par Olmert. Il leur avait dit : « Je rentre en Israël pour réfléchir à la manière dont nous pourrons résoudre ce problème concernant la paix », mais en lieu et place il a fait la guerre et il a tué, ce faisant, mille cinq-cents Palestiniens. Voilà la proximité que nous avions atteinte. De fait, nous étions très près de mettre au point ce document dont je vous ai parlé ; nous étions sur le point de définir le référentiel qui aurait été remis aux Américains en leur disant que c’était là « le moyen qui vous permettra de gérer la prochaine négociation », je veux dire les négociations directes. Mais rien ne s’est déroulé comme cela avait été prévu.

The Wall Street Journal : Comment voyez-vous vos relations avec les Etats-Unis ? Nous avons lu que l’ambassadeur Ford est ici, à Damas, désormais ; il semble donc que les Etats-Unis soient engagés sur une voie inconnue sous l’administration Bush. Mais nous avons toujours le problème des sanctions. Pourriez-vous définir la manière dont vous voyez le développement de ces relations ?

Bachar el-Assad : Ce qui est nouveau, depuis l’arrivée d’Obama au pouvoir, c’est le fait qu’il n’y a plus de diktat en provenance des Etats-Unis et que les Américains sont prêts à nous écouter. C’est très important, pour fonder de quelconques relations avec n’importe quel pays, en particulier avec un pays tel que la Syrie, qui n’accepte aucun diktat imposé par l’extérieur. Mais l’autre question, ici, c’est que cela fait aujourd’hui deux ans que le président Obama est au pouvoir et que s’est-il passé, en réalité ? De fait, rien n’a changé réellement, y compris en matière de relations bilatérales, parce que ce que nous faisons, depuis deux ans, c’est simplement d’envoyer des signaux, depuis la Syrie vers les Etats-Unis, et vice-versa. Mais comment pouvons-nous traduire ces signaux dans la réalité ? Juqu’ici, nous n’avons pas pu le faire, pour une raison très simple. Le président Obama n’est pas en cause, je pense que c’est quelqu’un de sincère, qui croit à ce qu’il dit. Mais, en fin de compte, vous avez la politique intérieure américaine ; vous avez le Congrès, vous avez beaucoup d’autres institutions, que ce soit avant ou après les élections, il n’y a pas eu une grande différence pour ce qui nous concerne. Ces institutions ne voient pas, parfois, l’intérêt des Etats-Unis, tout au moins dans notre région du Moyen-Orient, de manière réaliste. C’est la raison pour laquelle si vous prenez la situation en Irak, en Afghanistan et au Pakistan, l’on n’y constate aucun succès de la politique américaine. Pour partie, le désespoir que nous connaissons dans notre région du monde découle de la politique des Etats-Unis, et les peuples sont en train de devenir antiaméricains. C’était d’ailleurs l’objet de votre toute première question. Par conséquent, ce qui est en train de se passer est positif, mais cela ne construit rien de concret sur le terrain, tout au moins pour le moment.

The Wall Street Journal : Sans doute diraient-ils : « Mais nous souhaiterions entendre qu’il y a eu un changement dans le comportement de la Syrie vis-à-vis du Hamas et du Hezbollah », et en un certain sens, cela n’en prend pas vraiment le chemin, n’est-ce pas ?

Bachar el-Assad : Voilà : ça, c’est un diktat ! Il n’est pas question de ‘comportement’. En tant qu’Etat, nous dépendons de nos intérêts, et non pas de notre comportement. Vous pouvez avoir un mauvais comportement, que je puis ne pas aimer, mais cela ne signifie rien : votre comportement, c’est votre comportement, et mon comportement est mon comportement. Non, le fond de la question, c’est les intérêts. Alors, mettons nos intérêts sur la table, et voyons ce que nous avons en commun. Si vous voulez parler de la stabilité en Irak, je suis celui qui est intéressé à avoir la stabilité en Irak plus que les Etats-Unis, parce que moi, l’Irak est mon voisin ! Si je n’aide pas l’Irak à avoir la stabilité chez lui, je me tire une balle dans le pied. Deuxièmement, s’ils disent qu’ils veulent la paix au Moyen-Orient, alors, là encore, c’est moi qui suis intéressé à avoir la paix au Moyen-Orient, parce que cela me permettra d’avoir la prspérité, l’ouverture et une économie florissante. Vous me parlez de la lutte contre le terrorisme ? Alors sachez que nous combattons le terrorisme depuis les années cinquante, et non pas seulement depuis les années soixante ou soixante-dix, et, dans les années quatre-vingt, nousavons eu un très important avec les terroristes, tandis que Ronald Reagan les présentait comme des combattants menant un combat sacré, mais nous, nous parlions de terroristes. Par conséquent, là, c’est moi qui avais un intérêt à les combattre. Et si vous voulez me parler d’intérêts communs, nous avons un tas d’intérêts communs dans ma région. Je n’ai sans doute pas d’intérêts en Asie orientale, par exemple, parce que, moi, je ne suis pas une grande puissance. Mais j’ai des intérêts, dans ma région du Moyen-Orient, bien entendu et si vous voulez parler de vos intérêts dans ma région, nous avons des intérêts communs : parlons-en ! Et je pense que la majorité des problèmes relèvent d’intérêts communs entre nous. Quelques-uns d’entre eux sont non pas des conflits d’intérêt, mais des divergences dans les façons de voir les choses, ce qui n’est pas un problème majeur. Donc, vous pouvez examiner la situation sous l’angle que vous voulez, vous pouvez construire votre relation avec moi en accédant à cette différence, ou bien vous la construisez en fonction de cet intérêt commun. Tout dépend de la manière dont vous envisagez le problème.

The Wall Street Journal : Et vous pensez que les négociations ont achoppé sur ce que vous considérez être des détails, et qu’elles ne se sont pas concentrées sur les grands problèmes ?

Bachar el-Assad : Oui, parce que les Etats-Unis se focalisent sur les détails, en oubliant le problème central, qui est l’absence de paix. Notre avis, c’est que vous ne pouvez régler ces points de détails sans avoir résolu le principal problème. Et le problème que nous avons eu avec l’adminstration Bush, c’est qu’ils parlaient de ce but, et je parlais du même but, mais alors que je voulais y parvenir à partir de l’est, ils voulaient passer par l’ouest, et ils voulaient que je fasse la même chose qu’eux.

Mais moi, je veux parvenir au résultat à partir de l’est, c’est ma manière de voir les choses, nous avons donc deux manières de parvenir au but, mais notre but est le même. Nous ne pouvons être la copie d’aucun pays, et c’est là quelque chose de normal et naturel.

The Wall Street Journal : Pensez-vous que les changements en Egypte auront un impact sur le processus de paix ? Vous pensez sans doute que les Israéliens redoutent que cela ne soit le cas, je veux dire, si l’on pense à ce que l’Egypte a été, par le passé. Je ne sais pas si les changements seront pour le pire ou pour le meilleur, mais il semble que, quels qu’ils soient, ils auront un impact.

Bachar el-Assad : Si vous voulez que je réponde à cette question, vous devez la recentrer de cette manière : « Quel est le rôle de l’Egypte dans le processus de paix ? ». Telle est la question que je me pose. Ils ont signé un traité de paix ; ils ne font pas partie de notre piste. En ce qui concerne la question palestinienne, vous devez commencer par la réconciliation [entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, ndt], or, cela va faire trois ans que nous n’avons pas pu réaliser cette réconciliation, en Egypte. Donc, si je veux répondre à votre question, je dois au préalable demander : quel est le rôle de l’Egypte, dans le processus de paix ? A mes yeux, c’est la Syrie, le Liban et les Palestiniens qui sont responsables de ce processus de paix, et personne d’autre ; aucun autre pays n’en est responsable, si ils veulent apporter leur aide, ils le peuvent, mais vous ne pouvez pas parler d’un quelconque rôle principal. C’est ainsi que je vois les choses.

The Wall Street Journal : Pensez-vous que la Syrie ait un rôle à jouer ici ? Je veux dire, certains d’entre eux sont au sein de l’Autorité palestinienne, et en particulier dans les factions palestiniennes…, comment pouvez-vous aider ?

Bachar el-Assad : Vous devez aider, mais s’ils n’ont pas la volonté de se réconcilier, nous ne pouvons rien faire. Ils doivent avoir cette volonté et je pense qu’au moins une des parties a bien, au minimum, la volonté. Je dis que les deux parties ont exprimé leur bonne volonté, mais nous ne nous sommes pas impliqués directement dans cette situation parce que l’Egypte n’y était pas impliquée. Mais en fin de compte, si vous voulez être impliqué, c’est le rôle d’un Palestinien, et non pas d’un Syrien ou d’un Egyptien. Vous pouvez apporter votre soutien. Israël peut apporter son soutien, s’il veut effectivement améliorer la situation, et non faire le contraire. Les Etats-Unis peuvent faciliter cette réconciliation ; tout le monde peut le faire.

The Wall Street Journal : Mais la situation semble très loin d’avoir été aplanie, apparemment ?

Bachar el-Assad : c’est vrai ; rien ne s’est produit. Tout au long des trois années écoulées, c’est la même situation, parfois cela aurait même pu être pire. C’est pire, de fait, s’ils ne se dirigent pas vers une réconciliation, parce qu’il n’y a pas de stabilité concrète sur le terrain. Si vous voulez jouer le rôle d’un médiateur ou d’un arbitre, vous devez vous situer au milieu, entre les deux adversaires, vous ne pouvez pas prendre partie pour l’un d’entre eux.

The Wall Street Journal : Je sais qu’une partie de vos rencontres avec le Sénateur Mitchell et d’autres ont été consacrées à l’allègement des sanctions, mais cela a-t-il eu lieu ? Y a-t-il eu une quelconque amélioration du côté américain ?

Bachar el-Assad : Non, rien de tel. Bien sûr, ils disent que la Syrie a rouvert le Lycée américain à Damas, mais nous ne pouvons pas parler véritablement de relations bilatérales en ce qui concerne ces petits détails. Comme je l’ai dit, ce sont de simples signaux, et rien de plus.

The Wall Street Journal : Je sais que des gens, au Congrès et aux Etats-Unis, de manière générale, ne cessent de poser des questions au sujet des relations que la Syrie entretient avec l’Iran. Les relations américano-syriennes peuvent-elles s’améliorer tant que la Syrie aura un partenariat stratégique aussi étroit avec l’Iran ? Et comment décririez-vous vos relations avec l’Iran ? Par ailleurs, des bonnes relations à la fois avec l’Iran et avec les Etats-Unis sont-elles possibles, pour la Syrie ?

Bachar el-Assad : Oui, cela remonte aux concepts fondamentaux de la politique américaine. En physique, il y a un principe : quand vous avez deux verres d’eau et un tuyau entre les deux, lorsque le niveau s’élève dans l’un des vases, il s’abaisse dans l’autre, et vice-versa ; mais en politique, je ne connais pas ce principe. Donc, ma relation avec les Etats-Unis devrait s’améliorer et, en même temps, ma relation avec l’Iran devrait se dégrader !?! Donc, quid de la relation entre la Syrie et la Turquie ? Nous n’avons pas un tel principe, il n’existe pas de loi telle celle-là ou de principe tel celui-là en matière de politique.

Vous pouvez améliorer vos relations avec dix pays à la fois, parallèlement. C’est un principe fondamental, en politique, vous devez améliorer vos relations avec tous les pays, et vous ne devez pas permettre qu’elles se dégradent avec un quelconque pays, en particulier dans une région où nous avons besoin d’un pays puissant comme l’Iran. L’Iran est un grand pays, un pays important, sur le plan géopolitique ; personne ne peut négliger l’Iran, que cela vous plaise ou non ; c’est le premier point. Le deuxième point, c’et la méthodologie de la réflexion politique américaine. Ils ont posé cette question à de nombreux responsables, et ils me l’ont posée. Je leur ai répondu : parlez-moi de votre méthodologie ? Nous n’avons pas de dossier, en Syrie, qui s’appellerait le dossier syro-iranien, donc, fermez ce dossier, ou mettez-le dans le placard ou oubliez-le. Nous avons des dossiers sur des problématiques, pas sur des pays ; nous avons le dossier de la paix, et nous avons le dossier de l’extrémisme. Si nous voulons parler de mes relations avec un pays quel qu’il soit, y compris les Etats-Unis, notre conversation doit être autour de ces dossiers.

Quelle est votre position sur le processus de paix ? Me soutenez-vous, ou êtes-vous contre moi ? Quelle est votre position concernant ma politique irakienne, concernant l’unité de l’Irak, concernant la laïcité en Irak ? Si vous êtes contre moi, je serai contre vous. Ainsi, je puis avoir une bonne relation avec vous sur un point, pour une cause donnée, sur un problème, et ne pas avoir une bonne relation avec vous sur une autre question. Voilà, c’est ainsi que nous, les Syriens, nous voyons les choses. Donc, si vous voulez parler de l’Iran dans le cadre d’un dossier concernant la question nucléaire, je ne m’engagerai pas dans une telle discussion. Par conséquent, que j’ai de bonnes ou de mauvaises relations avec l’Iran, c’est le dossier nucléaire de l’Iran, et ils continueront à y travailler en fonction de leur intérêt national. La Syrie n’a rien à voir avec ça, par conséquent, vous ne pouvez rien faire. Je parle du Liban : j’ai un intérêt au Liban, parce que le Liban est mon voisin. Quelle est votre politique, au Liban ? Allez-vous soutenir ma relation avec le Liban, allez-vous soutenir l’unité du Liban, ou allez-vous soutenir le sectarisme, au Liban ? Voilà, les questions se posent en ces termes.

Donc, tout dépend de la manière dont tel ou tel pays va traiter avec moi sur tel ou tel dossier. Ainsi, vous ne pouvez pas parler de l’Iran comme l’Iran le fait, parce que vous avez des problèmes différents et parce que pour chacun de ces problèmes, nous avons des points de vue différents, qui peuvent être très proches, totalement opposés, ou divergents. C’est la manière dont nous envisageons les choses, vous devez donc me parler de la même manière, selon le même algorithme que vous le faites aux Etats-Unis, si vous voulez me comprendre et si vous voulez que je vous comprenne. Parlez-moi de l’Iran, au sujet de chacun des dossiers, parce qu’ils en parlent, et je leur ai dit cela parce que lorsque j’ai commencé les négociations, en Turquie, les Iraniens, bien qu’ils parlaient d’Ahmadinejad, et d’éliminer Israël de la carte, en réalité, publiquement, et à deux reprises, ils ont publié des déclarations soutenant la Syrie ; cela signifie que l’Iran soutient en réalité la paix. Il en va de même lorsque nous parlons du Hezbollah et du Hamas ; c’est notre manière de penser. Ils ne m’ont pas parlé des relations entre la Syrie et l’Iran au sujet de chacun des dossiers que nous avons examinés.

The Wall Street Journal : Certes, mais le principe dont vous venez de parlez vaut, de manière général, dans une autre situation, comme celle du Hezbollah, dans lequel l’Iran a des intérêts, et qu’il continue à soutenir. Mais les Etats-Unis sont opposés à cela, et la Syrie se retrouve coincée entre les deux ?

Bachar el-Assad : Tout d’abord, je veux dire que beaucoup de pays soutiennent le Hezbollah, secrètement ou publiquement ; il ne s’agit pas seulement de l’Iran. Ensuite, la question du Hezbollah est liée à celle de la paix ; l’approche que vous indiquez n’est pas appropriée, la question n’est pas celle de l’Iran. Si vous voulez traiter avec le Hezbollah et avec le Hamas, et même avec la Syrie, comme je vous l’ai déjà dit, si vous voulez traiter de la question de la paix, si et lorsqu’il y aura une paix, qu’adviendra-t-il de ces deux partis ? C’est ainsi que vous présentez la question. Vous ne pouvez pas parler seulement de vos relations avec l’Iran en tant qu’abstraction, ou de manière abstraite, cela n’est pas réaliste. C’est pourquoi je vous ai dit : eh bien, dites-moi donc ce qu’est l’Iran. Que signifie ce mot : Iran ? L’Iran est mauvais ? Très bien. Israël, aussi, est mauvais : comment, par conséquent, allez-vous faire la paix avec ce pays. Si Israël et puisqu’Israël est mauvais, je ne vais pas rencontrer ce pays : telle est la logique dont vous usez. Si je veux faire la paix avec Israël et que je n’aime pas les Etats-Unis, je vais mettre la condition suivante : si je veux faire la paix avec vous, alors vous n’aurez plus de bonnes relations avec les Etats-Unis ? Est-ce logique ? Non, c’est totaleement illogique. Aussi, s’ils n’aiment pas l’Iran, cela ne signifie pas que vous ne deviez pas traiter avec ce pays.

The Wall Street Journal : Mais en ce qui concerne la question de savoir si à tort ou à raison la Syrie n’est plus un soutien idéologique du Hezbollah, la perception est encore, là encore à tort ou à rison, que la Syrie soutient le Hezbollah militairement, et que cela crée une situation très dangereuse dans laquelle un conflit à plus grande échelle amènerait la Syrie à y prendre part ?

Bachar el-Assad : En réalité, ils veulent que la Syrie fasse la police. Je leur ai dit pourquoi serions-nous les gendarmes ? Pourquoi voudriez-vous que je fasse la police d’Israël alors qu’Israël n’esquisse pas le moindre pas vers la paix ? Nous ne serons pas les gendarmes d’Israël, permettez-moi de le dire bien clairement et franchement. Nous n’avons pas à être ses complices, parce que si vous n’êtes pas effectivement de la police, dans cette région, tout le monde…

The Wall Street Journal : … parce que vous serez perçu comme un contrebandier, tout ce qui entre au Liban étant considéré comme de la contrebande ?

Bachar el-Assad : Même en situation normale, je ne suis pas en mesure de contrôler ma frontière avec l’Irak, par exemple. Je suis confronté à une contrebande d’armes à partir de l’Irak ; c’est une situation normale, dans notre région : tant qu’il n’y existera pas de stabilité, vous constaterez ce genre de choses. La contrebande est quelque chose de normal, que personne ne peut contrôler ; même si vous déployez une armée sur la frontière, vous ne pourrez pas la contrôler. Donc, là encore, traitons de la question principale, le processus de paix, c’est là où nous pouvons résoudre toutes les questions d’un coup ; vous n’avez pas à traiter du moindre petit détail, c’est en cela que nous pouvons résoudre tout le conflit en bloc ; vous n’avez pas à résoudre séparément tous les petis problèmes, si bien que la situation devient comme du mercure : vous n’arriverez jamais à l’attraper.

The Wall Street Journal : Puis-je vous poser une question plus générale ? Je sais que le grand problème, dans la région, depuis l’Iran jusqu’à la Syrie et à Israël, c’est l’instauration d’une région sans armes de destruction massive, une région dénucléarisée. D’un côté, je sais que la Syrie et d’autres pays ont été très intéressés à pousser Israël à signer le traité de non-prolifération sous les auspices internationaux et que cela ne s’est pas produit. Mais en même temps, il existe un conflit larvé avec l’AIEA autour d’allégations selon lesquelles la Syrie aurait ce genre de technologies nucléaires menées cladestinement. Pouvez-vous nous parler de ces allégations et de la manière dont il serait possible d’obtenir un Moyen-Orient dénucléarisé et régler votre conflit avec l’AIEA, y a-t-il un moyen d’obtenir une résolution au sujet de ces accusations ?

Bachar el-Assad : En 2002 et 2003, nous avons été membre du Conseil de Sécurité de l’Onu, et il y a eu, durant ce mandat, un projet de loi syrien visant à libérer le Moyen-Orient des armes de destruction massive et, bien entendu, qui s’y est opposé ? C’est l’administration Bush, car cette résolution incluait Israël, elle existe d’ailleurs encore, etje pense qu’on lui a donné la forme d’un ‘bleu’, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été rendue effective. C’est notre point de vue : le Moyen-Orient est une région de conflits depuis des siècles, et non pas seulement depuis quelques décennies. En ce qui concerne l’AIEA, Israël a attaqué un site, en Syrie, et nous avons dit qu’il s’agissait d’un site militaire. Bien entendu, au début, ils n’ont pas dit qu’il s’agissait d’un site nucléaire. Non ; ils ont attendu huit mois, puis, après que nous ayons reconstruit ce site, ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un site nucléaire. On devrait sanctionner les Etats-Unis et Israël, mais en particulier, les Etats-Unis : pourquoi avez-vous attendu huit mois avant d’affirmer qu’il s’agissait d’un site nucléaire ? C’est le premier point. Le second point, c’est ce qui s’est passé avec l’AIEA. Ils nous ont demandé la permission d’envoyer des experts chez nous ; étant particulièrement confiants, nous avons dit que ces experts pouvaient venir chez nous. Ils sont venus en Syrie, ils ont prélevé quelques échantillons, puis ils sont allés à Vienne, je pense, puis ils ont dit qu’ils avaient découvert des particules radioactives. Vous savez, si vous disposez d’une centrale nucléaire, vous ne permettez à qui que ce soit au monde de venir la voir, si vous voulez la maintenir secrète. Voilà, déjà, pour commencer…

Ensuite, ils ont dit qu’Israël aurait attaqué un site nucléaire en construction, avant même que celui-ci ait commencé à fonctionner. Si ce centre était en construction et si c’était avant qu’il ait commencé à fonctionner, comment auriez-vous pu trouver ces particules radioactives ? D’où seraient-elles venues ? En effet, vous n’amenez pas de matières fissiles sur un site nucléaire avant que celui-ci soit en état de fonctionner, avant qu’il soit fini de construire, n’est-ce pas ? Voilà pour le deuxième point. Il y en a un troisième : comment peuvent-ils détruire un site sans enregistrer de pertes, sans avoir de plan, alors même que celui-ci est considéré nucléaire ? Et les radiations ? Tout le monde peut aller sur ce site aujourd’hui, il est ouvert et vous pouvez le traverser. Donc, il est clair pour tout le monde qu’il ne s’agit pas d’un ancien site nucléaire. Mais la question est celle-ci : pourquoi ont-ils attendu huit mois ? Parce que dès lors qu’ils ont attendu huit mois et que nous avons reconstruit ce site, il est facile, pour eux, d’affirmer qu’il était bel et bien nucléaire, comprenez-vous ?

The Wall Street Journal : Oui…

Bachar el-Assad : Parce que s’ils pensaient que ce site était un site nucléaire, ils auraient dû procéder à cette inspection sans attaquer le site. S’ils veulent créer un problème à la Syrie, ils auraient pu dire à l’AIEA : regardez, nous avons des images satellite, allez en Syrie, et vous pourrez la coincer. Qu’aurions-nous pu faire : nous avons un site, nous allons donc leur permettre de le voir, tel qu’il est. C’est pourquoi ils ont d’abord détruit ce site, ils ont attendu que la Syrie le reconstruise, après quoi ils ont prétendu que c’était un site nucléaire. Attendez : « était ». Comment pouvez-vous prouver ce qu’un site « était » ? Mais telle est la question compliquée et tordue qu’ils ont réussi à créer, et comment apporter des preuves ? C’est ainsi : dès lors que vous n’êtes pas en mesure de prouver que ce site était nucléaire, c’est donc qu’il l’était !

The Wall Street Journal : Alors que, catégoriquement, il ne l’était pas ?

Bachar el-Assad : Catégoriquement, ça n’était pas un site nucléaire. Les événements l’ont d’ailleurs prouvé, car si vous l’attaquez, comment était-il, avant, où sont les matériaux ? Nous n’en avons pas, les experts s’y sont rendus, et vous avez une vie normale, dans les parages ; comment pourriez-vous avoir des radiations, après l’attaque, et ne pas avoir mis en œuvre le moindre plan d’urgence ? Ils ont des satellites, ils ont des images jour après jour : ils s’en seraient rendu compte. La seule chose que nous ayons faite, c’est que nous avons collecté les débris, nous les avons emmenés ailleurs, et nous avons reconstruit le site. Nous n’avons pas nettoyé (vous ne pourriez le faire, même si vous le vouliez) les radiations : celles-ci seraient restées décelables durant des siècles, pour ainsi dire à jamais. Donc, c’est totalement irréaliste, et ils le savent. Il y a une autre question, qui est celle d’un petit réacteur expérimental, bien entendu sous la supervision de l’AIEA ; ils viennent de temps à autre en Syrie pour l’inspecter. Ils l’ont fait, cette fois encore, et ils ont dit avoir découvert des matériaux illégaux, disent-ils, et nous sommes toujours en train de discuter de ce sujet avec eux, parce que nous avons une usine de phosphates, et nous avons du yellow cake dans ses effluents, sur lequel nos scientifiques font des expériences, et ce qui est drôle, c’est que ces expériences ont fait l’objet de publications dans les revues scientifiques ; ces expériences n’ont donc rien de secret, et eux, ils affirment que c’est une infraction ! S’ils veulent, mais cela est public, ça a été publié dans une revue scientifique, ça n’a rien de secret. Donc, il y a eu ce genre de conflit, et ils veulent trouver un lien entre le premier site et ce deuxième site, mais celui-ci n’a rien à voir avec le premier.

The Wall Street Journal : Pensez-vous que ce problème avec l’AIEA puisse être résolu ?

Bachar el-Assad : Oui, je pense. Nous sommes en train de discuter avec eux, actuellement. De fait, la plupart des problèmes sont d’ordre technique et juridique.

The Wall Street Journal : Autoriserez-vous autant d’inspections que cela sera nécessaire, quoi que veuille l’AIEA, ou bien êtes-vous encore en train de négocier avec elle ?

Bachar el-Assad : Non, de fait, il y a une coopération entre la Syrie et l’AIEA au sujet des questions normales, comme ce réacteur expérimental et les sous-produits de yellow cake ; nous ne discutons pas de cela tous les six mois, ni même tous les ans, nous avons des règles. Mais cette fois-ci, ils ont demandé à la Syrie de signer un protocole additionnel selon lequel ses inspecteurs peuvent venir en Syrie à tout moment. Non, nous n’allons pas signer ce protocole.

The Wall Street Journal : Ils veulent venir à tout instant, et… partout ?

Bachar el-Assad : De toutes les manières, nous ne signerons pas. Nous pouvons seulement respecter le traité de non-prolifération dont nous sommes signataires, et cela ne nous pose aucun problème. Personne n’accepterait de signer ce protocole additionnel ; c’est contraire à notre souveraineté : sous le prétexte de pouvoir venir à tout instant faire des inspections sous le prétexte de la vérification d’activités nucléaires, vous pouvez ‘inspecter’ absolument ce que vous voulez. Nous avons beaucoup de secrets, comme tout autre pays, et aucun pays ne les autoriserait à faire cela…

The Wall Street Journal : Vous redoutez que ces inspections soient détournées ?

Bachar el-Assad : C’est une évidence, elles serviraient à tout autre chose…

The Wall Street Journal : Je souhaiterais simplement savoir quelque chose sur un point, depuis le tout début, car vous avez dit que les changements, dans la région, ont commencé avec la Révolution islamique de 1979 en Iran, puis, en même temps, vous saviez simplement que ce qui se passe depuis quelques semaines suggérait qu’il y avait une nouvelle ère qui s’ouvrait dans le monde arabe lui-même. Je voudrais simplement confirmer que vous considérez qu’il y a une nouvelle ère en train d’émerger dont personne n’entrevoit exactement ce qu’elle sera au juste, mais que c’est simplement votre impression, à savoir que nous sommes en quelque sorte dans une ère nouvelle avec des gens qui auront plus leur mot à dire et des Etats-Unis et d’autres pays qui considèrent que dans ces pays, comme, vous savez, l’Egypte, la Jordanie, ils seraient à même de faire passer leur politique. Cette ère est en quelque sorte en train de parvenir à un terme. Comment voyez-vous cela ?

Bachar el-Assad : Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une fin, parce qu’en réalité, je n’obéis pas aux Etats-Unis, mais j’aimerais avoir de bonnes relations avec eux, j’aimerais dialoguer, et le dialogue signifie l’interaction ; le dialogue ne signifie pas dire non-non-non. Je ne veux pas être influencé par vous (les Etats-Unis, ndt). Nous devons nous influencer réciproquement. Donc, soyons modérés et réalistes. Non, je ne pense pas que tout le monde doive couper ses relations avec qui que ce soit, ni avec cette grande puissance, mais je pense que deux choses, une positive et une négative, sont en jeu. La chose positive : s’agira-t-il d’une nouvelle ère où nous irons vers davantage de chaos, ou vers davantage d’institutionnalisation ? Telle est la question posée. C’est la raison pour laquelle j’ai dit qu’au début, tout est encore nébuleux ; nous ne pouvons comprendre les raisons avant d’avoir vu la fin, et cette fin n’est pas encore claire.

The Wall Street Journal : Et cette situation comporte-elle une leçon pour la Syrie, vous semblez vouloir en retirer une ?

Bachar el-Assad : Elle comporte une leçon pour tout le monde ; bien entendu, vous ne pouvez prétendre que vous ne recevez pas de leçon…

The Wall Street Journal : Et cette leçon, c’est d’aller plus vite, ou au contraire de ralentir ?

Bachar el-Assad : La bonne chose, pour la Syrie, c’est ces choses nombreuses que j’ai évoquées en tant qu’analyses, en tant que bonnes choses que nous pouvons adopter, mais à quel point pouvez-vous être éloigné de votre peuple, telle est la question, qu’il s’agisse des considérations internes ou des considérations externes. J’ai des relations avec de nombreux officiels des Etats-Unis, que je reçois ici en Syrie, et nous parlons de coopération, mais ils ne me font pas de reproches, car ils savent que je ne suis pas leur marionnette.

The Wall Street Journal : Ainsi, vous pensez que dans le court terme, vous n’avez pas réellement à changer, parce que vous êtes sous le contrôle de votre peuple. Mais, à plus long terme, la question serait la construction d’institutions, une construction en quelque sorte plus lente, et non pas plus rapide ?

Bachar el-Assad : Exactement, parce que mêm si vous voulez parler de la démocratie et de la participation, cela doit se réaliser à travers des institutions. C’est ainsi qu’il faut généraliser cette participation via des institutions améliorées et rendues plus performantes.

The Wall Street Journal : Mais, à n’en pas douter, beaucoup de gens vous diraient que non, la leçon doit être une réforme politique beaucoup plus rapide, une représentation du peuple beaucoup plus rapide, et une amélioration beaucoup plus rapide des droits de l’homme, non ?

Bachar el-Assad : Eh bien non ; je ne pense pas que la question soit une question de temps opportun, la question, c’est celle de l’espoir. En effet, si je dis que d’ici cinq ou dix ans, nous serons peut-être en mesure de faire cela, si la situation s’améliore, il faut savoir que les gens sont patients, dans notre région. Le problème étant que si vous leur dites « je ne vois aucune lumière au bout du tunnel », là, ça sera un problème. Donc, la question n’est pas d’être plus rapide ou plus lent. Je pense qu’être plus rapide pourrait être bon, mais cela peut être mauvais ; aller plus vite, cela peut signifier avoir davantage d’effets secondaires, et aller plus lentement pourrait être mauvais, mais nous pourrions aussi avoir moins d’effets pervers. Donc, chaque attitude a des avantages et des inconvénients. Nous devons être réalistes : les deux démarches ont du bon.

The Wall Street Journal : Avez-vous le sentiment d’aller dans la bonne direction ?

Bachar el-Assad : Vous devez bouger. C’est pourquoi je vous ai dit que tant que vous avez un cours d’eau, vous n’avez pas de stagnation et vous n’avez pas d’eau croupissante. Quant au flux, rapide ou lent : chacun a ses avantages. C’est ainsi que nous devons envisager la situation, plutôt que nous focaliser sur la rapidité du flot. La question n’est pas de savoir à quelle vitesse cette eau s’écoule, mais bien, plutôt, si elle s’écoule ou non.

The Wall Street Journal : Mettez-vous la question des droits de l’homme parmi ces institutions nécessaires ?

Bachar el-Assad : Oui, bien sûr. Les droits de l’homme en font partie, mais, en fin de compte, les droits de l’homme ont trait à la manière dont… quand je parle de société arabe, la question est de savoir de quelle manière chaque société comprend la question des droits de l’homme en fonction de ses propres traditions, car nous sommes en train de parler d’une région idéologique, nous parlons de milliers d’années de traditions ; vous ne pouvez rien faire, ici, en fonction de la charte des Nations unies, tout ce que vous pouvez faire doit être relatif à la charge de notre propre culture. C’est pourquoi l’on a besoin de ce débat : les droits de l’homme ne sont pas quelque chose que vous apportez de l’extérieur. Nous avons besoin d’un dialogue national, et vous, vous avez besoin de comprendre que dans notre région du monde, nous avons – je ne parlerai pas de polarisation – une diversité incroyable. Parfois, vous avez deux cultures qui coexistent dans un même pays. Donc, il ne s’agit pas d’une culture, mais d’une multitude de cultures.

The Wall Street Journal : Dans ce dialogue national, quels sont les trois choses qui vous semblent les plus importantes : qu’est-ce qui est en train de bouger, en Syrie ?

Bachar el-Assad : Cela dépend de vos priorités. Disons que les priorités doivent être fondées sur deux facteurs : le premier, c’est quelles sont les questions sur lesquelles vous pouvez évoluer plus rapidement, et le second, c’est quelle est la question la plus urgente ? Qu’est-ce qui est le plus urgent, pour le peuple ? Quand je suis devenu président, c’était l’économie, parce que où que vous alliez, en Syrie, vous aviez de la pauvreté. Or, la situation ne cesse d’empirer jour après jour, nous avons traversé cinq années de sécheresse, c’est la cinquième année où nous subissons un déficit de la pluviométrie. Nous aurons donc moins de blé ; habituellement, nous exportions du blé et du coton chaque année, mais cette année, nous avons des problèmes. Nous allons avoir de l’immigration (interne). Cette année, trois millions de Syriens, sur les vingt-deux millions que nous sommes, seront affectés par la sécheresse. C’est donc notre priorité immédiate.

The Wall Street Journal : Précisément, parce que l’économie pourrait être réformée plus rapidement ?...

Bachar el-Assad : Mais après le 11 septembre, qui s’est produit un an après mon accession au pouvoir, puis au début de 2002, il y a eu l’invasion de l’Afghanistan, puis celle de l’Irak, puis le chaos généralisé qui a été créé et l’extrémisme causé par cette politique erronée, mas première priorité est devenue la stabilité, avant même l’alimentation. Donc, vous changez de priorié en fonction des circonstances. Ainsi, la sécurité est devenue la priorité numéro un ; comment pouvez-vous stabiliser votre pays, comment pouvez-vous prémunir votre société de l’extrémisme, comment vous pouvez combattre le terrorisme, sachant que vous avez des cellules dormantes, partout, dans cette région. Ensuite, l’économie est la deuxième urgence. En troisième lieu, nous pouvons mettre tout le reste. Ainsi, la réforme politique est importante, mais elle n’est pas aussi importante ni si urgente que le fait d’avoir des concitoyens qui se réveillent tous les matins et qui veulent avoir à manger, préserver leur santé et pouvoir envoyer leurs enfants dans de bonnes écoles. C’est ça, ce que veulent les Syriens. Je veux me sentir en sécurité dans mon propre pays ; c’est mon objectif.

The Wall Street Journal : Vous avez une situation raisonnablement stable, surtout pour le Moyen-Orient, votre programme économique va de l’avant. Par conséquent, les questions de la réforme politique et des droits de l’homme vont-elles venir bientôt au premier plan ?

Bachar el-Assad : Certes, nous allons de l’avant, nous l’avons fait par le passé, déjà. Mais je suis en train de parler ici de priorités ; cela ne signifie nullement que je les traite toutes sur le même plan, mais que j’insiste sur celles qui doivent être traitées dans l’immédiat et celles sur lesquelles nous devons nous focaliser. Par exemple, la réforme de l’administration locale est très importante, sur le plan juridique. Nous en faisons une priorité parce que c’est l’échelon où les citoyens peuvent élire leurs édiles ; nous pouvons d’ores et déjà élire nos conseils municipaux, mais nous avons voulu réformer cette loi et la rendre plus démocratique et plus efficiente, parce que les citoyens, partout dans le pays, ont affaire au premier chef avec leurs élus municipaux. C’est donc la réforme administrative la plus urgente. De fait, nous l’avons ajournée en raison du conflit. Nous avons pris cette décision en 2005 lors d’un congrès de notre parti. A l’époque, le conflit déclenché par la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et d’autres visaient à déstabiliser la Syrie. Nous avons dit : OK, oublions cette réforme, nous avons une nouvelle situation. Aujourd’hui, nous sommes très sérieusement en train de la mener à bien. La seconde réforme porte sur la société civile ; nous devons l’améliorer. Nous sommes en train de finaliser la loi y ayant trait. Nous en débattons depuis deux ans. Pourquoi ? Parce que nous voulons que tout le monde, en Occident et en Orient, voit quel est le meilleur modèle que nous puissions utiliser, et après l’avoir finalisé, beaucoup de personnes de la société civile ont fait part de leurs commentaires et ont dit que nous devions encore l’amender. C’est ce que nous sommes en train de faire.

The Wall Street Journal : Ce sont les deux choses que vous ferez sans doute avant la fin de cette année ?

Bachar el-Assad : Pas cette année. Je ne sais pas si nous pourrons venir à bout de la réforme de l’administration locale cette année, puisque, par exemple, nous avons eu besoin de cinq années pour modifier le code du travail, en raison de la puissance des syndicats, chez nous, en Syrie. Ils se sont opposés à la réforme, comme les employeurs d’ailleurs, et il nous a fallu cinq années pour finaliser cette loi, l’année dernière. Cela n’a pas été facile : la loi a été soumise au Parlement, et il y a eu beaucoup de débats. En ce qui concerne l’administration locale, cela pourrait être prêt à la fin de l’année. La loi sur la société civile aurait dû être finalisée l’an dernier, mais nous avons voulu avoir davantage de délibérations avec différents secteurs de la société, et nous avons donc pensé plus sage d’ajourner la finalisation de cette loi à l’année prochaine.

The Wall Street Journal : Fondamentalement, cette loi autorise la constitution d’ONG ?

Bachar el-Assad : Nous avons moins de 2 000 ONG en Syrie, mais nous voulons rendre la loi plus efficiente afin d’avoir plus d’ONG, grâce à une diminution de la bureaucratie.

The Wall Street Journal : Vous avez repoussé cette loi d’une année, c’était donc de 2010 en 2011 ?

Bachar el-Assad : Oui, de fait, cela doit être finalisé, en théorie, en décembre de cette année. Par conséquent, lorsque je dis l’année prochaine, cela signifie de fait dans un mois au deux.

The Wall Street Journal : Ah, d’accord. Donc, l’année pour ce faire, c’est cette année même ?

Bachar el-Assad : En fait, cela était supposé se conclure l’an dernier, donc nous pourrons sans doute avoir terminé le mois prochain. Nous sommes au début du mois de février. Parfois, ça n’est pas une question de temps, parce que beaucoup de personnes veulent participer, et c’est bien. Parfois les gens nous demandent de surseoir et ils nous expliquent qu’ils nous soutiendront d’autant plus qu’il y aura un nombre important de participants au débat. Si vous menez des travaux avec une moindre participation, ils attaqueront la loi. Il est donc préférable d’avoir un consensus, c’est très important pour la stabilité. C’est un de nos principes parmi les plus importants : plus vous avez de consensus sur un maximum de questions, plus vous pouvez aller de l’avant en douceur et dans la stabilité, cela signifie que vous serez plus alourdi et donc moins rapide, mais plus stable. C’est notre façon de voir la situation.

The Wall Street Journal : Y a-t-il du changement en ce qui concerne les médias ? Je sais que vous avez parlé de cela.

Bachar el-Assad : Nous parlons aujourd’hui d’une nouvelle manière de considérer les médias et, bien entendu, nous avons supprimé certaines sanctions car parfois nous faisons de grandes choses et parfois nous faisons du racommodage dans l’attente de la nouvelle configuration. Donc, nous ne voulons pas nous arrêter en chemin ; nous sommes très dynamiques, en Syrie. Nous faisons de petits progrès, mais quand nous avons une vision claire, nous faisons les choses en grand, et nous adoptions des lois fondamentales susceptibles de changer les choses de manière drastique. Mais parfois, nous ne disposons pas de la vision nécessaire sur un problème donné, comme la différence entre les médias et un site ouèbe, ou sur les nouveaux sites. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la décision de repousser l’adoption de la loi sur les publications. Nous n’avons pas encore assez bien délimité ce qui relevait de l’information ou de la publication commerciale, etc.

The Wall Street Journal : Et votre plan quinquennal est particulièrement ambitieux. Pensez-vous être en mesure de réaliser cette croissance, en dépit des sanctions et de tout : 6 ou 7 % annuellement ?

Bachar el-Assad : Notre croissance est de 5 %. Mais ça n’est pas une question de chiffre, parce que nous avons déjà essayé cette piste purement économique ; nous avons des résultats excellents, en particulier pour un pays comme la Syrie, mais la question est celle de savoir comment faire que toute la population profite de cette croissance. Ce n’est pas le cas. Nous sommes en train d’améliorer notre administration, mais elle n’est pas aussi performante qu’elle devrait l’être pour que tout le monde bénéficie de la croissance enregistrée par notre pays.

The Wall Street Journal : Fondamentalement, il faut que vous créiez des emplois ?

Bachar el-Assad : Oui, exactement, parce qu’encore aujourd’hui, nous en sommes au tout début, nous avons peu de gens qui atteignent ces résultats, et c’est normal, pour un commencement. Nous parlons ici de millions de personnes, mais nous avons quelques centaines de personnes seulement qui bénéficient de la croissance beaucoup plus que les autres. Par le passé, cette inégalité était moindre, de très loin. Nous devons donc associer tout le monde à la croissance ; tel est le défi. Et vous ne pouvez pas généraliser cette participation si vous ne développez pas les performances de l’administration. Mais nous devons tenir compte du fait que soixante pourcents de notre population sont des paysans, si bien que soixante pourcents de notre économie dépendent de l’eau. Donc, quand vous avez moins d’eau, vous avez moins de croissance. Comme vous le savez sans doute, j’étais médecin, et je me souviens qu’en 1992, un de mes amis qui avait obtenu son doctorat en médecine était allé s’établir dans une région agricole. Il était venu me rendre visite et je lui avais demandé comment allait son travail de médecin. Mon ami m’avait répondu que cela allait mal parce qu’il n’avait pas assez plu. Je lui ai demandé comment cela se faisait, il était médecin, après tout ? Il m’avait dit : « Parce qu’il n’a pas plu, beaucoup de gens ont remis à plus tard même les opérations chirurgicales qu’ils devaient subir ». Ainsi, vous comprenez à quel point l’eau peut influencer tous les aspects de notre économie. Par conséquent, quatre années successives de grande sécheresse ont eu des conséquences dramatiques pour notre économie. Difficile, pour moi, de dire que j’ai un plan très clairement défini pour chaque domaine. Comme vous le voyez, il y a beaucoup de facteurs complexes dont nous devons tenir compte.

The Wall Street Journal : Diriez-vous qu’aujourd’hui votre principal partenaire économique est la Turquie ? Je veux dire : il semble bien que la Turquie représente un pays modèle en matière d’investissement ?

Bachar el-Assad : C’est tout à fait vrai ; la Turquie est notre modèle, car nous avons le même type de composition sociale et nous avons des traditions similaires. C’est un modèle parmi d’autres, parce qu’en fin de compte, vous n’avez aucun modèle à prendre en totalité, vous prenez seulement certains aspects. En fin de compte, l’Occident soutenait la Turquie. Et maintenant, l’Occident est contre la Turquie. Les Turcs ont plus de technologie que nous, nous n’avons pratiquement pas de technologie, nous ne parlons pas seulement de réforme, nous avons aussi besoin de technologie. Il n’y a pas de réforme sans de hautes qualifications. Nos universités ont été soumises à embargo, par conséquent, comment pourrais-je avoir les meilleures ressources humaines ? Les Turcs ont des ressources humaines bien supérieures aux nôtres. A la fin, vous devez envisager l’ensemble des événements, l’ensemble du contexte. Nous ne pouvons nous en tenir ce que sont aujourd’hui la Turquie et la Syrie.

The Wall Street Journal : La technologie, est-ce ce qui est le pire, dans les sanctions imposées par les Etats-Unis ?

Bachar el-Assad : Non, il y a pire encore que l’embargo sur la technologie. Un de mes amis, qui a travaillé douze ans aux Etats-Unis, possède un laboratoire médical, et il ne peut pas importer des matériaux de base pour ce laboratoire. Cela influence la vie des gens, si vous ne disposez pas du calibreur approprié pour vos analyses biologiques, par exemple ? Cela signifie que vous donnez aux gens des résultats médicaux erronés. Vous diagnostiquez un cancer chez quelqu’un, alors qu’il n’a pas de cancer. Qu’est-ce que les Syriens ont donc fait aux Etats-Unis pour mériter cela ? En ce qui concerne les avions, quel est le rapport entre la politique et le fait que des gens meurent à cause de crash d’avions dus à un manque de pièces de rechange ? Mais d’un autre côté, nous sommes le pays qui connaît la plus forte croissance dans l’utilisation de l’Internet au Moyen-Orient. Et cela est dû au caractère des Syriens ; ils sont généralement très ouverts sur la société, ils veulent apprendre, et ils réussissent. Nous avons des expatriés dans le monde entier, nous sommes en contact avec le reste du monde depuis au moins un siècle et demi, ce qui est plus que tous les autres pays du Moyen-Orient, nous avons en proportion plus d’expatriés que tous les autres pays de cette région du monde.

Il y cinq millions de réfugiés palestiniens. L’estimation la plus faible dont nous disposions du nombre des expatriés syriens, c’est dix millions, soit le double, et certains spécialistes disent que nous avons en réalité dix-huit millions d’expatriés dans le monde entier. Vous pouvez comprendre, sachant cela, quelle est la diversité des cultures dans notre société, elle est liée aussi à la diversité de nos contacts avec le monde entier. Donc nous ne pouvons pas dire que cet embargo aurait tué notre société, certes non. Non, il affecte certains secteurs, principalement du point de vue humanitaire. Je veux dire, en fin de compte, vous pouvez obtenir les matériels nécessaires au marché noir, mon ami, qui achetait ses matériels aux Etats-Unis, se fournit depuis lors en France, par exemple. Récemment, nous avons acheté deux avions, mais pas des gros porteurs, à la France, car nous ne pouvions pas les obtenir des Etats-Unis. Donc, les gens se rapprochent de l’Europe. Aujourd’hui, vous pouvez acheter à la Chine, ou à l’Inde, nous avons évolué désormais dans cette direction, nous nous tournons vers l’Orient. Nous avions l’habitude de regarder vers l’Occident, et maintenant nous regardons de plus en plus vers l’Orient. C’est très important. Nous ne sommes pas les seuls à le faire, c’est aussi le cas de pays qui ont de bonnes relations avec les Etats-Unis. Même leurs alliés ne sont plus assurés que les Etats-Unis pourront les aider un jour ; ils veulent diversifier leurs ressources, leurs relations, leurs intérêts, bref : tout. Ils veulent avoir de bonnes relations, en particulier avec la Chine et avec l’Inde.

The Wall Street Journal : Merci beaucoup, M. le Président.

Traduction
Marcel Charbonnier
Source
Wall Street Journal (États-Unis)