La France et l’évolution de la situation politique dans le monde arabe

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la France et l’évolution de la situation politique dans le monde arabe.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir ou jamais !, de M. Frédéric Taddéï.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été mis à la vue de tous.

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. L’exercice des questions cribles est un peu difficile sur un sujet aussi délicat, au cœur de l’actualité.

Monsieur le ministre d’État, notre politique dans les pays arabes dépend, en grande partie, de la qualité de nos personnels.

Une des proches collaboratrices d’Hillary Clinton, avec qui je me suis entretenue voilà quelques semaines, m’a indiqué qu’il fallait revoir le recrutement et l’implication du personnel de nos ambassades à l’aune des événements actuels.

De très nombreux postes sont pourvus par des personnes qui ne parlent pas la langue du pays. C’est notamment le cas des attachés culturels et des personnels qui travaillent dans le domaine de la coopération. Nous avons là de grands progrès à faire.

Ainsi, un attaché de presse qui était en poste récemment dans une ambassade des pays du Golfe ne parlait ni arabe ni anglais, ce qui lui interdisait tout contact avec les populations locales. Et je pourrais citer bien d’autres exemples.

Monsieur le ministre d’État, quelles mesures envisagez-vous pour corriger ces erreurs de « casting » dans notre politique étrangère, erreurs dont notre pays n’a pas les moyens ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame le sénateur, je ne suis pas absolument sûr que les capacités linguistiques de nos collègues diplomates américains soient aussi développées qu’on veut bien le dire, même s’ils ont l’avantage de parler naturellement l’anglais, ce qui, reconnaissons-le, facilite leur travail.

Je peux vous assurer que, dans notre politique de recrutement, nous nous efforçons, dans la mesure du possible, d’adapter le plus possible les profils aux postes.

Je souhaite vous rendre attentif au fait que le taux de rotation au sein du ministère des affaires étrangères est l’un des plus élevés, rapporté tant à l’administration qu’à la société française tout entière, puisque un tiers des agents titulaires et assimilés de mon ministère change chaque année d’affectation.

Cela étant, nous nous efforçons, je le répète, d’adapter le profil au poste. Nous tenons en particulier compte du critère linguistique. La majorité des personnels titulaires du ministère des affaires étrangères et qui sont en fonction dans le Golfe sont arabisants. Il en est ainsi, en Arabie Saoudite, de l’ambassadeur, du numéro deux, du conseiller de coopération d’action culturelle, du chef du service commun de gestion, du consul général à Djeddah et de son adjoint. Il en est de même, au Koweït, de notre ambassadrice, ancienne interprète de la présidence de la République, que j’ai eu l’occasion de bien connaître lors de l’exercice de mon premier ministère au Quai d’Orsay, voilà maintenant quinze ans, ainsi que du conseiller culturel et de son adjointe. Et c’est également le cas, au Qatar, de l’ambassadeur, du numéro deux et du numéro trois, ainsi que du conseiller culturel. Comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup d’arabisants au Quai d’Orsay, et nous nous efforçons d’améliorer encore la situation.

Je ferai deux observations complémentaires. En premier lieu, nous essayons de développer la formation linguistique dans l’accueil des diplomates. C’est un des points du Livre blanc que j’ai rédigé avec Louis Schweitzer, voilà maintenant deux ou trois ans.

En second lieu, la révision générale des politiques publique, la RGPP, qui, je dois le dire, réduit considérablement nos moyens, nous incite à nous adresser à des recrutés locaux. Dans ce cas, le critère linguistique est respecté.

Aussi, madame le sénateur, comme vous pouvez le constater, votre souci est pris en considération.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Une mise à jour des connaissances est nécessaire, et je me félicite de cette réponse qui montre que les points de vue ont évolué sur cette question que je pose depuis des années.

La collaboratrice d’Hillary Clinton, que j’évoquais tout à l’heure, reconnaissait que des efforts étaient également nécessaires du côté américain. Chacun travaille dans l’intérêt de son pays. Il nous reste beaucoup à faire afin de parvenir à une meilleure connaissance des pays dans lesquels nous sommes implantés et qui attendent beaucoup de la France.

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, tous ceux qui affirmaient leurs certitudes ont été totalement pris au dépourvu par le printemps arabe. Les contours du monde arabe sont connus, mais on perçoit mal son hétérogénéité sous son unité religieuse.

On ne peut comprendre cette réalité qu’à travers notre prisme laïc, sous peine d’une erreur certaine. Certains, parmi les Arabes, aspirent à un gouvernement laïc mais, dans le socle de leurs sociétés, la religion tient une place majeure.

Ayons à l’esprit que la force de la tradition est supérieure à celle de la loi, ce qui est contraire à l’esprit démocratique. Cependant, gardons-nous de toute arrogance en supposant que ces pays ne sont pas encore mûrs pour la démocratie. Leur concept est certes encore très éloigné de nos critères, mais, soyons-en sûrs, il évoluera.

Des élections vont se dérouler dans de nombreux pays arabes. Si les fondamentalistes musulmans l’emportent, reconnaîtrons-nous les résultats ?

Pour atteindre l’objectif que nous recherchons, l’Union pour la Méditerranée, avec sa rive arabe, concrétise une tentative intéressante et audacieuse, mais elle est encore plus un espoir qu’une réalité.

Monsieur le ministre d’État, quel est votre calendrier pour mener à bien cette entreprise ? La Ligue arabe peut-elle devenir un partenaire privilégié ?

Une des difficultés majeures réside dans les tensions entre Israël et ses voisins, en particulier la Syrie. Toléré par certains gouvernements, Israël n’a pas été accepté par leurs peuples, dans leur quasi-unanimité.

Pourquoi ? Sans doute pour des motifs historiques et religieux, mais aussi à cause de la violence terrible exercée par les Israéliens à l’encontre des Palestiniens depuis la genèse de leur pays. L’existence d’Israël est un fait et elle doit être protégée. Le pays doit voir sa sécurité garantie, mais on ne peut tolérer de sa part ce que la communauté internationale interdit aux autres.

Les résolutions des Nations unies doivent être appliquées. Le monde arabe ressent comme profondément révoltante cette justice internationale à géométrie variable.

La France est-elle prête à soumettre au vote des Nations unies la reconnaissance d’un État palestinien dans ses frontières de 1967, étape indispensable vers la paix ? Si Israël ne cédait pas à cette décision de la communauté internationale, envisagerions-nous des sanctions ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Monsieur le sénateur, je ne suis pas persuadé de pouvoir, en deux minutes, répondre à autant de questions pertinentes.

Les événements qui se déroulent au sud de la méditerranée, ce qu’il est convenu d’appeler le « printemps arabe » – que nous n’avions peut-être pas pressenti – est une chance formidable. Il ne faut pas avoir peur lorsqu’on voit des peuples se lever pour la liberté, pour la démocratie, pour les droits de l’homme, pour les droits de la femme. Face à de tels mouvements, nous devons nous engager sans hésitation parce que c’est une façon de retrouver, avec tous ces peuples, une communauté de valeurs.

Ce principe étant posé, nous nous efforçons d’être cohérents, d’éviter qu’il y ait deux poids et deux mesures. D’aucuns prétendent que nous serions indulgents avec la Syrie : ce n’est pas exact !

Nous avons pris une position très claire et très ferme en condamnant, sans hésitation d’aucune sorte, l’utilisation de la violence par le régime syrien contre sa population. Mais force est de constater, et c’est une différence majeure avec la situation qui prévalait en Libye, qu’il n’y a pas aujourd’hui de consensus sur la Syrie au Conseil de sécurité. De grandes puissances, la Russie ou la Chine, menacent de faire usage de leur droit de veto. Et il n’y a même pas de majorité sur le délai de neuf mois pour trouver un accord sur une résolution. Nous continuons donc à travailler.

Ensuite, nous devons rester ouverts au dialogue. Comme je l’ai dit, et cela en a surpris certains, il faut parler avec les islamistes, ou les islamiques, qui récusent la violence et qui s’engagent dans un processus démocratique.

Par ailleurs, et c’est essentiel, si nous voulons que la transition politique réussisse dans des pays comme l’Égypte ou la Tunisie, nous devons faire un effort massif pour les aider sur le plan économique. Si la crise se déclenche, et la menace est réelle du fait des contraintes que subissent ces pays, il y a fort à parier que le processus politique sera fragilisé. C’est pourquoi nous avons invité l’Égypte et la Tunisie à assister au sommet du G 8 qui se tiendra à la fin du mois de mai, à Deauville. Il faut mobiliser les grandes puissances, mais aussi, vous l’avez rappelé, relancer l’Union pour la méditerranée.

Enfin s’agissant d’Israël et de la Palestine, je n’anticiperai pas sur les décisions que nous prendrons au mois de septembre prochain. Je peux simplement vous dire que, pour nous, le statu quo n’est pas possible. Il nous faut donc user de tous nos moyens d’action pour que le dialogue reprenne entre Israéliens et Palestiniens.

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour la réplique.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre d’État, vos réponses me satisfont pleinement. Je partage votre optimisme quant à l’avenir du monde arabe. Il faut aider ces peuples sur le plan économique, avoir confiance en eux, ne serait-ce que pour que les femmes retrouvent leur dignité.

Quant à Israël, il faut admettre que ses relations avec la Palestine sont une source importante de conflit. Il faut garantir la sécurité d’Israël, mais il faut aussi demander à ce pays de respecter la loi internationale.

M. le président. La parole est à M. André Trillard.

M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, de Tunis au Caire, de Misrata à Sanaa, des peuples, au prix d’un lourd tribut, écrivent une nouvelle page de leur histoire.

Le profond changement de donne consécutif aux événements du printemps arabe appelle de la part de notre pays une redéfinition de sa politique envers les États concernés, tout en se gardant de comparaisons par trop simplificatrices quant aux situations vécues par chacun d’entre eux.

Évitons également l’écueil qui consisterait à nous positionner en vieille puissance moralisatrice, forte d’une révolution démocratique vieille de plus de deux cents ans.

L’heure est grave, en particulier en Libye. En tant que président du groupe d’amitié France-Libye du Sénat, je me suis exprimé le 21 février dernier, dès les premiers morts connus dans le pays. Deux mois plus tard, le Conseil de sécurité des Nations unies, aux termes de la résolution 1973 – adoptée grâce à votre détermination et votre savoir-faire, monsieur le ministre d’État – donnait tous les moyens, y compris militaires, à la communauté internationale pour protéger les populations civiles libyennes.

Permettez-moi de saluer ici l’action conduite sur l’initiative du Président de la République, qui a su appeler chacun à ses responsabilités, mobiliser et fédérer nos partenaires européens et les responsables de la Ligue arabe. L’organisation du sommet pour le soutien au peuple libyen, à Paris, le 19 mars en témoigne.

Combien de morts devrions-nous déplorer aujourd’hui si nous n’étions pas intervenus ? Certains craignent l’enlisement, un autre Irak, un nouvel Afghanistan ! En tout état de cause, le chemin sera long et difficile. Comme l’a déclaré Moustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition, « la liberté a encore besoin de temps pour l’emporter ».

Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous esquisser les contours de la future politique de la France, non seulement envers le Conseil national de transition, mais également sur le plan des échanges, de l’aide et de l’accompagnement du peuple libyen vers la démocratie, aspiration profonde, symboliquement illustrée par l’appel, ce dimanche, des soixante et une tribus à l’unité, acte historique pour ce pays.

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Monsieur le sénateur, reportons-nous quelques semaines en arrière, rappelons-nous que, si nous n’avions pas fait ce que nous avons fait, le colonel Kadhafi ayant annoncé son intention de s’emparer de Benghazi et de se venger sur les populations civiles, nous risquions d’assister à un massacre, de devoir déplorer plusieurs milliers de morts. Je pense donc que nous avons fait notre devoir.

Aujourd’hui, le colonel Kadhafi continue d’utiliser des armes lourdes contre sa population. Il est manifestement discrédité sur la scène internationale. Cela fait l’objet d’un large consensus aux États-Unis comme au sein de l’Union européenne, de la Ligue arabe et d’une grande partie des pays de l’Union africaine.

Pour arriver au résultat, qui est de permettre à la population libyenne d’affirmer ses droits et de mettre en œuvre une véritable démocratie dans une Libye nouvelle, nous agissons d’abord par la pression militaire.

Nous avons décidé de continuer – parce que c’est, hélas ! le seul langage que comprend Kadhafi –, avec l’intensification des frappes aériennes, dans le souci de respecter le cadre de la résolution 1973 et donc de ne frapper que des cibles militaires comme cela a été le cas lors de la dernière frappe sur Tripoli.

Nous accentuons aussi la mise en œuvre des sanctions, mais nous sommes bien conscients que, au-delà de l’intervention militaire, seule la solution politique permettra de déboucher sur une issue durable.

C’est la raison pour laquelle nous travaillons à un cessez-le-feu qui en soit un, et surtout à la recherche d’un dialogue politique entre les différents acteurs : d’abord le Conseil national de transition, que nous essayons de renforcer, mais aussi d’autres acteurs, en particulier ceux qui, à Tripoli, auront compris qu’il n’y a d’avenir ni pour eux ni pour la Libye en restant solidaires de Kadhafi.

Tel sera l’objet de la réunion du prochain groupe de contact qui se tiendra à Rome jeudi prochain. Nous allons en particulier travailler à un mécanisme financier qui permette d’aider le Conseil national de transition, mais aussi d’ouvrir la voie à ce grand dialogue national afin, je l’espère, de parvenir à une solution politique démocratique.

M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour la réplique.

M. André Trillard. Monsieur le ministre d’État, je rappelle que ce mouvement pour la liberté a ébranlé nos certitudes selon lesquelles les régimes autoritaires étaient un mal inévitable pour contrer la montée de l’islamisme.

Sachons qu’il existe d’autres voies qu’un choix binaire entre un « tyran laïc, pare-feu des extrémistes », et « une république islamique ». La relation de confiance qui s’instaurera entre la France et les pays en marche vers la liberté dépendra largement de notre capacité à comprendre les formes que prendra ce cheminement, à les accepter et à leur témoigner notre intérêt en soutenant ce mouvement qui me paraît ô combien profitable pour tous.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre d’État, en préambule, je formulerai une remarque liée à l’actualité.

Nous pensons que la disparition d’Oussama ben Laden va constituer un tournant dans notre tragique histoire contemporaine. Aussi, je demande solennellement au Sénat de mettre à son ordre du jour une réflexion sur la participation de notre pays à la guerre en Afghanistan.

J’en viens à ma question.

Syrie, Libye et Yémen suivent l’exemple de la Tunisie et de l’Égypte. Les peuples du monde arabe se battent jour après jour pour plus de liberté et de justice. Le Maroc et l’Algérie ne resteront pas en marge de ce formidable mouvement d’espoir.

Nous avons soutenu l’intervention militaire en Libye, car elle était juste et légitime. Nous attendons maintenant une solution politique qui, selon nous, tarde à venir et nous fait craindre, monsieur le ministre d’État, des risques d’escalade, voire d’enlisement.

Cette révolte des populations arabes pour la démocratie et la justice a des racines sociales très profondes.

Comment croire, dès lors, que l’on pourrait soutenir avec générosité « ce printemps arabe qui ne doit pas nous faire peur » – je vous cite – si, en France et en Europe, on claque la porte au nez des migrants tunisiens ou libyens qui cherchent un havre où recomposer leurs forces ? Solidaires à Tunis, à Benghazi et au Caire, mais pas à Vintimille ou à Paris….

À l’épouvantail inacceptable que constitue la posture du ministre de l’intérieur, je préfère vos propos : « Sachons jouer tout notre rôle, fidèles à nos valeurs communes de liberté, de générosité et de respect des droits de l’homme et de la femme, pour faire émerger avec le monde arabe un espace de paix, de stabilité et d’échange en Méditerranée. »

Ma question est donc la suivante, monsieur le ministre d’État : quelle est la politique de la France en ce domaine ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Monsieur le sénateur, je répondrai d’un mot à votre introduction.

Comme vous, je pense que la disparition de ben Laden est porteuse de nombreuses conséquences positives.

Je ne suis pas sûr que le moment soit déjà venu de considérer qu’il faut se retirer d’Afghanistan, car les réseaux terroristes dans ce pays n’ont pas disparu. Prenons le temps de la réflexion avant d’agir.

Dans les différents pays que vous avez cités, il est très important que, tout en gardant la même attitude d’ouverture à l’égard de tous ceux qui se battent pour la liberté et la démocratie, nous adaptions notre politique en fonction des circonstances : la situation du Yémen n’est pas celle de la Libye, et celle du Maroc n’est pas celle de l’Algérie.

Au Yémen, j’espère que la médiation du Conseil de coopération des États arabes du Golfe va aboutir – il s’en est fallu de peu voilà quelques jours. Au Maroc, je reste confiant dans l’initiative prise par le roi, qui constitue une grande ouverture vers une monarchie réellement constitutionnelle.

Votre question porte plus particulièrement sur la question des migrants et des réfugiés.

D’abord, je voudrais rappeler que nous avons fortement aidé au retour des réfugiés égyptiens qui ont quitté la Libye, en organisant un pont aérien et maritime pour leur permettre de revenir dans leur pays comme ils le souhaitaient.

En ce qui concerne les relations que nous avons avec la Tunisie à ce sujet, je peux vous dire que nos partenaires comprennent très bien que le flux d’immigration irrégulière est un fléau, aussi bien pour eux et pour nous que pour les intéressés qui sont victimes d’une véritable traite. Ils ont donc accepté – désormais avec le concours de l’Union européenne, puisque le président Barroso vient de répondre très positivement à la lettre que lui avaient adressée M. Berlusconi et M. Sarkozy – de nous aider à mieux contrôler les frontières et de réadmettre sur leur territoire des personnes qui ne sont pas, par définition, victimes de persécutions politiques et qui ne sont donc pas des réfugiés.

Pour ce qui concerne les réfugiés, nous examinons les situations à la lumière des règles et des traités que nous avons souscrits. Je vous rappellerai simplement qu’il y a en France 50 000 demandeurs d’asile contre 10 000 en Italie, comme nous l’avons fait valoir auprès des autorités italiennes.

Enfin, monsieur le sénateur, vous considérez que les prises de position de M. Guéant sont choquantes. Je ne suis évidemment pas de cet avis. Je vous l’ai dit, nous avons été entendus au niveau de la Commission européenne, comme en témoigne la réponse de M. Barroso.

Je conclurai en répétant brièvement ce que j’ai déjà dit : la vraie solution n’est pas là ; elle est dans la réduction des inégalités entre le Nord et le Sud, c’est-à-dire dans une politique puissante, continue, dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée et au-delà, qui permette à ces pays de se développer et à leurs jeunes de réaliser ce dont ils rêvent, vraisemblablement de rester au pays, dans la liberté et le progrès économique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour la réplique.

M. Jean-Louis Carrère. Je n’ai pas la naïveté de croire que je pourrais vous mettre en contradiction avec tel ou tel ministre du Gouvernement auquel vous appartenez. Néanmoins, je vous le dis avec honnêteté, je préfère votre façon d’exprimer les choses à certaines autres. La France gagnera en rayonnement à faire comme vous et non à utiliser des expressions que je continue de contester et de condamner.

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, au-delà du thème de notre débat de ce soir, comme mon prédécesseur, je tiens à dire que l’événement que constitue la mort de ben Laden, avec ses conséquences, mériterait un débat parlementaire sans délai, débat qu’avec le groupe CRC-SPG je sollicite.

Le coup majeur porté à ce symbole du terrorisme mondialisé nécessite, notamment, de définir enfin les conditions du retrait d’Afghanistan de nos troupes et de celles de l’OTAN.

J’en viens à ma question précise.

Monsieur le ministre d’État, à l’occasion d’un récent colloque à l’Institut du monde arabe, vous avez exposé les nouvelles orientations de la politique extérieure de la France à l’égard du monde arabo-musulman.

Je souhaiterais que vous m’apportiez deux précisions concernant la Tunisie – l’une d’entre elles a été évoquée à l’instant.

En premier lieu, vous avez annoncé, lors de votre déplacement à Tunis, que la France consentirait un important effort financier en accordant une aide de 350 millions d’euros.

Notre aide bilatérale est évidemment essentielle pour accompagner le développement économique et la transition démocratique de ce pays, et je ne la néglige pas du tout. Mais la Tunisie doit faire face à une situation socio-économique catastrophique. En plus des sommes astronomiques détournées par le clan ben Ali, le poids de sa dette extérieure compromet dangereusement la possibilité d’une relance de son économie.

En conséquence, quelles initiatives comptez-vous prendre auprès de nos partenaires pour suspendre le remboursement des créances européennes sur la Tunisie ?

En second lieu, où en sont les négociations avec les autorités tunisiennes pour adapter à la nouvelle situation l’accord dit de « gestion des flux migratoires » que nous avions signé en 2008 ?

La réactivation de cet accord permettrait d’apporter un début de solution juste et humaine à l’afflux de migrants auquel nous sommes confrontés.

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Alain Juppé, ministre d’État. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, je me suis rendu en Tunisie voilà quelques jours, et j’ai été frappé par la qualité de l’accueil que j’ai reçu, d’abord par les autorités tunisiennes elles-mêmes – le Premier ministre, le Président de la République et le ministre des affaires étrangères –, mais aussi dans la rue, notamment dans le sud de la Médina de Tunis. On m’avait dit que le drapeau français y était mal vu ; or ce n’est pas du tout ce que j’ai ressenti, bien au contraire ! Ce n’est pas non plus l’impression que m’a donnée l’entretien que j’ai eu avec les bloggeurs, cette jeunesse qui communique sur internet et qui a joué un rôle si décisif dans la propagation de ce mouvement révolutionnaire.

Il faut aider la Tunisie, parce que le processus politique est bien en route : les élections du 24 juillet permettant d’élire une assemblée constituante sont bien préparées, une commission est en train d’élaborer une future loi électorale ; j’ai d’ailleurs rencontré le président de cette commission qui m’a fait très bonne impression.

Le défi économique est considérable, car le tourisme s’est effondré, les réfugiés en provenance de Libye sont nombreux – il existe des camps de réfugiés à la frontière, entre la Libye et la Tunisie – et les populations attendent un mieux-être de la révolution. Les exigences sociales étant très fortes, il faut une aide massive.

Cette aide est bilatérale, vous l’avez rappelé : 350 millions d’euros d’aide de l’Agence française du développement sont immédiatement disponibles.

Elle est européenne : nous travaillons avec nos partenaires de l’Union pour mobiliser les fonds européens destinés à la politique de voisinage et au partenariat en Méditerranée ; nous œuvrons aussi à la relance de l’Union pour la méditerranée.

Enfin, nous attendons beaucoup, comme je l’ai dit tout à l’heure, de la réunion du G 8 qui réunira les principales puissances économiques du monde, l’idée étant de mettre en place très rapidement une procédure destinée à faciliter l’élaboration d’un plan d’action en faveur de la Tunisie et de l’Égypte ayant le soutien de l’ensemble de ces puissances.

En ce qui concerne les migrations, Claude Guéant continue son travail avec les autorités tunisiennes, et nous nous orientons vers un accord inspiré de ce qui a été conclu avec l’Italie, c’est-à-dire un renforcement des contrôles aux frontières. D’une part, nous allons aider les Tunisiens, par le biais de l’Agence Frontex, à contrôler leurs propres frontières, l’effondrement de leur système de sécurité et de leur police ayant eu des incidences sur les événements actuels. D’autre part, nous allons aussi travailler à un accord de réadmission dans le même esprit que ce qui a été conclu avec l’Italie.

Tels sont les éléments d’information que je peux vous apporter, en plus de ceux que j’ai énoncés tout à l’heure en répondant à M. Carrère.

M. le président. La parole est à M. Robert Hue, pour la réplique.

M. Robert Hue. Monsieur le ministre d’État, je suis satisfait d’un certain nombre d’aspects que vous venez d’évoquer.

Je ferai simplement remarquer qu’en Tunisie, ce qui a été rejeté, ce n’est pas le drapeau de la France, ce sont les relations détestables qui prévalaient entre les gouvernements précédents et M. ben Ali.

J’en reviens au problème des flux migratoires.

Des représentants de la Tunisie sont venus dernièrement en France pour obtenir la renégociation des accords bilatéraux. A priori le gouvernement français est dans le même état d’esprit. Il est urgent que s’engage cette démarche visant à la conclusion d’accords nouveaux, car en dépend fortement l’évolution démocratique de ce pays, qui est confronté à des difficultés sociales majeures.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre de la coopération, mes chers collègues, on l’a dit avant moi, 2011 restera une année historique pour le Maghreb. Soulèvements, révolutions et changements de régime bouleversent les cartes jusqu’aux confins du Moyen-Orient. Ces évolutions se font au prix du sang, de la répression mais sont empreintes d’espoir, espoir auquel nous devons répondre sans les décevoir.

Ma question concerne la Tunisie.

Le pays en est à son quatrième gouvernement. Il semble que la population ne souffre aucune concession à l’égard des anciens responsables politiques ayant appartenu an régime de ben Ali au pouvoir pendant trente ans. Il est à craindre que ce qui devait s’apparenter à une transition démocratique ne devienne une crise institutionnelle.

Monsieur le ministre, quel soutien notre pays peut-il apporter aux Tunisiens pour les aider dans cette résurrection démocratique ?

Cette semaine, le président de la Banque mondiale se rend en Tunisie. Il est primordial que le pays puisse sortir d’un système économique fondé uniquement sur le tourisme de masse. La Tunisie doit aujourd’hui répondre aux besoins de sa jeunesse, dont une grande partie est diplômée, comme l’illustre notre tradition d’échange universitaire. Pour autant, nombre de ces jeunes sont au chômage.

Lors de son déplacement à Tunis les 20 et 21 avril dernier, M. le ministre des affaires étrangères a annoncé la mobilisation de 350 millions d’euros sous forme de prêts bilatéraux. Mercredi dernier, vous-même, monsieur le ministre, avez reçu les ministres tunisiens des finances, du commerce et du tourisme, de la formation professionnelle et de l’emploi. Je me réjouis de cet entretien « pluriel », car il témoigne d’une vision globale pour relancer l’économie nationale tunisienne, incluant les facteurs de développements sociaux. Toutefois, pouvez-vous nous préciser si un calendrier ou des évaluations seront mis en place afin d’accompagner au mieux ce pays ?

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la coopération.

M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m’efforcer de répondre avec précision à la question posée par Bernard Fournier, en m’inspirant notamment des réponses qui ont déjà été apportées à certains d’entre vous sur la situation tunisienne, un sujet très important qui nous préoccupe tous.

Après les événements qui ont eu lieu, une certaine instabilité gouvernementale s’est en effet installée dans ce pays, qui en est à son quatrième gouvernement.

Comme il l’a expliqué tout à l’heure, M. le ministre d’État s’est lui-même rendu en Tunisie et a pu rencontrer à cette occasion le Président de la République, le Premier ministre ainsi que plusieurs ministres. Il a pu constater que l’équipe gouvernementale en place était expérimentée et de très haut niveau.

Comme vous l’avez souligné, monsieur Fournier, j’ai moi-même reçu plusieurs ministres tunisiens, notamment ceux en charge des finances, du commerce, du tourisme, de la formation professionnelle, de l’emploi, des transports et de l’équipement. Tous sont des chefs d’entreprises ou des personnes issues de divers secteurs professionnels qui ont momentanément quitté leurs fonctions pour servir leur pays dans cette période essentielle de transition devant conduire aux élections législatives.

C’est pourquoi, aujourd’hui, la France ne craint pas d’aider substantiellement nos amis tunisiens à repartir du bon pied, car les perspectives, qu’elles soient économiques, politiques ou diplomatiques, nous semblent positives.

Je précise enfin que nous militons, dans le cadre de l’Union européenne, en faveur de l’octroi à la Tunisie du statut avancé. Nous y travaillons en détail sur le plan politique, sans oublier les aspects financiers.

Ayez confiance dans l’avenir de la Tunisie, mesdames, messieurs les sénateurs, et n’oubliez pas qu’il appartient avant tout aux Tunisiens !

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, pour la réplique.

M. Bernard Fournier. Ces précisions étant de nature à répondre à nos préoccupations, je remercie M. le ministre de sa réponse.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question porte sur l’état de nos relations avec la Syrie.

Je crains que la France, en dépit de ses efforts, ne paie aujourd’hui les choix calamiteux du début du quinquennat.

Le fait que le président Sarkozy ait renforcé ou renoué les relations avec les pires dictateurs du monde arabe que sont Khadafi ou Bachar el-Assad, leur rendant ainsi une légitimité internationale, était une erreur.

Le fait d’établir des liens avec la Syrie en marge de la diplomatie officielle l’était également – je rappelle à ce propos les innombrables missions de Claude Guéant à Damas lorsqu’il était secrétaire général de l’Élysée.

En quoi ces accords, passés hors de tout contrôle du Parlement, ont-ils consisté ? Nous voudrions savoir dans quelle mesure ils pèsent sur la politique menée actuellement.

En apparence, la politique française a aujourd’hui radicalement changé, et nous approuvons totalement le vote de la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui demande à la Syrie de mettre un terme à la violation des droits de l’homme contre son peuple, et qui met en place une commission d’enquête.

De même, nous approuvons les déclarations du ministre des affaires étrangères et celles du représentant permanent de la France auprès des Nations unies.

Toutefois, face à une répression qui a pris la forme d’actes de guerre caractérisés contre les habitants des villes de Deraa, Douma et Banyas, entres autres, et d’arrestations massives ces deux derniers jours, nous estimons que la France doit aller au-delà des déclarations.

Le Gouvernement entend-il prendre des mesures contraignantes contre Assad, son entourage et les responsables de la répression, en atteignant leurs avoirs financiers, leurs propriétés, et en les empêchant d’entrer sur notre territoire ?

Quelles sanctions défendrez-vous aux prochaines réunions du Conseil de sécurité de l’ONU ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre. Bien qu’elle ne soit pas si éloignée dans le temps, la période à laquelle vous faites référence était fondamentalement différente de celle que nous connaissons aujourd’hui, madame la sénatrice. Cela justifie, me semble-t-il, les positions successives adoptées par le Gouvernement français.

Il s’agissait en l’occurrence de discuter d’Etat à Etat. Et, lorsque nous tentons de contribuer modestement à la création d’un environnement favorable à la paix dans cette partie du monde – souvenons-nous plus particulièrement du Liban – je ne vois pas comment nous pourrions nous passer d’une discussion avec la Syrie. (M. Robert del Picchia applaudit.)

Nous n’avons jamais dépassé ce qu’il était convenable de faire en matière de relations diplomatiques.

S’agissant maintenant de la situation actuelle, la France condamne sans réserve, de la manière la plus solennelle qui soit, toutes les exactions. Elle a demandé à la Syrie que cessent les violences. Nous avons convoqué l’ambassadrice de Syrie à Paris, et la réciproque s’est déroulée à Damas. Nous essayons également de mobiliser autour de nous nos partenaires du Conseil de sécurité, mais sans grand succès jusqu’à présent.

À propos du Conseil des droits de l’homme, nous partageons votre sentiment, madame la sénatrice : nous militons pour que la candidature de la Syrie ne soit pas acceptée.

Enfin, nous travaillons, au sein de l’Union européenne, à la mise en place de sanctions fortes telles qu’un embargo sur les armes, le gel de l’accord d’association, la révision de la politique de coopération entre l’Union européenne et la Syrie ou encore des sanctions individuelles contre les responsables de la répression sanglante de ces dernières semaines.

Je puis vous assurer, madame, que le Gouvernement français n’a pas, à l’égard de la Syrie, une position différente de celle qu’il exprime de façon générale au cours de ce printemps des peuples qui se battent pour plus de liberté et de dignité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour la réplique.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J’ai bien entendu votre réponse, monsieur le ministre, et je vous ferai remarquer que je n’ai jamais mis en cause les prises de position de la France. Mais des prises de position verbales aux actes, il est un pas qu’il faut aujourd’hui franchir…

Dès maintenant, les biens et avoirs de tous les responsables syriens en France doivent être gelés. Cela concerne directement le général Manaf Tlass, responsable des exactions à Banyas. La diplomatie de connivence, qui était un peu la règle ces derniers temps dans les relations entre Paris et Damas, doit absolument cesser.

Enfin, la France doit demander au Conseil de sécurité de l’ONU la comparution de Bachar el-Assad et des responsables de la répression devant la Cour pénale internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que M. le ministre d’État, d’avoir répondu aux questions qui vous étaient posées.

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.