Valérie Amos
UN Photo/Paulo Filgueiras

Mme Amos (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, de l’occasion qui m’est donnée de faire au Conseil de sécurité le point de la situation humanitaire en Libye.

Le conflit, l’effondrement des infrastructures publiques, le manque de liquidités et la pénurie de carburant posent de graves problèmes à la population libyenne. Plus de 746 000 personnes, la plupart des nationaux d’États tiers, ont fui le pays. Environ 5 000 personnes restent bloquées aux points de passage avec l’Égypte, la Tunisie et le Niger. Environ 58 000 personnes déplacées vivent dans des sites de regroupement spontané dans l’est de la Libye. Des pénuries généralisées paralysent le pays, ce qui aura dans les mois à venir des conséquences terribles pour l’ensemble de la population, en particulier les plus pauvres et les plus vulnérables. Nous ne savons pas pour l’instant avec exactitude combien de victimes il y a eu au total depuis le début de la crise.

Plus cette situation se prolongera, plus la situation humanitaire s’aggravera. Dans cette optique, l’ONU a établi une présence humanitaire à Benghazi et à Tripoli. D’après l’accord auquel je suis parvenue avec les autorités libyennes à Tripoli le 17 avril, elles se sont engagées à appuyer pleinement le déploiement d’une présence humanitaire des Nations Unies à Tripoli. L’accord comprenait notamment le maintien de la sécurité et la mise en place d’autres dispositions nécessaires pour que les institutions humanitaires puissent évaluer les besoins et aider la population dans les zones touchées par le conflit dans l’ouest de la Libye.

Le Gouvernement a cherché à faciliter notre travail avec cet accord, et il est dommage que notre équipe ait été obligée de déménager temporairement de Tripoli pour des raisons de sécurité après la mise à sac des bureaux de l’ONU le 1er mai. Le Gouvernement libyen s’est excusé de cet incident et a pleinement dédommagé l’ONU des dégâts causés. Le Coordonnateur de l’action humanitaire pour la Libye a adressé au Ministre libyen des affaires étrangères une lettre dans laquelle il demande que le Gouvernement s’engage une nouvelle fois à protéger le personnel et les biens des Nations Unies. La réponse était positive. Nous comptons revenir dès que possible à Tripoli et ouvrir des voies terrestres d’accès à Misrata, aux montagnes de l’ouest et aux autres zones touchées.

En Libye aujourd’hui, les organisations humanitaires se préoccupent tout particulièrement des personnes vivant dans les zones où se livrent des combats. À Misrata, qui est au centre de nos préoccupations, le pilonnage et les combats n’ont pas cessé dans certains quartiers de la ville depuis plus de deux mois. Il y a des réserves, mais certaines personnes commencent à être à court de vivres, d’eau et d’autres produits de première nécessité. Les antennes médicales doivent être approvisionnées et renforcées en personnel qualifié.

L’aide humanitaire entre dans Misrata en fonction des besoins, et il y a des organisations non gouvernementales à caractère humanitaire sur le terrain, en particulier des organisations médicales. Plus de 5 000 tonnes d’aide humanitaire ont été livrées à Misrata, y compris de l’aide alimentaire, des fournitures médicales, de l’eau et du matériel d’assainissement. La grande majorité de ces produits sont arrivés par le port. Plus de 13 000 personnes, principalement des ressortissants de pays tiers, ont été évacuées de la ville par bateau.

Ces opérations ont été menées avec succès moyennant l’information préalable et transparente de toutes les parties au conflit concernant les convois humanitaires prévus. Il est essentiel de garder en permanence le contact avec toutes les parties pour maintenir, et même étendre, la portée des opérations humanitaires et le nombre des personnes touchées. Il reste encore entre 150 et 300 ressortissants de pays tiers à évacuer de la ville. Plusieurs personnes gravement malades ou grièvement blessées, dont on ne connaît pas le nombre, ont, elles aussi, besoin d’une aide à l’évacuation.

La situation dans la région des montagnes occidentales du pays, où l’on estime que vivent 750 000 personnes, n’a pas fait l’objet d’autant d’attention, bien qu’elle soit également très préoccupante. Les combats ont réduit l’approvisionnement en nourriture et en fournitures médicales. Cinquante mille personnes ont fui vers la Tunisie. La plupart d’entre elles résident à présent dans des familles d’accueil tunisiennes, qui les ont généreusement recueillies. Le Programme alimentaire mondial a fourni de l’aide et les organisations non gouvernementales ont pris de grands risques pour porter de l’aide médicale aux chefs-lieux de Nalout et de Zintan. Quelque 2 200 personnes se trouvent dans des camps de réfugiés au sud de la Tunisie. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et ses partenaires apportent des vivres et des produits non alimentaires à ces réfugiés, ainsi qu’aux familles d’accueil. Le Ministère libyen de la sécurité sociale nous a informés qu’il venait en aide à environ 5 000 familles de Misrata, de la région des montagnes occidentales et des régions méridionales, soit environ 33 000 personnes au total.

En dépit des appels au calme réitérés par le Secrétaire général et par l’ensemble de la communauté internationale, les civils essuient toujours des tirs dans ces zones de conflit. Il faut que cela cesse. Le Conseil de sécurité doit continuer d’insister pour que toutes les parties respectent le droit international humanitaire et garantissent que l’on ne touche pas aux civils. L’utilisation signalée de bombes à sous-munitions et de mines antipersonnel terrestres et marines, ainsi que les morts et blessures provoquées par des bombardements aériens, témoignent d’un mépris impitoyable pour le bien-être physique et psychologique des civils. On a signalé des violences sexuelles, dont des viols. Nous sommes en outre inquiets du fait que des enfants sont peut-être recrutés comme soldats. Des disparitions et des enlèvements sont également signalés. Le pilonnage du port de Misrata a empêché les navires humanitaires d’accéder au port.

Il faut que toutes les parties s’accordent sur un arrêt temporaire des combats à Misrata et dans les autres zones. Cela donnera un peu de répit à la population civile qui subit cette violence, tout en permettant à ceux qui veulent partir de le faire. Cela permettrait aussi de procéder à un bilan indépendant de la situation humanitaire. Cette interruption des combats permettrait en outre d’acheminer des fournitures médicales de première nécessité et d’autres fournitures humanitaires, et d’évacuer les ressortissants de pays tiers, les blessés et toutes les autres personnes ayant besoin d’une aide médicale d’urgence. Mes collègues et moi-même continuerons de plaider instamment en ce sens.

À Benghazi et dans d’autres zones, il n’y a pas dans l’immédiat de besoins impérieux de secours d’urgence. Toutefois, l’arrivée d’environ 58 000 personnes déplacées a engendré quelques besoins humanitaires. Il y a aussi les questions relatives à la protection et, plus généralement, aux droits de l’homme.

Les collectivités de toute la Libye ont ouvert leurs portes aux familles qui ont été déplacées. Bien que cela soit à mettre au crédit de la générosité des Libyens, cela signifie que les familles d’accueil sont elles-mêmes doublement touchées par la crise. Plus cette situation durera, plus il est probable que ces familles auront elles aussi besoin d’une aide importante.

La manière dont les sanctions sont appliquées et supervisées entraîne d’importants retards dans l’acheminement des produits commerciaux. En outre, le conflit a provoqué de graves perturbations des chaînes d’approvisionnement à travers le pays, ce qui a déjà provoqué des pénuries de combustible et fait qu’il est difficile de se procurer des produits de base, tels que vivres, médicaments et autres produits de première nécessité. On a également cruellement manqué d’argent liquide dans tout le pays.

Les conséquences de ces problèmes se ressentent dans tout le pays et dans tous les secteurs. Je suis particulièrement préoccupée de l’effet que cela a sur le secteur de la santé. À Tripoli, le Ministère libyen de la santé a indiqué que seuls 45 % des membres du personnel médical travaillaient. Des milliers d’infirmiers et de médecins étrangers ont quitté le pays dès le début de la crise. Les médicaments, fournitures et vaccins de première nécessité ne seront pas renouvelés une fois épuisés. Même si des médicaments sont importés dans le pays, ils ne peuvent pas être distribués aux antennes médicales en raison des pénuries de carburant et des interruptions de la chaîne d’approvisionnement.

Les écoles sont fermées. Les bâtiments scolaires ont été endommagés ou servent d’abris aux personnes déplacées. Les écoliers sont traumatisés. Les professeurs et les étudiants ne sont pas en mesure de se rendre à l’école, notamment à Tripoli, à cause des pénuries de carburant. Les examens annuels ont été reportés. Rien n’est prévu pour la prochaine année académique. Le matériel pédagogique est de moins en moins trouvable, puisqu’il doit également être importé.

Les stocks alimentaires sont en voie d’épuisement. La Libye est un pays déficitaire sur le plan alimentaire, ce qui la rend extrêmement dépendante des importations. Entre 75 et 90 % de l’ensemble des céréales qu’elle consomme sont importées. Le pays a besoin de 110 000 à 150 000 tonnes de nourriture chaque mois pour alimenter une population de plus de 6,5 millions d’habitants. Une récente mission interinstitutions a découvert une réserve de deux mois de nourriture dans la région orientale du pays ; la partie occidentale de la Libye possède trois mois de réserves alimentaires. Ce qui est également inquiétant pour la sécurité alimentaire du pays, ce sont les interruptions du système public de distribution alimentaire, le départ des ouvriers agricoles étrangers et la pénurie de carburant permettant le transport des produits agricoles dans tout le pays. En raison du problème des faibles réserves d’argent liquide, qui s’ajoute à la hausse des prix alimentaires, les populations vulnérables vont avoir encore plus de difficultés à se procurer ce dont elles ont besoin.

La pénurie de carburant a également une incidence sur le fonctionnement des usines de dessalement et autres installations de purification de l’eau. Les réserves d’eau dessalée s’amenuisent. Cette situation va contribuer à augmenter les besoins d’aide humanitaire en Libye dans les mois à venir.

Il s’agit de compenser ces faiblesses structurelles afin d’en réduire au minimum les effets néfastes sur la population civile.

L’acheminement de l’aide humanitaire en Libye doit rester bien distinct des activités militaires de toutes les parties au conflit. Aucun effort n’est épargné pour apporter l’aide nécessaire et évacuer les blessés et ressortissants étrangers, mais en utilisant uniquement des moyens civils. Ce n’est qu’en dernier recours que les moyens militaires que nous ont généreusement proposés certains États Membres seront mobilisés. Nous n’en sommes pas encore arrivés là.

Dans ce contexte complexe et chargé, tout incident de nature à amener l’une des parties aux hostilités actuelles à perdre confiance dans la stricte neutralité, l’impartialité et l’indépendance de l’action humanitaire remettrait en cause notre capacité de nous rendre auprès des populations qui ont besoin d’aide. Les organisations humanitaires doivent avoir accès à tous les individus, où qu’ils soient et quels que soient ceux sous le contrôle desquels ils se trouvent. Le travail des organismes humanitaires ne doit rencontrer aucun obstacle. Les humanitaires ne doivent pas devenir des cibles pour avoir paru compromettre leur neutralité, leur impartialité ou leur indépendance.

Les deux à trois prochains mois seront critiques pour la Libye. Jusqu’ici, nous avons reçu 144 millions de dollars pour les activités humanitaires, ce qui représente 46 % de ce qui est nécessaire. Je tiens à remercier les États Membres de leur appui. Nous revoyons actuellement notre appel : nous aurons besoin de ressources supplémentaires pour appuyer l’intensification des activités humanitaires en Libye. Je compte sur les Membres pour continuer d’appuyer les efforts humanitaires déployés en Libye, et nous aider en obtenant cet arrêt des combats temporaire à titre humanitaire dont nous avons si cruellement besoin.