La tendance générale

La nouvelle Guerre froide
L’année 2011 aura été marquée sur le plan international par l’échec de l’offensive impérialiste lancée par les États-Unis, il y a dix ans ; un échec qui s’est traduit par le retrait des GI’sd’Irak et les difficultés grandissantes en Afghanistan. Mais dans le même temps, la stratégie du soft power, élaborée par le Conseil de la sécurité nationale et l’état-major interarmes, a commencé à se dévoiler.
Les décision-makers (décideurs) US reconnaissent leur incapacité à empêcher l’émergence de la Chine en tant que compétiteur économique, et, par conséquent, en tant qu’adversaire politique et militaire. L’année 2011 aura été marquée par le déploiement de la flotte navale chinoise dans les eaux chaudes.
L’autre compétiteur des États-Unis est la Russie, que Washington s’est efforcé d’isoler, d’encercler et d’affaiblir, pour retarder au maximum sa réémergence sur la scène internationale. Si la Chine représente la force financière et économique, la Russie constitue un rival dans le domaine de l’énergie et des industries militaires et spatiales. Ces deux grands pays ouvrent la marche à plusieurs autres États qui refusent l’unilatéralisme états-unien, avec qui ils forment le groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Il faut y ajouter l’Iran et les pays d’Amérique latine, appelés Alba.
En 2011, les Washington a concentré ses efforts sur la région arabe, pour vider de leur sens les révolutions et les dévier de leur trajectoire afin qu’elles ne soient pas en contradiction avec ses intérêts. L’élément marquant aura été la conclusion d’un contrat à l’échelle régionale entre les Frères musulmans et les États-Unis pour que la confrérie islamiste accède au pouvoir dans les pays arabes en contrepartie d’assurances portant sur la sécurité d’Israël et le pétrole. Les preuves de cet accord, s’il en faut, sont nombreuses. Les déclarations de complaisances à l’égard de l’État hébreu de la part de dirigeants islamistes, y compris des salafistes, en sont un exemple.
À travers ces relations tissées avec les islamistes sunnites, les États-Unis espèrent créer une ceinture pour encercler et endiguer l’Iran, au risque de plonger l’Orient arabe dans une interminable guerre confessionnelle. Mais la théorie du barrage sunnite face à l’expansion iranienne, adoptée et défendue par les pays du Golfe, est fallacieuse. Car depuis la révolution de 1979, l’action iranienne ne s’est jamais basée sur l’avancée du chiisme mais sur l’anti-impérialisme et la lutte contre le sionisme, incarné par Israël. Un soutien indéfectible a été apporté par l’Iran à tous ceux qui se battent contre l’occupation israélienne, qu’ils soient chiites, comme le Hezbollah libanais, ou sunnite, comme le mouvement Hamas palestinien.
Pour édifier ce barrage sunnite, la destruction de la Syrie est devenue une nécessité pour Washington, surtout après la chute du régime de Hosni Moubarak. Mais le combat sur la Syrie a réveillé des antagonismes à l’échelle internationale, entre la Russie et la Chine d’un côté, les États-Unis et l’Europe occidentale de l’autre. Les manœuvres et les discours actuels ressemblent beaucoup à ceux qui étaient en vigueur lors de la Guerre froide. Ce n’est pas étonnant, car les enjeux sont aussi importants.

La tendance en Syrie

Conditions favorables pour Assad en 2012
Parallèlement à la bataille diplomatique, dont le dernier acte s’est traduit par l’acceptation du déploiement des observateurs arabes en Syrie, le pouvoir syrien a achevé l’installation d’un vaste dispositif de défense maritime et aérien. Les dernières manœuvres militaires effectuées constituent un message clair que la Syrie est disposée à faire face à une éventuelle attaque maritime ou aérienne, alors que sur le plan terrestre, la 7e division a été déployée le long de la frontière syro-turque, sur une profondeur de 20 km.
D’autre part, le Premier ministre turc, Recep Tayyeb Erdogan, aurait des difficultés dans son propre pays, notamment dans les régions frontalières avec la Syrie essentiellement peuplées de chrétiens et d’alaouites, plutôt réfractaires à toute action contre la Syrie. La crise syrienne est donc en train de devenir un facteur de division interne en Turquie, prenant même une dimension confessionnelle et ethnique entre Arabes, Kurdes et Turcs, alaouites, chrétiens et sunnites.
De plus, le pouvoir syrien estime qu’il a enregistré un succès en organisant des élections municipales dans les circonstances actuelles. Même si cet événement a été passé sous silence dans les médias hostiles, il n’en reste pas moins important, puisqu’au total il y a eu 41 % de participation au scrutin, en dépit des conditions sécuritaires défavorables et de la grève générale décrétée par l’opposition. Ces élections ont montré que le pouvoir, décrit par les médias occidentaux et arabes comme isolé du peuple, affaibli et incapable de mobiliser, dispose d’une large base sociale, estimée à au moins 40 % de la population. L’objectif de ce scrutin était aussi d’impliquer les jeunes Syriens dans la vie politique et de permettre à une nouvelle classe politique d’émerger en vue des élections législatives qui doivent se tenir en février ou mars 2012. D’ici là, le président Bachar al-Assad devrait décider d’amender la Constitution et en particulier d’abolir l’article 8 qui instaure un monopole au pouvoir en faveur du Baas.
Le président Assad aborde donc l’année 2012 dans une position acceptable, au vu des moyens colossaux déployés pour détruire la Syrie. Le recours aux attentats terroristes montre d’ailleurs l’échec des tentatives de renverser le régime militairement, diplomatiquement et politiquement. Onze mois après le déclenchement des troubles et en dépit des annonces à répétition sur sa chute imminente, le pouvoir tient bon, avec son appareil administratif, politique, sécuritaire, militaire et diplomatique. Il est protégé sur le plan international par une alliance stratégique avec la Russie, sans parler de l’Iran et de l’Irak, et sur le plan local par un appui populaire qui reste important.
Il y aurait peut-être encore un trimestre difficile, mais après cela, le régime parviendra à dépasser la période cruciale et s’employer à faire des réformes dans le calme. Entrant en période électorale et devant affronter une crise économique sans précédent, l’Occident aura bien d’autres soucis que le dossier syrien.

Déclarations et prises de positions

Général Jean Kahwagi, commandant en chef de l’Armée libanaise
« Avec le début des événements en Syrie, la présence de l’armée a été renforcée aux frontières libano-syriennes, et les mesures de sécurité intensifiées. Les points de passage illégaux ont été fermés. La situation aux frontières est sous contrôle, en dépit de certains incidents qui surviennent de temps en temps. »

Fayez Ghosn, ministre libanais de la Défense
« Je n’ai pas fabriqué les informations sur l’infiltration d’éléments d’Al-Qaïda en Syrie via le Liban. Et je n’ai pas cherché à les exploiter politiquement tout comme je n’accuse personne. J’ai obtenu ces informations auprès d’institutions sécuritaires officielles. Je ne les ai pas exposées en détail par souci de préserver la stabilité. »

Marwan Charbel, ministre libanais de l’Intérieur
« La déclaration du ministre de la Défense sur l’existence d’éléments d’Al-Qaïda à Ersal doit être prise en considération. Il ne faut pas négliger l’enquête et la placer en priorité à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Il n’y a pas d’éléments affiliés à Al-Qaïda à proprement parler, mais il s’agit probablement d’éléments d’obédience salafiste partageant certaines idées de l’organisation terroriste. M. Ghosn n’a pas dit qu’il détenait des vérités vérifiées sur le terrain, mais de simples informations sur lesquelles il est nécessaire d’enquêter. Les frontières sont vastes. Certaines personnes ont déjà été arrêtées et les habitants de Ersal le savent. Sauf que l’arrestation de certains d’entre eux ne signifient pas que tous les habitants de Ersal doivent en assumer la responsabilité. Le plus important est de procéder à la délimitation des frontières entre le Liban et la Syrie, de manière à mieux les contrôler et à empêcher l’infiltration d’éléments indésirables dans les deux sens  ».

Mgr Béchara Raï, Patriarche des chrétiens maronites
« Il faut des réformes constitutionnelles adéquates en Syrie. Nous savons que le président Bachar al-Assad a entamé ces réformes depuis le mois de mars. Ces réformes doivent être inspirées de l’intérieur. Nous avons vu quel a été le résultat en Irak des réformes venues de l’extérieur. Nous sommes un seul peuple dans deux pays. »

Revue de presse

As Safir (Quotidien libanais proche de la majorité, 30 décembre 2011)
Bien que le dossier de l’organisation Al-Qaïda ait été la principale motivation de la réunion du Conseil supérieur de Défense, le communiqué publié par le Conseil a soigneusement évité toute référence à cette organisation. Il n’a ni confirmé ni démenti les informations sur sa présence au Liban. Il n’a pas non plus été question des affirmations du ministre de la Défense Fayez Ghosn sur une infiltration d’éléments d’Al-Qaïda en Syrie à travers le village d’Ersal. On a même l’impression, à lire le communiqué, que la question n’a pas été soulevée par le Conseil de Défense, bien qu’elle ait été la principale clause à son ordre du jour. Des sources informées qualifient d’intentionnelle l’absence de toute référence à Al-Qaïda dans le texte, « pour de multiples raisons ayant trait au caractère ultra-sensible du dossier ». Le président Michel Sleiman et le chef du gouvernement Najib Mikati ont tous les deux mis l’accent dans leurs interventions sur la nécessité de consolider la sécurité et la stabilité dans le pays. Quant au ministre Ghosn, il a présenté un exposé détaillé des informations en sa possession. Selon les sources précitées, les participants à la réunion ont pris connaissance d’« informations précises » dont disposent certains services de sécurité, et qui procèdent à partir des données mises en avant par le ministre de la Défense. Il a toutefois été décidé de ne pas les divulguer et de tenir le dossier d’Al-Qaïda d’une manière générale à l’abri de toute médiatisation : il fera donc l’objet d’un suivi « entre quatre murs » étant donné son caractère sensible dans les circonstances politiques actuelles.

As Safir (29 décembre 2011)
Nabil Haïtham
Le timing des accusations de blanchiment d’argent et de trafic de drogue formulées contre le Hezbollah dans des médias occidentaux est révélateur. Ces accusations interviennent quelques jours seulement après le coup porté à la CIA par le Hezbollah qui a démasqué les espions de l’agence au Liban. Le parti ne se contentera pas de démentir les accusations adressées contre lui, mais compte faire face à ses adversaires par tous les moyens et trouvera des méthodes ingénieuses comme il l’a fait dans le dossier de la CIA.

As Safir (28 décembre 2011)
Claire Chokor
Le public aouniste a le sentiment que le Hezbollah le prend désormais pour argent comptant. Ce public a inscrit sur son agenda une liste de questions qui attendent d’être traitées dans le cadre de cette entente : le retour des réfugiés en Israël, le règlement du dossier des disparus dans les prisons syriennes, les réformes, etc. Le public du CPL s’interroge sur le coût et le rendement de l’entente avec le Hezbollah, et attend des réponses convaincantes.
Quant au Hezbollah, il est satisfait par l’entente avec le Courant patriotique libre qui a porté ses fruits à plusieurs niveaux et qui a encore la vie longue. Il estime qu’il n’est pas impossible de résoudre les quelques problèmes qui se posent en raison de l’absence de coordination en Conseil des ministres. Le commandement du parti reconnaît des faux pas non intentionnels et cherche à y remédier pour ne pas mettre dans l’embarras son allié.

As Safir (27 décembre 2011)
Ammar Nehmé
Les auteurs de l’attentat contre un véhicule français de la Finul visaient clairement à déstabiliser la région en liant la scène sudiste aux évènements en Syrie. La frustration de la France est la conséquence de l’échec du plan que Paris voulait appliquer dans la région à partir de la porte syrienne. La France, le Qatar et la Turquie ont joué un rôle essentiel dans la campagne contre le régime syrien. Alors que l’axe qui soutient le régime syrien semble soudé et solide, la confusion règne dans les rangs de l’axe hostile à la Syrie. La preuve est la crise franco-turque autour du génocide arménien.
La France a subi un affront suite au dernier attentat. Un débat a été lancé entre les autorités politiques et militaires françaises autour du rôle français dans la Finul. Paris réduira probablement ses effectifs au Liban-Sud, mais sans se retirer totalement de la Finul comme le veut l’institution militaire française.
Les sources signalent par ailleurs que, contrairement à sa position annoncée, la France se méfie de la montée des courants islamistes dans le monde arabe. Si elle mise sur le pragmatisme des Frères musulmans, elle s’inquiète néanmoins de la montée en puissance des salafistes dont le rôle et les objectifs demeurent mystérieux. Dans un tel contexte, la stabilité au Liban-Sud est devenue un besoin pour la France et pour toutes les parties dans la région, en attendant le dénouement de la crise syrienne.

An Nahar (Quotidien libanais proche de la coalition du 14-Mars, édition du 30 décembre 2011)
Washington, Hicham Melhem
Le secrétaire d’État adjoint pour les affaires du Proche-Orient, Jeffrey Feltman, a déclaré qu’il faut donner quelque temps à la mission des observateurs de la Ligue arabe en Syrie pour s’assurer de la crédibilité du régime syrien en ce qui concerne la mise en œuvre de ses engagements. Mais « nous ne parlons pas d’un délai très long, parce qu’il est facile de s’en assurer relativement rapidement ». Si les réponses apportées dans le rapport de la délégation de la Ligue arabe sont négatives, la communauté internationale devra examiner les autres options nécessaires pour mettre fin à la violence.
Le diplomate a toutefois fait remarquer qu’avec l’arrivée des observateurs, la répression meurtrière a continué à Homs ainsi que dans d’autres villes et localités syriennes.
Interrogé à propos des informations sur le possible établissement de couloirs humanitaires, de zones tampons aux frontières syro-turques et d’une zone d’exclusion aérienne au nord de la Syrie, il s’est contenté de répondre : « Nous nous concertons de près avec les responsables turcs qui, tout comme nous, attendent le rapport que remettra la délégation au secrétaire général de la Ligue arabe. Nous devons bien sûr réfléchir aux autres options urgentes s’il apparaît que Bachar al-Assad a menti encore une fois ». Prié de préciser la nature de ces « autres options », il a répondu : « Nous sommes en train de discuter de la nature de ces démarches avec les Européens, les Turcs et nos partenaires arabes. »
D’autres sources ont quant à elles déclaré que Washington s’attendait à l’échec de la mission de la Ligue arabe.

An Nahar (29 décembre 2011)
Sarkis Naoum
Interrogées sur le risque de déstabilisation du Liban, des sources islamistes répondent que toutes les parties politiques libanaises veulent dans l’étape actuelle préserver la stabilité au Liban, si fragile soit-elle. Cependant, si le régime syrien demande l’aide de ses alliés libanais pour faire face à ses adversaires libanais sur leur territoire, ils ne refuseront pas sa demande. Personne ne sait quand le régime syrien aura besoin de ses alliés, mais cet appel d’aide ne tardera pas à venir. Cependant, dans sa lutte interne aux côtés du régime syrien, le Hezbollah n’aura pas recours à son arsenal militaire important.

Al Akhbar (Quotidien libanais proche de la majorité, 28 décembre 2011)
Fidaa Itani
Le communiqué publié par les brigades Abdallah Azzam niant leur responsabilité dans les attentats survenus dernièrement à Damas montre qu’Al-Qaïda n’est pas prête à revendiquer des actes de violence en Syrie -ou au Liban- comme elle le faisait en Irak, car cela renforcerait la position et les arguments du régime face à ses adversaires. Al-Qaïda ne compte pas offrir au régime et à ses services un tel cadeau.

Al Akhbar (27 décembre 2011)
Paris accueillera Mikati en ami, selon des responsables français. Ce sera la première occasion qui se présente au Premier ministre libanais pour débattre avec les dirigeants français des relations bilatérales, et de la situation au Liban et dans la région, après que les contacts eurent été limités, une année durant, à l’ambassadeur de France au Liban Denis Pietton. Les responsables français ne nient pas que si cette invitation s’est fait attendre, c’est en raison du retard dans le versement de la part du Liban au budget du TSL. Paris, on le sait, attache une grande importance à la relation entre le Liban et ce tribunal et tient à ce que toute la lumière soit faite sur l’assassinat du président Rafic Hariri.
Réalistes, les responsables français considèrent qu’un gouvernement qui travaille est de loin préférable à un gouvernement d’expédition des affaires courantes. Pour eux, la stabilité du Liban est une priorité. Ils exhortent le Liban à rester à l’écart de ces événements, dont ils craignent les retombées sur le pays du Cèdre. En même temps, ils prônent un traitement humanitaire pour les réfugiés syriens. Ils ont donc vu d’un mauvais œil la remise par l’Armée libanaise aux autorités syriennes de trois soldats qui avaient fui la Syrie. Par ailleurs, ils sont satisfaits de la politique par laquelle le gouvernement libanais « s’est dissocié » des décisions de l’Onu et de la Ligue arabe et en comprennent les motivations en rapport avec la sauvegarde de la stabilité intérieure.

L’Orient-Le Jour (Quotidien francophone libanais proche du 14-Mars, édition du 28 décembre 2011)
Le président de la République Michel Sleiman a reçu une lettre de remerciements de son homologue français Nicolas Sarkozy, pour sa prise de position, au lendemain de l’attentat contre le contingent français de la Finul à Tyr. M. Sarkozy a rappelé « l’engagement ferme de la France en faveur de la souveraineté du Liban et de son intégrité territoriale », insistant sur « les relations privilégiées liant les deux pays ». Le chef de l’État français a assuré que son pays « est déterminé à honorer ses engagements à l’égard du Liban, en maintenant sa participation à la Finul ». Il a enfin estimé que « la stabilité et la liberté du Liban n’ont jamais été plus importants qu’ils ne le sont à l’heure actuelle ». Il a conclu dans ce cadre que « le Liban et la France doivent, comme à l’accoutumée, se soutenir mutuellement et manifester une détermination commune face aux entraves. »

Source
New Orient News