En Europe centrale, le rejet de la Constitution européenne par les Français est salué par les eurosceptiques, mais la majorité des citoyens est plongée dans l’embarras, voire se sent trahie. En effet, le projet d’intégration européenne est largement une invention française et c’est Valéry Giscard d’Estaing qui a présidé la Convention européenne. Pour les petits États d’Europe, la construction européenne était en quelque sorte une réparation pour tout ce que la France avait raté au cours de la première moitié du XXe siècle : les traité de Versailles et de Munich. L’intégration européenne soutenue par la France visait à dissoudre l’Allemagne dans l’Europe et à la démocratiser. L’intégration européenne sous la houlette de la France a créé un irrésistible modèle de prospérité et de démocratie pour tous les Européens qui étaient restés prisonniers derrière le rideau de fer.
C’est pourquoi nous sommes choqués qu’aujourd’hui la France tourne le dos à la construction européenne pour des raisons égoïstes et indignes d’un pays animé d’ambitions globales. Si le référendum sur la Constitution européenne était, à sa manière, un référendum sur l’élargissement de l’UE, il est d’autant plus difficile d’accepter l’égoïsme que dissimule le non français. Au cours des 15 dernières années, les nouveaux pays membres de l’Union européenne se sont imposés des réformes drastiques pour adhérer à l’Union européenne. La France et les autres membres de la « vieille Europe » les ont encouragés dans ce processus, mais ils ont aussi exigé sans pitié qu’ils remplissent les critères d’adhésion. Mais la France refuse de s’imposer à elle même ces réformes. Vu d’Europe centrale, il semble que le projet européen a perdu de son charme aux yeux des Français lorsqu’ils se sont rendus compte que l’UE élargie ne pourrait plus être capable de cofinancer leur Etat social.
En rejetant la Constitution européenne, les Français ont aussi tourné le dos à l’Allemagne qui éveille toujours des craintes chez beaucoup de Centre-Européens. L’Europe centrale a pleinement le droit de se demander si une telle humiliation de l’Allemagne ne pourrait pas induire un changement de sa politique. Que se passerait-il si l’Allemagne décidait maintenant, à la lumière de sa situation économique et de la gifle française, de réduire ses contributions au budget de l’UE ?
Les nouveaux pays membres qui ont manifesté leur soutien à la Guerre d’Irak ont été humilié par la France. Mais la plupart des nouveaux membres surmontèrent finalement cette humiliation ; le tandem franco-allemand leur offrait une certaine garantie de trouver la prospérité et la sécurité dans l’Europe unifiée, et ce, grâce au projet de Constitution européenne. La France a montré que ses propres intérêts sont plus importants que les intérêts européens. Surmonter cette déception sera très difficile.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Pourquoi le non de la France est difficilement acceptable », par Jiri Pehe, Le Figaro, 10 juin 2005.