Les résultats de l’élection présidentielle iranienne du 24 juin 2005 ont perturbé les médias occidentaux qui avaient tous parié sur une victoire d’Ali Rafsandjani.
Déstabilisés, les médias allemands se tournent vers les universitaires, spécialistes de la question. Le quotidien autrichien Der Standard interroge le directeur de l’institut d’ « iranistique » de l’Académie des sciences de Vienne, Bert Fragner. Il affirme que la situation en Iran est totalement imprévisible. Les médias occidentaux se sont focalisés sur les questions de mœurs, laissant de côté la question sociale alors qu’il s’agissait de la question la plus importante pour les Iraniens. Aujourd’hui, l’élection d’Ahmadinejad est l’accession au pouvoir d’un révolutionnaire sincère profondément ancré dans la dimension socio-religieuse de la Révolution de 1979. Interviewé par Deutschland Radio, le directeur du département Moyen-Orient et Afrique de l’Institut de recherches en affaires internationales, Johannes Reissner, partage cette analyse. Il existe une grande incertitude concernant les intentions du nouveau pouvoir, tout ce que l’on sait du nouveau président est son parcours révolutionnaire sans tâche. Il invite donc les analystes à la prudence concernant l’appellation « conservateur » qui ne traduit pas en Iran la même chose qu’en Occident. En réalité, Ahmadinejad souhaite trouver un modèle de développement typiquement iranien, sans se référer à l’Occident.

La surprise de ces élections provoque un moment de flottement dans la propagande atlantiste contre l’Iran. Les relais néo-conservateurs dans la presse occidentale martelaient depuis quelques temps que le résultat de l’élection présidentielle iranienne ne changerait rien et que le pouvoir resterait aux mains des fondamentalistes. Il ne fallait donc pas tenir compte des gestes d’ouverture que n’allait pas manquer de faire le prochain président. Cette stratégie de communication faisait le pari que le président iranien serait Rafsandjani. Ce dernier jouissant d’une image de modéré, il était important de dénoncer par avance sa duplicité et la rouerie de Téhéran, affichant un visage respectable tout en gardant une ligne dure. Les tribunes publiées par Le Figaro avant chacun des deux tours de l’élection étaient une illustration parfaite de cette tactique.
Avant le premier tour de l’élection, le journal conservateur français avait publié un texte de Maryam Radjavi prétendant que l’élection ne changerait rien et appelant à un renversement du régime. Le jour du second tour, c’est au prétendant du trône d’Iran, Reza Pahlavi, que le quotidien français donnait la parole. Il soulignait que M. Rafsandjani avait appelé à la destruction d’Israël et avait été condamné pour conspiration criminelle en Allemagne. Il appelait donc la France à se préparer à un changement de régime en Iran en soutenant l’opposition.
Cet angle d’attaque s’est effondré avec l’élection de M. Ahmadinejad. Il faut trouver une autre approche face à un dirigeant qui est un quasi-inconnu.

Le jour du second tour, l’éditorialiste du Tehran Times, Hassan Hanizadeh, annonçait que face aux tentatives de déstabilisation des États-Unis, les Iraniens resteraient unis. Dans cet éditorial, qui s’apparente à un communiqué officiel, il ressort que, pour les autorités iraniennes, c’est la crainte des tensions ethniques qui l’emporte sur toutes les autres menaces. Le stratège du Pentagone et du CSIS, Edward N. Luttwak, en tient compte dans le Los Angeles Times et voit là une faille de son adversaire. Il affirme ainsi qu’Ahmadinejad est un individu xénophobe et puritain qui va à l’encontre des aspirations des minorités ethniques iraniennes et de la jeunesse. Il perçoit donc dans cette élection une chance de voir un affrontement entre ces groupes et le régime islamique qui entraînera la chute de ce dernier.

L’expert du cabinet Benador Associates, l’éditorialiste, Amir Taheri, estime, pour sa part, dans The Australian et Gulf News, que l’Iran ne peut plus jouer sur ses divisions. Trop longtemps, la République islamique a utilisé les divisions de ses élites pour laisser croire à l’Occident qu’il était possible de négocier avec une faction contre une autre. Aujourd’hui, les fondamentalistes ont rassemblé dans leurs mains tous les pouvoirs, la situation est donc clarifiée. Aux Iraniens et aux Européens d’en tirer les conséquences.

De son côté, le Washington Times ne se préoccupe pas de cette élection et travaille à la diabolisation à l’extrême de Téhéran. Le journal d’extrême droite publie sur trois jours les extraits de Countdown to Crisis : The Coming Nuclear Showdown with Iran, de Kenneth R. Timmerman. Ce dernier est journaliste et écrivain, éternel lobbyiste des guerres impérialistes et du réarmement tout azimut des États-Unis et membre de la Foundation for Democracy in Iran. Ces trois extraits sont un flots d’éléments de propagande plus abracadabrants les uns que les autres. Pêle-mêle, dans un style très romancé qui ravira les fans de James Bond (voire d’Austin Powers), on apprend que l’Iran est en lien avec Al Qaïda depuis 1992, via le Soudan, puis via le Hezbollah, que Téhéran est complice des attentats du 11 septembre et qu’aujourd’hui l’Iran construit des armes nucléaires avec la complicité de l’Allemagne ! Si aucune information sur ce sujet n’a filtré avant c’est parce que les services de renseignement états-uniens sont englués dans une croyance qui les empêche de voir la réalité en face.
Les faucons ne savent peut-être pas encore quels arguments ils mettront en avant pour justifier une attaque de l’Iran, mais avec ce fourre-tout, ils n’ont plus que l’embarras du choix.