Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Cher Jean-Paul Fitoussi,
Mesdames et Messieurs,

Quelques mots d’abord, pour vous remercier pour l’accueil que vous nous faites à l’occasion de ce colloque et également pour l’action que mène votre organisation, Monsieur le Secrétaire général, pour tenter de coordonner les politiques économiques - nous en avons besoin - recommander les bonnes pratiques au plan de la politique économique - nous en avons aussi besoin - et permettre aux états membres de réfléchir au meilleur moyen de sortir de la crise.

C’est la question que vous posez. Quand allons-nous sortir de la crise ?

Je dois dire que je me la pose aussi parce que cette crise est longue. Elle a commencé en 2008 et elle a pris des formes multiples depuis 5 ans. Sûrement faut-il la nommer pour ce qu’elle est, c’est-à-dire d’abord une crise de la finance dérégulée. Mais elle n’est déjà plus cela, elle est aussi une crise économique et donc une crise politique.

Le premier acte est venu des États-Unis avec un secteur bancaire qui s’était arrogé tous les moyens, tous les pouvoirs, tous les instruments, au détriment des épargnants et du secteur productif, et avec des dérives dont la spéculation s’est emparée.

Un système financier s’était donc développé en marge de l’économie réelle, avec ses propres références et ses propres normes - ou devrais-je dire son absence de toute norme.

Les inégalités se sont creusées, pas simplement d’ailleurs aux États-Unis, mais dans l’ensemble des pays développés et même au-delà. Inégalités dont nous n’avions jamais eu connaissance depuis l’histoire même du capitalisme.

La bulle financière s’est donc un moment produite et elle a fini par éclater.

Le deuxième acte de cette crise est européen.

Avec la crise des dettes souveraines, les marchés ont découvert qu’ils pouvaient renchérir les conditions de financement des États eux-mêmes, avec un autre mécanisme qui s’est également ajouté, qui a lié les banques et les États.

La fragilité des unes faisant la vulnérabilité des autres.

Le troisième acte, nous le vivons aujourd’hui, c’est la prolongation de la dépression en Europe, à travers la poursuite de politiques d’austérité dans les pays qui, justement, avaient été regardés comme les plus vulnérables.

Devrais-je les citer : la Grèce, mais pas seulement la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie. Ces politiques n’ont pas été sans effet, elles ont permis à ces pays-là, dans les meilleures circonstances, de retrouver l’accès aux marchés. Mais ces politiques d’austérité, dès lors qu’elles n’ont pas été compensées par des politiques de relance dans les pays excédentaires en termes de paiement courant, ont provoqué un ralentissement de l’économie européenne, voire même une récession.

Ce constat vous le connaissez, mais il doit être fait. Sinon comment faire comprendre à nos peuples, à nos opinions publiques, ce qui est en train de se produire ?

La crise d’abord financière, puis budgétaire, est devenue une crise économique. Pour la régler, nous devons à la fois traiter la finance, ce qui d’ailleurs a été engagé depuis plusieurs années, traiter la question budgétaire mais aussi répondre à la question du soutien de l’économie.

J’ai deux convictions fortes.

La première, c’est que dès lors que cette crise est globale, elle ne pourra être traitée que globalement, c’est-à-dire économiquement, socialement et politiquement.

La seconde conviction, c’est que l’issue de cette crise ne sera pas le retour au statu quo ante, au monde d’avant. Nous devons donc en bâtir un autre, un nouveau monde, celui que vous avez inscrit au programme de votre colloque.

La France doit prendre sa part à la construction de ce nouveau monde.

Pour y contribuer, je me situerai d’abord au niveau de la politique économique que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault conduit depuis onze mois.

J’ai fixé un objectif : le redressement productif et budgétaire de la France, avec trois grands principes d’action.

Le premier, c’est le retour progressif à l’équilibre des comptes publics. Non pas pour je ne sais quelle raison de système, quelle obstination théorique, mais tout simplement parce que comme chef de l’État, je ne peux pas laisser reposer sur les générations futures le poids de la dette. Ce serait de l’irresponsabilité, de l’aveuglement.

Je rappelle quelques chiffres pour ce qui concerne la France. Il y a dix ans le déficit public, qui était déjà considéré comme trop important, représentait 1,6 % de la richesse nationale et la dette était autour de 57 % du PIB. Aujourd’hui, je devrais dire en 2012, le déficit était de près de 5,2 %, en 2011. Il sera de 4,8 % en 2012. La dette publique représente 1,8 milliard d’euros, plus de 90 %. Si rien n’est fait nous serons à 100% dans les prochaines années. Je m’y refuse.

D’où la politique de sérieux budgétaire, mais qui doit elle-même se fixer des objectifs, et donc ne pas entamer la reprise de la croissance que nous devons favoriser et stimuler.

C’est pourquoi, la solution à cette crise n’est pas l’austérité, c’est la crédibilité, c’est la soutenabilité, c’est la stabilité.

C’est dans cette perspective que le gouvernement va présenter à la Commission européenne et avant au Parlement français le programme pour retrouver l’équilibre de nos comptes publics à moyen terme.

Je rappelle les efforts que nous avons faits déjà, depuis un an.

Rien que sur les années 2012 et 2013, la réduction des déficits, indépendamment de tout effet de conjoncture, représentera près de 3 % de la richesse nationale, 3 %. Cela n’avait jamais été fait dans notre pays. C’est considérable !

C’est la raison pour laquelle, le gouvernement français plaidera auprès de ses partenaires, mais je sais que nous avons déjà été entendus par un certain nombre d’organisations, pour que le retour au déficit à 3 % du PIB soit repoussé, soit décalé d’un an. Pourquoi ?

Pour différer les choix, non. Puisque j’ai maintenu le cap, réaffirmé la trajectoire et notamment annoncé que les dépenses publiques de l’État en 2014 seraient à un niveau inférieur à ce qu’elles seront en 2013.

L’objectif doit être sur le niveau de la dépense. Ensuite, il peut y avoir des effets de conjoncture.

Mais l’engagement que je prends, au-delà de la trajectoire que nous fixons, c’est sur le niveau de la dépense, sur les économies.

L’amélioration des comptes publics d’ailleurs, en 2014, en France, proviendra aux deux tiers d’économies et pour le reste de prélèvements. Entre 2015 et 2017, c’est par des réformes structurelles que le redressement s’opèrera et non pas par des coupes automatiques, dont on voit que si elles sont faites à l’aveugle, elles provoquent des dégâts sociaux considérables.

Parce qu’à un moment, c’est sur l’éducation, la formation, l’investissement que se font les ajustements, c’est-à-dire sur la préparation de l’avenir, les conditions même de la croissance.

Ce que je veux, c’est le sérieux budgétaire, indispensable pour le désendettement à moyen terme. Mais c’est aussi la croissance, parce que sans la croissance, il n’y aura pas de réduction des déficits. S’il n’y a pas un engagement en termes de comptes publics, il n’y aura pas le retour de la confiance, donc à la croissance. Tout se tient.

C’est pourquoi le deuxième principe de la politique économique que le gouvernement conduit, c’est de mettre en oeuvre une stratégie d’investissement. C’est le « pacte de compétitivité » - qui a été présenté, le « crédit d’impôt compétitivité-emploi » qui l’accompagne pour favoriser l’emploi, l’investissement, l’exportation.

De la même manière, j’ai identifié plusieurs filières d’excellence qui devront être soutenues, y compris par une mobilisation exceptionnelle de l’épargne. Je pense au logement, au numérique, à la rénovation thermique, et plus largement, à la transition énergétique et aux nouvelles technologies, parce que c’est là que se joue la croissance de demain.

L’État de ce point de vue doit changer. J’entends un certain nombre de recommandations qui nous sont faites.

 D’abord, l’État doit être le garant de la stabilité de règles : c’est pourquoi, j’ai annoncé la pérennisation de tous les dispositifs fiscaux en faveur des PME et en faveur du soutien à l’innovation et à la recherche. Tout au long du quinquennat, ces dispositifs seront préservés quoi qu’il arrive.

 Deuxième engagement que doit faire l’État : C’est de simplifier la vie des agents économiques, entreprises comme des particuliers. En simplifiant les procédures, en raccourcissant les délais, en accélérant les décisions. Ce que je crois profondément, c’est que le mode d’action des États et des acteurs publics n’est plus adapté à la situation économique.

C’est trop lent, c’est trop lourd. Une grande partie de l’insatisfaction de nos concitoyens, c’est de voir qu’au-delà de ces décisions qui sont annoncées, votées et même appliquées, cela met trop de temps par rapport à l’urgence.

Pour les entrepreneurs, lorsqu’il s’agit de leur donner les conditions d’investissement, pour les particuliers, pour leur envoyer des messages pour la consommation ou pour leurs achats de biens durables, ou pour les transitions énergétiques.

Les signaux ne peuvent plus être simplement indicatifs, ils doivent être réels, traduits dans la vie quotidienne.

Le troisième principe, c’est le soutien à l’emploi. Comment peut-on accepter les niveaux de chômage que nous connaissons ? Le chômage des jeunes et le chômage des séniors.

C’est tout le sens de ce que nous avons fait pour la réforme du marché du travail.

Je salue les partenaires sociaux qui ont pris cet engagement que nous avons d’ailleurs traduit sous forme législative.

C’est aussi ce que nous avons introduit, le « Contrat de génération ». C’est ce que nous devons faire pour l’emploi de ces jeunes qui sont les plus éloignés du marché du travail.

Ce n’est pas simplement un problème français, c’est un problème européen.

Dans le budget de l’Europe, il y aura une disposition financière particulière pour le soutien à l’emploi des jeunes.

Le gouvernement veut maintenant aller plus loin avec la même méthode sur la formation.

J’avais le chiffre qui m’était donné, ce matin. Le nombre de demandeurs d’emploi en France, qui accède à la formation a reculé en 2011. C’est tout l’inverse qu’il faut produire, je veux qu’à travers une négociation, les moyens de la formation professionnelle soient redéployés vers les demandeurs d’emplois, vers les jeunes, vers les salariés qui sont victimes d’un certain nombre de mutations et qui doivent être qualifiés pour de nouveaux emplois.

Cela sera la deuxième étape de la réforme que nous allons engager en matière d’emploi.

Voilà ce que nous faisons en France : le sérieux budgétaire, condition de la crédibilité.

L’investissement : nécessité pour préparer la croissance.

L’amélioration de la formation, des conditions d’emploi, de la préparation des mutations, indispensables pour lutter contre le chômage structurel qui est en train de s’installer dans notre pays et en Europe. Parce que le deuxième niveau sur lequel je veux intervenir, où la France est attendue, c’est le niveau européen.

La zone euro est en récession. Jamais le chômage n’avait été aussi élevé depuis l’introduction de l’euro. Je ne fais pas de relation, comme certains voudraient essayer de l’introduire. Ce n’est pas parce qu’il y a l’euro qu’il y a la crise. C’est parce qu’il y a une insuffisance d’Europe que la crise se poursuit.

Aucun pays ne s’en sortira seul. Même celui qui parait le plus protégé par son haut niveau de compétitivité finit par être atteint par la dépression et par la récession.

Je ne veux pas accabler l’Europe, je veux la défendre, y compris pour ce qu’elle a fait depuis un an.

La zone euro a été préservée dans son intégrité, ce n’était pas sûr, ce n’était pas écrit.

Quand je suis arrivé en responsabilité de la France au mois de mai dernier, la question était posée : est-ce que la Grèce va rester ? Est-ce que l’Espagne pourra tenir ? Est-ce que l’Italie ne va pas craquer ?

Ce que nous constatons depuis maintenant près d’un an, c’est que même si cela a pris trop de temps, j’en conviens, sur la Grèce, sur Chypre et même sur l’Espagne ; aujourd’hui, il y a une certitude, c’est que la zone euro a été préservée. Aucun des membres n’a été abandonné.

C’était une condition indispensable pour retrouver la confiance.

L’Europe a également été capable, ce n’est pas non plus une évidence que de le dire aujourd’hui, de réintroduire de la stabilité sur le plan financier avec la création de l’Union bancaire, c’est-à-dire des règles partagées, des principes communs qui s’imposent à tous, avec une autorité de supervision, demain de résolutions, et avec une possibilité de recapitaliser les banques, sans qu’il en coûte quoi que ce soit à l’épargnant et au contribuable.

La France a pesé de tout son poids, elle a même pris les devants en faisant voter une loi bancaire, dont on me dit qu’elle ne va pas assez loin. Nous sommes les premiers à la faire voter en Europe, les premiers avant même les dispositions que prévoit la Commission européenne.

Qu’a fait cette loi bancaire ?

Elle sépare les activités spéculatives, des missions de dépôts et de crédits.

Elle permet également de responsabiliser les banques, de protéger les épargnants.

Les banques ne pourront plus être actionnaires de fonds spéculatifs et dans le même temps, les banques financeront le fonds qui justement sera destiné en cas de crise à sauver des établissements, sans qu’il en coûte quoi que ce soit aux contribuables.

Je veux saluer ce qu’a fait l’Europe sur le plan de l’intégrité de la zone euro, de l’Union bancaire, des mécanismes d’interventions pour venir en soutien aux États qui étaient en difficulté.

Mais en même temps, je veux aussi souligner ce qu’elle n’a pas fait ou n’a pas fait suffisamment, notamment en termes de croissance.

Certes - c’était aussi une initiative française - nous avons fait adopter un pacte de croissance, 120 milliards d’euros, dont nous voyons aujourd’hui quelques traductions en termes de prêts de la BEI ou de mobilisation des fonds structurels, et c’est bien.

Mais l’Europe doit faire davantage.

Je ne parle pas simplement de son budget, je parle de ces fonds qu’elle pourrait mobiliser, de ces emprunts qu’elle pourrait lever, c’est toujours mon idée. Parce que ce que l’Europe a été capable de faire au lendemain de la seconde guerre mondiale, après des conflits terribles entre nations, c’est-à-dire capable de créer une communauté - à l’époque c’était sur le charbon et l’acier - l’Europe doit après cette crise être capable de mettre en commun un certain nombre de politiques.

Je pense notamment au plan énergétique, au plan de l’infrastructure, au plan des transports. Et je crois que les idées progressent d’abord entre entreprises - un certain nombre sont représentées ici - et entre les États. Est-ce que nous pourrons le faire à 27, à 28 ? Je ne le sais pas. Ce que je sais c’est qu’en tout cas la France et l’Allemagne doivent avoir cette volonté. Y compris parce que nous n’avons pas les mêmes politiques énergétiques et que nous pouvons faire ensemble, sur les énergies renouvelables, un certain nombre de choix.

La sortie de la crise de la zone euro ne passera pas par une recette unique ou simpliste.

Certains voudraient nous faire croire que la solution consisterait à réduire encore plus vite les déficits. Mais chacun connait le risque, c’est qu’il n’y ait aucun résultat en termes de rétablissement des comptes publics parce qu’il y aura une récession qui se prolongera, et j’en connais les conséquences : le chômage et le désarroi des peuples et avec, la montée d’un certain nombre de populismes. Il n’y a pas besoin de les inventer, ils sont là, déjà là.

C’est la première politique qui nous est proposée : aller encore plus vite, encore plus loin, encore plus fort, au risque de casser la machine économique.

D’autres voudraient trouver des échappatoires, laisser penser qu’en laissant filer les déficits - et je sais que ce n’est pas l’idée qui ici est proclamée - nous pourrions faire du keynésianisme un bon compte. Si c’était prouvé que quand on a ce niveau de dette, plus de déficit fait plus de croissance, cela se saurait.

Et puis, il y a une autre politique aussi qui est affichée, parfois discrètement, parfois plus directement, c’est la sortie de la zone euro, l’éclatement de la zone euro. Et tous les pays connaissent ce débat.

Donc il n’y a pas qu’une politique possible, il y en a toujours plusieurs.

Il y a les réductions drastiques de dépenses avec la fin d’un certain nombre de modèles sociaux.

Il y a le creusement des déficits avec le risque de la sanction qui viendra tôt ou tard.

Et puis, il y a la politique d’éclatement de la zone euro, de la fin de ce que nous avons construit ensemble.

Alors, la politique que je propose c’est le sérieux budgétaire indispensable, la compétitivité que nous devons rétablir, la croissance que nous devons rechercher et qui passe donc par une réorientation des priorités de l’Europe. Comment ?

Dans aucune zone monétaire, digne de ce nom, les politiques peuvent être laissées à la discrétion des États.

Il y a nécessité de la coordination. Sur quelle base ? Les pays qui sont en déficit de balance de paiement, en déficit de comptes publics doivent rétablir dans un délai raisonnable ce qui fait qu’ils sont en écart par rapport aux autres.

Mais à l’inverse, les pays qui sont en excédent de balance commerciale ou qui ont rétabli leurs comptes publics doivent soutenir la demande pour permettre justement à ceux qui sont dans une situation plus difficile de pouvoir avoir le soutien de l’activité.

C’est pourquoi une zone monétaire comme la zone euro - et j’y tiens parce que je suis attaché au projet européen - ce n’est pas l’homogénéité (tout le monde faisant la même politique), pas davantage l’hégémonie (certain pays imposant aux autres un modèle), c’est la coordination, la coopération et donc la convergence, cela s’appelle la solidarité.

L’Europe - je cite Jean-Paul Fitoussi - est orpheline de la politique... c’est vrai. Ce qui veut dire que l’Europe est née de la politique. Elle ne se relancera que par la politique.

Cela veut dire quoi ? Pas des mots, pas des discours mais des actes politiques, des institutions plus solides, un parlement respecté, un pouvoir identifié, des décisions plus rapides et des moyens mobilisés.

Je me fais souvent cette réflexion quand je vais hors d’Europe. Nous sommes regardés quelques fois avec admiration - c’est légitime - quelques fois avec un peu plus de commisération - « mais qu’est-ce qu’il se passe en Europe ? ».

Nous oublions de dire que l’Europe, c’est la première puissance économique du monde - à la fois sur le plan de ses moyens industriels, technologiques, humains - et nous devons revendiquer cette place.

L’Europe doit prendre conscience d’elle-même et peser dans le destin du monde.

C’est le dernier niveau que je voulais évoquer : le monde.

Le monde a beaucoup changé depuis une décennie, considérablement changé : les rapports de forces, les positions, les niveaux de croissance... Les pays émergents ne sont plus émergents, ils sont aujourd’hui à des niveaux de développement considérables. Des rattrapages ont été faits. Les croissances que nous connaissons en Asie dans une partie de l’Amérique sont sans rapport avec les croissances en Europe.

Ce nouveau monde qui est en train de se bâtir a besoin de cohésion.

Je vois des menaces, compte tenu des tensions qui existent aujourd’hui.

J’en vois deux.

Le protectionnisme qui peut être la réponse, continent par continent, parfois pays par pays, de se dire que puisque nous n’y arriverons pas, essayons de rendre plus difficile l’échange.

La seconde menace c’est la guerre des monnaies, elle est là. D’ailleurs c’est la même chose, protectionnisme et guerre des monnaies. Et c’est souvent dans des périodes de dépression que ces tentations existent, si l’on veut faire quelques rappels historiques.

Nous devons lutter contre le protectionnisme, mais en même temps contre le libre-échange sans règles, sans normes. Les pays européens ne peuvent pas avoir des règles sociales et environnementales monétaires et continuer sans contrepartie à assurer le commerce avec des pays qui ont transgressé ces règles ou ne les ont pas appliquées. Des échanges totalement libres ne sont pas entièrement justes. La régulation du commerce mondial est l’une des urgences pour la reprise de la croissance.

Mais il y a aussi deux exigences que nous devons traiter.

La première c’est de maitriser la finance folle et de lutter contre les paradis fiscaux. Il ne doit pas y avoir un pays sur la carte du monde où la dissimulation, le blanchiment, la fraude soient tolérés. Personne ne doit pouvoir se croire à l’abri derrière la facilité d’un système fiscal ou la protection d’un secret.

Là-dessus la volonté de la France ne fléchira pas. Je le dirai aussi bien au G8 en juin qu’au G20 en septembre.

Quels sont les principes que nous devons poser ?

Premier principe, l’échange automatique d’information au bénéfice des administrations fiscales. Ce doit être la règle dans le monde entier parce que c’est une règle simple. La France l’a affirmé la semaine dernière, c’était à Dublin au conseil des ministres de l’Union européenne. Nous voulons qu’au sein de l’Europe ces échanges d’information soient automatiques, mécaniques et que ça puisse être d’ailleurs la règle que nous posons avec les pays tiers. Déjà 5 pays ont signé une lettre commune à ce sujet et ce sera à l’ordre du jour du Conseil européen.

Cette généralisation doit porter aussi sur des mécanismes de taxation de l’épargne qui doivent être communs à l’ensemble au moins de la zone euro.

Je sais pouvoir compter sur l’OCDE pour travailler dans cette direction ; c’est-à-dire sur la lutte contre le blanchiment, sur l’harmonisation des règles fiscale.

La seconde exigence que nous devons poser au-delà de la lutte contre le blanchiment, contre la fraude, contre ce qui désorganise l’économie réelle, perturbe à juste raison les opinions publiques - et ça c’est une exigence de court terme.

L’autre exigence, qui est une exigence de moyen terme, c’est le développement durable.

Ce n’est pas un sujet accessoire dont il faudrait attendre la fin de la crise pour le réévoquer.

C’est la raison pour laquelle la France organisera la conférence climat en 2015. Parce qu’aucune ne pourra être véritablement soutenable s’il n’y a pas un changement de règles à l’échelle du monde pour l’accès à l’énergie, aux matières premières, pour leur bonne gestion.

Voilà l’avenir que nous voulons.

Mais aucun des défis dont je viens de parler, aucun, aussi bien la croissance économique, la mise en ordre de la finance, le règlement des difficultés budgétaires, la réduction des inégalités, l’organisation de l’Europe et des autres continents... Aucun de ces défis ne pourra être véritablement relevé s’il n’y a pas un changement de la gouvernance mondiale.

Là encore, prenons des exemples historiques.

J’évoquais l’Europe au lendemain de la guerre, mais je devrais évoquer le monde au lendemain de la guerre.

Qu’a-t-il été capable là encore, alors même que la guerre n’était pas encore finie ?

Il a été construit les systèmes de Bretton Woods au lendemain de la guerre froide - quand cette guerre froide est apparue pour ce qu’elle était - nous avons créé une organisation pour que les pays qui se voulaient libres puissent coopérer.

Il en est de même dans le monde d’aujourd’hui, nous avons besoin de renforcer la gouvernance mondiale, cela vaut pour les institutions monétaires - le Fonds monétaire, la Banque mondiale - mais cela vaut aussi pour ce que j’ai appelé le Conseil de sécurité économique et environnementale qui devrait être érigé comme il existe un Conseil de sécurité pour prévenir les conflits.

Voilà le projet que nous devons porter. Il est exigent et ce qui est en jeu, je le mesure ici et chacun doit avoir à l’esprit ces risques et ces espoirs.

Les risques c’est que les cohésions nationales s’effritent pays par pays.

Les risques c’est que les populismes grandissent, faute d’espoir.

Les risques c’est que la construction européenne - cette grande aventure, cette grande idée - puisse être un jour discutée.

Les risques c’est que le monde puisse connaitre des déséquilibres qu’il ne parviendra pas à résoudre. Alors l’espoir, l’espoir c’est d’abord ici en France de pouvoir montrer la ligne d’horizon ; qui n’est pas simplement la bonne gestion des comptes publics nécessaire, qui n’est pas simplement d’avoir une maîtrise de la dépense indispensable.

L’espoir doit être de retrouver le chemin de la croissance, le chemin de l’emploi, avec des filières que nous devons constituer, avec une stratégie que nous devons porter, une fierté par rapport à un certain nombre de réalisations, notamment dans le domaine de l’innovation et de la recherche.

L’espoir pour l’Europe c’est être capable de reconstruire son projet politique autour de la coopération, de la coordination, d’investissements communs.

L’espoir, c’est un monde qui parvienne à réduire les inégalités, à poser des règles et à faire en sorte que nous soyons tous responsables du destin commun.

Voilà le monde d’après qui suppose d’abord une France capable de porter sa voix car cette voix est attendue.

Une Europe consciente de son avenir et un monde qui sait qu’il est maintenant lié forcément au destin commun.

Nous avons non seulement à préparer ce monde pour la génération qui est là mais pour la suivante car un jour - et ce jour est venu - il est possible que la génération actuelle nous demande des comptes avant la génération future.

Merci.