M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine, dans le cadre du mandat résultant de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.

La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, jeudi dernier, le Président de la République s’est adressé à la nation pour annoncer l’intervention des forces françaises en République centrafricaine. La décision d’engager nos forces armées est toujours une décision grave.

Nous venons de rendre hommage aux deux soldats, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, qui ont fait cette nuit le sacrifice de leur vie. Mes pensées vont à leur famille et à leurs proches, auxquels j’exprime la solidarité de la nation, et je transmets les condoléances les plus attristées de l’ensemble du Gouvernement.

En République centrafricaine, nos hommes interviennent en appui à la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, et sur la base d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.

Cette intervention était urgente et nécessaire. Quelques heures auparavant, des miliciens armés massacraient encore dans les rues de Bangui, n’épargnant ni les femmes ni les enfants, munis de listes de victimes et faisant du porte-à-porte pour les traquer. Le danger d’une telle situation, le Président de la République l’avait dénoncé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier. Notre alarme était justifiée : le pays était bien au bord du gouffre.

Depuis la prise du pouvoir par des rebelles de la Séléka, le 24 mars 2013, les exactions, l’arbitraire, les pillages, le recrutement d’enfants soldats, les villages brûlés, les viols, les mutilations, les exécutions sommaires : voilà à quoi s’est résumée la vie quotidienne des populations civiles, victimes de la faillite de l’État centrafricain. Plus inquiétants encore, les affrontements entre groupes ont pris récemment une tournure intercommunautaire et interconfessionnelle extrêmement dangereuse. Cette spirale de la haine aurait pu à tout moment déboucher sur un enchaînement d’exactions et de représailles entre chrétiens et musulmans.

L’anarchie en République centrafricaine est aussi une menace pour une région – les Grands Lacs, les Soudans – déjà très fragile. Ce pays, enclavé entre le Cameroun, le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville, ne doit en aucun cas devenir un nouveau sanctuaire pour tous les trafics et tous les groupes terroristes. À cet égard, c’est aussi notre sécurité et celle de l’Europe qui sont en cause.

À cette crise, à cet effondrement sécuritaire s’ajoute une tragédie humanitaire : un habitant sur dix a dû abandonner son foyer ; 70 000 Centrafricains ont déjà quitté le pays et 2,3 millions de personnes ont besoin d’une assistance en urgence.

Face à ce drame, la France pouvait-elle ne rien faire ? La France pouvait-elle rester sourde aux appels à l’aide des autorités centrafricaines et de nos partenaires de l’Union africaine ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour la France, l’inaction n’était pas une option. Attendre, c’était prendre le risque d’un désastre. Attendre, c’était nous exposer au risque d’une intervention ultérieure, beaucoup plus coûteuse et beaucoup plus difficile.

Cette décision fait suite aux efforts déployés depuis plusieurs mois en faveur d’une réponse collective à cette tragédie en plein cœur de l’Afrique. Il y a eu d’abord le message d’alarme du Président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies, je l’ai rappelé. Il y a eu ensuite l’encouragement aux pays de la région à renforcer les troupes qu’ils avaient commencé à déployer et à user de toute leur influence pour que les parties cessent les violences et reprennent le chemin de la transition politique.

C’est la France qui a saisi le Conseil de sécurité et qui a obtenu que deux résolutions soient votées à l’unanimité. La résolution 2127, adoptée la semaine dernière, donne mandat à la force africaine de stabiliser la République centrafricaine et de protéger les civils. Elle nous permet d’appuyer cette force.

C’est encore la France qui a su convaincre ses partenaires internationaux d’apporter leur soutien politique, logistique et financier à cet effort international de stabilisation.

Le cadre de l’opération Sangaris est incontestable. La France agit sur la base d’un mandat des Nations unies. Elle répond à l’appel lancé par l’Union africaine, le 13 novembre dernier. Elle répond également à une demande d’assistance des autorités de transition centrafricaines.

Nos objectifs sont clairement circonscrits.

Premièrement, il faut rétablir la sécurité en République centrafricaine, enrayer la spirale d’exactions et la dérive confessionnelle et permettre le retour des organisations humanitaires ainsi que le déploiement des structures étatiques de base.

Deuxièmement, nous voulons favoriser la montée en puissance rapide de la MISCA et permettre son plein déploiement opérationnel. La MISCA doit en effet être en mesure d’assurer le contrôle de la situation sécuritaire, de désarmer les milices et de faciliter la transition politique.

Le Président de la République l’a dit, notre intervention sera rapide, elle n’a pas vocation à durer. Elle est pleinement cohérente avec le message du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique : la sécurité de l’Afrique relève de la responsabilité des Africains.

Nos forces sont engagées, dans l’urgence, en soutien des contingents africains de la MISCA, dont l’action a déjà commencé et va se renforcer. L’Union africaine a en effet annoncé qu’elle porterait rapidement sa présence sur le terrain de 2 400 à 6 000 hommes. Ces hommes viennent de tous les pays de la région.

Le désengagement de nos forces commencera dès que la situation le permettra, en fonction de l’évolution sur le terrain et de la montée en puissance des capacités opérationnelles des forces africaines. Ce doit être l’affaire de quelques mois.

Nous savons qu’il faudra du temps pour désarmer les milices, former de nouvelles forces de sécurité centrafricaines et mener à bien un processus électoral. C’est le rôle, dans la durée, de la MISCA.

La résolution 2127 prévoit qu’une opération de maintien de la paix des Nations unies pourra, si le Conseil de sécurité en décide, lui succéder pour la conforter et lui apporter un cadre plus robuste, y compris en matière de financement. L’Union européenne pourra également y contribuer, notamment grâce aux instruments de la politique de sécurité et de défense commune.

Je salue la rapidité et la qualité de l’action que conduisent nos forces sur le terrain. Nous avons pu, grâce à la complémentarité entre notre dispositif prépositionné dans la région et les forces en alerte en France, porter en deux jours notre présence sur place à 1 600 hommes. Nous avons pu, grâce aux renforts rapides qui ont été déployés à Bangui et ailleurs, à Bossangoa en particulier, éviter des massacres de masse, alors que la situation dans la capitale devenait critique. Vous avez d’ailleurs pu lire les témoignages des observateurs et des représentants des organisations non gouvernementales, dont je salue l’engagement.

Nos hommes, aux côtés des forces africaines, sécurisent les sites les plus sensibles, notamment l’aéroport et les zones de regroupement de nos compatriotes, qui sont près de 800, dont 500 binationaux. Ils assurent une présence constante par des patrouilles, dont la vertu dissuasive joue pleinement. Déjà, ils participent aux actions de cantonnement et de désarmement des groupes armés afin de rétablir calme et sécurité. Ils favorisent le retour à des conditions d’un fonctionnement normal des structures étatiques indispensables au règlement durable de la situation dans le pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons clairs : la République centrafricaine n’est pas le Mali. La situation sur le terrain diffère. Les groupes armés ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Pourtant, j’entends à nouveau les mêmes questionnements.

J’entends les questionnements sur nos moyens. Oui, la France a la capacité d’agir aujourd’hui ! Le financement de l’opération Sangaris est prévu au budget de l’État, comme en atteste la clause de garantie figurant dans le projet de loi de programmation militaire que nous examinerons tout à l’heure. La France le pourra aussi demain, dans le cadre défini par cette loi, avec un format parfaitement adapté à la conduite simultanée d’opérations telles que celles engagées au Mali et en République centrafricaine.

J’entends les questionnements sur notre posture, même s’ils sont rares. Non, la France n’agit pas en gendarme de l’Afrique ! Elle assume tout simplement ses responsabilités internationales. Elle répond à l’appel de ses partenaires africains et fait face à l’urgence absolue de prévenir une spirale de massacres. Le sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique a été l’occasion d’un message unanime de tous les Africains sur la nécessité de renforcer les capacités africaines de réponse aux crises sur le continent. La mise en place d’une vraie force panafricaine de réaction rapide mobilisera, dans les mois à venir, l’Afrique et ses partenaires.

J’entends également les questionnements sur notre prétendu isolement. Non, la France n’est pas seule ! Elle bénéficie du soutien politique de tous les membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Secrétaire général des Nations unies a encore lancé, vendredi dernier, un appel d’urgence sur la situation en République centrafricaine.

La France agit, je le répète, aux côtés des Africains, regroupés au sein de la MISCA.

L’Union européenne l’accompagne depuis le début. Le président du Conseil européen, qui participait au sommet de l’Élysée, a souligné les risques que la déstabilisation des pays africains fait peser sur la sécurité de l’Europe tout entière. L’Europe agit sur le terrain, avec la mise en place hier d’un pont aérien entre Douala et Bangui pour acheminer l’aide humanitaire indispensable. L’Europe apporte ses capacités de financement.

Les États membres qui disposent des moyens opérationnels nécessaires s’engagent également. Sans attendre, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont mis des moyens aériens à disposition de la France et des Africains. La Belgique se prépare à apporter son appui. D’autres pays nous ont fait savoir leur disponibilité. Je les en remercie par avance.

Les États-Unis fourniront, dans les prochains jours, des capacités de transport pour les contingents africains et ont promis 40 millions de dollars pour la MISCA. L’Union européenne la finance déjà à hauteur de 50 millions d’euros et examine comment s’engager rapidement dans le domaine de la formation.

Car au-delà de l’urgence, il faut préparer l’avenir. Et cet avenir passe notamment par la restructuration des forces de sécurité et par la restauration de l’autorité de l’État et des services publics. Il faudra surtout que la transition politique soit menée à son terme. Trop longtemps, la République centrafricaine a été ballottée au gré de pouvoirs faibles, d’une gouvernance défaillante et de l’ingérence d’acteurs extérieurs. Notre volonté est de tourner cette page. C’est celle qu’exprimera le Président de la République à l’occasion de sa visite à Bangui, ce soir, au retour de l’Afrique du Sud.

Avec les Centrafricains, les pays de la région ont posé les contours d’un processus de transition devant aboutir à des élections présidentielle et législatives libres et transparentes, le plus tôt possible. Les autorités centrafricaines se sont engagées à mener à bien cette transition. La communauté internationale fera preuve de la plus grande vigilance. Il y va de la renaissance de la République centrafricaine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai dit, la décision d’engager nos forces armées est toujours une décision grave. En ces circonstances, l’unité de la nation et de l’ensemble des forces politiques est indispensable. En recevant, ce matin, les présidents des deux assemblées, de leurs groupes politiques et des commissions compétentes, le Premier ministre a déjà pu constater une large convergence de vues.

Cette unité, nous la devons à nos soldats qui, au péril de leur vie, agissent sur un nouveau théâtre. Je ne soulignerai jamais assez leur courage et leur professionnalisme.

Cette unité, nous la devons aussi au peuple centrafricain, qui traverse depuis trop longtemps les épreuves et qui est en droit de prétendre à des lendemains meilleurs. La crise actuelle pourra, j’en suis persuadé, être surmontée et céder le pas à la reprise du dialogue intercommunautaire, à la réconciliation nationale et à une perspective de développement. La France saura faire preuve de solidarité.

Cette unité, nous la devons enfin à l’Afrique, notamment aux pays d’Afrique centrale, qui se sont mobilisés de manière exemplaire et qui ont demandé l’aide de la France. La France assume ses responsabilités internationales et tient parole en étant à leurs côtés. Elle respecte ses valeurs, celles qui sont au cœur de notre République.

Mesdames, messieurs les sénateurs, un des plus grands hommes que le continent africain ait connu disait : « Ce monde doit être celui de la démocratie et du respect des droits humains, un monde libéré des affres de la pauvreté, de la faim, du dénuement et de l’ignorance, épargné par les guerres civiles et les agressions extérieures et débarrassé de la grande tragédie vécue par les millions de réfugiés. » Cet homme, c’était Nelson Mandela.

C’est la liberté du peuple centrafricain, son aspiration à retrouver la paix et la sécurité, à bénéficier de l’assistance humanitaire la plus élémentaire que nos hommes défendent aujourd’hui avec les forces africaines. Cette cause est juste. Elle correspond à l’idée même que la France se fait de sa place dans le monde.

Le Président de la République et le Gouvernement ont fait le choix de l’action. À l’heure d’assumer à nouveau cette responsabilité, je sais que nous continuerons à nous rassembler pour que nos soldats soient plus forts et que les objectifs de la France soient pleinement atteints. (Applaudissements.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe de l’UMP.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour la deuxième fois cette année, le Président de la République engage les troupes françaises dans une opération extérieure.

Je tiens tout d’abord à adresser à nos soldats et à leurs familles, au nom du groupe UMP, un message de soutien. J’en suis certain, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes tous reconnaissants à nos soldats de leur professionnalisme et de leur courage. L’annonce de la mort de deux d’entre eux aujourd’hui en opération nous touche profondément.

Nos soldats sont la fierté de notre pays quand ils concrétisent ainsi l’action de notre diplomatie, laquelle n’a pas ménagé sa peine au Conseil de sécurité des Nations unies pour faire adopter la résolution 2127, malgré les atermoiements et hésitations de certains de nos partenaires.

Mais pourquoi, après le Mali, intervenir une nouvelle fois, et en Centrafrique ? Serions-nous devenus les gendarmes de l’Afrique ? Nous ne devons pas revendiquer ce rôle que nous n’avons pas vocation à jouer, car les États africains sont indépendants depuis maintenant des décennies. Cependant, le Mali et la Centrafrique sont des territoires auxquels nous unissent encore des liens affectifs et culturels puissants. Si nous n’étions pas intervenus, ils auraient pu rapidement sombrer dans le chaos.

Je connais bien la Centrafrique. C’est un pays où j’ai été coopérant en qualité de volontaire du service national. J’y enseignais le français dans un collège de brousse.

Ce pays de 600 000 kilomètres carrés, un peu plus grand que la France, peuplé à l’époque par 1,5 million d’habitants – ils sont maintenant 4,5 millions –, était connu jadis sous le nom d’Oubangui-Chari. Il fut le deuxième territoire africain à rejoindre la France libre en 1940. N’oublions pas l’aide que ses soldats nous ont apportée au moment le plus sombre de notre histoire !

Il a été conduit à l’indépendance par un homme remarquable, l’abbé Barthélemy Boganda. Il avait une vision : il rêvait de construire les États-Unis d’Afrique latine. Il avait constitué une formation dénommée Mouvement d’évolution sociale de l’Afrique noire. Il voulait conduire l’Afrique centrale vers la modernité dans la coopération avec la France, et il avait donné à son pays cette belle devise en langue locale, le sango : « Zo kwe zo », ce qui signifie qu’un homme est un homme. Mais il est mort très vite, victime d’un accident d’avion à l’aube de l’indépendance, et son pays a connu une spirale de coups d’État et de désordres qui le mènent aujourd’hui au bord de l’effondrement.

Quand j’ai connu Bangui, on l’appelait « Bangui la coquette », et c’était une belle petite ville. Malheureusement, on la surnomme maintenant, et depuis des années, « Bangui la roquette ».

Avions-nous le droit, la possibilité de ne rien faire ? Pouvions-nous laisser massacrer la population de Bangui à quelques kilomètres d’une force française stationnée sur l’aéroport de cette capitale ? Comment pourrions-nous justifier, devant notre conscience et l’opinion internationale, le choix de ne rien faire le jour même où nous pleurons tous unanimement la disparition de Nelson Mandela, qui a su, lui aussi, comme Barthélemy Boganda, conduire son peuple à l’indépendance en voulant dépasser les différences de couleur et d’ethnie ?

Ce n’était pas possible. Il nous fallait agir ! Il faut simplement regretter que nous soyons les seuls, une fois de plus, à avoir aujourd’hui la capacité et la volonté de le faire dans cette partie de l’Afrique.

C’est d’abord au continent africain qu’il appartient de régler les problèmes qui se déroulent sur son sol. L’aide à l’Afrique ne relève pas seulement de la France, et nous devrions obtenir de nos amis européens autre chose qu’un soutien timide et quelques facilités de transport.

La Grande-Bretagne, la Belgique, le Portugal, l’Italie, l’Espagne et même l’Allemagne ont aussi été présents sur le continent africain. L’Europe et l’Afrique ont un avenir beaucoup plus étroitement lié qu’on ne peut l’imaginer. L’Europe saura-t-elle définir une politique africaine ambitieuse, respectueuse de l’Union africaine en construction et tournée vers un véritable développement qui, seul, peut empêcher le renouvellement des crises ?

Il faut dire aussi aux Français qui s’interrogent sur notre engagement en Centrafrique que cette décision est tout à fait conforme aux intérêts de la France.

Nous avons empêché au Mali l’instauration d’une dictature religieuse obscurantiste et brutale. Pouvions-nous laisser s’installer au cœur de l’Afrique un espace de non-droit accueillant sur son sol tous les trafiquants de drogue, d’ivoire, d’armes et tous les fanatiques qui auraient pu y trouver refuge ? Je pense aux coupeurs de route venus du Darfour ou des confins du Tchad et du Soudan, du Nord comme du Sud, aux métastases de Boko Haram, cette rébellion sanguinaire qui désole le Nigeria, menace le Cameroun et enlève nos ressortissants, à l’Armée de résistance du Seigneur, la LRA, sortie d’Ouganda et qui a déjà brûlé tant de villages centrafricains.

La Centrafrique que j’ai connue et aimée n’était pas déchirée par les haines religieuses. Les Pygmées, les Bayas de l’Ouest centrafricain, animistes ou chrétiens, et les Peuls bororos de la région de Bouar, où nos troupes ont été acclamées samedi, coexistaient sans heurts. C’est l’irruption d’éléments violents, armés, venus d’ailleurs qui a changé la situation. Le processus amorcé il y a dix ans déjà lors de la prise de pouvoir par le général Bozizé se renforce aujourd’hui.

Les menaces sont pressantes. L’État centrafricain a pratiquement disparu. La capitale, Bangui, est en proie aux affrontements ; dans la brousse, il n’y a plus d’administration, de police, de gendarmerie, de représentants de l’état. L’État centrafricain s’est effondré, comme quelques autres dans le monde. Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour le reconstruire : il s’agit d’abord de garantir l’intégrité du territoire et de rendre la parole au peuple centrafricain par des élections véritablement libres avant, ensuite, et le plus vite possible, d’aider ce pays à se reconstruire et à se développer. Face à une telle situation, il ne faut pas se contenter d’apporter une aide de court terme et puis rentrer chez soi. Avec le maximum de partenaires, il faut accompagner cet État dans la durée pour lui éviter de nouvelles crises.

Actuellement, les paysans en brousse n’osent plus semer. La disette est déjà présente dans un pays qui devrait pouvoir nourrir sa population. Je ne parle même pas des investissements étrangers, qui sont, bien sûr, complètement arrêtés.

Il y a urgence à agir, mes chers collègues. Je pense même que la communauté internationale a déjà beaucoup trop tardé. C’est pourquoi j’avais interpellé ici, il y a quelques semaines, le ministre des affaires étrangères en m’inquiétant de la situation dans ce pays.

Je ne reprocherai sûrement pas au Président de la République d’avoir décidé, au vu de l’urgence, d’engager nos troupes dès que les conditions de l’intervention ont été réunies au Conseil de sécurité à New York. Je me réjouis simplement qu’un débat sur cet engagement soit maintenant organisé, comme le permet la révision constitutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy en 2008. En modifiant l’article 35 de la Constitution, cette réforme a permis de renforcer le rôle du Parlement, tout en laissant au chef de l’État la possibilité de réagir vite face aux massacres et aux tragédies.

C’est une chance pour notre diplomatie de n’être pas tributaire a priori de tractations partisanes. Mais il est tout à fait normal que le Président de la République doive, au bout de quatre mois, obtenir du Parlement l’autorisation de poursuivre une opération extérieure.

Faudra-t-il qu’il en soit ainsi dans quatre mois ? Je le crains et je le crois. En effet, nous ne devons pas nous faire d’illusions. Si elle est nécessaire, cette intervention est aussi périlleuse. Certes, les conditions climatiques et politiques sont différentes de celles du Nord-Mali. Mais peut-on sécuriser rapidement un pays grand comme la France avec seulement 1 600 militaires français et quelques milliers de militaires africains ? Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la combativité des Séléka, souvent redoutables, qui ont connu ailleurs d’autres conflits et en sont sortis endurcis et très violents. Les événements de cette nuit, hélas, le confirment.

Il est nécessaire que les Nations unies et l’Europe s’engagent vraiment à nos côtés. La France a une admirable armée, mais son volume et ses moyens sont de plus en plus contraints. En cette période de débats budgétaires, je voudrais redire notre conviction que la faute essentielle est toujours de prendre des engagements internationaux que nos moyens militaires et diplomatiques ne permettraient pas d’honorer.

Nous sommes membres du Conseil de sécurité. C’est une charge et une chance, et nous devons y rester. Mais si nous en sommes membres, c’est aussi parce que nous disposons d’une dissuasion nucléaire, d’une véritable armée et d’un réseau diplomatique très étoffé. Réduire encore les moyens de nos armées et de notre diplomatie serait, à terme rapide, nous condamner à n’être plus qu’une nation de second ou troisième rang. Après bien d’autres crises, c’est aussi une leçon à tirer de ce que nous vivons aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a parfois des raccourcis saisissants. Alors que vient de s’achever un nouveau sommet France-Afrique, nous voici tout à la fois engagés une fois de plus sur ce continent, au secours d’une population menacée, et plongés dans la peine universelle ressentie à l’annonce de la mort de Nelson Mandela.

On le voit bien, la France et l’Afrique ont tissé de tels liens que, tout naturellement, ce qui se passe en Afrique, et singulièrement en Afrique francophone, prend chez nous une singulière résonance, comme il est vrai aussi que l’Afrique, qui ne regarde plus seulement vers les anciennes puissances coloniales, n’est néanmoins jamais indifférente à ce qui nous concerne et continue à attendre beaucoup, peut-être trop, de nous.

Cette empathie n’est pas ce qu’on appelait la « Françafrique », mais c’est le sentiment réel de liens particuliers. Je souhaite que la jeunesse africaine et la jeunesse française puissent continuer à échanger, à se rencontrer, à se comprendre, car c’est important pour l’avenir. Pour ma part, j’ai eu la chance de faire jadis, comme de nombreux autres jeunes Français, mon service national en Afrique, qui pouvait certes être utile, mais qui m’a surtout beaucoup appris.

Une fois de plus aujourd’hui, la France, dans l’urgence, s’engage par fidélité à ses valeurs. Cependant, cet engagement ne nous dispense pas d’aider d’abord ceux que nous avons rendus indépendants de nous à acquérir progressivement les moyens réels de cette indépendance.

Un homme politique centrafricain, M. Ngoupandé, avait écrit un livre intitulé L’Afrique sans la France. La France, fort heureusement, répond encore une fois à l’appel de l’Afrique. L’Afrique n’est pas sans la France. Ce que nous devons faire, c’est bâtir une véritable solidarité entre la France, l’Europe et l’Afrique, pour notre bien commun ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe de l’UDI-UC.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je salue Jacques Legendre, dont les propos ont été à la fois forts, justes et émouvants.

L’intervention des forces armées françaises en République centrafricaine, en appui de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA, vient répondre à une situation de danger extrême pour les populations civiles, alors que les violences interethniques et interreligieuses menacent de plonger un peu plus le pays dans le chaos. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre de la défense, il y va aussi de notre sécurité.

Ainsi que nous l’avions fait lors de l’intervention au Mali et dans un esprit de responsabilité et d’union nationale, nous apportons notre soutien à la décision du Président de la République, qui s’inscrit dans la légalité internationale, conformément à la résolution 2127 des Nations unies.

Permettez-moi à mon tour de saluer la mémoire de nos deux soldats engagés dans l’opération Sangaris qui sont tombés au combat dans la nuit d’hier à aujourd’hui. J’associe à cet hommage ceux qui ont fait le sacrifice suprême lors de l’intervention au Mali, qui se poursuit toujours.

Si les objectifs de l’opération Sangaris ont d’ores et déjà été annoncés par le Président Hollande – désarmement des « milices et groupes armés », stabilisation du pays en vue d’« élections libres et pluralistes » –, nous attendons vos précisions, monsieur le ministre, non pas sur la situation d’aujourd’hui, sur laquelle vous avez été suffisamment précis, ni sur le format et la durée de l’intervention. En effet, comme vous l’avez dit ce matin à Matignon, il s’agit d’une opération complexe et on ne peut vous demander de nous dire précisément aujourd’hui ce qu’il en sera dans deux ou trois mois. En revanche, nous comptons sur vous pour nous informer et informer nos concitoyens tout au long de l’intervention et pour nous apporter au fur et à mesure des précisions sur le rôle qu’entend jouer la France dans le processus de stabilisation et de reconstruction du pays.

Quoi qu’il en soit, certains enjeux, d’ordre sécuritaire, politique ou humanitaire, sont d’ores et déjà perceptibles.

La priorité consiste évidemment à rétablir un climat de sécurité, sans lequel les efforts de reconstruction seront vains. La République centrafricaine est devenue depuis plusieurs mois une « zone grise », où prospèrent des bandes armées, avec pillages, exactions, viols et massacres.

Depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition de rebelles Séléka, la situation sécuritaire s’est dégradée à Bangui et dans le reste du pays, en raison d’affrontements opposant des éléments de la Séléka à des groupes d’autodéfense, laissant apparaître le spectre d’un génocide interreligieux. Oui, il était temps d’intervenir, et il fallait le faire dans le respect de la légalité internationale !

Néanmoins, le renforcement du dispositif militaire français ne saurait remplacer l’indispensable et nécessaire montée en puissance de la force africaine. Il y va de la responsabilité partagée des Africains face aux défis sécuritaires de la région.

Cette « africanisation » passe, bien sûr, par le renforcement de la MISCA, qui, à ce jour, mobilise environ 2 500 soldats sous la bannière de l’Union africaine, avec l’appui de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. À l’issue du récent sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, l’Union africaine a décidé de porter cette force intervenant en Centrafrique à 6 000 hommes, contre 3 600 initialement prévus. Je salue cette décision.

Cependant, des incertitudes persistent sur la capacité de cette force à se déployer rapidement et efficacement, quand on voit, par exemple, les difficultés que rencontre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, dont les contingents sont souvent sous-entraînés et sous-équipés. Plus généralement, force est de constater que la mutualisation par les États membres de l’Union africaine de leurs moyens civils, militaires et policiers pour participer à la résolution des conflits à l’échelle régionale reste encore balbutiante. Certes, la volonté existe – on a pu le constater récemment –, mais du chemin reste à parcourir.

Pourtant, la mise en place d’une véritable architecture de sécurité africaine, disposant d’une force de réaction rapide, demeure plus que jamais une nécessité, comme le souligne d’ailleurs le rapport que Jeanny Lorgeoux et moi-même venons de cosigner au nom de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La constitution d’une telle force africaine continue de rencontrer des problèmes d’interopérabilité et de financement, outre qu’elle souffre du manque de volonté politique de certains États. La France s’est d’ailleurs engagée ce week-end à former 20 000 soldats africains par an pour cette force, afin qu’elle soit opérationnelle dès 2015.

L’Europe devrait également prendre sa part à cet effort de soutien aux forces africaines, car les deux continents sont liés et les enjeux de sécurité ne connaissent pas de frontières, à l’image du terrorisme. Or, si nous saluons la prompte réaction de notre pays en RCA, nous ne pouvons que déplorer, une fois de plus, l’absence totale de décision européenne. Certes, l’Union européenne a salué le feu vert donné par l’ONU à une intervention des forces africaines et françaises, Catherine Ashton ayant même évoqué un soutien « substantiel » pour répondre à l’urgence et à la gravité de la situation. Mais que compte faire l’Europe de manière concrète pour nous soutenir militairement, logistiquement ou financièrement dans cette opération ?

Du côté des pays européens, le Royaume-Uni a proposé une « aide logistique limitée » à la France, mais, à notre connaissance, l’envoi de troupes britanniques ne semble pas pour le moment sur la table.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, ce matin, lors de la réunion à Matignon, le Premier ministre a fait savoir que d’autres pays européens s’étaient manifestés pour contribuer, à tout le moins, à ce soutien logistique. Vous avez évoqué, notamment, l’Allemagne et la Pologne. Nous verrons ce qu’il en adviendra, mais il serait évidemment positif que certains de ces pays puissent être présents d’une manière ou d’une autre sur le terrain, même de manière symbolique.

Aussi pourquoi ne pas plaider auprès de nos partenaires européens pour le déploiement du groupement tactique européen – le battlegroup –, dont l’objectif est justement de pouvoir participer rapidement à des opérations à l’étranger ? Créé en 2007, ce groupement n’a encore jamais été utilisé sur un théâtre d’opération. Or, au second semestre de 2013, il comprend environ 1 500 militaires, originaires de cinq pays, dont le Royaume-Uni, qui le dirige. Rêvons un peu : ce déploiement permettrait de mettre en pratique l’idée de défense européenne, à quelques jours du Conseil européen consacré à cette question.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. Jean-Marie Bockel. Dans le même temps, le rétablissement de la sécurité en RCA doit permettre la mise en œuvre au plus vite d’un processus de transition politique, auquel nous apportons tout notre soutien.

J’avais salué il y a quelques semaines la signature, à Bangui, par le Président de transition de la République centrafricaine, Michel Djotodia, son premier ministre, Nicolas Tiangaye, qui est en France en ce moment, et le président de son « conseil national de transition » d’un « pacte républicain », sous l’égide de la Communauté de Sant’Egidio, laquelle est souvent intervenue avec succès dans bien des conflits dramatiques sur la planète, notamment sur le continent africain. Je pense au Mozambique, lorsque la guerre civile y faisait rage.

Ce « pacte républicain », issu des pourparlers de paix des 6 et 7 septembre dernier, exclut la violence comme moyen d’accéder au pouvoir et réaffirme la nécessité de renforcer les institutions et de travailler durant l’actuelle phase de transition politique pour préparer le pays et ses structures à la démocratie. Il est désormais urgent que l’ensemble des acteurs mettent en œuvre ces principes directeurs dans une démarche d’inclusion et de réconciliation, à même d’apaiser les tensions encore vives entre les communautés ethniques et religieuses.

Le groupe UDI-UC est particulièrement attaché au bon déroulement, jusqu’à son terme, du processus politique devant aboutir, au début de l’année 2015 – ou peut-être avant, monsieur le ministre ? –, à des élections libres et transparentes. Cette transition ne pourra s’opérer sans le désarmement, la démobilisation et la réintégration de tous les groupes armés présents en RCA.

Pour conclure, je dirai qu’il est urgent d’apporter une réponse immédiate à la grave crise humanitaire que traverse la République centrafricaine. L’accès à l’aide humanitaire reste en effet très limité, en raison du climat d’insécurité, alors que les besoins sont énormes.

Alors que les opérations militaires sont en cours, n’oublions pas que le chaos que connaît la RCA depuis décembre 2012 a provoqué la fuite de plus de 60 000 Centrafricains vers d’autres pays de la région. Plus de 415 000 ont été déplacés dans leur propre pays et, selon la Secrétaire générale adjointe de l’ONU aux affaires humanitaires, la moitié de la population a besoin d’aide humanitaire, et 1,3 million d’habitants de manière urgente.

L’Union européenne a déjà débloqué une aide humanitaire de 20 millions d’euros depuis le début de l’année. On parle à présent de 50 millions d’euros supplémentaires. Si le déploiement des forces françaises et africaines devrait faciliter l’acheminement de l’aide, beaucoup reste à faire. Nous appelons à la tenue d’une conférence de bailleurs de fonds pour répondre à cette situation d’urgence et, ainsi, enclencher un processus de reconstruction indispensable. Sans développement, il n’y aura pas de sécurité durable, ni ici ni ailleurs !

La France démontre, aujourd’hui en RCA comme hier au Mali, en Côte d’Ivoire ou en Libye, même si ces opérations sont très différentes, qu’elle est en mesure d’intervenir rapidement lors d’une crise grave, à travers une capacité de projection et des forces prépositionnées. Néanmoins, alors que des zones d’instabilité persistent en Afrique, notamment au Sahel, avec un risque de déstabilisation régionale, la solution ne peut venir uniquement de l’usage des forces françaises, dont les moyens se contractent du fait de la contrainte budgétaire. La mobilisation de nos partenaires européens et de l’ensemble de la communauté internationale est essentielle. Toutefois, c’est surtout l’émergence d’une véritable architecture de sécurité africaine dotée d’une capacité d’intervention robuste, sous l’égide de l’Union africaine et des organisations subrégionales, qui permettra d’assurer à long terme la sécurité et la stabilité du continent. Cet intérêt existe de part et d’autre de la Méditerranée.

Dans cette attente, monsieur le ministre, le groupe UDI-UC apporte son soutien à votre décision d’engager nos forces armées en Centrafrique. Il veut également témoigner sa solidarité à nos soldats qui servent courageusement sous nos couleurs, que ce soit en Centrafrique, au Mali ou sur les différents théâtres extérieurs.

L’Afrique est notre avenir. Cette Afrique convoitée, diverse – c’était aussi le message de Nelson Mandela –, nous devons aujourd’hui la considérer d’égal à égal. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste, du RDSE et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la disparition de Nelson Mandela résonne douloureusement dans les tragiques événements de Centrafrique. Après avoir lutté la majeure partie de sa vie contre l’inhumanité suprême qu’est la ségrégation raciale, cet homme a réussi à éviter un désastre à son pays en prônant la réconciliation entre ses différentes composantes, pour construire une Afrique du Sud libre, démocratique, non raciale, progressant sur la voie du progrès économique et social.

Nelson Mandela disparaît alors qu’un petit pays du continent est en proie à une extrême pauvreté et au sous-développement, source d’affrontements entre les populations. La Centrafrique sombre depuis plusieurs mois dans un chaos indescriptible de violences et de massacres et menace d’y entraîner toute une région.

Depuis vendredi dernier, nos troupes interviennent dans ce pays, avec comme première mission de mettre fin aux exactions de toutes sortes contre les populations civiles, de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire et de désarmer les bandes qui sévissent. Cette difficile mission a déjà fait deux victimes au sein du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine. Je salue le courage et l’abnégation de ces jeunes hommes qui sont allés jusqu’au sacrifice suprême pour remplir la mission que leur avait confiée notre pays.

Les informations qui nous parviennent de Bangui, les images que nous avons vues en boucle durant le week-end, la gravité de la situation et les scènes d’horreur provoquent d’abord légitimement des réactions passionnelles, qui laissent peu de place à une réflexion raisonnée.

Face à cette situation qui se dégradait de semaine en semaine, il fallait, sans doute, intervenir en urgence. En prenant, une nouvelle fois en moins d’un an, la décision d’engager nos troupes sur le continent africain, le Président de la République a assumé ses responsabilités, au nom de la France. Certes, nous devions agir, mais mesurons-nous pleinement toutes nos responsabilités et toute la portée de notre décision d’intervenir, au regard des conditions dans lesquelles se déroule l’opération ?

Cinq jours après le début de l’opération dénommée « Sangaris », le présent débat permet au Parlement de dépasser les apparences et les évidences et de prendre le temps de réfléchir, avec lucidité, aux conditions et à la forme de notre intervention, d’en mesurer les conséquences et d’envisager l’évolution de la situation pour préparer l’avenir.

Certes, cette intervention a la légitimité que lui confère la légalité internationale puisqu’elle résulte d’une résolution adoptée, sur l’initiative de la France, à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité.

Concrètement, cette résolution donne mandat à nos forces pour intervenir afin de rétablir la sécurité, en appui des troupes africaines de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA. Placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui permet le recours à la force pour faire appliquer les résolutions, elle les autorise ainsi « à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la MISCA dans l’accomplissement de son mandat ». La résolution envisage, enfin, la transformation éventuelle de la MISCA en force de maintien de la paix de l’ONU « quand les conditions le permettront ».

Du point de vue de la légalité internationale, le mandat est donc fondé juridiquement, et il est relativement clair. Il reste que, en pratique, la mise en œuvre d’une opération militaire et, surtout, la suite politique qui en découle se révèlent plus compliquées que le simple vote d’une résolution des Nations unies.

Outre les difficultés techniques d’une opération qui comprendra, avec les forces panafricaines, environ 5 000 hommes, vous vous défendez aujourd’hui de vouloir vous investir directement dans le règlement politique de cette crise, et proclamez que vous laisserez au plus vite la place aux Nations unies. Sera-ce encore possible après avoir préparé et engagé, seuls, cette opération ?

En Centrafrique, en l’absence d’institutions étatiques depuis des décennies, notre pays est certainement le plus mal placé pour agir en avant-garde sur la transition politique et le développement économique. Dans ce pays qui a longtemps été sous notre tutelle, nous serons à juste titre suspectés de vouloir nous substituer aux Centrafricains eux-mêmes et de ne défendre que nos propres intérêts. Pourquoi avoir persisté à intervenir seuls, alors que le Président de la République s’était engagé à ne plus faire d’ingérence dans les crises survenant en Afrique et à entretenir des relations d’un type nouveau avec les pays africains ?

Monsieur le ministre de la défense, il faut préciser la stratégie du Gouvernement dans cette opération. Quels objectifs poursuivons-nous réellement ? Pourquoi et comment, avec qui et avec quels moyens la France veut-elle gérer cette nouvelle crise au centre de l’Afrique ?

La déclaration du Gouvernement qui vient de précéder ce débat ne nous a pas apporté les clarifications que nous attendions. D’ailleurs, contrairement à l’intervention au Mali, le trouble, voire le rejet, qui existe aujourd’hui dans l’opinion publique à l’égard de l’engagement dans ce pays est révélateur.

Au-delà d’une opposition qui, certes, pourrait n’être que passagère et s’expliquer par la situation économique que vit actuellement la France, je pense surtout que nos compatriotes sont essentiellement réticents et sceptiques quant à l’efficacité de ces interventions militaires plus ou moins ponctuelles et à leur capacité à résoudre les crises dans ces pays et à agir sur les causes qui les provoquent. Ils s’interrogent également sur le coût de ces opérations pour nos finances publiques, puisqu’elles se font au détriment d’autres priorités.

Et puis, il ne faut pas céder aux sentiments ni aux illusions ! La faillite centrafricaine ne date pas de ces dernières semaines. Cette faillite provient aussi très concrètement d’une profonde crise économique et sociale résultant de l’effondrement des cours des produits agricoles locaux.

Disons clairement les choses : les politiques successives de la France portent une large part de responsabilité dans la situation de ce pays, car nous y avons souvent joué un rôle d’influence discutable en soutenant des gouvernements peu recommandables. De plus, notre pays a soutenu – et soutient encore – les institutions internationales qui appliquent à ces pays des politiques ultralibérales qui asphyxient leurs économies et plongent leur population dans la misère.

Aujourd’hui, nous intervenons in extremis, dans l’urgence, alors que la situation se dégradait depuis de nombreux mois, ce dont les ONG présentes sur le terrain n’ont eu de cesse de nous alerter. Ce pays était déjà au bord du gouffre au mois de mars, et peut-être n’avons-nous pas suffisamment réagi lorsque les opposants au président Bozizé ont pris le pouvoir avec le soutien du Tchad.

Quelles initiatives diplomatiques auprès de la communauté internationale et des pays de la région notre pays a-t-il pris pour empêcher cet engrenage fatal ? S’il y en a eu, reconnaissons qu’elles ont été particulièrement discrètes et peu efficaces.

Le gouvernement auquel vous appartenez s’est résolu à éteindre cet incendie généralisé pour se lancer en héros solitaire dans l’une de ces opérations militaires qui deviennent, malheureusement, notre spécialité dans les relations internationales de cette partie du monde. Mais quelle est donc votre politique dans cette région ?

Au-delà des discours convenus et de la promesse d’organiser au plus vite des élections, le Gouvernement n’est pas véritablement en mesure de proposer à la représentation nationale l’esquisse d’une solution politique à cette crise. Cette nouvelle intervention militaire en Centrafrique succède à des années d’une tutelle française qui ne lui a jamais permis de trouver le chemin de la stabilité, de la paix et du développement. Quand sera dépassée l’urgence d’arrêter les massacres, les vraies questions se poseront.

Notre pays ne s’y rend-il pas pour rétablir un minimum d’ordre et reprendre la main sur le plan économique et stratégique, tout cela en accord avec l’Union européenne et les États-Unis ? Cette façon de gérer le conflit ne risque-t-elle pas de perpétuer l’instabilité, la violence et l’échec ?

Bien sûr, dans l’immédiat, il faut mettre un terme aux violences qui ensanglantent le pays. La Centrafrique ne doit pas sombrer dans une guerre civile intracommunautaire. Mais au-delà de cet aspect conjoncturel, il faut surtout s’attaquer aux causes profondes qui déstabilisent ce pays depuis si longtemps.

Il s’agit tout d’abord de casser la relation néocoloniale que nous entretenons avec lui. De la même façon, il est nécessaire que les pays voisins, comme le Tchad, cessent de considérer la Centrafrique comme leur arrière-cour. Il est grand temps que les Centrafricains recouvrent pleinement leur souveraineté.

Il faut ensuite lutter contre la pauvreté, véritable fléau dans la région. Cela passera nécessairement – il faudra bien en discuter, une bonne fois pour toutes – par une remise à plat de la répartition des dividendes tirés de l’exploitation par les grands groupes multinationaux des ressources naturelles. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.) Libérés du joug de la domination et de l’exploitation, les Centrafricains seront alors à même de tourner la page des putschs et des rébellions.

Le débat que nous avons cet après-midi met à nouveau fortement en évidence que, dans ce type de crise internationale, il faut avoir une approche globale et traiter les causes, et pas seulement les conséquences.

Avec d’autres, nous l’avions déjà dit ici même, il y a quelques mois, lors du débat sur le Mali : le Gouvernement doit sans tarder procéder à une véritable refonte de l’ensemble de notre politique d’aide publique au développement qui redéfinisse ses objectifs, ses enjeux et ses moyens. À cet égard, les résultats de la conférence de Paris, qui, pour l’essentiel, se borne à offrir aux Africains notre aide pour prendre en charge leur propre sécurité, ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux.

Vous devriez, par des actes concrets, rompre avec la politique de vos prédécesseurs qui donnait aux pays africains l’image d’une France dont le seul souci est de bénéficier de leurs ressources aux meilleures conditions. À l’inverse, il faut maintenant nouer de véritables partenariats équilibrés, de nouvelles relations économiques avec les États et entretenir des relations débarrassées des arrière-pensées de simple préservation de nos intérêts économiques et stratégiques.

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Michelle Demessine. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe estime, pour le regretter, que cette intervention militaire ne s’inscrit pas du tout dans ce cadre. Nous en désapprouvons la forme et nous doutons qu’elle soit la réponse appropriée à la crise que traverse la Centrafrique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. François Rebsamen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme pour d’autres intervenants, en cet instant, ma première pensée va aux deux soldats qui ont trouvé la mort ce matin en accomplissant leur devoir. Je leur rends hommage à mon tour, et j’exprime toutes mes condoléances, en mon nom et en celui des sénateurs de mon groupe, à leur famille, à leurs proches et à leurs camarades de combat.

Une fois de plus, l’armée française accomplit sa mission avec un professionnalisme, une ténacité, une rapidité et une efficacité qui font honneur à notre pays. Le courage de nos soldats fait écho à celui de leurs prédécesseurs qui montaient au front il y a bientôt un siècle et dont nous aurons, ici même, l’occasion d’honorer la mémoire dans le cadre du centenaire de la Grande guerre.

M. Jean Besson. Très bien !

M. François Rebsamen. Mais ce qui me vient également à l’esprit, c’est le nombre d’enfants, de femmes et d’hommes qui ont été sauvés par l’arrivée des troupes françaises sur le sol de Centrafrique, même si les vies épargnées ne compensent en aucune manière la mort de nos militaires. Pour autant, la normalisation de la situation est loin d’être acquise aujourd’hui. La population sort peu à peu de la terreur, les meurtres, les viols, les massacres atroces dans Bangui ont cessé, et cela seul suffirait à justifier, s’il en était besoin, l’intervention française sous mandat de l’ONU.

Face au drame qui se jouait en Centrafrique, la France, fidèle à sa tradition de puissance responsable et fidèle à ses valeurs humanistes, a pris les devants et a agi pour que la communauté internationale assume son rôle face à un enjeu à la fois sécuritaire et humanitaire. En effet, d’autres intervenants l’ont dit, l’enjeu sécuritaire est d’importance. La situation en Centrafrique s’inscrit dans un cycle qui prend sa source dans les années quatre-vingt-dix, la crise actuelle n’étant – espérons-le – qu’un ultime soubresaut d’une spirale de troubles qui fragilisent et détruisent progressivement la République centrafricaine depuis 1996.

Déjà, en 1998, face à l’instabilité croissante et à des violences exacerbées, le Conseil de sécurité des Nations unies avait envoyé une première mission : la mission des Nations unies en République centrafricaine. Celle-ci avait tenté, conjointement avec une force interafricaine, de rétablir la paix et la sécurité dans le pays. Lors de son retrait en 2000, les tensions persistaient. À la fin de 2012, après bien des péripéties et des rébellions confortées par des ingérences étrangères, les troubles latents se sont transformés en crise majeure.

La Séléka, un regroupement composite rassemblant tous les déçus du régime du président Bozizé – si je puis lui attribuer ce titre de président, alors qu’il a pris le pouvoir par un coup d’État –, opposants politiques comme armée, s’est emparé des villes stratégiques.

Le 11 janvier 2013, de nouveaux accords de paix sont signés à Libreville entre le gouvernement et la rébellion. Il s’agit de mettre un terme à l’insurrection et de contenir la rébellion aux portes de Bangui. L’instauration d’un gouvernement d’unité nationale de transition échoue et de nouvelles élections ne peuvent être tenues.

En mars dernier, la Séléka contraint donc le président Bozizé à quitter le pouvoir et Michel Djotodia – alors vice-premier ministre, ministre de la défense du gouvernement d’union nationale et chef des factions rebelles – s’est autoproclamé président du gouvernement de transition. Il dissout officiellement la Séléka et lâche ainsi la bride à une soldatesque d’environ 20 000 hommes. Cette masse grossit de jour en jour avec l’arrivée de nouveaux combattants en provenance des pays voisins. Vous les connaissez, mes chers collègues, qu’il s’agisse des combattants soudanais, des éléments appartenant à Boko Haram au Nigeria, voire de miliciens de la LRA – l’armée de résistance du Seigneur – du tristement célèbre Joseph Kony, qui est déjà implantée dans une partie de la Centrafrique.

La République centrafricaine, carrefour stratégique entre le Sahel, la région des Grands Lacs et la Corne de l’Afrique, est ainsi en passe de devenir une zone de non-droit dans sa totalité. Cette crise a donc des répercussions régionales importantes puisque la plupart des États voisins font eux-mêmes face à des défis sécuritaires considérables. Les frontières sont poreuses, les foyers de tensions énormes, et nous ne pouvons pas laisser la République centrafricaine devenir une source de déstabilisation supplémentaire, voire une base arrière pour le développement d’activités terroristes.

L’enjeu sécuritaire se double d’un enjeu humanitaire immense. Cela a été dit, mais je tiens à le rappeler.

Sans qu’il faille actuellement employer de grands mots et parler de génocide, le pays fait face à un climat de violence tel qu’il laisse présager une évolution vers un conflit à connotation confessionnelle. La Séléka est majoritairement composée de musulmans, tandis qu’une majorité de la population se situe dans la mouvance chrétienne.

On l’a vu – les images télévisuelles l’ont attesté –, la violence se déchaîne et est allée croissante. Les violations des droits de l’homme, ne cessant de s’amplifier, ont été quotidiennes. Les civils ont été la cible de multiples exactions : arrestations et détentions arbitraires, exécutions sommaires, violences sexuelles, tortures, pillages, enrôlements d’enfants soldats drogués – les femmes et enfants étant, d’une façon générale, particulièrement visés.

On dénombre aujourd’hui environ 1,3 million de personnes victimes d’insécurité alimentaire, soit un tiers de la population, ainsi que 480 000 déplacés, dont 50 000 à Bangui. Le Haut-Commissariat des Nations unies a enregistré, depuis le début des affrontements, 66 000 réfugiés. Malheureusement, les ONG ne peuvent pas apporter d’aide aux populations dans le besoin.

Face à ce danger de catastrophe humanitaire, c’était un devoir impératif de mettre un terme à ce cycle infernal. Je citerai ici les propos tenus par Président de la République lors du sommet africain de l’Élysée : « Aujourd’hui, au cœur de l’Afrique, un peuple est en souffrance. Il nous appelle. […] Nous ne pouvons plus laisser les massacres se perpétrer, […]. Cet engagement n’est pas simplement sécuritaire, il doit être humanitaire, parce que c’est aussi notre devoir. »

Comme lors de la crise malienne, le Président de la République a su prendre la mesure de la gravité de la situation, et je veux ici le souligner et lui en rendre hommage.

Dès le 24 septembre dernier, dans son discours à la soixante-huitième Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République avait lancé un cri d’alarme sur la situation en République centrafricaine. Il avait alors invité la communauté internationale à se mobiliser et à agir sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies.

Pendant de longs mois, la France a réitéré cette volonté et travaillé à la résolution de la crise. Elle a fait adopter par le Conseil de sécurité une première résolution. D’ores et déjà, celle-ci définit le cadre politique de l’intervention actuelle, en autorisant la France à aider nos partenaires africains, mobilisés depuis de nombreuses années sur le terrain. Elle autorise également notre pays à accompagner la montée en puissance d’une force internationale dont le mandat a été présentement fixé par la résolution 2127, votée il y a quelques jours.

L’intervention Sangaris diffère de l’opération Serval, car la situation de ce pays n’est pas celle que les troupes françaises ont rencontrée au Mali en début d’année. La République centrafricaine est aujourd’hui, à n’en pas douter, un État failli. Les groupes rebelles s’affrontent et les exactions y sont systématiques. Les forces de sécurité ne disposent ni des moyens techniques ni des ressources humaines suffisantes à l’exercice de leur fonction.

Il s’agit donc, dans une situation de chaos, de poser les jalons d’une intervention internationale qui devra embrasser l’ensemble des défis qui s’imposent. L’action qui sera menée avec nos partenaires recouvre en effet quatre domaines : la sécurité, la dimension humanitaire, la transition politique – indispensable – et le développement économique. C’est donc à une mission multidimensionnelle que la France et la communauté internationale vont devoir s’atteler.

Je l’affirme, la France n’est pas seule : elle bénéficie du soutien de tous les membres du Conseil de sécurité des Nations unies et elle est aux côtés des pays africains regroupés au sein de la MISCA. Sans cela, la sécurisation ne serait pas durable. La crise centrafricaine sera d’ailleurs à l’ordre du jour du Conseil européen du 19 décembre, date à laquelle débutera la mission des Nations unies.

L’Union européenne apporte déjà un premier soutien financier : elle a porté ses aides en 2013 à hauteur de 20 millions d’euros et la Commission européenne a débloqué la semaine dernière 50 millions d’euros, sans compter l’aide matérielle. À cet égard, je considère que les dépenses liées à des interventions extérieures au service de la paix, de la lutte contre le terrorisme et au secours de populations en danger doivent absolument être décomptées du calcul du déficit budgétaire de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) La France ne peut agir au nom des autres nations, notamment européennes, en faveur de l’intérêt international et en être en même temps pénalisée. Le citoyen français ne le comprendrait pas, et il aurait raison. Je souhaite donc, monsieur le ministre de la défense, que vous agissiez avec le Gouvernement dans ce sens au niveau européen dès le sommet de la semaine prochaine.

Comme pour l’opération Serval, l’opération qui se déroule actuellement participe de notre volonté de consolider le partenariat avec nos amis africains pour la paix et la sécurité sur le continent, qui ne peut que renforcer la paix et la sécurité en Europe.

II est bien clair que l’ambition de la France n’est pas de rester durablement en Centrafrique, mais de faciliter et de soutenir la communauté internationale et nos partenaires africains dans leurs actions en matière de sécurité collective.

La France est fidèle à sa mission : elle agit en soutien des Africains, conformément à la légalité internationale et elle travaille pour la paix. Notre participation n’est donc que le premier jalon qui doit conduire nos partenaires africains à assumer leur propre sécurité. C’est tout le sens des propositions qui ont été débattues lors du sommet de l’Élysée, avec la mise en place d’une force de réaction rapide africaine qui pourrait jouer un rôle semblable à celui tenu par la France au Mali et en République centrafricaine. Cette volonté a été unanimement saluée par les chefs d’État de tout le continent africain lors du sommet de l’Élysée, ainsi que par le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.

Comme le déclarait le Président de la République devant ses homologues, si la maîtrise de leur sécurité relève aujourd’hui de la responsabilité des Africains, la France est prête à apporter tout son concours, prête à former, à équiper et à apporter du renseignement aux armées africaines.

À l’heure où la tentation du repli sur soi se généralise, la France – notamment l’ensemble des formations politiques, presque unanimes – a su dépasser ses préoccupations nationales pour se porter au secours d’un peuple en souffrance. En cela, notre pays se montre fidèle et digne de sa vocation de patrie des droits de l’homme.

Mes chers collègues, je vous invite tous à en être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite rendre hommage à mon tour aux deux soldats du 8e RPIMa de Castres, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, morts hier soir à Bangui sous l’uniforme de l’armée française ; je salue leur courage et leur engagement.

Le vote de la résolution 2127 à l’ONU, puis l’engagement de nos troupes en soutien de leurs homologues d’Afrique centrale sont intervenus alors que se tenait le sommet franco-africain de l’Élysée consacré à la paix et à la sécurité. De plus, il est à noter que notre débat, qui se tient en application de l’article 35 de la Constitution, survient juste avant l’examen en seconde lecture par notre assemblée du projet de loi de programmation militaire et que se tiendra demain soir dans cet hémicycle un débat préalable au Conseil européen des 19 et 20 décembre consacré justement à la politique de sécurité et de défense commune.

L’adoption à l’unanimité de cette résolution vient couronner, il faut le saluer, un patient travail de notre diplomatie pour convaincre les autres pays membres du Conseil de sécurité de la nécessité absolue d’accorder un mandat clair d’intervention, sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies, à la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, ainsi qu’aux forces françaises. En effet, nous le savons, d’inquiétante, la situation au nord de l’Oubangui est devenue critique, puis dramatique.

D’aucuns – un peu rapidement ou par facilité – ont rapproché le cas centrafricain du scénario malien. Si l’on peut leur concéder quelques similitudes – effondrement de l’État, tensions régionales et religieuses –, nombreuses sont les dissemblances.

L’instabilité chronique, presque consubstantielle, de la République centrafricaine et la faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence, de l’État sont avérées. Face à ce lent délitement, qui s’est accentué très fortement depuis une douzaine d’années, les pays de la région sont intervenus dans le cadre de la FOMUC, la force multinationale en Centrafrique, puis de la MICOPAX, la mission de consolidation de la paix en République centrafricaine. Ils ont été naturellement soutenus par la présence française, dont l’opération Boali se bornait à la sécurisation des ressortissants français et des points d’intérêt stratégiques.

Le coup de force – le coup d’État ! – de la Séléka le 24 mars 2013 a entraîné l’éclatement des accords de Libreville, l’exil du président Bozizé et la prise de pouvoir par les anciens rebelles. Comme à chaque fois en pareil cas, cet événement a exacerbé les tensions régionales et confessionnelles dans des proportions tragiques.

En effet, face aux composantes de la Séléka, principalement issues du nord du pays majoritairement musulman – nous retrouvons là un schéma auquel nous sommes malheureusement habitués dans nombre d’États africains –, des milices d’autodéfense dites « anti-balaka » se sont constituées, esquissant un scénario de guerre civile avec son cortège de massacres, d’horreurs et de populations déplacées. Une intervention rapide, afin de mettre un terme au cycle de la violence et de la cruauté, était devenue indispensable.

L’effondrement de l’État centrafricain laissait également craindre que ce territoire ne devienne une base de repli pour les nombreux groupes armés actifs dans les pays voisins – Soudan, Tchad, République démocratique du Congo, voire Nigeria – et ne devienne une source d’instabilité supplémentaire pour l’ensemble de la région.

Mes chers collègues, j’ai entendu certains responsables politiques français faire mine de s’interroger sur les objectifs et la stratégie du Gouvernement. Le mandat donné par la résolution 2127 à la MISCA et aux forces françaises est pourtant d’une grande clarté : il légitime et encadre cette intervention. Au reste, outre le volet sécuritaire, cette opération comporte un volet humanitaire et prévoit l’accompagnement du pays dans le rétablissement de ses institutions, notamment du processus électoral.

Nous le savons tous, cette intervention était très attendue, comme en témoignent l’accueil remarquable réservé à nos troupes par la population à leur arrivée à Bangui et le fait que de nombreux habitants se soient réfugiés autour de l’aéroport de la ville, où sont stationnés les premiers éléments de l’opération Sangaris.

S’agissant de la durée de notre engagement, la résolution 2127 accorde un mandat de douze mois, mais il est bien sûr souhaitable que les unités combattantes françaises laissent place, le plus tôt possible, à une force de maintien de la paix.

Des questions et des incertitudes demeurent cependant, notamment autour du « programme DDR » – désarmement, démobilisation et réintégration de la Séléka. II est en effet à craindre un repli de ces forces dans la partie septentrionale du pays, voire dans les pays limitrophes. La question de la place du président de facto et chef de la Séléka, Michel Djotodia, dans la transition politique doit également être éclaircie. Selon les accords de Libreville, ce dernier ne pourra se présenter lors des futures élections ; le Président de la République François Hollande s’est d’ailleurs exprimé sur le sujet.

Le volontarisme de la France et son rôle moteur, tant diplomatiquement à l’ONU que sur le terrain avec le déploiement rapide de nos forces, méritent d’être soulignés. Les reconfigurations géopolitiques, notamment le repositionnement des États-Unis vers l’arc Asie-Pacifique, mettent notre pays en première ligne dans la résolution des crises africaines. En conséquence, comme le préconisait le Livre blanc de la défense, les priorités de la France ont été resserrées autour du Maghreb, de la Méditerranée orientale et de l’Afrique, notamment le Sahel.

Nous ne pouvons donc que nous féliciter que le Gouvernement ait réaffirmé, notamment dans la loi de programmation militaire, sa volonté de conserver ses bases militaires prépositionnées notamment à Djibouti, au Sénégal ou au Gabon, auxquelles s’ajoutent les bases stationnées en outre-mer.

Je rappelle que des fermetures étaient envisagées par la précédente majorité. Vous avez bien fait de revenir sur cette décision, monsieur le ministre, ce maillage nous ayant permis de déployer nos forces à Bangui avec une rapidité digne d’être soulignée.

Cette relation particulière de la France à l’Afrique se manifesta aussi, mes chers collègues, lors du récent sommet de Paris, qui a réuni les chefs d’État et de Gouvernement de l’ensemble du continent. La disparition de Nelson Mandela alors que s’ouvrait ce sommet est venue nous rappeler que les valeurs de dévouement et d’humilité de ce grand homme constituent un exemple pour les dirigeants d’Afrique et du monde.

François Hollande l’a énoncé lors de son intervention : « Sans sécurité, pas de développement, sans développement, pas de sécurité. » La doctrine du Président de la République française en matière de politique africaine s’affine de jour en jour. Elle repose sur un règlement multilatéral des conflits avec l’Organisation des Nations unies, mais aussi sur l’implication des organisations régionales, ici la Communauté économique des États d’Afrique centrale, la CEEAC, et continentales, l’Union africaine.

La France, mes chers collègues, assume donc les responsabilités qui lui incombent, que cela plaise ou non, du fait de son statut de puissance et aussi – nous devons l’assumer – de son héritage historique. Ce sont donc de véritables partenariats qui se mettent en place, témoignant là encore d’un changement d’époque.

Dans la déclaration finale du sommet de l’Élysée, les dirigeants français et africains ont souhaité la création d’une force africaine de résolution des crises dès 2015. La France pourrait participer à la formation de cette force. Bien que des questions subsistent naturellement sur son financement, monsieur le ministre, elle permettrait en tout cas aux Africains d’assurer la sécurité de leur continent.

Mes chers collègues, je salue ici la volonté du Président de la République et du Gouvernement d’informer et d’associer les présidents des assemblées, les présidents des groupes politiques et des commissions des affaires étrangères et de la défense du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ce débat doit nous permettre en outre de lever les dernières interrogations nées de notre intervention en République centrafricaine.

La première concerne nos capacités de projection. Dans le cadre de la loi de programmation militaire, les opérations de gestion des crises pourront être menées sur deux ou trois théâtres d’intervention et compter, me semble-t-il, monsieur le ministre, 6 000 à 7 000 hommes.

Aux 1 600 militaires qui seront mobilisés en République centrafricaine annoncés par le Président de la République s’ajoutent les 2 800 hommes présents au Mali. Nous nous approchons, il est vrai, de la limite de nos capacités d’intervention. Il convient néanmoins de souligner que nos armées peuvent également compter sur les 15 000 hommes du format « opération majeure de coercition en coalition » ou sur les forces prépositionnées.

Une autre interrogation majeure, déjà soulignée à cette tribune, concerne l’Union européenne, qui reste en retrait – comme d’habitude, serait-on tenté de dire –, même si la Commission européenne a annoncé la mise en place d’un pont aérien humanitaire entre Douala et Bangui.

Le Président de la République l’a déclaré, le Conseil européen du 20 décembre prochain sera l’occasion de parler de la création d’un fonds destiné à financer ce genre d’opération de résolution de crise. Pourrez-vous, monsieur le ministre, nous le confirmer ?

Enfin, se pose la question du processus de construction de la paix et de la reconstruction – voire de la construction – d’un État et d’institutions démocratiques en Centrafrique. Cela passera, comme au Mali, par une indispensable réconciliation.

Ce qui se joue aujourd’hui en République centrafricaine, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est rien de moins que la sécurité et l’avenir d’une région, mais également d’un continent. L’engagement de nos troupes et de la MISCA doit permettre aux Centrafricains de redevenir maîtres de leur destin.

Pour les raisons que j’ai exposées, cette intervention est conforme au droit international et à notre Constitution. Elle est légitime et nécessaire. Le Président de la République a eu raison de la décider, et naturellement, monsieur le ministre, les sénateurs radicaux de gauche et l’ensemble du RDSE vous apportent un soutien franc et massif ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela, pour le groupe écologiste.

Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution. Je tiens, à titre liminaire, à rappeler la position des écologistes, qui aspirent, concernant cette intervention en Centrafrique et, plus largement, les interventions de nos forces à l’étranger, à ce que nos débats puissent être suivis d’un vote de nos deux assemblées.

En l’espèce, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, jeudi dernier, le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA, pour une période de douze mois. En adoptant à l’unanimité de ses quinze membres la résolution 2127, le Conseil a confié un mandat en plusieurs volets à cette mission.

Appuyée par des forces françaises autorisées à « prendre temporairement toutes mesures nécessaires », la MISCA est notamment chargée de contribuer à protéger les civils et à rétablir la sécurité et l’ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d’une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin.

Avant de revenir plus en détail sur les diverses dispositions de cette résolution onusienne et sur la place centrale qui doit être donnée aux forces africaines dans cette opération, il me semble important de rappeler le drame qui se vit depuis déjà trop longtemps en République centrafricaine.

Depuis la prise de Bangui par la Séléka au printemps dernier, la RCA est le théâtre de pillages, d’exactions et de violences atroces à l’égard de la population civile. La situation dramatique qui touche le pays s’est aggravée ces dernières semaines, plongeant la Centrafrique dans des violences meurtrières ayant entraîné la mort de près de 400 personnes jeudi et vendredi à Bangui.

La Croix-Rouge centrafricaine ramassait toujours, samedi, des dizaines de cadavres abandonnés depuis les violents affrontements des jours précédents, suivis de tueries à l’arme à feu ou à la machette. Des centaines de blessés étaient également comptabilisés par Médecins sans frontières. Les violences sexuelles à l’encontre des femmes se sont également multipliées, tandis que des enfants ont été enrôlés comme soldats depuis plusieurs semaines.

Face à cette situation inacceptable, il était urgent de réagir. Les écologistes tiennent ici à réaffirmer que la capacité des pays africains à assurer eux-mêmes leur sécurité est un objectif qui requiert le soutien international et particulièrement le soutien européen.

Si nous saluons l’aide logistique annoncée par plusieurs États européens au profit de la MISCA et l’annonce de l’octroi de 50 millions d’euros par l’Union européenne, à la demande de l’Union africaine, nous regrettons que la France soit à nouveau seule à intervenir dans le cadre du soutien à cette opération. L’urgence humanitaire et sécuritaire requiert un soutien collectif de nos partenaires européens, afin de protéger la population centrafricaine et de rétablir la sécurité et la stabilité du pays.

Au-delà, et c’est l’essentiel selon moi, cette opération en Centrafrique doit reposer sur l’engagement des forces africaines et leur nécessaire implication, ainsi que sur celle de l’Union africaine.

Je me félicite, à ce sujet, que lors des travaux du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, les chefs d’État et de Gouvernement aient « appelé à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies permettant de renforcer la place de l’Afrique dans le cadre d’un Conseil élargi ». Avec eux, je me réjouis également « des avancées importantes réalisées par l’Union africaine, les communautés économiques régionales et les États africains dans la mise en œuvre d’opérations de paix africaines, au Mali, en République centrafricaine, en Somalie, en Guinée-Bissau, au Burundi, au Soudan (Darfour), aux Comores. Ces initiatives apportent des solutions africaines aux problèmes africains et doivent être soutenues par la communauté internationale. »

Les sénatrices et sénateurs écologistes réaffirment donc aussi « l’importance de développer les capacités africaines de réaction aux crises » et saluent l’engagement de la France, lors de ce sommet, à « soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la force africaine en attente et de sa capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015, ainsi que la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), telle que décidée par le sommet de l’Union africaine en mai 2013. »

Par ailleurs, il me semble important de rappeler que, par la résolution 2127, le Conseil de sécurité prie le secrétaire général de l’ONU de créer un fonds d’affectation spéciale par lequel les États membres, les organisations internationales, régionales et sous-régionales pourront verser des contributions financières à la Mission.

La résolution lui demande également de créer rapidement une commission d’enquête internationale, pour une période initiale d’un an, chargée d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme qui auraient été perpétrées en Centrafrique « par quelque partie que ce soit » depuis le 1er janvier 2013. Les signalements de violences, y compris interconfessionnelles ou intercommunautaires, n’ont en effet cessé de se multiplier au cours de l’année écoulée.

Je soulignerai enfin que la résolution instaure aussi, pour une période initiale d’un an, un embargo pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert à la RCA d’armements et de matériels connexes de tous types. Un comité des sanctions sera chargé, en particulier, de veiller au respect, par tous les États membres, dudit embargo.

Les écologistes seront particulièrement attentifs à ces deux derniers points.

Cet engagement des forces françaises en Centrafrique en soutien à la MISCA, sous mandat de l’ONU, et à la demande du gouvernement centrafricain, de la société civile de RCA et des États voisins, est donc une étape nécessaire en vue d’éviter une catastrophe humanitaire.

Cependant, nous devons, toutes et tous, prendre la pleine mesure de la complexité de la situation géopolitique en République centrafricaine. Le mauvais état des routes et des pistes, la diversité des groupes armés, rejoints par des brigands, des bandits de grand chemin et des groupuscules crapuleux, sur fond de conflits interreligieux, rendent extrêmement compliquée la tâche de la MISCA et de nos forces armées.

Il est, dès lors, difficile de déterminer de façon précise qui agit, d’autant que nous sommes face à plusieurs groupes armés évanescents, qui risquent de se reconstituer aussi vite qu’ils seront dissous. Il s’agit donc de ne pas tomber dans l’écueil d’une vision binaire « Séléka » contre « anti-balaka », ou « musulmans » contre « chrétiens », là où la situation est beaucoup plus complexe. Notons que de nombreux Centrafricains d’obédience musulmane se désolidarisent clairement de la Séléka – déjà fort morcelée – à laquelle ils ne souhaitent pas être assimilés.

Dans ce contexte, il nous appartient de faire preuve de précaution, a fortiori en raison de la perméabilité des frontières avec les États voisins. Les enjeux géostratégiques sont de taille, le risque étant que la RCA ne devienne une base arrière de groupes plus radicaux déstabilisant ou infiltrant toute la région de l’Afrique centrale.

Si les grandes villes pourront, à terme, être mieux sécurisées, ainsi que les grands axes, tels que l’axe Bangui-Douala, l’instauration d’une paix et d’une sécurité durables risque d’être plus délicate à obtenir et à consolider dans les vastes zones difficiles d’accès que compte le pays.

Je salue d’ailleurs le courage et l’engagement des soldats de la MISCA et des troupes françaises. Notre groupe tient également à rendre un profond hommage aux deux militaires français du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres tués cette nuit en opération à Bangui.

Cette intervention s’annonce malheureusement longue, difficile, dangereuse et d’une complexité sans précédent. Comme pour l’intervention au Mali, la phase militaire devra laisser au plus vite la place à la phase politique, puis au temps du développement, mais la différence résulte dans le contexte particulier de la Centrafrique, où l’État est particulièrement affaibli depuis de nombreuses années, voire quasi inexistant.

Dans ce contexte, la reconstruction de l’État centrafricain sera le préalable nécessaire à sa stabilité et à l’organisation d’élections démocratiques, dans un pays où les archives administratives et l’état civil ont été détruits. Une fois la paix rétablie, ce que nous appelons évidemment tous de nos vœux, et rapidement, quid de la constitution de listes électorales ? Le processus n’est pas simple. Les difficultés seront multiples et nous devons d’ores et déjà les envisager.

Enfin, nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’objectif de paix et de sécurité en Centrafrique sans aborder l’ultime et nécessaire étape du développement, de la lutte contre la pauvreté, qui a d’ailleurs été intégrée au sommet de l’Élysée, sur l’initiative du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et du ministre délégué chargé du développement, Pascal Canfin.

Cette étape de reconstruction sociale et économique passera par l’aide au développement, qui nécessitera une mobilisation de tous les acteurs. Il s’agira de mettre tout en œuvre avec les autres États européens, l’Union européenne et l’ensemble de la société internationale, pour parvenir à un système de partenariat et de développement associant le futur État centrafricain reconstruit et consolidé, la société civile, les organisations régionales africaines, les États africains et les ONG.

En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je pense bien entendu aussi aux Français en Centrafrique, qui, lorsqu’ils n’ont pu y rester, ont dû rentrer en France ou s’installer dans d’autres pays africains au printemps dernier.

L’intervention militaire ne suffira évidemment pas à résoudre tous les problèmes d’un pays extrêmement pauvre.

Je conclurai en citant Vassilis Alexakis, un écrivain d’origine franco-grecque amoureux de Bangui. Dans son ouvrage Les Mots étrangers, il fait une quête, l’apprentissage du sango. Pour apprendre cette langue rare, avec laquelle il n’avait pas de lien, l’auteur décide d’un voyage à Bangui. Et il écrit : « La mort aussi se lève de bonne heure à Bangui. J’ai mis du temps à me remettre de cette révélation ». J’ajouterai que, depuis le 24 mars dernier, elle ne cesse malheureusement de se lever de bonne heure pour les Centrafricains.

Afin que cela cesse au plus vite, le groupe écologiste soutiendra l’engagement des forces armées en République centrafricaine. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’ensemble des intervenants, je veux rendre hommage à nos deux soldats du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, tués hier soir en République centrafricaine, et présenter nos condoléances à leurs familles et à leurs camarades.

Ces morts pour la France, pour la paix et la sécurité internationale viennent nous rappeler l’abnégation nécessaire au métier militaire, puisque celui-ci implique l’acceptation du sacrifice de sa vie. Nous exprimons notre peine profonde et notre solidarité sans faille avec nos troupes.

Comme au Mali en 2012, notre pays se trouve en pointe en République centrafricaine. Devant la dégradation insupportable de la situation humanitaire, l’alerte a été donnée par le Président de la République lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, dès le 24 septembre dernier.

Il a fallu deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Pendant les deux mois et demi de négociation nécessaires, des massacres ont été perpétrés et la dimension confessionnelle des affrontements a parfois pris le dessus.

L’adoption rapide de la résolution, jeudi dernier, ne doit pas nous faire oublier les difficultés de sa négociation. Celles-ci me permettent d’ailleurs une nouvelle fois de saluer l’extrême compétence de notre diplomatie, qui a su rassembler et convaincre. À présent, ce sont nos soldats qui sont sur le terrain, et nous leur redisons toute la confiance et l’estime de notre commission et du Sénat tout entier pour leur dévouement et l’extraordinaire professionnalisme dont ils font preuve dans des conditions particulièrement difficiles.

Ma première remarque porte sur la notion de responsabilité de protéger, qui appartient au premier chef aux dirigeants politiques et, en cas de défaillance, à la communauté internationale tout entière au travers de l’ONU, de son Conseil de sécurité. Hors cas de légitime défense, l’ONU a en effet seule la légitimité de l’emploi de la coercition sous chapitre VII de la Charte des Nations unies.

Certains y opposent le principe de souveraineté des États, qui est, d’ailleurs, le fondement même de l’ONU. Je ne vois aucune contradiction entre ces deux notions. Du reste, l’utilisation de la force n’est que le stade ultime de la démarche d’application du principe de responsabilité de protéger.

Toutefois, la souveraineté ne peut justifier qu’un gouvernement massacre sa population ou qu’il laisse se perpétrer des massacres quand l’État lui-même disparaît. Ceux qui prétendent que c’est aux peuples de choisir leurs dirigeants et de les renvoyer le cas échéant feraient bien parfois de réfléchir aux exemples récents, dont nous débattons aujourd’hui.

Outre l’urgence humanitaire, qui selon moi justifierait à elle seule notre action et qui est l’honneur de la France en République centrafricaine, comme elle le fut en Libye, quelles sont nos motivations pour intervenir ? J’en vois trois.

La première raison est que nous ne voulons pas laisser la crise dégénérer avec un État qui n’a plus d’État que le nom. Par contagion, la situation pourrait devenir extrêmement difficile et dangereuse dans l’ensemble de la région. Si elle se poursuivait, cette déstabilisation de la Centrafrique serait de nature à compromettre la paix et la sécurité dans toute la région, d’avoir des conséquences extrêmement importantes sur les perspectives de développement de toute la zone et même du continent. Cette zone de non-droit attirerait certainement un certain nombre de groupes terroristes et criminels dont elle deviendrait ou pourrait devenir le sanctuaire. Après l’Afghanistan, la Somalie, le Yémen et le Mali, cela aurait pu être le cas de la République centrafricaine.

J’en viens à la deuxième raison de notre intervention. Par le désordre et l’insécurité qu’elles entretiennent, les bandes armées de toute nature, qu’il convient de désarmer – c’est une tache extrêmement délicate, urgente et immense –, permettent de masquer la présence d’éléments terroristes comme ceux de Boko Haram et de l’Armée de Résistance du Seigneur, en anglais la LRA, évoquée par François Rebsamen précédemment.

Ces éléments terroristes sont des menaces directes contre les intérêts de l’Europe et du monde. Dans une autre zone, le même phénomène peut être constaté : la progression de la piraterie dans le golfe de Guinée, dont l’activité demande à être éradiquée, conduit aux mêmes effets. Ce sujet fera l’objet des travaux de notre commission en 2014.

J’ajoute que la dérive en conflit confessionnel doit impérativement être évitée et enrayée. C’est la troisième raison de l’intervention de la communauté internationale. Le rapport présenté le 18 décembre par le secrétaire général des Nations unies mettait en exergue le « niveau alarmant de violences intercommunautaires » et les affrontements confessionnels entre chrétiens et musulmans. Il soulignait la crainte que les affrontements ne « dégénèrent en conflit religieux et ethnique à l’échelle du pays avec le risque d’aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités ».

L’adoption des résolutions 2121 et 2127 montre que l’identification de ces menaces – la déstabilisation régionale, le risque de création d’un foyer de tous les trafics et la dérive en conflit religieux – a été partagée par la communauté internationale. Je me félicite en particulier du soutien unanime des Africains eux-mêmes et de leurs organisations régionales, dont, en tout premier lieu, l’Union africaine. Ce soutien devrait être relevé par ceux qui, comme de nouveaux cabris, agitent le souvenir de la Françafrique, que ce soit dans le débat politique intérieur ou chez certains de nos meilleurs alliés.

La doctrine fixée par le Président de la République est claire : il ne doit pas y avoir d’ingérence politique et il faut que notre action se produise à la demande et aux côtés des Africains, non en substitution à eux. C’est une différence fondamentale de la situation en Centrafrique.

L’une des conclusions du sommet de l’Élysée a été de souligner l’importance du développement des capacités africaines de réaction aux crises, afin que le continent prenne en charge dès que possible sa propre sécurité. La France « s’est engagée à soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la force africaine en attente et de sa capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015, ainsi que la capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), telle que décidée par le sommet de l’Union africaine en mai 2013 ».

Cet apport de notre pays me permet d’aborder le second point de mon intervention.

Juste après la clôture de notre débat, nous examinerons en deuxième lecture la loi de programmation militaire. Comme je suis un esprit cohérent – tout au moins, j’estime l’être, et vous me direz plus tard ce que vous en pensez, mes chers collègues (Sourires.) –, je vous fais observer qu’il y aurait une contradiction certaine entre notre prise de position quasi unanime pour soutenir le Gouvernement et un vote contre les crédits de la programmation militaire. Cette loi nous confère en effet les moyens de notre action.

Nous voyons bien que sur les questions de sécurité et de politique étrangère les forces politiques savent se rassembler, car c’est l’intérêt national qui est en jeu. En luttant contre les menaces que nous avons clairement identifiées, c’est bien la sécurité de notre pays et de nos concitoyens que nous défendons. En particulier, je ne comprends pas comment il est possible d’affirmer qu’il n’y a pas de développement sans sécurité, pas plus qu’il n’y a de sécurité sans développement, tout en refusant de se doter des moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif, auquel je souscris.

Pour autant, les discussions à l’ONU ou au sein de l’Union européenne posent très concrètement, monsieur le ministre, la question des limites de notre politique d’intervention en République centrafricaine comme au Mali ou en Côte d’Ivoire, et peut-être demain dans un autre pays. Le surcoût des OPEX en 2013, constaté en loi de finances rectificative, est tout de même de 1,26 milliard d’euros, à comparer aux 630 millions budgétés en loi de finances initiale pour 2013 et aux 450 millions provisionnés pour 2014.

Certes, le financement est couvert par la réserve interministérielle et nous y avons veillé en loi de programmation militaire. Il ne pèsera donc pas sur le budget du ministère de la défense. Toutefois, nous voyons bien la limite de la multiplication des interventions, alors même que nous avons beaucoup de mal à seulement stabiliser les crédits en euros constants.

Ces interventions sont pleinement justifiées, et la France doit assumer ses responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Il est cependant évident que nous ne pouvons supporter seuls le poids tant militaire que financier de ces interventions ad vitam aeternam. Le relais des organisations régionales, de l’ONU comme de l’Union européenne est indispensable sur ces deux plans. Il faut mettre nos partenaires européens devant leurs responsabilités. Si les menaces de déstabilisation en Afrique concernent directement l’Europe, alors il faut en tirer les conséquences autrement qu’en paroles et que par la politique du carnet de chèques.

La France participe déjà par son aide bilatérale, que ce soit en matière d’aide au développement ou de formation. À cela s’ajoutera la quote-part de notre pays à l’appui financier de l’Union. En plus, nous devrions supporter seuls le fardeau de l’intervention militaire ! (M. Gérard César applaudit.) Si je me félicite des soutiens apportés par certains de nos alliés, je note aussi le silence assourdissant d’autres partenaires, et non des moindres. L’inutilisation, donc peut-être l’inutilité, des groupements tactiques de l’Union européenne, ou battlegroups, est flagrante.

Nous ne pouvons être durablement les seuls à prendre nos responsabilités. Toutes ces questions, vous l’avez compris, monsieur le ministre, devront être clairement posées lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre prochain. Nous vous dirons demain soir quelle est la position que nous souhaitons vous voir porter à ce sommet européen, dont nous attendons beaucoup. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce fut un débat de grande qualité. M. Legendre a brossé une vaste fresque historique, allant de l’Oubangui-Chari jusqu’à Sangaris. Mme Ango Ela nous a fait part de réflexions littéraires sur la mort et la Centrafrique. Ce fut, sur la forme comme sur le fond, un débat de haute tenue. Il convient de noter tout particulièrement la hauteur de vue dont ont fait preuve les orateurs de toutes les travées dans leur analyse de la situation en Centrafrique et sur le continent africain.

Je me réjouis également de la très large unanimité dont les différentes interventions se font l’écho, aussi bien sur la nécessité que sur la manière d’agir. Ce point n’est pas secondaire. J’ai pu constater, durant tout le déroulement de l’opération Serval, combien nos soldats étaient sensibles à l’unanimité du Parlement, qui faisait bloc derrière eux.

M. Henri de Raincourt. C’est certain !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Quand on siège dans cet hémicycle, ou dans celui de l’Assemblée nationale, on n’imagine peut-être pas l’impact que cette unanimité peut avoir sur nos armées. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je voulais vous en remercier.

Cette position, en outre, nous donne plus de force sur le plan international, mais aussi européen – certains orateurs en ont fait mention –, pour montrer notre détermination, notre singularité et notre puissance. En effet, qui, en Europe, peut intervenir comme nous le faisons au Mali et en Centrafrique ?

Je vous remercie donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos propos, et je me félicite du large consensus dont ils témoignent.

Je tenais également à vous dire à quel point j’ai été touché par l’hommage rendu aux soldats de première classe Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio. J’y suis d’autant plus sensible que je les ai croisés il y a dix jours, à Libreville, pour préparer l’intervention. Quelques jours auparavant, j’avais également rencontré leurs camarades à ce que l’on appelle le « 8 », c’est-à-dire le 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine, ou RPIMa, de Castres. Ce régiment d’élite, à la longue histoire, très intégré dans la population, est aujourd’hui en deuil.

Ces deux soldats participaient aux premières missions de désarmement, que nous avons décidé de mettre en œuvre depuis hier matin. En effet, la principale mission de nos forces et de la future Mission internationale de stabilisation de la Centrafrique, la MISCA, est le désarmement. Ce n’est pas chose aisée. On a pu considérer – certains articles de presse allaient dans ce sens – qu’il s’agissait d’une opération de police. Ce n’est pas le cas : c’est une opération de guerre.

L’intervention de nos forces n’est ni simple ni calme. Elle comporte des risques, demande une vigilance extrême et suppose d’être menée jusqu’au bout. Il faut désarmer toutes les milices, celles de la Séléka comme de l’anti-Balaka, et confisquer et détruire toutes les armes. Il faut faire en sorte que se constitue, par la suite, une armée digne de ce nom, l’état actuel des Forces armées centrafricaines, les FACA, étant proche du néant. Ce processus ressemblera alors un peu à celui qui est en cours au Mali.

Plusieurs orateurs, entre autres M. Rebsamen et M. le président de la commission des affaires étrangères, ont soulevé les deux enjeux principaux de cette intervention : la Centrafrique fait face à un chaos humanitaire et à un effondrement sécuritaire. Les deux sont liés. C’est par solidarité, par une espèce de devoir, qui nous vient de notre responsabilité dans la région, mais aussi à cause du risque sécuritaire, que nous devons intervenir.

Ce risque ne concerne pas que la région, que les voisins de la République centrafricaine ; il touche également l’Europe et la France. Laisser le désordre et le non-droit s’installer dans cet État, c’est, du fait de sa situation géographique et de son histoire, ouvrir la porte à tous les terrorismes et à toutes les formes de trafic. Certains orateurs ont cité les tentations que pourraient éprouver des mouvements comme la LRA, Boko Haram ou d’autres encore si nous n’intervenions pas. L’état de non-droit prévaudrait, et un creuset de tous les dangers se formerait. Il faut le faire comprendre à la population française : en intervenant, nous assurons aussi notre propre sécurité.

Certains orateurs, notamment Mme Demessine, s’interrogeaient sur les objectifs de notre intervention. Je le rappelle, nous sommes mandatés par la résolution du Conseil de sécurité. C’est bien cet organe qui nous amène à intervenir, c’est lui qui nous incite à utiliser la force, si nécessaire. Les objectifs fixés par ce mandat sont d’une très grande clarté.

Il nous faut, tout d’abord, assurer un minimum de sécurité. C’est ce vers quoi nous tendons à travers le désarmement, afin que la population puisse recommencer à vivre librement.

Il nous faut, ensuite, assurer une présence humanitaire significative. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas possible aujourd’hui : des gens sont assassinés aux portes des hôpitaux.

Il nous faut, en outre, aider la MISCA à se déployer. Je ne crois pas qu’il faille juger de manière hâtive les forces africaines et considérer qu’elles ne pourraient pas intervenir. Certains pays, j’en conviens, disposent d’armées plus ou moins bien structurées. Néanmoins, les forces présentes – j’ai indiqué dans mon propos initial qu’elles comptent de 2 500 à 3 000 soldats –, qui composent ce que nous appellerons à compter du 19 décembre prochain la MISCA sont suffisamment organisées pour pouvoir réagir, intervenir et contribuer au désarmement.

Avec les troupes qui les rejoindront plus tard, elles seront également en mesure d’assurer la sécurité dans le pays. Je vous le rappelle, en effet, à l’occasion d’une réunion qui s’est tenue à l’Élysée samedi après-midi, après le sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement de la zone ont décidé de faire passer le nombre de soldats composant la future MISCA de 3 000 à 6 000, voire 6 500.

Il nous faut, enfin – le mandat des Nations unies l’indique –, permettre qu’un processus électoral soit lancé et que la transition s’achève au plus vite. Je le signale à M. Bockel, qui m’a interrogé sur ce point, cela signifie qu’elle doit avoir lieu avant la fin de l’année 2014. L’échéance initiale, fixée par la feuille de route de Libreville, rectifiée par celle de N’Djamena et validée par l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement de la zone était le début de l’année 2015. Toutefois, les mêmes chefs d’État et de gouvernement ont estimé, samedi dernier, qu’il fallait aller plus vite.

Cela supposera la constitution de documents d’état civil et la création de cartes d’électeur ; tout un processus, en somme, qui devra être accompagné par les Nations unies et l’Union européenne, pour que la démocratie revienne. Je suis convaincu que des élites s’affirmeront pour permettre ce processus. La tâche est difficile, mais elle est incontournable et elle devra être accomplie au cours de l’année 2014.

Des précisions m’ont été demandées sur le calendrier. Nous l’avons indiqué, et le Président de la République l’a répété, l’opération, pour la France, sera forte et rapide. Bien sûr, on ne peut pas donner le jour et l’heure auxquels l’intervention se terminera, cinq jours seulement après son début ! Le gouvernement qui le ferait serait irresponsable. Je puis simplement vous dire une chose : notre volonté est que notre action soit forte et rapide et se fasse sur la base des objectifs que j’ai mentionnés.

Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous étions déjà présents à Bangui, dans le cadre de l’opération Boali, à la suite du coup d’État de 2003, perpétré par le président Bozizé. Cette mission, beaucoup plus contrainte et restreinte, consistait à sécuriser l’aéroport, protéger les ressortissants français et apporter un soutien logistique – modeste – à la Force multinationale d’Afrique centrale, la FOMAC, qui venait d’être mise en place.

Nous avons dit que l’intervention serait d’environ six mois. Elle durera peut-être un peu plus, peut-être un peu moins ; je ne m’enfermerai pas dans un tel type de raisonnement. Le principe, c’est que l’opération doit être menée rapidement. Son point de départ, incontournable, est le désarmement. Voilà notre mission principale.

Il a été fait état du rôle de l’Europe dans cette affaire. Je voudrais faire observer, en premier lieu, que le mandat des Nations unies s’adresse aux Africains, soutenus par la France. J’indique, en second lieu, que cela n’empêche pas les pays européens de nous aider. C’est d’ailleurs ce que font certains d’entre eux.

Il est encore un peu trop tôt pour dresser la liste exhaustive de toutes les participations. Il a été fait mention des soutiens britannique et allemand. Je sais que la Belgique s’interroge également sur une aide éventuelle. Depuis deux jours, d’autres pays européens nous ont fait savoir qu’ils étaient tout à fait disposés à nous apporter un soutien logistique. C’est indispensable, pour nous comme pour les Africains. En effet, faire passer les forces de la MISCA de 3 000 à 6 000 soldats requiert toute une logistique de transport. Certains pays européens sont même disposés à aller plus loin. J’espère qu’ils seront au rendez-vous. Nous aurons l’occasion de le vérifier dans les jours qui viennent.

Les différentes interventions sur ce sujet m’amènent néanmoins à vous faire part d’une réflexion. Avec ce qui vient de se passer, il est, je pense, indispensable que l’Europe s’interroge sur les groupements tactiques.

Logiquement, dans une crise de ce type, le groupement tactique de permanence devrait être mobilisé. Les groupements tactiques ont été créés pour cela, mais ils n’ont jamais servi ! Vous le savez, ils sont placés en alerte deux par deux, tous les six mois. Aujourd’hui, ce sont les Britanniques et les Lituaniens. À partir du 1er janvier prochain, ce seront les Grecs et les Bulgares et, à partir du 1er juillet prochain, les Belges et les Danois. Des régiments sont placés en alerte, des unités prédisposées à intervenir. Elles ne le font jamais, pourtant, car le lieu de la décision politique nécessaire à leur mobilisation et à leur action fait défaut.

À mon sens, l’opération en Centrafrique, avec ses deux composantes humanitaire et sécuritaire, est l’occasion de se poser la question du bon usage du groupement tactique. Je souhaite que la France interpelle ses amis européens et les incite à réfléchir à cette question.

Je voudrais aussi répondre à M. Rebsamen, qui a proposé que la part du budget de la défense ne soit pas comprise dans le calcul des déficits budgétaires nationaux par la Commission. À titre personnel, cela me convient bien ! Néanmoins, je ne suis pas sûr que l’on puisse y arriver rapidement.

Je ferai néanmoins observer que le projet de loi de programmation militaire, que nous allons examiner en deuxième lecture dans quelques instants, compte quelques initiatives en la matière. La commission des affaires étrangères du Sénat et la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale ont en effet proposé d’accroître la solidarité au plan européen, dans le cadre du mécanisme Athéna, en faisant en sorte qu’une partie des dépenses liées aux opérations militaires soit prise en charge par l’Union européenne. À mon sens, il s’agit d’un biais pertinent, pour assurer, dans ce type d’intervention, une véritable solidarité à l’échelle européenne.

J’en viens à la transition, qui a fait l’objet de quelques questions – pardonnez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de passer d’un sujet à l’autre, mais j’essaie de répondre à tous les orateurs.

Je le rappelle, une feuille de route a été adoptée. Le chef de l’État et le Premier ministre actuels sont des autorités de transition. Ils ont, en principe, renoncé à être candidats lors des prochaines échéances électorales. Le dispositif s’apparente ainsi à celui qui a cours au Mali. Nous souhaitons que ces autorités, notamment le chef de l’État par intérim, Michel Djotodia, qui sont les seules à être reconnues actuellement, puissent faire appliquer le processus de désarmement et le cantonnement. Tel sera, j’en suis convaincu, le message que leur transmettra ce soir le Président de la République. En effet, ce point est incontournable : s’il reste encore un minimum d’autorité, autant s’en servir pour cantonner et désarmer !

Cette évolution ne peut bien évidemment se faire sans une perspective de développement. Mme Demessine a eu raison de beaucoup insister sur la question de l’approche globale. À l’instar de ce qui s’est passé pour le Mali, une conférence des donateurs sera mise en place pour la République centrafricaine au début de l’année prochaine. (M. Alain Gournac s’exclame.) Cela a été affirmé de manière très claire samedi dernier au Conseil de paix et de sécurité, à la fois par le secrétaire général des Nations unies et par M. Van Rompuy.

Il faut, tout d’abord, organiser cette conférence et, ensuite, mettre en œuvre le processus. Nous sommes toutefois aujourd’hui dans une situation où il est impossible de déclencher ce processus tant le délabrement est grave, tant les violences, les rapines et exactions de toutes sortes rendent le pays tout à fait instable. Il faut commencer par rétablir le minimum d’ordre qui permettra d’agir. C’est en ce sens que sont mobilisés nos soldats, qui s’y emploient avec beaucoup de professionnalisme et de courage.

Je voudrais terminer mon propos en apportant, dans ce panorama plutôt sombre, deux notes d’optimisme. Je les tire du Conseil de paix et de sécurité, où j’ai été extrêmement frappé de la prise de conscience, par les 53 chefs d’État et de gouvernement des pays d’Afrique représentés, que la sécurité de leurs pays ne peut être garantie par leur seule armée, dont l’unique mission serait de protéger des frontières légitimes.

Il existe une prise de conscience que la sécurité de chacun des États est liée à la sécurité collective en Afrique, laquelle passe par la nécessité de construire une force de réaction rapide africaine qui aurait pu, si elle avait été instruite et structurée, jouer le rôle aujourd’hui tenu par les forces françaises au Mali. Le rôle de la France, mais aussi celui de l’Europe, est de les accompagner dans la mise en place de ce système de force de réaction rapide, qui devrait aboutir en 2015.

Enfin, je suis frappé également de la prise de conscience de la nécessité d’assurer la sécurité des trafics maritimes au large du golfe de Guinée. Sans lien direct avec la crise centrafricaine, celle-ci concerne les mêmes pirateries et les mêmes risques, latents dans cette zone. Le Conseil de paix et de sécurité a pris des engagements à cet égard.

Telles sont les deux conditions majeures qui, une fois réunies, permettront de faire en sorte, madame Ango Ela, que la mort qui, en Afrique, se levait de bonne heure, se lève désormais le plus tard possible !

En tout cas, c’est pour cela que nous avons envoyé nos forces en République centrafricaine. Nous souhaitons que, aux côtés des forces africaines, leur présence, leur courage, leur détermination permette à ce pays de retrouver, enfin, des cheminements plus harmonieux. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine.