Cheikh Abdallah Bin Zayed Al Nahyan, ministre émirati des Affaires étrangères, visite le porte-avions Charles De Gaulle.

Enfin « la crise est dépassée » en Italie : c’est ce qu’a annoncé, pas à Rome mais à Abu Dhabi, le président du Conseil Enrico Letta, en visite du 1er au 4 février dans les Émirats arabes unis, au Qatar et au Koweït. Il y est pour inviter les monarchies du Golfe à investir dans notre pays, qui a « un plan ambitieux de privatisations ». Après Alitalia (compagnie aérienne nationale déjà privatisée), d’autres joyaux de famille sont en liquidation : Fincantieri, Postes, Sace (groupe qui « assure ton business dans le monde »).

Les travailleurs italiens qui craignent d’ultérieures coupes sombres dans l’emploi et les droits acquis peuvent maintenant être tranquilles : ils seront protégés par les investisseurs des monarchies du Golfe, où le souverain détient le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire et l’exerce par l’intermédiaire d’un gouvernement qu’il a lui-même nommé, et où les partis politiques et organisations syndicales sont considérés comme illégaux.

Parallèlement, a annoncé Letta, « l’Italie, qui possède de la haute-technologie, est prête à investir dans le Golfe ». Dans ce but, en décembre dernier, l’Expo flottante d’armes a fait le tour des monarchies du Golfe à bord du porte-avion Cavour où, à côté d’avions et d’hélicoptères de guerre, de canons et de missiles, sont exposées de flamboyantes Ferrari, Lamborghini, Maserati et autres « excellences italiennes » à la portée des bourses des émirs et des élites africaines.

La mission « Système Pays en mouvement », effectuée par le Cavour et trois autres navires de guerre, a été organisée en grande hâte pour anticiper la concurrence française du porte-avions Charles De Gaulle qui, flanquée de quatre navires dont un sous-marin d’attaque nucléaire, a levé l’ancre deux semaines après le Cavour.

La mission française cependant est mieux organisée. À Abu Dhabi, alors que le Cavour s’est limité à une manœuvre avec une corvette émiratie, le Charles De Gaulle a effectué en janvier une grande manœuvre avec les forces navales et aériennes des Émirats. Y ont participé aussi les chasseurs Rafale que la France essaie de vendre aux Émirats, après que ceux-ci ont refusé d’acheter pour 6 milliards de dollars 60 chasseurs Eurofighter Typhoon, construits par le consortium formé par Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne. Mais tra i due litiganti il terzo gode (proverbialement, quand deux personnes se disputent le troisième en profite, NdT) : ce sera selon toutes probabilités la société étasunienne Lockheed Martin qui vendra aux Émirats une soixantaine d’avions de chasse F-16.

À Abu Dhabi, les États-Unis disposent de la base aérienne Al-Dhafra, utilisée pour les guerres en Irak et Afghanistan, qui inclut aussi depuis 2009 celle, française, du Camp de la Paix : toutes deux situées à l’embouchure du Golfe persique face à l’Iran. Il se trouve sûrement à Rome des gens pensant que l’Italie aussi doit s’installer militairement dans cette zone stratégique, comme elle l’a fait à Djibouti, à l’embouchure de la Mer Rouge.

Pendant ce temps le groupe naval Cavour poursuit sa mission : après la tournée promotionnelle dans le Golfe, il a commencé celle de l’Afrique, en faisant escale après Djibouti au Kenya, à Madagascar et au Mozambique. Il jettera l’ancre demain en Afrique du Sud, puis remontera la côte occidentale de l’Afrique pour rentrer en Italie en avril, après un voyage de cinq mois.

On ne sait pas combien d’armes et de Ferrari seront finalement vendues ; on sait par contre que le coût de la mission a déjà gonflé de 22 millions d’euros prévus à 33 millions, auxquels s’ajoutent les droits de ports à chaque escale. Mais de nombreuses œuvres de bienfaisance sont accomplies : comme pour le réveillon du Jour de l’an sur le Cavour, la vente aux enchères d’objets de valeur mis à disposition par Versace et Maserati ; ou « les visites ophtalmologiques d’aide aux enfants africains pauvres ».

Avant qu’ils ne ferment les yeux à cause de la faim ou des guerres que la mission Cavour contribue à créer.

Traduction
M.-A.
Source
Il Manifesto (Italie)