Le représentant permanent du Luxembourg, M. Asselborn, discute avec le secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Feltman.
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La séance est ouverte à 15 h 10.

Le Président : En vertu de l’article 37 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite le représentant de l’Ukraine à participer à la présente séance.

Au nom du Conseil, je souhaite la bienvenue à S. E. M. Arseniy Yatsenyuk, Premier Ministre de l’Ukraine, et prie le fonctionnaire du protocole de l’escorter à la table du Conseil.

M. Arseniy Yatsenyuk, Premier Ministre de l’Ukraine, est escorté à la table du Conseil.

Le Président : En vertu de l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite M. Jeffrey Feltman, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, à participer à la présente séance.

Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.

Je donne maintenant la parole à M. Feltman.

M. Feltman, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques (parle en anglais) : Je vais axer mon exposé sur deux aspects : les événements récents en Ukraine et les activités menées par l’ONU.

Le fait que le Conseil se réunisse pour la deuxième fois cette semaine et pour la sixième fois depuis le 1er mars pour se pencher sur la situation en Ukraine reflète la gravité de la crise et la possibilité qu’elle ait des répercussions plus générales. Le Conseil porte une attention sérieuse à cette question, outre les multiples initiatives diplomatiques multilatérales et bilatérales, qui visent toutes à trouver une solution pacifique à la crise. Cependant, la fréquence des délibérations reflète également le fait qu’en tant que communauté internationale, nous ne sommes pas encore parvenus à nous acquitter de notre obligation – que le Secrétaire général nous rappelle si fréquemment –, qui consiste à apaiser les tensions, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. Même si elle est restée inaccessible jusqu’à présent, la voie qui mènera à un règlement pacifique de la crise reste ouverte. Engageons-nous dans cette voie.

Je vais tout d’abord aborder les événements en Ukraine. Depuis le dernier exposé que j’ai présenté au Conseil (voir S/PV.7131), la préoccupation du Secrétaire général devant la détérioration de la situation en Crimée et la montée des tensions dans l’est de l’Ukraine n’a cessé d’augmenter. En Crimée, la prise et le blocage de bases militaires ukrainiennes et de la plupart des bâtiments du service chargé de la surveillance des frontières se poursuivent. Des informations font état de la prise d’un hôpital militaire par des hommes armés non identifiés. Le 11 mars, il a été signalé que les autorités criméennes avaient fermé l’espace aérien de la péninsule à tous les vols commerciaux à l’exception de ceux en provenance et à destination de Moscou, invoquant la nécessité de maintenir les prétendus provocateurs loin de la péninsule.

Nous croyons comprendre que le référendum convoqué par les autorités criméennes se tiendra comme prévu ce dimanche 16 mars. Aucune information n’indique le contraire.

Le 11 mars, le Parlement criméen a adopté une « déclaration d’indépendance de la République autonome de Crimée ». Le même jour, le Parlement ukrainien, citant des articles spécifiques de la Constitution nationale, a adopté une résolution dans laquelle il demande instamment au Gouvernement criméen de « reconsidérer sa décision du 6 mars 2014 et de la mettre en conformité avec la Constitution ukrainienne et la Constitution de la République autonome de Crimée, approuvée par la loi ukrainienne du 23 décembre 1998 ».

La résolution souligne par ailleurs que si le Parlement criméen n’a pas obtempéré à la date du 12 mars 2014, le Parlementukrainien« lancerauneprocédured’annulation anticipée des pouvoirs du Parlement de la République autonome de Crimée ».

J’en viens maintenant aux activités menées par l’ONU. Le Secrétaire général continue de déployer des efforts actifs pour s’entretenir avec toutes les parties concernées en vue de trouver une solution pacifique à la crise actuelle. À cette fin, il recevra M. Yatsenyuk cet après-midi.

Comme je l’ai indiqué lundi, le référendum prévu a encore compliqué une situation déjà difficile et instable. Dans ce contexte, j’ai le regret d’informer le Conseil que les autorités locales ont refusé au Sous- Secrétaire général aux droits de l’homme, M. Ivan Šimonović, l’accès à la Crimée, affirmant qu’elles n’étaient pas prêtes à le recevoir et n’avaient pas les moyens d’assurer sa sécurité.

Lorsqu’il quittera l’Ukraine, le Sous-Secrétaire général, M. Šimonović, prévoit d’établir un rapport sur la situation des droits de l’homme dans tout le pays. S’agissant de la Crimée, il devra s’appuyer, entre autres, sur les informations fournies par les habitants de la Crimée, les diplomates étrangers basés en Crimée et les organisations non gouvernementales internationales, avec qui il entretient des contacts. Étant donné que les informations concernant la réalité du terrain en Crimée divergent profondément les unes des autres, nous aurions de loin préféré que le Sous-Secrétaire général, M. Šimonović, soit en mesure de récueillir lui-même des informations.

Le Sous-Secrétaire général, M. Šimonović, a déjà organisé des réunions à Kiev, Kharkiv et Lviv, notamment avec des représentants d’administrations locales, de la minorité russe, d’organisations non gouvernementales, notamment avec un représentant des Tatars de Crimée, et d’autres représentants de la société civile, ainsi qu’avec des médiateurs. Durant sa mission, il a également continué d’envisager diverses options avec les autorités en vue de mettre en place des mesures pratiques de défense des droits de l’homme pour renforcer la protection des droits de l’homme et contribuer à l’apaisement de la situation.

La mission de surveillance des droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme doit devenir opérationnelle en Ukraine lundi prochain. Compte tenu du caractère imprévisible de la situation, qui pourrait avoir des répercussions sur les droits de l’homme, le Secrétaire général envisage de demander au Sous-Secrétaire général, M. Šimonović, de prolonger sa mission.

Depuis le début de la crise, le Secrétaire général appelle à un règlement pacifique de la situation dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Le Secrétaire général continue de plaider pour un règlement de la crise en vertu de la Charte des Nations Unies. Il appelle toutes les parties à éviter toute réaction hâtive et toute rhétorique provocatrice et à engager un dialogue direct et constructif afin d’avancer pacifiquement vers le règlement de la crise. Il rappelle également à toutes les parties que les valeurs démocratiques et les normes internationales en matière de droits de l’homme doivent être observées au bénéfice de toutes les populations ukrainiennes, y compris les minorités. Dans le cadre des efforts de l’ONU, nous continuons également de coordonner étroitement nos activités avec celles des acteurs clefs et des organisations régionales compétentes, notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Dans le climat très tendu qui règne en Ukraine et qui est exacerbé par la méfiance et la peur, la possibilité d’une escalade ou de mauvais calculs intentionnels ou non est réelle. Nous soulignons que toutes les parties doivent éviter de prendre des mesures unilatérales qui pourraient aggraver les tensions et de rendre encore difficile la désescalade. Il est plus que temps de collaborer de manière constructive. L’instabilité en Ukraine ne profite à personne, et elle aura de graves conséquences pour la région et pour le monde.

Le Secrétaire général, avec l’appui de ses bons offices, agit en partenariat avec le Conseil s’agissant d’appuyer et de faciliter un règlement pacifique par la voie du dialogue. Nous sommes convaincus que grâce aux efforts sincères et concertés de la communauté internationale, nous pouvons ensemble sortir l’Ukraine du gouffre.

Le Président : Je remercie M. Feltman de son exposé.

Je donne maintenant la parole au Premier Ministre de l’Ukraine.

M. Yatsenyuk (Ukraine) (parle en anglais) : C’est pour moi un grand honneur que de prendre la parole devant l’organe auquel incombe la responsabilité principale du maintien de la paix, de la stabilité et de la sécurité dans le monde. Je crois savoir qu’il s’agit de la sixième réunion extraordinaire du Conseil de sécurité consacrée à la situation dans mon pays. Le Conseil est au courant des événements qui se déroulent sur le terrain, mais je vais ajouter des informations sur les derniers faits survenus en Ukraine. Mon pays doit faire face à l’agression militaire d’un pays voisin qui est membre permanent du Conseil de sécurité. Il n’y a aucune raison à cette agression, rien qui la justifie. Il est totalement et absolument inacceptable au XXIe siècle de résoudre quelque conflit que ce soit en recourant aux chars et à l’artillerie et en envoyant des soldats sur le terrain.

La Fédération de Russie a violé plusieurs traités bilatéraux et multilatéraux signés entre nos deux pays. Nous sommes convaincus que personne ne remet en question l’Article 2 de la Charte des Nations Unies, qui stipule que « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».

Nous continuons de croire qu’il est encore possible de régler ce conflit de manière pacifique, et nous félicitons l’armée ukrainienne de s’être abstenue de tout recours à la force.

Nous souhaitons être tout à fait clairs et dire que la présence d’une force militaire est désormais un fait bien établi, une présence militaire russe dont les véhicules arborent des plaques minéralogiques russes. Nous engageons instamment la Fédération de Russie à faire rentrer dans leurs casernes les forces militaires qu’elle a déployées en Crimée et à s’engager véritablement dans des pourparlers et des négociations en vue de remédier à ce conflit.

Il ne s’agit pas d’un conflit interne. C’est un conflit qui dépasse les frontières de l’Ukraine. Je voudrais rappeler qu’en 1994, l’Ukraine a renoncé à ses armes nucléaires. Nous nous sommes débarrassés d’un des plus grands arsenaux nucléaires au monde – le troisième – et, qu’en vertu du Mémorandum de Budapest, les signataires garantissaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’État ukrainien. Je crois que si nous tenions de véritables pourparlers avec la Russie, elle pourrait être un vrai partenaire, mais la façon dont nos voisins russes ont agi sape l’intégralité du programme mondial de sécurité et de non-prolifération nucléaire car, à la suite de tels agissements, il serait difficile de convaincre qui que ce soit au monde de ne pas avoir d’armes nucléaires.

Je tiens à réitérer une fois de plus que le Gouvernement ukrainien reste entièrement ouvert. Nous voulons des pourparlers ; nous ne voulons aucun type d’agression militaire.

Je vais maintenant m’adresser à la délégation russe.

(l’orateur poursuit en russe)

Nous cherchons une réponse à la question suivante : les Russes veulent-ils la guerre ? En ma qualité de Premier Ministre de l’Ukraine, un pays qui, pendant des décennies, a entretenu avec la Russie des liens chaleureux d’amitié, je suis convaincu que les Russes ne veulent pas la guerre, et j’espère que le Gouvernement russe et le Président russe entendront les vœux exprimés par leur peuple et reviendront à la table des négociations pour entamer un dialogue et régler ce conflit.

Le Président, M. Asselborn (Luxembourg) : Je vais faire une déclaration en ma qualité de Ministre des affaires étrangères et européennes du Luxembourg.

Je remercie M. Jeffrey Feltman, Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires politiques, pour son exposé. Je souhaite la bienvenue au Conseil à S. E. M. Arseniy Yatsenyuk, Premier Ministre de l’Ukraine, et je le remercie pour son intervention. Son discours nous a émus.

L’heure est grave en Ukraine, en particulier en Crimée. La crise que traverse son pays ne peut pas nous laisser indifférents. Malgré l’exacerbation des tensions, nous voulons croire qu’il est encore temps d’éviter le pire, c’est-à-dire l’annexion de la Crimée par la force. Nous espérons que cette séance publique du Conseil de sécurité, l’organe qui, conformément à la Charte des Nations Unies, a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, contribuera à renforcer les efforts de l’ensemble de la communauté internationale en vue d’un règlement pacifique de la crise dans son pays.

Le Luxembourg est profondément préoccupé par cette crise. Lors de mon déplacement à Kiev lundi dernier, clans le cadre d’une visite de travail avec mes collègues, les Ministres des affaires étrangères de Belgique et des Pays-Bas, j’ai pu me rendre compte personnellement du courage et de la résilience dont le peuple ukrainien a fait preuve au cours des dernières semaines. J’ai aussi eu l’occasion de saluer la retenue et le sang-froid de l’Ukraine, alors qu’elle est confrontée à la violation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale en Crimée.

La décision prise le 1er mars par le Conseil de la Fédération de Russie d’autoriser l’utilisation des forces armées russes sur le territoire de l’Ukraine et les actions entreprises sur le terrain ces deux dernières semaines constituent une violation flagrante du droit international, notamment de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final d’Helsinki. Elles vont à l’encontre des engagements que la Russie a pris envers l’Ukraine dans le cadre du Mémorandum de Budapest de 1994, et dans le cadre du Traité d’amitié, de coopération et de partenariat signé en 1997 entre la Russie et l’Ukraine.

La principale raison invoquée par la Russie pour légitimer ses actions, c’est-à-dire les menaces qui pèseraient sur les droits des communautés russophone et russe en Crimée, s’est avérée être sans fondement, comme l’a constaté récemment la Haute Commissaire pour les minorités nationales de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Nous regrettons qu’il n’ait pas été possible au Sous-Secrétaire général des Nations Unies aux droits de l’homme de se rendre en Crimée pour corroborer ce constat de l’OSCE.

L’organisation le 16 mars prochain d’un référendum sur le statut de la Crimée est dans sa forme et quant au fond contraire à la Constitution ukrainienne. Nous appelons la Russie à cesser toute action visant à soutenir ce référendum. La grande et forte Fédération de Russie n’a nul besoin ni d’encourager, ni de récupérer pour sa cause cette mascarade de référendum qui en réalité n’offre même pas sur les bulletins de vote une possibilité d’expression négative. Si le référendum devait néanmoins se tenir, la communauté internationale ne saurait en aucune façon reconnaître son résultat.

Nous ne sommes plus à l’ère de Yalta et du partage du continent européen. Il doit être possible de trouver une issue pacifique à la crise qui tienne compte des intérêts de toutes les parties impliquées, y compris évidemment la Russie. La déstabilisation de l’Ukraine ne sert les intérêts de personne à long terme. Nous reconnaissons les liens historiques que la Russie entretient avec l’Ukraine, aussi sur les plans économiques et culturels. Nous saluons l’esprit d’ouverture du Premier Ministre de l’Ukraine et sa disponibilité à négocier, raison de plus pour la Russie de saisir la main tendue par l’Ukraine pour établir un dialogue direct en vue de désamorcer la crise.

Une solution politique durable à la crise 
ukrainienne requiert aussi un dialogue politique inclusif
en Ukraine même. Ce dialogue doit inclure toutes les
forces politiques démocratiques et toutes les régions. Il
doit tenir compte de la diversité de la société ukrainienne, des aspirations de tous les Ukrainiens et de la nécessité de respecter les droits de tous les Ukrainiens. Nous appuyons les efforts du Gouvernement et du Parlement ukrainiens pour favoriser un tel dialogue qui pourrait, à nos yeux, conduire entre autres à un renforcement du caractère fédéral de l’État ukrainien. Mais seuls les Ukrainiens ont à décider de leur destin. L’Ukraine n’appartient qu’aux Ukrainiens.

Comme je l’ai dit en introduction, je veux croire qu’il est encore possible d’éviter le pire, qu’il est encore temps de trouver une solution pacifique en accord avec les principes de notre organisation, avec les principes et objectifs inscrits dans la Charte des Nations Unies. Le Luxembourg encourage la poursuite des efforts diplomatiques intenses en vue de la constitution d’un mécanisme multilatéral, d’un groupe de contact rassemblant les principales parties concernées, y compris la Russie. Ce mécanisme devrait permettre d’amorcer une désescalade militaire, avec en premier lieu un retrait des forces armées russes vers leurs lieux de stationnement permanent. Il devrait aussi permettre d’établir un dialogue direct entre les autorités russes et ukrainiennes.

Je salue les efforts du Secrétaire général et du Vice-Secrétaire général, et je les encourage à poursuivre leur mission de bons offices. Le Luxembourg soutient les efforts de l’OSCE, en étroite coopération avec l’ONU et d’autres acteurs internationaux, en vue de déployer une mission spéciale d’observation, en priorité en Crimée et dans d’autres régions de l’Ukraine, en accord avec le pays hôte. Une telle mission permettrait d’évaluer les faits et le respect des droits de l’homme et de favoriser le dialogue sur le terrain, afin de réduire les tensions et de normaliser la situation.

En conclusion, je voudrais réitérer, une fois de plus, notre appel à toutes les parties concernées, en particulier à la Russie, de faire primer le dialogue sur le coup de force, de faire primer le droit international sur la loi du plus fort. L’heure est à l’intensification des efforts diplomatiques pour aboutir à une solution à la crise ukrainienne qui respecte l’indépendance politique, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans l’intérêt de la paix, de la stabilité et de la prospérité en Europe.

Je reprends à présent mes fonctions de Président du Conseil.

Je donne maintenant la parole aux membres du Conseil de sécurité.

Mme Power (États-Unis d’Amérique) ( parle en anglais) : La présente séance intervient alors qu’à chaque jour qui passe le contraste s’accentue entre le comportement des autorités de Kiev et celui des autorités de Moscou. Je vais revenir sur chacun l’un après l’autre.

Le Gouvernement ukrainien a fait de la réconciliation interne, des préparatifs pour la tenue d’élections libres et régulières, et de l’ouverture politique sa priorité. Il a proposé de constituer une équipe spéciale pour examiner la possibilité d’un statut d’autonomie accrue pour la Crimée au sein de l’Ukraine. Les dirigeants ukrainiens ont énoncé clairement l’avenir qu’ils veulent pour leur peuple : un avenir de pluralisme, de prospérité et de dignité ; un avenir sans corruption ni népotisme ; un avenir dans lequel la population ukrainienne n’a pas à choisir entre l’Est et l’Ouest.

Le Gouvernement ukrainien est inébranlable dans sa promesse d’honorer tous ses engagements internationaux, y compris ceux relatifs aux bases militaires russes. L’Ukraine a aussi fait montre d’une retenue remarquable ces dernières semaines pour ce qui est de l’utilisation de ses forces armées. Comme l’atteste aujourd’hui la déclaration du Premier Ministre Yatsenyuk, l’Ukraine tout au long de cette crise a fait le choix de la raison, de l’attachement à l’état de droit et de la retenue face à la provocation. Son gouvernement a été approuvé quasiment à l’unanimité par le Parlement, et depuis bénéficie du large appui de toute la classe politique, y compris du parti de l’ancien Président Yanukovych. Le Gouvernement rassemble également des représentants originaires de tout le pays, de l’ouest comme de l’est, du nord comme du sud.

Les dirigeants ukrainiens se concentrent à juste titre sur les besoins de la population. Hier à Washington, le Premier Ministre a rencontré le Président Obama et d’autres responsables de l’Administration américaine, ainsi que plusieurs hauts dirigeants du Fonds monétaire international. L’objectif du Premier Ministre est de stabiliser les finances du pays, de faire reculer la corruption et de poser les fondements du progrès sous la direction d’un nouveau gouvernement élu de manière pacifique, libre et régulière par tous les Ukrainiens le 25 mai prochain. Cette élection, dans seulement deux mois, donnera à tous les citoyens ayant une vision différente pour l’Ukraine la possibilité de se faire entendre. Elle offrira à ceux qui veulent forger l’avenir de l’Ukraine une chance d’être élu. Les efforts de l’Ukraine pour stabiliser son économie et organiser la prochaine élection méritent l’appui enthousiaste de tous les membres du Conseil, sans exception, et de la communauté internationale dans son ensemble.

À Moscou, les dirigeants ont pris une tout autre orientation. La Russie a fait le choix de l’action militaire dès le début. Aux premières heures de la crise, la Russie a massé ses forces le long de la frontière ukrainienne pour y effectuer des exercices militaires, tandis qu’elle appuyait en Crimée les efforts pour prendre le contrôle des postes frontières ukrainiens, encercler les installations militaires ukrainiennes, s’emparer des bâtiments publics et remplacer les médias ukrainiens par des chaînes russes. Le Président Poutine a demandé et reçu l’autorisation du Conseil de la Fédération d’employer la force militaire en Crimée, et aujourd’hui il y aurait plus de 20000 soldats russes présents dans la région. Moscou justifie ses actes au nom de la protection des communautés de souche russe, mais les troupes russes ont interdit à plusieurs reprises l’accès des observateurs et médiateurs internationaux, alors que ceux-ci ont précisément pour tâche de veiller à ce que les droits des minorités ne soient pas violés. Ce n’est pas là le comportement de quelqu’un qui est persuadé d’avoir la vérité et le droit de son côté.

Les dirigeants autoproclamés de la Crimée ont décidé de procéder à un référendum avec le plein appui de la Russie. La date en a tout d’abord été fixée au 25 mai. Puis ils l’ont avancé au 16 mars, laissant moins de deux semaines pour les préparatifs et la tenue du scrutin, deux semaines pour une question qui revêt une importance capitale et qui risque d’avoir de lourdes conséquences sur la stabilité du pays, le tout, au mépris de la Constitution ukrainienne et du droit international. Les bulletins pour le référendum qui seront remis aux électeurs ne donnent pas la possibilité de se prononcer pour le statu quo, et ceux sur lesquels aucune case n’aura été cochée seront déclarés nuls. Tandis que le scrutin de ce week-end approche, l’intervention militaire russe se poursuit et nous avons appris ce matin que les troupes russes avaient effectué de nouvelles manœuvres militaires qui ont mobilisé plusieurs batteries d’artillerie, des hélicoptères d’assaut et au moins 10000 soldats supplémentaires le long de la frontière avec l’Ukraine.

Le référendum du 16 mars envisagé sur le statut de la Crimée est tout le contraire de l’élection prévue pour le 25 mai. Tandis que l’élection du 25 mai donne la possibilité légale à tous les Ukrainiens de participer à la définition de leur avenir commun, le référendum de dimanche en Crimée est injustifié, source de division et organisé dans la précipitation. La Constitution ukrainienne dispose que tout changement relatif au territoire doit être statué uniquement au moyen d’un référendum national. Le Gouvernement ne l’ayant pas autorisé, le scrutin envisagé pour le 16 mars équivaudrait à une violation de la souveraineté de l’Ukraine. Tout référendum sur la Crimée doit respecter les dispositions de la législation ukrainienne. En conséquence, les États-Unis s’associent à d’autres pour demander le retrait de cette initiative malavisée, qui ne saurait être considérée comme légitime, surtout si elle intervient sur fond d’incursion militaire étrangère. Nous demandons par ailleurs à la Fédération de Russie de s’abstenir de toute nouvelle démarche à l’appui de cette entreprise dangereuse.

La seule solution véritable à la crise actuelle passe par la diplomatie. Mon gouvernement appuie résolument la tenue de pourparlers directs entre la Fédération de Russie et le Gouvernement ukrainien, qui pourraient se dérouler, le cas échéant, avec l’aide appropriée de la communauté internationale. Le Secrétaire d’État des Etats-Unis, M. Kerry, rencontrera le Ministre des affaires étrangères de la Russie, M. Lavrov, demain dans l’espoir de trouver une issue à la situation conflictuelle actuelle. Étant donné le risque bien réel de conflit, aucun d’entre nous ne peut se permettre de ne pas tout tenter.

Mais la Russie doit vouloir une solution diplomatique. La voie diplomatique demeure viable et souhaitable, parce que les mesures à prendre sont claires. Les forces russes doivent retourner dans leurs bases et la Russie doit honorer les accords qu’elle a passés avec l’Ukraine. Tous les pays doivent respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine et s’employer à régler les différends par des moyens pacifiques. Tous les pays doivent se conformer à leurs obligations en vertu de la Charte des Nations Unies et à leurs engagements au titre du Mémorandum de Budapest de 1994 et de l’Acte final d’Helsinki. L’Ukraine et la Fédération de Russie doivent appliquer rigoureusement leurs accords bilatéraux, y compris le Traité d’amitié, de coopération et de partenariat de 1997 et les dispositions de l’accord de 1997 sur les bases militaires.

Ces mesures, toutes conformes aux accords existants, toutes compatibles avec le droit international et toutes respectant l’intérêt général du peuple ukrainien, sont chacune indispensable pour apporter une issue à cette crise qui respecte les droits et les intérêts de toutes les parties concernées. En application de ces principes, les États-Unis proposent à l’examen du Conseil un projet de résolution qui se prononcerait en faveur d’une solution pacifique à la crise en Ukraine fondée sur le droit international et autoriserait, si nécessaire, le Conseil à agir pour garantir la paix et la sécurité mondiales.

Pour terminer, je voudrais réaffirmer la conviction de mon gouvernement que pour régler cette crise, il faut immédiatement qu’un climat de retenue remplace l’atmosphère actuelle de confrontation, que l’ouverture remplace le blocage systématique, et que le dialogue pacifique remplace le discours de la force. C’est le moment de montrer que les lois comptent, que les règles comptent et que l’intégrité territoriale compte. Si nous ne nous rassemblons pas, si nous n’envoyons pas un signal clair de notre détermination commune, il nous faudra en subir les conséquences en Crimée et bien au-delà. Nous repenserons alors à cet instant en regrettant de ne pas avoir réussi à nous entendre et à parler d’une seule voix avant que les conséquences ne soient devenues désastreuses et que des vies innocentes n’aient été perdues.

Sir Mark Lyall Grant (Royaume-Uni) (parle en anglais) : Je souhaite la bienvenue au Conseil de sécurité aujourd’hui au Premier Ministre ukrainien M. Arseniy Yatsenyuk. Le Royaume-Uni est aux côtés du peuple ukrainien en ce moment de crise.

Nous félicitons M. Yatsenyuk, son gouvernement et le peuple et les forces armés ukrainiens de la remarquable retenue dont ils ont fait preuve face a des provocations répétées. Grâce à la force de leur volonté, il existe encore une chance de solution diplomatique pacifique.

Au cours de la semaine passée nous avons assisté dans cette salle et ailleurs à une tentative visant à jeter le doute sur la légitimité du Gouvernement de transition en Ukraine. C’est totalement injustifié. M. Yanukovych a déserté son poste et son peuple en pleine crise. Plutôt que de travailler à mettre en œuvre l’accord du 21 février, il a abandonné ses fonctions. Il a été désavoué par son propre parti et sa destitution a été approuvée par une majorité écrasante des membres du Parlement.

Le Gouvernement de transition qui l’a remplacé a d’ores et déjà pris d’importantes mesures, lesquelles respectent l’esprit de l’accord du 21 février et qui jettent les fondements de l’avenir de l’Ukraine. Elles portent rétablissement de la Constitution de 2004, engagement du processus de réforme constitutionnelle et programmation d’élections pour le 25 mai. Ces élections à venir permettront à tous les Ukrainiens de choisir leurs propres dirigeants. Des observateurs internationaux se tiennent prêts à vérifier que ces élections sont libres et régulières. Nous exhortons toutes les parties à appuyer cet effort.

Nous convenons tous que l’Ukraine a besoin de notre appui en cette période de transition. Nous reconnaissons tous que l’Ukraine a besoin d’urgence de se réformer, d’apporter des améliorations à sa culture politique, de jouir de la stabilité et de l’ouverture politiques sans exclusive, et de voir la fin de la corruption. Nous appuyons tous les demandes d’enquêtes sur la violence des trois derniers mois, nous soutenons tous des élections nouvelles sous observation internationale et nous nous accordons tous sur l’importance de la protection des droits des minorités. Ces points d’accord pourraient former une base autour de laquelle nous puissions nous rallier pour trouver la voie à suivre.

Mais pour que nous puissions nous éloigner de la confrontation, la Fédération de Russie doit accepter que la cause de l’instabilité actuelle en Ukraine ne se trouve pas à Kiev mais à Donetsk. Elle vient des actes de la Fédération de Russie dans la péninsule de Crimée, où, contre la volonté expresse du Gouvernement ukrainien, les forces militaires russes ont pris le contrôle d’une large part du territoire souverain de l’Ukraine. Nous condamnons catégoriquement cette violation flagrante de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et cette atteinte patente au droit international.

La Russie prétend agir au nom de la protection de ses citoyens. Nous avons entendu invoquer des menaces à l’encontre des russophones et des ressortissants russes, une possible interdiction de la langue russe, un antisémitisme rampant et la fuite hors d’Ukraine de centaines de milliers de réfugiés. Tous ces points invoqués se sont avérés infondés. La seule région d’Ukraine où les minorités soient menacées se trouve en Crimée occupée par la Russie, où les forces ukrainiennes sont assiégées sur leurs bases et des centaines de membres de la communauté tatare fuient effrayés la Crimée, où, comme nous venons de l’entendre de la bouche de M. Feltman, le Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme, M. Šimonović, s’est vu refuser d’entrer et refuser l’autorisation d’enquêter sur les faits troublants qui se produisent en Crimée. Mais les observateurs internationaux qui se sont rendus en Crimée, dont Astrid Thors, Haut-Commissaire aux minorités nationales de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, n’ont pu recueillir aucune preuve de violation ou de menace à l’égard des droits des russophones. Ils ont en revanche signalé qu’en conséquence de l’intervention russe, les tensions entre communautés ethniques s’étaient accrues.

Nous sommes profondément préoccupés par la décision qu’a prise le prétendu Gouvernement de Crimée, mis en place par un putsch armé accompagné par l’intervention militaire russe, de tenir un référendum le 16 mars sur la question de savoir si la Crimée devrait faire désormais partie de la Fédération de Russie. Nous sommes également préoccupés par les mesures législatives que prend la Russie afin de faciliter ce référendum.

Il est absolument clair que le référendum que l’on se propose de tenir serait une violation de la Constitution ukrainienne, dont l’article 73 dispose que toute modification du territoire ukrainien doit être décidée par un référendum à l’échelle de l’ensemble de l’Ukraine. Il ne s’agit manifestement pas ici d’un référendum à l’échelle de l’ensemble de l’Ukraine. De plus, il est absolument impossible de tenir un référendum libre et régulier quand la Crimée est dominée par des contingents russes et des milices soutenues par les Russes, quand il n’y a pas de registre électoral, quand la liberté de la presse est restreinte et quand les électeurs s’apprêtent à mettre leur bulletin dans l’urne un fusil dans le dos. Dans ces conditions, il est clair que tout vote par référendum en Crimée ce week-end serait une farce. Pire, il rouvrirait des divisions ethniques et ferait courir le risque d’une escalade des tensions. Un référendum de cet ordre ne sera pas reconnu par la communauté internationale.

Il demeure une possibilité de trouver une solution pacifique à cette crise. La possibilité est mince mais elle existe. Mais pour trouver cette solution, il faut que la Russie prenne un certain nombre de mesures importantes. Dans le sens de la désescalade. Ses forces doivent revenir sur leurs bases en Crimée, et être ramenées aux effectifs des forces stipulés dans les accords relatifs aux bases de la Flotte de la mer Noire. Les observateurs internationaux doivent être autorisés à entrer en Crimée. Leur présence sera garante que les droits des populations appartenant aux minorités sont pleinement respectés par toutes les parties. La Russie doit prendre ses distances avec le référendum projeté, indiquer clairement qu’elle ne cherchera pas à utiliser le résultat de ce vote comme prétexte à l’annexion et réaffirmer publiquement son attachement à l’unité, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Et la Russie doit accepter les propositions de dialogue avec le Gouvernement ukrainien, soit directement soit dans le cadre d’un processus diplomatique international digne de ce nom.

Le Conseil se réunit aujourd’hui dans les circonstances les plus graves qui soient. Un référendum a été organisé pour dimanche, qui est illégal en vertu du droit ukrainien et dont les conséquences seront évidemment incendiaires, une déstabilisation aux sérieuses incidences pour la Charte des Nations Unies et les normes du droit international.

Cela n’est nullement une nécessité. Ce que nous venons d’entendre de la bouche du Premier Ministre, M. Yatsenyuk, confirme ce que beaucoup d’entre nous n’ont cessé de faire valoir au sein du Conseil, à savoir qu’il existe clairement une volonté de la part du Gouvernement ukrainien de répondre aux préoccupations dont a fait état la Russie, par un dialogue, des discussions et une négociation pacifiques. Alors qu’existe une volonté de dialogue, il est contraire à la logique, et il serait même dangereux et irresponsable, que la Russie adopte des mesures unilatérales ou se rende complice de mesures unilatérales des autorités de Crimée. Le Royaume-Uni exhorte la Russie à s’abstenir de toute action unilatérale et à prendre ses distances par rapport au référendum prévu pour dimanche.

Et le Royaume-Uni exhorte le Conseil de sécurité à signifier clairement que la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine doivent être respectées et que toute velléité de modifier les frontières de l’Ukraine par des voies illicites ne sera pas tolérée.

M. Araud (France) : Je salue le discours digne que nous venons d’entendre de la part du Premier Ministre d’Ukraine.

Si la crise que nous traversons n’était pas à ce point grave, nous pourrions ironiser sur les déclarations récentes de la diplomatie russe pour expliquer l’apparente marche à l’annexion de la Crimée, ironiser à un double titre. D’abord parce que la Russie ne cesse de se référer à un accord, l’accord du 21 février négocié par les Ministres des affaires étrangères allemand, polonais et français qu’elle avait refusé d’entériner lorsqu’il avait été signé et dont elle se fait le champion tardif depuis la fuite ignominieuse de Yanukovych. Ensuite, et là l’ironie atteint le surréalisme, lorsque la Russie invoque l’avis de la Cour internationale de Justice, qui juge que la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo n’était pas illégale, avis qu’elle n’a jamais reconnu, indépendance qu’elle a toujours combattue. Nous attendons donc avec intérêt la conclusion logique de cette conversion inattendue, c’est-à-dire la reconnaissance du Kosovo par la Russie.

Osera-t-on cependant faire remarquer que, dans son avis, la Cour internationale de Justice posait deux conditions ; l’une était le caractère contesté du territoire qui avait conduit à l’existence d’un ordre juridique particulier, la résolution 1244 (1999), et l’autre, le non- recours à la force, conditions à l’évidence non remplies en Crimée, dont le statut n’était en rien disputé, que ce soit par Moscou ou par l’Assemblée locale, et où c’est l’occupation russe qui permet à une faction qui avait obtenu 4% aux élections locales d’organiser un simulacre de consultation à l’ombre des baïonnettes russes. Comme l’a dit ce matin M. Fabius, le Ministre français des affaires étrangères, « en Crimée dimanche, le choix sera entre oui et oui ».

Mais, pour la Russie, il ne s’agit pas ici de droit, de cohérence ou de logique. Il ne s’agit que de faire feu de tout bois pour justifier l’injustifiable, la violation patente et cynique de la Charte des Nations Unies, dont les fondements sont le respect de l’intégrité territoriale et la non-ingérence dans les affaires intérieures de ses Membres.

Tout est donc en place pour préparer l’annexion de la Crimée par la Russie – quel qu’en soit l’habillage juridique, qui ne trompera personne. La presse, en Occident, y voit le triomphe du joueur d’échecs russe, qui aurait ainsi mis échec et mat la communauté internationale. Je joue assez mal aux échecs, mais j’y vois surtout l’amateurisme du joueur qui ne résiste pas à la tentation de prendre la tour mais perd ainsi la partie. La Russie gagnera la Crimée ; elle y perdra sa crédibilité.

Qu’en sera-t-il de la crédibilité de la diplomatie russe lorsqu’elle essaiera de revenir à ses fondements – le respect de l’intégrité territoriale des États et la non- ingérence dans les affaires intérieures des États –, elle qui aura encouragé et reconnu la sécession en Géorgie et annexé une région d’Ukraine ? Elle ne suscitera plus que sarcasmes et haussements d’épaules.

Qu’en sera-t-il de la crédibilité de la diplomatie russe dans l’espace ex-soviétique ? Le Conseil sait-il que certains États aujourd’hui indépendants avaient été conquis par l’empire russe avant la Crimée ? Le Conseil sait-il que des minorités russes ou russophones, il y en a partout à travers cet espace ? Elle n’y rencontrera plus que méfiance et inquiétude.

Qu’en sera-t-il de la crédibilité de la Russie en Ukraine ? Comment pourrait-on imaginer une réconciliation entre le spoliateur et le spolié ? Comment comprendre la création d’une nouvelle Alsace-Lorraine, un siècle après 1914 ? Nul ne demandait à l’Ukraine de choisir entre l’Est et l’Ouest : c’est la Russie qui réussit à le faire, en ne lui laissant aucun choix.

Et, enfin, qu’en sera-t-il du rapprochement entre l’Union européenne et la Russie, alors que la Russie piétine les valeurs qui ont conduit à la création de l’Union européenne, la volonté de sortir du cycle des invasions, des occupations et des revendications ?

L’Union européenne ne pourra que constater l’erreur qu’elle a commise en pensant que son interlocuteur partageait cet objectif. La Russie perdra donc la partie, mais nul n’en sortira indemne. Parce que la force nue aura imposé sa logique, parce que le tissu fragile du droit international aura été déchiré, ce droit seul garant des petits États, seule barrière contre le retour de la guerre.

Dans ce moment de désarroi, il est donc juste que le Conseil de sécurité réaffirme les principes qui fondent les Nations Unies. La France soutient donc le projet de résolution présenté par les États-Unis et appelle à sa mise au vote avant la tenue du référendum.

Il n’est pas trop tard. Lançons tous, membres et non-membres du Conseil de sécurité, un dernier appel à la Russie. Nous comprenons les passions et les inquiétudes ; nous voulons y répondre, mais dans le respect du droit, et dans le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. C’est le message que, depuis une semaine, tous nos chefs d’État et de gouvernement ont transmis au plus haut niveau à Moscou.

Des solutions simples existent ; les principes en sont connus, et je les avais rappelés ici-même, il y a une semaine (voir S/PV.7125) : le retour des forces russes dans leurs casernes, le déploiement d’observateurs internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour assurer la sécurité des populations civiles, la constitution d’un gouvernement d’union nationale à Kiev, la tenue rapide d’élections sous contrôle international. Négocions-en les modalités.

Le temps nous est compté. Si se tenait dimanche le référendum illégal, si la Russie, comme elle l’a annoncé, y répondait favorablement, alors nous serions contraints d’en tirer toutes les conséquences politiques et économiques. Contraints, dis-je, parce que nous ne voulons pas suivre cette voie qui serait une régression ; contraints, dis-je, parce que nous n’aurions pas le choix en présence d’une telle violation du droit international sur notre continent.

Que la Russie résiste au vertige nationaliste qui l’a saisie et qui est toujours de mauvais conseil ; que la Russie oublie 1914 pour comprendre que nous sommes en 2014 ; qu’elle revienne aux principes dont elle s’est longtemps fait le héraut et qu’elle piétine aujourd’hui ; qu’elle écoute ce que lui dit l’ensemble de la communauté internationale, alors une solution est possible, une solution qui respecte l’intégrité territoriale de l’Ukraine et son indépendance et qui garantisse les droits de toutes les communautés d’Ukraine.

Qu’elle ne perde pas la partie d’échecs pour le plaisir médiocre et éphémère de prendre une tour. Ce ne serait pas à la hauteur du talent des joueurs d’échecs russes, qui sont parmi les meilleurs au monde.

M. Gasana (Rwanda) (parle en anglais) : La crise en Ukraine et la tournure que prennent les événements font peser une menace de plus en plus inquiétante sur la sécurité de la région tout entière et continuent d’avoir des répercussions sur la vie quotidienne des populations innocentes. Parallèlement aux initiatives diplomatiques en cours pour désamorcer cette crise, nous estimons qu’il est important de tenir compte des questions de fond qui ont déclenché ce conflit, et donc se préoccuper des doléances de toutes les parties concernées.

Nous renouvelons notre appui à la solidarité de toutes les communautés ukrainiennes, et nous réitérons notre appel à la tenue d’un dialogue politique ouvert et pris en main par les Ukrainiens, qui tienne compte de la diversité du peuple ukrainien et insiste sur la protection des minorités et de la communauté russophone. Nous, membres du Conseil et de la communauté internationale, avons le devoir de trouver une issue à ce conflit et de permettre au peuple ukrainien de déterminer sa propre destin et son propre avenir, de manière authentique et impartiale. Nous félicitons les responsables de l’ONU de du rôle actif qu’ils jouent et des mesures qu’ils ont prises jusqu’ici pour apaiser la situation, comme l’a évoqué le Secrétaire général adjoint, M. Jeffrey Feltman, que je remercie personnellement.

Nous restons préoccupés par le fait que la rhétorique incendiaire de plus en plus utilisée par toutes les parties sape les efforts visant à trouver un terrain d’entente. Nous appelons de nouveau toutes les parties à faire preuve de la plus grande retenue pendant cette période instable et à régler la question au moyen des accords bilatéraux et multilatéraux en vigueur. Nous, membres de la communauté internationale, devons faire valoir notre attachement aux principes de la paix et de la sécurité et veiller à ce que la crise ne s’aggrave pas. À cette fin, nous devons inciter toutes les parties concernées à s’engager en faveur d’un règlement pacifique.

Le Rwanda défend le respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États, comme le prévoit la Charte des Nations Unies. Nous estimons que l’heure est venue de nous attacher à instaurer une paix durable au moyen de négociations sincères axées sur la désescalade de la situation et d’encourager toutes les parties concernées à déployer des efforts soutenus pour réprimer la peur, la haine et autres sentiments négatifs qui ne feront qu’aggraver cette situation.

Le prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein (Jordanie) (parle en arabe) : Je souhaite la bienvenue au Premier Ministre ukrainien, M. Arseniy Yatsenyuk, et je le remercie de l’exposé limpide qu’il a fait au Conseil de sécurité. Les implications des événements en Ukraine, notamment en Crimée, ont pris un tournant décisif, qui exige des efforts concertés pour désamorcer la crise, accorder la priorité à la voix de la raison, et entamer un dialogue direct entre les parties concernées afin de mettre fin à la crise et d’empêcher son escalade. Cela requiert de la communauté internationale qu’elle agisse rapidement, par le biais de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et de contacts bilatéraux, afin de créer un climat favorable qui permette aux parties de surmonter les causes de la crise, de trouver les mécanismes favorisant le dialogue et la négociation, et de proposer des solutions qui préservent les intérêts des diverses parties concernées.

À cet égard, la Jordanie salue les efforts déployés par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et apprécie à leur juste valeur les propositions de la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), notamment la mise en place d’un mécanisme de contact international pour faciliter le dialogue entre les parties et l’envoi d’une mission d’établissement des faits en Ukraine pour collecter les informations et évaluer la situation sur le plan de la sécurité. Nous appuyons aussi l’action menée pour que ces propositions soient mises en œuvre dès que possible, compte tenue de la situation actuelle.

La Jordanie insiste sur la nécessité de respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’Ukraine et de ne pas s’ingérer dans ses affaires intérieures ; elle appelle aussi au respect des buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies et au règlement des différends par des moyens pacifiques. La Jordanie insiste sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine et sur sa souveraineté sur l’ensemble de ses régions, y compris la Crimée, conformément aux dispositions du droit international et aux traités pertinents, notamment le Mémorandum de Budapest de 1994 et le Traité d’amitié, de coopération et de partenariat entre la Fédération de Russie et l’Ukraine de 1997.

Nous réaffirmons qu’il importe que la communauté internationale aide au lancement d’un processus politique faisant une place à toutes les parties, communautés et minorités en Ukraine, en vue d’y rétablir la paix, la stabilité et l’état de droit. Ce processus doit préserver les droits de l’ensemble des citoyens ukrainiens et ouvrir la voie à la tenue d’une élection présidentielle en mai.

Ce n’est qu’en dénouant les fils de la crise en Ukraine – particulièrement en Crimée – et en respectant la Constitution et l’intégrité territoriale de l’Ukraine qu’on évitera l’escalade qui menace la paix et la sécurité internationales. La Jordanie appelle l’ensemble des parties concernées à mettre en place les conditions propices, à s’abstenir de tout acte de provocation et à ne pas fermer la porte aux propositions de règlement qui préservent les droits et les intérêts de tous et rétablissent la sécurité et la paix dans la région.

M. Oh Joon (République de Corée) (parle en anglais) : Nous remercions la présidence luxembourgeoise d’avoir organisé la séance publique d’aujourd’hui consacrée à la crise en Ukraine, et nous nous réjouissons, Monsieur le Ministre, de votre présence ici parmi nous. Nous savons gré au Premier Ministre de l’Ukraine, M. Yatsenyuk, de sa participation et de sa déclaration, et au Secrétaire général adjoint, M. Feltman, de son exposé. Nous appuyons fermement le processus politique en vue de la tenue d’élections le 25 mai sous la conduite du Gouvernement ukrainien.

La République de Corée reste vivement préoccupée par le regain de tension en Ukraine. Nous sommes particulièrement inquiets de la décision du Parlement de Crimée d’organiser un référendum et de sa déclaration unilatérale d’indépendance. De tels actes ne font qu’exacerber une situation déjà tendue. À l’évidence, il est capital que l’unité, l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine soient pleinement respectées. Les Ukrainiens doivent garder la haute main sur la conduite des affaires de leur pays, loin de toute intervention ou influence de forces extérieures. Dans cette veine, nous appelons au strict respect de l’ensemble des accords internationaux et bilatéraux pertinents, en particulier la Charte des Nations Unies et le Mémorandum de Budapest de 1994.

La poursuite des activités militaires en Crimée, en violation de la souveraineté de l’Ukraine, sont aussi source de vive préoccupation. Toute présence ou activité militaire non autorisées par le Gouvernement ukrainien et qui constituent une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine doivent immédiatement cesser. Nous saluons les efforts diplomatiques menés actuellement par la communauté internationale en vue de désamorcer les tensions, en particulier ceux du Secrétaire général et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Nous soulignons aussi l’importance du dialogue entre l’Ukraine et la Russie.

La République de Corée pense que des mécanismes de surveillance internationaux crédibles pourront considérablement calmer la situation sur le terrain. À cet égard, il est inquiétant qu’on ait refusé au Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme et au personnel de l’OSCE l’accès en Crimée. Un accès sans entraves doit être garanti à de telles missions. Toute action compromettant la sûreté et la sécurité du personnel international doit cesser.

La stabilité et la prospérité de l’Ukraine sont essentielles non seulement pour la paix en Europe, mais bien au-delà aussi. Nous espérons sincèrement que l’Ukraine sortira de la crise en tant que démocratie forte, inclusive et prospère, de par la seule volonté du peuple ukrainien et sur la base de ses aspirations. Il incombe à la communauté internationale d’aider le peuple ukrainien à atteindre cet objectif.

M. Liu Jieyi (Chine) (parle en chinois) : Je voudrais remercier le Secrétaire général adjoint, M. Feltman, de son exposé. La Chine suit de près l’évolution de la situation sur le terrain en Ukraine, qui demeure en ce moment même profondément complexe et instable. La situation qui règne en Ukraine aujourd’hui est le résultat d’un complexe enchevêtrement de facteurs historiques et de circonstances sur le terrain.

La Chine regrette les affrontements qui ont eu lieu dernièrement dans les rues de Kiev. Elle condamne aussi les actes d’extrémisme et de violence. Les efforts visant à régler la crise ukrainienne doivent tenir compte des droits et des intérêts légitimes de toutes les communautés ethniques en Ukraine, en vue de rétablir dès que possible un ordre social normal. À maintes reprises, la Chine a clairement exprimé publiquement sa position de principe sur la question ukrainienne. Elle continue d’adopter une approche objective et impartiale à son égard. La position de longue date de la Chine est de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres États et de respecter leur souveraineté et leur intégrité territoriale.

Mon pays est d’avis que toutes les parties doivent rester calmes, faire preuve de retenue, éviter une escalade de la situation et adhérer à l’approche qui consiste à régler la crise par les voies politique et diplomatique. Nous formons l’espoir que toutes les parties concernées favoriseront la communication et la coordination, mettront les intérêts de toutes les communautés ethniques en Ukraine au-dessus de tout, ne perdront pas de vue la situation d’ensemble qui est le maintien de la paix et la stabilité régionales et régleront leurs différends par les moyens appropriés.

La Chine appuie les efforts constructifs et les bons offices de la communauté internationale visant à la désescalade en Ukraine. Nous sommes ouverts à toutes les propositions et à tous les plans qui aideraient à apaiser les tensions dans le pays. Nous demeurons résolus à jouer un rôle constructif dans la réalisation d’un règlement politique de la question ukrainienne.

Mme Ogwu (Nigéria) (parle en anglais) : Je souhaite la bienvenue au Premier Ministre, M. Yatsenyuk, et je le remercie de son exposé. Je remercie également le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman, de nous avoir fait le point de la situation en Ukraine.

Dans un monde qui est déjà en proie à des troubles profonds dans la plupart des régions, la crise actuelle en Ukraine est une crise de trop. Le monde ne peut se le permettre. Le Nigéria souligne une fois de plus sans équivoque la précarité et la fragilité de la situation en Ukraine. L’impératif qui veut que toutes les parties fassent preuve de prudence pour éviter d’exacerber la crise n’a jamais été aussi urgent. Cette considération est encore plus pertinente aujourd’hui car les événements sur le terrain indiquent que la situation n’a guère évolué depuis la dernière fois que le Conseil a abordé cette question (voir S/PV.7131).

Le principe fondamental en jeu dans cette crise est le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’un État Membre de l’ONU. Nous rappelons à toutes les parties concernées qu’elles doivent rester fidèles aux dispositions de la Charte des Nations Unies, en particulier en ce qui concerne le règlement pacifique des différends. Pour sortir de l’impasse actuelle par des moyens pacifiques, il faut que les parties s’entendent. Elles doivent se faire confiance. Elles doivent faire preuve de souplesse et être disposées à participer à un dialogue constructif et pacifique. Nous demandons instamment aux parties de ne pas fermer la porte au dialogue, qui représente une occasion précieuse d’aborder toutes les questions nécessaires en vue de trouver une solution pacifique et mutuellement acceptable à la crise.

Les fondements de la réconciliation ne sont pas irréalistes. Ils se trouvent dans les accords antérieurs. Le Mémorandum de Budapest de 1994 et le Traité d’amitié, de coopération et de partenariat adopté en 1990 et renouvelé en 1997, sont des instruments importants et crédibles qui fournissent un cadre propice au règlement de la crise en Ukraine, et nous appelons toutes les parties à honorer leurs engagements et leurs obligations en vertu de ces instruments. Nous notons également que les interlocuteurs ont un rôle vital à jouer en vue d’améliorer la situation.

Bien que le Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme, M. Ivan Šimonović, enregistre des progrès dans les échanges qu’il a avec l’ensemble des parties ukrainiennes concernant les questions relatives aux droits de l’homme, nous regrettons qu’il ait dû annuler sa visite en Crimée, qui est au cœur de la crise actuelle. Nous espérons qu’il pourra effectuer cette visite dans un avenir proche, parce que c’est essentiel.

Nous souhaitons également que les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe puissent accéder à cette zone afin de procéder à une évaluation objective de la situation sur le terrain. Cela permettrait, à notre avis, d’avoir une compréhension approfondie de la crise. Nous réitérons notre position : le référendum prévu en Crimée est contraire à la Constitution ukrainienne et est, par conséquent, illégitime. C’est la raison pour laquelle nous appelons les autorités criméennes à reporter, et même à annuler, le référendum imminent. Tenir ce référendum serait le comble de la provocation. Nous aspirons sincèrement à une Ukraine unie, pacifique et démocratique au sein de laquelle tous les citoyens et toutes les communautés vivent côte à côte dans la paix, la sécurité et l’harmonie.

M. Errázuriz (Chili) (parle en espagnol) : Le Chili est profondément préoccupé par les graves conséquences du référendum annoncé en République autonome de Crimée, dont la tenue pourrait provoquer une escalade de la crise en Ukraine. Il est indispensable que le Conseil contribue à faire que les parties fassent preuve d’un maximum de retenue et de modération et à ce que tous les moyens possibles soient utilisés pour trouver une solution pacifique à la crise.

Monsieur le Président, nous vous remercions d’avoir organisé la présente séance du Conseil de sécurité au moment voulu, et nous saluons la participation du Premier Ministre de l’Ukraine, M. Arseniy Yatsenyuk. De même, nous remercions le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman, de son exposé, et nous apprécions les efforts que déploie le Secrétaire général ainsi que la mission de bons offices du Vice-Secrétaire général, M. Eliasson, de l’Envoyé spécial du Secrétaire général, M. Robert Serry, et du Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme, M. Ivan Šimonović, en Ukraine.

Le Chili réitère la nécessité de respecter la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il est urgent que toutes les parties concernées s’abstiennent de tout acte incompatible avec les dispositions de la Charte des Nations Unies, des conventions et des traités internationaux auxquels l’Ukraine est partie. Dans ce contexte, il importe de respecter l’état de droit aux niveaux national et international. Au niveau national, cela doit se refléter par le plein respect de la Constitution ukrainienne, qui est particulièrement pertinente et importante à la veille de la tenue du référendum que nous venons d’évoquer, qui a été convoqué par le Parlement de la République autonome de Crimée.

Le Chili appelle les autorités ukrainiennes à poursuivre leurs efforts en vue de mettre en place un processus politique national ouvert. Au niveau international, il importe non seulement de respecter et d’honorer la Charte des Nations Unies, le Traité d’amitié, de coopération et de partenariat signé en 1997 par l’Ukraine et la Fédération de Russie ainsi que le Mémorandum de Budapest, mais également d’utiliser tous les mécanismes de règlement pacifique des différends créés par ces instruments. Nous appelons à l’application du Mémorandum de Budapest, qui oblige toutes les parties à respecter l’indépendance, la souveraineté et les frontières actuelles de l’Ukraine et à ne pas recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de ce pays. De même, nous rappelons les dispositions du paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, qui stipule que : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ».

Nous regrettons que M. Šimonović n’ait pas été autorisé à se rendre en Crimée et que les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ne puissent toujours pas accéder à cette région de l’Ukraine. Il est essentiel que M. Šimonović et les observateurs puissent se rendre en toute sécurité en Crimée, et nous demandons instamment à ce que les démarches entreprises par l’ONU et l’OSCE aux fins d’une sortie de crise pacifique ne soient pas entravées. Le Chili demande aussi de nouveau à la Fédération de Russie et à l’Ukraine de recourir aux mécanismes de dialogue existants pour parvenir à cette solution. Nous devons donner du temps à la diplomatie.

Pour terminer, je réaffirme que c’est le peuple ukrainien, dans sa diversité et dans son unité, qui doit décider de son avenir dans le cadre d’un processus ouvert garantissant le respect de l’état de droit, des droits de l’homme, des libertés fondamentales et des droits des minorités.

M. Quinlan (Australie) (parle en anglais) : Monsieur le Président, je vous remercie de votre présence et de présider le présent débat public à un moment si important. Je remercie le Secrétaire général adjoint, M. Feltman, de son exposé, et je souhaite la bienvenue au Premier Ministre de l’Ukraine, M. Yatsenyuk, qui traverse, tout comme son pays, une période difficile et décisive. Il est important que le Conseil l’ait entendu directement aujourd’hui. Nous devons le féliciter, ainsi que les autorités ukrainiennes, pour leur retenue et leur courage face à des provocations continues et pour leurs efforts visant élaborer un nouvel avenir inclusif pour l’Ukraine.

Nous saluons l’ensemble des efforts internationaux visant à trouver une solution à la crise. Nous nous félicitons des efforts déployés par l’ONU et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Nous appuyons la déclaration faite hier par le Groupe des Sept qui s’est exprimé d’une seule voix pour exhorter la Russie à se joindre à lui et à œuvrer de concert, par la voie diplomatique, au règlement de cette crise. Nous saluons également les efforts menés par les États-Unis pour trouver une solution en maintenant des contacts tant avec la Russie qu’avec l’Ukraine. La Russie doit, elle aussi, montrer qu’elle est prête à discuter concrètement et de manière constructive avec les dirigeants ukrainiens pour résoudre la crise.

Lors des nombreuses séances que le Conseil a tenues ces deux dernières semaines, ses messages ont été sans équivoque. La Russie doit respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Elle doit prendre immédiatement des mesures délibérées et décisives pour désamorcer la situation et – c’est d’une importance critique – ordonner à ses troupes de réintégrer leurs bases. Elle doit également autoriser des observateurs indépendants à se rendre en Crimée pour vérifier la situation sur le terrain. La Russie et l’Ukraine doivent engager un dialogue direct au plus haut niveau.

Nous n’avons cependant constaté aucun changement dans l’attitude de la Russie. Au contraire, nous l’avons vue consolider son contrôle du territoire ukrainien de Crimée. Elle a également renforcé son contrôle de l’accès aérien, maritime et terrestre à la péninsule. La fermeture de l’espace aérien de la Crimée au trafic commercial aérien non russe a continué de couper la Crimée du reste de l’Ukraine. Les forces russes se sont emparées d’installations militaires et gouvernementales ukrainiennes et en assiègent d’autres, y compris les quartiers généraux de la marine. Elles auraient posé des mines en plusieurs endroits. Ces actes ne sauraient se justifier par la menace qui pèserait sur les ressortissants ou les avoirs russes. La Haute Commissaire pour les minorités nationales de l’OSCE, Mme Thors, n’a trouvé, lors de sa visite, aucune preuve de violations ou de menaces contre les droits des russophones en Crimée.

La liberté des médias a été durement réprimée afin de les empêcher de couvrir ce qui se passe. Les attaques contre les journalistes se sont multipliées. En dépit des appels répétés à une vérification indépendante de la situation sur le terrain, les observateurs non armés de l’OSCE se sont également vu refuser par trois fois l’accès à la Crimée. Les représentants de l’ONU n’ont pas non plus été en mesure d’effectuer des visites. L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour l’Ukraine, M. Robert Serry, a été menacé par des hommes armés, et le Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme, M. Šimonović, s’est vu refuser l’entrée en Crimée. Des rapports faisant état de mesures d’intimidation à l’égard des Tatars de Crimée rendent encore plus important le rôle crucial des futures missions d’évaluation des droits de l’homme.

L’annonce par le Parlement de Crimée de la tenue d’un référendum ce dimanche sur la sécession de la Crimée constitue une nouvelle escalade des tensions, dangereuse et très déstabilisatrice. Il en va de même des déclarations faites par les parlementaires russes dans lesquelles ils disent que la Russie accepterait officiellement les résultats du référendum. Or, un tel référendum serait contraire à l’article 73 de la Constitution ukrainienne qui prévoit que toute modification des limites territoriales souveraines de l’Ukraine ne peut être décidée qu’au travers d’un référendum national englobant le pays tout entier. Ce référendum ne serait pas compatible avec le chapitre X de la Constitution qui définit le rôle constitutionnel de la Crimée au sein de l’Ukraine. C’est ce qu’ont rappelé le Président par intérim, M. Turchynov, et le Premier Ministre, M. Yatsenyuk.

Le 11 mars, le Parlement ukrainien a également exigé l’annulation du référendum. Le Parlement de la Crimée lui-même n’a aucune autorité sur la question. Nous notons également que le référendum se déroulera alors que les forces russes contrôlent la Crimée.

C’est pour toutes ces raisons que les résultats de ce projet de référendum seront intrinsèquement illégitimes et ne seront pas acceptés par la communauté internationale. Nous saluons la proposition faite par les États-Unis, à savoir que le Conseil adopte un projet de résolution indiquant tout cela clairement. Nous sommes favorables à l’adoption d’un tel projet de résolution avant le référendum de dimanche.

Il n’est pas trop tard pour régler la crise de manière pacifique, mais cette occasion est en train de s’amenuiser rapidement. La communauté internationale a manifesté sa volonté d’appuyer les efforts visant à résoudre cette crise qui, si elle se poursuit, aura de terribles conséquences non seulement pour la population de l’Ukraine, mais bien au-delà. Le Parlement ukrainien a demandé l’aide de l’ONU, et nous sommes prêts à la lui fournir. Ce qui est en jeu, ce sont les principes internationaux sur lesquels reposent les relations internationales européennes et mondiales et qui sont d’une importance fondamentale pour tous les États souverains.

Pour que la diplomatie ait une chance de réussir, il faut que la Russie s’attache activement à calmer la situation. Elle doit renvoyer ses forces dans leurs bases et réduire leurs effectifs aux niveaux convenus. Elle doit également autoriser les observateurs internationaux à se rendre en Crimée pour vérifier la situation sur le terrain et accepter la mission d’observation proposée par l’OSCE. Elle doit également démontrer son respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, notamment en cessant d’accorder son appui au référendum proposé pour ce dimanche. Et elle doit engager un dialogue direct avec l’Ukraine, ce que celle- ci n’a cessé de demander, soit bilatéral soit par le biais de mécanismes diplomatiques, tel le groupe de contact qui a été proposé. La communauté internationale a offert assistance et concertation. Il est désormais impératif que la Russie coopère avec les partenaires internationaux en vue de régler cette crise par la voie pacifique.

M. Churkin (Fédération de Russie) (parle en russe) : Je vais répondre directement à la question directe que m’a posée M. Yatsenyuk. Les Russes ne veulent pas la guerre, et je suis sûr qu’il en va de même pour les Ukrainiens. De plus – et c’est là une chose que je tiens tout particulièrement à souligner – nous ne voyons aucune raison de considérer la situation en ces termes. Nous ne souhaitons pas une nouvelle aggravation de la situation.

Ce n’est pas la Russie qui a provoqué la spirale de violence déstabilisatrice qui a déterminé le cours des événements en Ukraine ces derniers mois. Certains de mes collègues qui m’ont précédé ici aujourd’hui ont peint un tableau presque idyllique de la situation en Ukraine. Ils ont affirmé que, n’eût été pour la Russie, tout le monde en Ukraine aurait une vie longue et heureuse. D’autres ont simplement essayé de ne pas dire leur rôle dans la crise. Pour eux, c’est un jeu, semble- t-il. Pour nous, c’est une question de vies et de normes fondamentales du droit international. Pour comprendre comment normaliser la situation, nous devons analyser de façon objective la genèse de la crise actuelle.

Nous avons déjà dit dans cette salle qu’il n’existait pas, au départ, de raison à la détérioration de la situation en Ukraine ces deux derniers mois. Il s’agissait simplement, pour le Président Yanukovych et son gouvernement, de prendre une décision pour savoir si l’Ukraine devait ou non signer l’accord d’association avec l’Union européenne proposé par Bruxelles. La réaction à la décision prise par Kiev de s’abstenir de signer tout en conservant ce qu’on a appelé une perspective européenne a été complètement inadéquate. Ce sont certaines forces en Ukraine et leurs sympathisants occidentaux qui ont provoqué l’escalade.

Ayant refusé d’avoir des entretiens trilatéraux sur les problèmes économiques de l’Ukraine rassemblant l’Union européenne, l’Ukraine et la Russie, Bruxelles et Washington ont commencé à exiger, presque sous la forme d’un ultimatum, que Kiev signe l’accord d’association qui avait, pour l’Ukraine, d’importantes conséquences économiques. Et ils ont fait appel non seulement au Gouvernement, mais aussi à la rue.

Bien entendu, le peuple ukrainien a le droit de tenir des manifestations politiques pacifiques, mais pourquoi transformer la place Maïdan en un camp militarisé ? Pourquoi envoyer dans le centre de Kiev des brigades de militants bien entraînés et bien équipés ? Pourquoi, pendant des semaines, a-t-on provoqué les représentants des forces de l’ordre en leur jetant des pavés et des cocktails Molotov et en utilisant des bulldozers comme armes de terreur dans la rue ? La saisie de bâtiments administratifs et d’états-majors de partis politiques, et le meurtre et la torture – comme cela s’est fait dans une salle de torture mise en place dans le sous-sol de l’immeuble des syndicats – sont-ils compatibles avec la démocratie ? Les actes de violence commis à Kiev doivent faire l’objet d’une enquête internationale approfondie.

Le tableau dressé par la propagande de Kiev et par des pays occidentaux est en complète contradiction avec ces rapports qui indiquent que les mêmes personnes ont tiré sur des positions tenues par les forces de l’ordre et par les manifestants. Selon d’autres rapports plus récents, ces coups de feu ont été tires depuis l’état- major de celui qu’on a appelé le « Commandant de la Maïdan », qui dirige aujourd’hui le Conseil national de sécurité de l’Ukraine.

Pourquoi les représentants des pays occidentaux ont-ils encouragé ces hostilités et ce désordre ? Pourquoi le Président du Parlement lituanien, dans un discours sur la place Maïdan, a-t-il appelé à poursuivre les actions antigouvernementales ? Pourquoi, parmi les manifestants, se trouvaient les ministres des affaires étrangères et autres hauts responsables et représentants de certains États occidentaux ? Pourquoi cette ingérence manifeste dans les affaires intérieures d’un État, au mépris le plus total de sa souveraineté ?

Quelle que soit l’opinion que l’on ait de la manière dont Viktor Yanukovych a agi pendant cette période, personne ici ne peut nier qu’il a tenté de trouver un compromis avec l’opposition. Le poste de Premier Ministre a été offert à M. Yatsenyuk. Pourquoi n’a-t-il pas saisi cette occasion d’empêcher le pays de glisser vers le désastre économique ? Pourquoi n’a-t- il pas saisi l’occasion offerte par ses échanges avec l l’Union européenne et les États-Unis, mais aussi l’offre e la Fédération de Russie, qui était toute disposée à lui accorder des crédits et à réduire le prix du gaz pour amorcer la stabilisation de la situation économique ?

Pourquoi enfin ne pas avoir saisi l’occasion offerte par l’accord du 21 février pour faire cesser le bras de fer, rétablir le processus politique normal et consolider l’intégrité économique et politique du pays. Se pourrait- il que les forces en quête de pouvoir et d’autorité n’aient eu que faire de la démocratie, mais qu’elles aient voulu une dictature, puisqu’elles ont menacé tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec elles, y compris les membres de la Rada. En conséquence, le Président légitime et légal a été renversé et a dû quitter Kiev, sous la menace de violences physiques.

Les personnes présentes dans cette salle savent parfaitement que renverser une autorité par la violence est illégal. De tels agissements ont été condamnés à maintes reprises, y compris dans des documents adoptés par le Conseil de sécurité. Au lieu du gouvernement d’unité nationale prévu dans l’accord du 21 février, c’est un « gouvernement des vainqueurs » qui a été mis en place à Kiev, comme le reconnaît d’ailleurs M. Yatsenyuk. Plusieurs portefeuilles clefs, y compris celui de la défense, ont été attribués à des représentants du Parti de la liberté, un mouvement radical nationaliste. Dans une résolution adoptée en décembre 2012, le Parlement européen déclarait que les opinions défendues par ce parti étaient « antirusses, antisémites et xénophobes » ét contraires aux valeurs fondamentales de l’Union européenne. Cette résolution appelait tous les partis pro-démocratiques au sein de la Rada à ne pas former de coalition avec ce parti. Où sont passées les valeurs européennes aujourd’hui ? Sont-elles respectées par les nouvelles autorités ukrainiennes ?

Le véritable rempart de ces nouvelles forces est une organisation encore plus radicale, baptisée Secteur droit, dont le chef ne fait aucun secret de ses ambitions présidentielles. Non seulement les radicaux n’ont pas déposé les armes, comme l’exigeait l’accord du 21 février, mais ils réapprovisionnent leurs arsenaux avec des armes saisies dans les dépôts militaires. Les nouvelles autorités n’ont rien fait pour ouvrir un dialogue national visant à promouvoir une réforme constitutionnelle véritable, comme le prévoyaient les dispositions de l’accord du 21 février.

En revanche, elles ont tout fait pour s’attirer l’hostilité des régions de l’est et du sud-est de l’Ukraine. D’abord, elles ont abrogé une loi sur les langues qui accordait au russe le statut de langue officielle, puis elles ont éliminé les versions russophones des sites Web du Gouvernement. Plutôt qu’engager le dialogue, Kiev dépêche ses commissaires politiques dans l’est. Les dissidents sont arrêtés, comme ce fut le cas d’un gouverneur populaire de la région de Donetsk, M. Gubarev, qui avait déclaré qu’il voulait se présenter à l’élection présidentielle, et comme ce fut le cas aussi de l’ancien Gouverneur de l’oblast de Kharkov, M. Dobkin. Le fait est que ce sont les autorités de Kiev qui divisent leur propre pays.

Beaucoup de choses ont été dites au Conseil aujourd’hui, souvent avec beaucoup de passion, s’agissant de la situation en Crimée et de la décision du Conseil suprême de la République autonome de Crimée d’organiser un référendum afin d’opter soit pour le rattachement de la Crimée à la Russie, soit pour l’élargissement de son autonomie au sein de l’Ukraine. Certains dans cette salle contestent la légitimité de ce référendum. Pourtant, ce qui est inacceptable, c’est de manipuler les principes et normes du droit international, en les déformant de manière arbitraire, sans tenir compte du contexte général, non seulement au regard du droit international lui-même, mais surtout des situations politiques concrètes et des spécificités historiques.

Pour chaque cas particulier, il convient de trouver le bon équilibre entre les principes de l’intégrité territoriale et du droit à l’autodétermination. Bien sûr, faire valoir son droit à l’autodétermination en faisant sécession d’un État existant est une mesure extraordinaire. Néanmoins, dans le cas de la Crimée, cela fait manifestement suite au vide juridique créé par le coup d’État violent et inconstitutionnel mené à Kiev contre le Gouvernement légitime par les radicaux nationalistes, et leurs menaces directes d’imposer leur propre ordre sur tout le territoire ukrainien.

Plusieurs des pays qui s’opposent aujourd’hui à ce que le peuple de Crimée exprime sa volonté populaire s’étaient pourtant précipités pour reconnaître l’indépendance du Kosovo, laquelle a été déclarée sans référendum, par une simple décision du Parlement, et ce, malgré les protestations de Belgrade et le fait que cette déclaration d’indépendance soit intervenue sur fond d’opération militaire illégale des pays de l’OTAN, dans une situation où une grande partie de la population de souche serbe avait été forcée de quitter la province. Je ne parle même pas de la résolution 1244 (1999), qui conserve toute sa validité et instaurait un protectorat international sur le Kosovo.

Chacun le sait ici, le concept du référendum n’est pas nouveau. Des référendums ont été ou vont être organisés à Puerto Rico, à Gibraltar, dans les îles Falkland, en Catalogne et en Écosse. Les contextes juridiques et historiques, ainsi que les conséquences de ces votes, sont certes très différents mais le fait est que les habitants de ces territoires ont eu ou vont avoir l’occasion d’exprimer leur volonté propre. Pourquoi le peuple de Crimée devrait-il être une exception ?

Je pourrais également citer d’autres précédents intéressants. Ainsi, les Comores ont déclaré leur indépendance de la France en 1975, et c’est en tant qu’archipel de quatre îles qu’elles sont devenues État Membre de l’ONU. Pourtant, en février 1976, la France a organisé un référendum à l’intention des résidents de l’une de ces îles, Mayotte, afin de déterminer s’ils voulaient continuer à faire partie de la France ou s’ils préféraient rester dans le nouvel État des Comores. À une courte majorité, ils se sont prononcés contre leur indépendance de la France. Le Chef de l’État des Comores a tenté d’empêcher la tenue de ce référendum. En février 1976, il a demandé la convocation d’urgence d’une séance du Conseil de sécurité (voir S/PV.1888) et qualifié les actions de la France d’atteinte flagrante à l’unité nationale de l’État comorien. Il a noté que, aux termes des lois françaises en vigueur avant l’indépendance des Comores, l’île de Mayotte était une composante inaliénable du territoire comorien. Il a également souligné le fait que les Comores avaient obtenu le statut d’État Membre de l’ONU en tant qu’État composé de quatre îles. Pourtant, rien n’y fit. La France a mis son veto au projet de résolution S/11967, qui appuyait la position comorienne.

La Déclaration d’indépendance des États-Unis évoque une situation dans laquelle il était devenu nécessaire qu’un peuple coupe tous les liens qui l’unissaient à un autre peuple. Voyons ce que le peuple de Crimée pense de cette position lors du référendum prochain.

Enfin, parmi ceux qui ont pris la parole devant le Conseil, certains ont parlé des agissements de la Flotte de la mer Noire en Crimée. Nous considérons que ces actions sont légales. La Flotte russe en mer Noire n’a rien à voir avec la situation qui a précédé l’organisation du référendum, lequel a été décidé et organisé par les Criméens eux-mêmes.

Mme Murmokaitė (Lithanie) (parle en anglais) : Comme l’a relevé le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Feltman, dans son exposé, c’est aujourd’hui la sixième fois que nous nous réunissons depuis le 1er mars pour aborder la crise déclenchée par l’agression russe contre l’Ukraine. Entretemps, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ont condamné cette violation non provoquée de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ukrainiennes par la Fédération de Russie, et ont appelé cette dernière à donner immédiatement l’ordre à ses forces armées de se retirer dans leurs zones de stationnement permanent. À cet appel ont fait écho des déclarations de même teneur émises par les dirigeants du Groupe des Sept et par le Président en exercice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui insistent sur l’illégalité du référendum en Crimée et demandent à tous les acteurs de s’abstenir d’appuyer des activités anticonstitutionnelles.

En tant que dirigeant et patriote, l’ancien Président Yanukovych aurait dû faire primer les intérêts de l’Ukraine et faire tout ce qui était en son pouvoir pour normaliser la situation. Il aurait dû être en première ligne de l’application de l’accord du 21 février, si souvent cité, mais qu’il a été très réticent à signer et que la Russie a refusé de cosigner, comme l’a souligné avec éloquence l’Ambassadeur français. Au contraire, en s’enfuyant, Yanukovych a déserté son pays, l’exposant à la partition et à l’annexion. Dans de telles circonstances, la Rada ukrainienne, dont la légitimité n’a jamais été ni ne saurait être remise en cause, a nommé un nouveau Premier Ministre, conformément à la Constitution ukrainienne et à une très large majorité des voix exprimées, ce qui a permis la formation d’un Gouvernement d’unité, pleinement représentatif de la diversité ethnique et géographique de la population ukrainienne, ainsi que l’a également relevé notre collègue des États-Unis.

Nous saluons la retenue et la force morale incroyables dont font preuve le Gouvernement ukrainien, son peuple et son armée face à l’escalade continuelle des provocations et à une offensive de propagande massive. Cela en dit long sur la détermination du Premier Ministre de rester engagé sur la voie d’un règlement pacifique de la crise actuelle.

Jamais référendum n’a été mis sur pied de façon aussi hâtive, et ce court laps de temps a même encore été raccourci, en violation patente de la Constitution ukrainienne et de celle de la Crimée, qui dispose sans ambigüité que la Crimée est partie intégrante de l’Ukraine. Les premiers habitants de l’Ukraine, les Tatars de Crimée, se sont exprimés haut et fort contre le référendum et la sécession de la Crimée et ont réaffirmé leur désir de voir leur patrie rester dans le giron de l’Ukraine. Mais leurs voix ne compteront pas, pas plus que celles des nombreux autres groupes ethniques qui habitent la Crimée, y compris les Ukrainiens eux- mêmes, car le référendum est spécifiquement conçu pour entériner la sécession. Il n’y a tout simplement pas d’autre choix que celui de dire oui à la partition.

Notons, en attendant, que la Russie est en train d’accélérer la mise en place d’une législation qui facilitera l’annexion de la Crimée – ou toute autre partie de l’Ukraine. On ne peut qu’imaginer les sueurs froides que cela provoque dans toute la région, dont le souvenir de l’occupation et des invasions soviétiques récentes est encore très vif.

En tant que signataire de la Déclaration d’Almaty de 1991, du Mémorandum de Budapest de 1994, de l’Accord entre la Russie et l’Ukraine sur le statut de la flotte russe en mer Noire et les conditions de son stationnement en Ukraine de 1997, et du Traité d’amitié, de coopération et de partenariat de 1997 entre l’Ukraine et la Fédération de Russie, la Fédération de Russie a reconnu à maintes reprises l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine. De plus, obligation lui est faite, en tant que signataire du Mémorandum de Budapest, de protéger et de garantir la souveraineté de l’Ukraine ainsi que son inviolabilité et son intégrité territoriale, en échange – comme il a été souligné – de l’abandon par l’Ukraine de son arsenal nucléaire.

La violation flagrante par la Russie de ses obligations bilatérales et du droit international sape le fondement même du droit international ainsi que la paix et la sécurité régionales et internationales. Nous demandons instamment à tous les États d’indiquer clairement qu’ils ne reconnaîtront pas le référendum et son résultat.

Rien de ce qui a été dit, y compris par l’Ambassadeur russe – absolument rien – ne justifie les actions de la Russie et des forces pro-russes en Crimée. Quelles que soient les préoccupations – les préoccupations légitimes – exprimées au sujet des conditions réservées aux minorités ethnolinguistiques, celles-ci auraient dû – et peuvent toujours – être traitées par le biais des instruments régionaux et internationaux existants. Le Conseil de l’Europe offre une abondance de mécanismes à cet effet et est prêt à participer ; de même que l’OSCE et l’Organisation des Nations Unies. Laissons ces organisations faire leur travail, tout comme elles l’ont fait avec succès à de multiples occasions, d’autant que l’Ukraine a, à maintes reprises, invité des observateurs et des représentants de ces organisations et qu’elle s’est déclarée disposée à être visitée, évaluée, inspectée et observée. L’Ukraine n’a rien à cacher.

Mais pas ses opposants. Sinon, pourquoi certaines forces essayent-elles de tout faire pour isoler la Crimée avant le référendum illégal ? Les forces pro- russes, soutenues par une présence militaire russe sans cesse croissante dans la péninsule, ont à plusieurs reprises refusé tout accès aux équipes de l’OSCE, au Sous-Secrétaire général, M. Šimonović, et à l’Envoyé spécial du Secrétaire général, Robert Serry, qu’on a harcelé et auquel on a refusé à deux reprises d’entrer sur la péninsule. Les Ukrainiens de Crimée sont agressés et accusés d’être des occupants dans leur propre pays, moqués et taxés de fascisme et de nazisme au simple motif qu’ils sont ukrainiens.

L’espace aérien de Crimée est fermé au trafic aérien, excepté pour les vols depuis et vers Moscou, les cours d’eau sont obstrués et l’électricité et l’approvisionnement des forces ukrainiennes coupés. Les bateaux sont coulés à l’entrée de la péninsule, des tranchées sont creusées et, comme l’a signalé la Campagne internationale pour l’interdiction des mines terrestres, des mines antipersonnel sont en train d’être posées. L’accès terrestre est surveillé par des individus russophones prétendument non identifiés armés jusqu’aux dents. L’espace informationnel a également été bloqué en Crimée. Toutes les chaînes d’information ukrainiennes et les réseaux locaux tatars ont été bâillonnés et remplacés par des chaînes russes transmettant en continu la propagande antiukrainienne. Des journalises ont été menacés, agressés et kidnappés.

C’est dans ce contexte d’isolement de la Crimée, de tactiques d’intimidation militaire par les forces pro- russes et de paroxysme de l’hystérie antiukrainienne que le référendum illégal doit avoir lieu ce week-end, ouvrant la voie à l’annexion de la Crimée par la Russie. Cette crise est profondément inquiétante. Outre qu’elle constitue une violation des principes sous-tendant le droit international et la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un pays, elle revêt aussi une dimension hautement explosive. La propagande antiukrainienne et le barrage des mensonges qui sont diffusés risquent de déchaîner les pires démons de la haine, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour l’ensemble de la région et pour la sécurité internationale.

Nous appelons la Fédération de Russie à mettre fin à ses agissements bellicistes et à sa dangereuse campagne de propagande contre ses voisins, et à ne pas perdre un instant du peu de temps qui reste pour dialoguer ouvertement et participer aux efforts de médiation internationale. Tant que c’est encore possible, nous en appelons à la Fédération de Russie afin qu’elle retire ses troupes jusqu’à leurs lieux de cantonnement régulier, accepte la primauté du droit et réaffirme son respect de la Charte des Nations Unies, qu’elle ouvre un dialogue direct avec Kiev sans plus de retard, revienne aux mécanismes existants de règlement des crises et accepte les initiatives de l’Organisation des Nations Unies, de l’OSCE, du Conseil de l’Europe et toute autre initiative visant à empêcher une nouvelle escalade et à mettre en œuvre les mécanismes internationaux de surveillance.

Toute solution à la crise en Ukraine ne peut reposer que sur l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance du pays, ainsi que sur une stricte conformité avec le droit international et les normes internationales de conduite. Si on laisse passer cette chance, les conséquences pour l’ordre international sont difficiles à évaluer, et c’est la Russie qui en assumera toute la responsabilité. Une possibilité reste ouverte, comme l’a dit notre collègue britannique ; à la Russie de voir si elle veut qu’elle reste ouverte ou si elle veut la refermer devant la communauté internationale.

M. Mangaral (Tchad) : Je remercie M. Feltman de son exposé. Je voudrais souhaiter la bienvenue au Premier Ministre de transition de l’Ukraine, S. E. M. Yatsenyuk, et le remercier pour les éléments d’information qu’il vient de nous livrer.

Le Tchad note avec beaucoup de préoccupation la persistance de l’escalade de la crise en Ukraine, et ce malgré les appels répétés de la communauté internationale, et en particulier du Conseil de sécurité, à la retenue et au calme. Nous pensons qu’il est encore possible d’ouvrir la voie à la réconciliation nationale et à la préservation de l’unité de l’Ukraine à travers un processus inclusif de dialogue entre les différentes composantes dans le respect de la diversité.

Le Tchad appelle également au respect de l’intégrité territoriale, au non-usage de la force, au règlement pacifique des différends, conformément à la Charte des Nations Unies. Les parties doivent prendre les mesure nécessaires pour créer un climat de dialogue en vue d’une véritable réconciliation nationale dans le respect des droits de l’homme, et plus particulièrement des droits des minorités. Le Tchad soutient une médiation internationale pour une sortie pacifique de la crise et salue les efforts déployés par le Secrétaire général des Nations Unies dans ce sens.

Mme Perceval (Argentine) (parle en espagnol) : Je tiens à saluer au nom de ma délégation la détermination avec laquelle la délégation luxembourgeoise exerce la présidence du Conseil de sécurité, comme l’illustre le fait que vous soyez venu, Monsieur le Ministre, présider la séance d’aujourd’hui. Nous remercions le Secrétaire général adjoint, M. Jeffrey Feltman, de son rapport et de son appel. Nous apprécions les bons offices que le Secrétaire général est en train de rendre. Nous saluons les différents acteurs qui coopèrent en vue de trouver un règlement diplomatique à la crise. Nous souhaitons la bienvenue au Premier Ministre ukrainien qui participe à la présente séance.

L’Argentine suit avec préoccupation l’évolution de la situation en Ukraine, particulièrement depuis que nous avons reçu la note du Représentant permanent de ce pays en date du 28 février (S/2014/136). Le Conseil de sécurité et la communauté internationale ont réservé un traitement intensif à une situation qui ne cesse de croître en complexité.

La délégation de l’Argentine réaffirme une fois de plus qu’il est essentiel que nous nous conformions aux principes auxquels nous avons adhéré en tant que Membres de l’Organisation des Nations Unies. En particulier, il convient de rappeler que nous nous sommes engagés à ne pas intervenir dans les affaires qui relèvent de la compétence interne des États. À cet égard, nous estimons que l’action de tout État ou de toute organisation internationale doit respecter pleinement la conduite par l’Ukraine de ses affaires intérieures.

En tant que Membre de l’Organisation des Nations Unies, l’Argentine considère indispensable de souligner l’obligation primordiale de respect de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de tous les États. C’est un principe que mon pays a défendu tout au long de son histoire, avant même la création de l’ONU, et qu’il continuera de défendre inlassablement.

Nous suivons avec préoccupation l’évolution de la situation en Ukraine, et avons écouté attentivement les exposés présentés par les autorités de ce pays au Conseil. Nous sommes préoccupés par la violence passée et présente ainsi que par le risque d’une aggravation de cette violence. Nous regrettons qu’en dépit des multiples appels lancés aux parties et acteurs clefs pour qu’ils s’abstiennent de tout acte de nature à alimenter la rhétorique de la confrontation et à envenimer la situation, en particulier les actes unilatéraux sur le terrain, il n’ait pas été possible d’avancer véritablement vers l’instauration d’un dialogue constructif et de bonne foi afin de trouver une solution à la crise actuelle.

Il est essentiel que la communauté internationale et les parties prenantes en Ukraine facilitent le dialogue démocratique et contribuent à régler la situation actuelle par des moyens pacifiques. À cet égard, la délégation argentine lance un appel solennel à tous les acteurs ukrainiens afin qu’ils s’abstiennent de toute position ou décision susceptible d’envenimer la situation ou de créer des faits accomplis qui compliqueraient le dialogue et la recherche des compromis nécessaires pour trouver une solution globale.

Nous espérons que l’évolution interne de l’Ukraine se fera par la voie démocratique, qui est le seul moyen de n’exclure personne. Dans le même temps, il est indispensable de respecter pleinement les droits de l’homme et le droit humanitaire. Notre expérience nationale en la matière nous enseigne que cet engagement est essentiel pour garantir un avenir de paix et de développement, fondé sur l’intégration sociale et le plein respect des institutions démocratiques, pour toutes les communautés. C’est pourquoi, nous espérons qu’à tout moment, on respectera toute les minorités, qu’elle soient ethniques, linguistiques, culturelles ou religieuses.

Les efforts internationaux visent à trouver des solutions par des moyens diplomatiques. Ils se sont matérialisés par l’organisation de rencontres de haut niveau à Paris et à Rome ainsi que par diverses propositions d’envoi de missions de médiation ou d’observation. Bien que ces initiatives n’aient pas porté leurs fruits, il convient de redoubler les efforts diplomatiques pour apaiser les tensions sur le terrain et, dans le même temps, ouvrir un espace de dialogue en vue de régler la crise. La sortie de la crise actuelle sera politique, pacifique et concertée.

La communauté internationale doit contribuer activement, par l’intermédiaire des mécanismes que les Ukrainiens jugent nécessaires ou adaptés, à rétablir la paix dans ce pays. Nous espérons que les organisations régionales compétentes seront en mesure d’apporter une contribution constructive à cet effet. Nous devons tous nous abstenir d’exacerber les dissensions internes en Ukraine et respecter strictement le principe de non-ingérence extérieure, que ce soit par des moyens militaires, économiques ou politiques, dans les affaires intérieures des pays souverains.

Pour ce qui est du Conseil de sécurité, nous avons la responsabilité première de continuer à faire des propositions concrètes pour concourir au règlement de la crise et de suivre l’évolution de la situation afin de préserver la paix et la sécurité internationales et, le cas échéant, de prendre les mesures qui s’imposent. Le Conseil peut compter sur l’engagement de l’Argentine à cette fin.

Le Président : M. Yatsenyuk a demandé la parole pour faire une nouvelle déclaration. Je la lui donne.

M. Yatsenyuk (Ukraine) (parle en anglais) : Je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que les membres du Conseil, de votre appui inconditionnel à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de mon pays. C’est vraiment remarquable et je ferai savoir au peuple ukrainien que tous les membres sauf un ont exprimé leur appui à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de mon pays. Nous demeurons convaincus qu’il est possible de trouver une solution pacifique. Mon gouvernement est déterminé à honorer toutes ses obligations internationales. Nous respecterons tous les traités bilatéraux et multilatéraux que l’Ukraine a signés et ratifiés.

La Crimée a été, est et restera partie intégrante de l’Ukraine. Nous ne reconnaîtrons jamais un quelconque référendum improvisé, artificiel et faussé. Nous sommes prêts à organiser un dialogue national en vue d’accroître les pouvoirs de la République autonome de Crimée au sein du Parlement ukrainien par des moyens constitutionnels. Nous protégerons et défendrons toutes les minorités du pays. Nous adhérons au principe inscrit dans la Constitution ukrainienne selon lequel, à l’exception de la langue ukrainienne, la seule autre langue mentionnée à l’article 10 de la Constitution ukrainienne est la langue russe. Nous protégerons les convictions religieuses de tous les Ukrainiens. Et nous tenons à indiquer clairement que le Gouvernement est prêt à prendre part à un dialogue ouvert.

Nous avons tendu la main à la Russie, mais elle a répondu par les armes. Toutefois, nous restons convaincus que la Russie est prête à négocier et à régler ce conflit dramatique – pour nos relations bilatérales, mais aussi pour l’Europe toute entière – par des moyens pacifiques. Ce que nous demandons, c’est la vérité. L’histoire nous jugera. Nous avons une occasion d’écrire l’histoire. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver la paix et la stabilité et sauver mon pays.

Le Président  : Il n’y a pas d’autre orateur inscrit sur ma liste. Le Conseil de sécurité a ainsi achevé la phase actuelle de l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.

La séance est levée à 17 heures.