Victoria Nuland devant la Commission sénatoriale des Affaires étrangères

L’Ukraine — Contrer l’intervention russe et soutenir un État démocratique

Monsieur le président Menendez, Monsieur le sénateur Corker, merci de m’avoir invitée à faire une déposition aujourd’hui sur ce que nous faisons pour contrer les actions déstabilisatrices et provocatrices de la Russie en Ukraine et pour préserver une Ukraine unie et démocratique.

Je tiens à exprimer ma profonde appréciation aux membres de la présente commission pour le soutien bipartite que vous apportez à l’Ukraine et à sa population depuis le début de la crise. L’adoption par le Sénat d’une loi relative à une garantie de prêt des États-Unis a envoyé un signal puissant du soutien de l’Amérique. Les déplacements d’un si grand nombre d’entre vous en Ukraine renforcent également la solidarité bipartite de l’Amérique avec le peuple ukrainien dans cette période critique.

Lorsque le secrétaire d’État adjoint Chollet et moi-même avons fait une déposition devant la sous-commission des affaires européennes, le 10 avril, j’ai tracé les contours des quatre piliers de la politique des États-Unis qui servent à relever les défis auxquels Ukraine fait face. Premièrement, les États-Unis apportent à l’Ukraine une assistance financière, technique et non létale au moment où elle prépare la tenue d’élections présidentielles démocratiques le 25 mai et qu’elle s’emploie à préserver un avenir pacifique, sécurisé, prospère et unifié pour son peuple. Deuxièmement, nous redoublons d’efforts pour rassurer nos alliés de l’OTAN – une question que la vice-secrétaire adjointe à la Défense, Mme Farkas, abordera en détail — et nous apportons un soutien à d’autres États en première ligne, tels que la Moldavie et la Géorgie. Troisièmement, nous accroissons constamment les coûts économiques infligés à la Russie en raison de son occupation et de son annexion illégale de la Crimée ainsi que de ses tentatives de déstabilisation de l’est et du sud de l’Ukraine ; le secrétaire d’État adjoint Glaser reviendra sur les sanctions que nous avons imposées et sur ce qui viendra après. Et quatrièmement, nous œuvrons de concert avec l’Ukraine et nos partenaires européens pour garder ouverte la porte de la désescalade diplomatique si la Russie décidait de changer de direction et de s’appliquer sérieusement à mettre en œuvre ses engagements du 17 avril à Genève.

Aujourd’hui, je voudrais surtout parler des évènements depuis la réunion du 17 avril à Genève et des 19 jours cruciaux qui restent jusqu’aux élections présidentielles du 25 mai en Ukraine. Premièrement, je ferai le point de la mise en œuvre de la Déclaration conjointe de Genève et des évènements sur le terrain dans l’est et le sud de l’Ukraine. Deuxièmement, je parlerai de la manière dont les États-Unis et la communauté internationale travaillent avec l’Ukraine pour protéger les élections du 25 mai, alors même que la Russie refuse de reconnaître la légitimité du gouvernement ukrainien et que des agents russes et des exécutants sèment la pagaille et le séparatisme de Slovyansk à Odessa. Enfin, je voudrais parler de l’autre victime des politiques du président Poutine : le peuple russe.

Premièrement, un bref rappel des engagements pris à Genève. Fondamentalement, c’est un grand compromis qui offre l’amnistie à tous ceux qui évacuent les bâtiments saisis ainsi qu’une décentralisation profonde et vaste du pouvoir au profit des régions de l’Ukraine par le biais du dialogue national et de la réforme constitutionnelle, le temps que l’autre moitié de l’accord de Genève est appliquée, à savoir : la fin de la violence, de l’intimidation, de la prise de bâtiments et d’armes, les deux composantes étant supervisées et facilitées par l’OSCE.

Le gouvernement ukrainien a commencé à mettre en œuvre la partie qui le concernait avant même que l’encre du texte de la Déclaration de Genève ait eu le temps de sécher. Le lendemain de la signature, le gouvernement ukrainien a soumis un projet de loi d’amnistie à la Rada, qui aurait déjà pris force de loi s’il n’avait pas été bloqué par les communistes et le parti des Régions. Les autorités de Kyiv ont démantelé les barricades et ouvert les rues. Les militants de Maïdan ont évacué paisiblement les locaux de l’administration municipale de Kyiv. Le président Tourtchinov et le premier ministre Iatseniouk ont confirmé dans des discours leur volonté de décentraliser dans une mesure sans précédent le pouvoir politique et économique au profit des régions de l’Ukraine par le biais de la réforme de la constitution et de protéger les droits linguistiques, des propositions d’envergure nettement plus vaste que ce que Moscou consent à ses régions et à ses citoyens. Le 14 et le 29 avril, la commission chargée de la réforme de la constitution a tenu des conférences publiques auxquelles toutes les régions étaient invitées. Les forces de sécurité ukrainiennes ont institué une pause à Pâques dans leurs opérations dans l’est de l’Ukraine et envoyé de hauts responsables avec les équipes de l’OSCE à Donetsk, Slovyansk, Lougansk et d’autres villes assiégées pour essayer de convaincre les séparatistes de poursuivre leurs objectifs par la voie politique plutôt que par la violence.

La Russie, par contre, n’a tenu aucun de ses engagements – aucun, zéro. Après notre départ de Genève, personne à Moscou, à quelque niveau que ce soit, n’a même réclamé publiquement l’évacuation des bâtiments et des postes de contrôle ni la remise des armes. La Russie a opposé une fin de non-recevoir à une requête de l’OSCE lui demandant de dépêcher de hauts représentants dans l’est de l’Ukraine qui insisteraient que les séparatistes respectent la Déclaration de Genève. En fait, les séparatistes à Donetsk et à Lougansk ont dit aux observateurs de l’OSCE qu’ils n’avaient reçu aucun message de la part de la Russie leur demandant de se retirer.

À la place, depuis le 17 avril, tous les efforts du camp ukrainien et de l’OSCE se sont soldés par davantage de violence, de pagaille, d’enlèvements, de torture et de morts. Les séparatistes pro-russes se sont emparés d’au moins 35 bâtiments et 3 chaînes de télévision et stations de radio dans 24 villes. Des agents russes armés et organisés – parfois qualifiés de « petits hommes verts » — ont fait leur apparition dans des villes et des bourgades de Donetsk et jusqu’à Lougansk. Vingt-deux enlèvements au moins ont été attribués à des séparatistes pro-russes – dont l’enlèvement des huit inspecteurs venus dans le cadre du Document de Vienne et de leurs accompagnateurs ukrainiens, qui ont été libérés après avoir été pris en otages pendant 8 jours. Trois Ukrainiens ont été retrouvés, morts, près de Slovyansk, leur corps portant les signes de la torture. Des rassemblements pacifiques ont été assaillis par des voyous séparatistes armés. Des familles roms ont fui Slovyansk dans des situations de contrainte extrême. Face à la montée de la violence, les États-Unis et l’Union européenne ont imposé des sanctions supplémentaires fin avril. Vendredi, le gouvernement ukrainien a annoncé que les séparatistes avaient abattu un hélicoptère ukrainien à l’aide de Manpad [systèmes portatifs de défense aérienne], tuant les pilotes. Et vendredi a aussi été le jour de la tragédie la plus meurtrière de ce conflit : plus de 40 personnes ont péri à Odessa après un après-midi d’affrontements violents qui auraient été déclenchés par les séparatistes pro-russes qui ont attaqué un rassemblement au départ pacifique en faveur de l’unité nationale – semblable à tant d’autres qui ont eu lieu à Odessa depuis le début du mouvement Maïdan.

Aujourd’hui, la Russie prétend n’avoir « aucune influence » sur les séparatistes et les provocateurs qui saccagent l’est et le sud de l’Ukraine. À Odessa, on ne devrait donc pas s’en étonner, les autorités ukrainiennes disent que parmi les personnes qu’elles ont arrêtées pour avoir déclenché la violence se trouvaient des individus dont les papiers d’identité indiquaient qu’ils venaient de Transnistrie, de la région criméenne de l’Ukraine et de la Russie. Comme l’a dit le secrétaire d’État John Kerry devant cette commission même en avril, nous demeurons convaincus que la Russie est derrière l’instabilité. Elle fournit un soutien matériel. Elle fournit des fonds. Elle fournit des armes. Elle assure de la coordination, et des agents russes sont impliqués sur le terrain en Ukraine.

Ce qui est tout aussi inquiétant, c’est qu’aujourd’hui, de Slovyansk à Odessa, on est en train de répéter le scénario de la Crimée : pour commencer, on provoque le branle-bas dans des villes qui étaient tout à fait paisibles il y a deux mois seulement ; ensuite, on intimide la population locale et on organise des simulacres de référendum avec deux semaines de préavis, comme ce qui vient d’être annoncé pour le 11 mai dans les prétendues républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Et on se rappelle tous ce qui s’est passé après en Crimée : des « gardiens de la paix » sont descendus en masse soi-disant pour « protéger » la volonté des électeurs. Tout comme nous n’accepterons pas la nécessité déclarée par la Russie de ces prétendus « gardiens de la paix » en Crimée, nous n’accepterons aucune décision unilatérale relative au déploiement de « gardiens de la paix » russes, non autorisés, dans l’est ou le sud de l’Ukraine. Jusqu’à présent, l’intervention militaire russe en Ukraine est une violation claire du droit international, et personne n’est dupe quand la Russie appelle ses soldats des « gardiens de paix ». On a l’habitude d’entendre la Russie parler de « maintien de la paix » pour signifier une occupation et une intervention militaire illicite, sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU et sans le consentement du gouvernement d’accueil.

Or les séparatistes pro-russes ne parlent pas pour la population de l’est et du sud de l’Ukraine. Plus des deux tiers des Ukrainiens de l’Est disent qu’ils ont l’intention de voter le 25 mai. Ils ne veulent pas que des petits hommes verts, les séparatistes ou Moscou les empêchent de faire librement leur choix. Et avec plus de 20 candidats en lice, qui représentent tous les points de vue et toutes les régions de l’Ukraine, ces élections offrent un vrai choix démocratique. C’est pour cela que les États-Unis, l’Europe et la communauté internationale travaillent si dur avec le gouvernement ukrainien pour assurer le déroulement d’élections libres et équitables à travers toute l’Ukraine, et dans des bureaux de vote de substitution pour les Criméens, comme dans le cas des villes de l’est s’il le faut où cela pourrait aussi se révéler nécessaire.

En mars, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (ODIHR) a déployé 100 observateurs électoraux à long terme dans 26 emplacements répartis à travers l’Ukraine pour surveiller la situation avant les élections et contribuer à veiller à ce que la procédure électorale soit conforme aux normes internationales les plus élevées. Un rapport intérimaire de l’ODIHR en date du 17 avril indique que la Commission électorale centrale a jusqu’à présent respecté tous les délais fixés et que les préparatifs techniques allaient bon train. Pour la première fois lors d’une élection présidentielle, les 36 millions d’électeurs de l’Ukraine peuvent vérifier en ligne les détails de leur inscription. En tout, l’ODIHR se prépare à déployer un millier d’observateurs électoraux sur l’ensemble du territoire, ce qui est la mission d’observation la plus vaste dans les annales de cette organisation. Les États-Unis fourniront environ 10 % des observateurs, et 26 autres États membres de l’OSCE enverront eux aussi un contingent. Ces mille observateurs se joindront à plus de cent membres de l’assemblée parlementaire de l’OSCE, dont certains font partie de vos collègues ici, au Congrès.

En outre, les États-Unis travaillent au niveau bilatéral pour soutenir la tenue d’élections libres, équitables et en connaissance de cause. Nous avons alloué 11,4 millions de dollars à des activités non partisanes destinées à rehausser l’intégrité de ces élections, y compris pour ce qui est d’informer les électeurs et de promouvoir la participation des citoyens ; d’aider la Commission électorale centrale à administrer les élections de manière efficace et transparente ; d’établir des liens entre les partis politiques et la société civile ; de contribuer à la sécurité des élections ; et d’aider à garantir un environnement médiatique diversifié, équilibré et axé sur les politiques. Nous apportons notre concours à 255 observateurs à long terme et à plus de 3.330 observateurs à court terme, dont certains fourniront un système parallèle de tabulation des voix.

La tenue d’élections libres et équitables, le 25 mai, constitue la meilleure voie à suivre pour parvenir à la stabilité politique et économique en Ukraine. De Lviv à Maïdan et d’Odessa à Donetsk, le peuple ukrainien veut et mérite le droit de déterminer son propre avenir. Ceux qui prétendent vouloir le protéger devraient défendre les urnes s’ils veulent vraiment que les voix dans l’est de l’Ukraine se fassent entendre dans le processus politique, plutôt que de dicter un comportement au bout d’un fusil ou avec des barricades de pneus en flammes. À cet égard, il est on ne peut plus ironique que Moscou déclare aujourd’hui illégitimes à la fois le gouvernement intérimaire et les élections du 25 mai. C’est à se demander si Moscou n’a pas peur de laisser le peuple ukrainien participer à une élection qui lui offre beaucoup plus de choix que ce qu’a connu la Russie dans un passé récent. Et comme le président Obama l’a déclaré, « le leadership russe devrait savoir que s’il continue à déstabiliser l’est de l’Ukraine et à perturber les élections de ce mois-ci, nous agirons rapidement pour prendre de nouvelles mesures, y compris des sanctions supplémentaires qui imposeront des coûts encore plus élevés. »

Et enfin, tout en cherchant à donner au peuple ukrainien les moyens de déterminer son avenir de manière démocratique, nous devons reconnaître que le peuple russe est spolié de ses droits démocratiques. Les actions irresponsables du gouvernement russe en Ukraine ont détourné l’attention du monde des nouvelles mesures de répression visant la société civile en Russie. Rien que depuis les jeux Olympiques de Sotchi, le gouvernement russe a pris de nouvelles dispositions agressives pour renforcer son emprise sur les médias, freiner la dissension, criminaliser la liberté d’expression sur Internet et fouler aux pieds les droits de l’homme. La formule de Poutine est simple : intervention à l’étranger, répression chez lui.

L’économie russe montre déjà que ce modèle ne mène pas à une Russie qui serait grande ; il mène à une Russie ruinée. La note de la Russie est à peine au-dessus de la catégorie spéculative (junk). Depuis le début de l’année, la fuite des capitaux a atteint 51 milliards de dollars, ce qui n’est pas loin des 60 milliards pour toute l’année 2013. Les emprunts publics russes se négocient à des taux plus élevés que tous les autres en Europe. Et depuis que la valeur du rouble a baissé, la Banque centrale a relevé par deux fois les taux d’intérêt et dépensé près de 30 milliards de dollars de ses réserves pour le stabiliser. À moins que Poutine ne change de direction, dans un avenir pas trop distant, la fièvre nationaliste qui s’est emparée de la Russie va tomber. Et lorsqu’elle tombera, la prise de conscience des coûts économiques donnera des sueurs froides. Puis, s’ils sont assez libres pour penser par eux-mêmes, les citoyens russes vont se demander : « Qu’avons-nous vraiment accompli ? Au lieu de financer des écoles, des hôpitaux, les sciences et la prospérité chez nous en Russie, nous avons gaspillé notre fortune nationale dans l’aventurisme, l’interventionnisme et les ambitions d’un dirigeant qui s’intéresse plus à un empire qu’à ses citoyens. »

Mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. La Russie peut encore renoncer à soutenir le séparatisme et la violence et faire ce qui est juste. En étroite collaboration avec les Ukrainiens, l’OSCE et des gouvernements européens clés dont l’Allemagne, nous réitérons notre soutien à la voie diplomatique – la remise à neuf de l’accord de Genève : l’amnistie pour les séparatistes et une réforme politique réelle par le biais d’élections et de changement constitutionnel en échange contre la paix, la sécurité et l’unité dans toute l’Ukraine (…). Une Russie qui se préoccupe réellement du sort des personnes de souche russe en Ukraine et de la population dans l’est de l’Ukraine, sans parler de ses propres citoyens, collaborera avec nous dans ce domaine. Une Russie qui ne le fait pas verra se resserrer l’étau de l’isolement politique et économique dans la communauté internationale.

Depuis 1992, nous avons fourni 20 milliards de dollars à la Russie pour soutenir la poursuite de la transition vers l’État pacifique, prospère et démocratique que son peuple mérite. Nous ne cherchons pas à punir la Russie. Nous appuyons les droits qu’ont toutes personnes – les Russes comme les Ukrainiens – d’avoir un gouvernement propre, ouvert et responsable, ancré dans la démocratie et l’État de droit.

Dans 19 jours, le peuple ukrainien aura l’occasion de faire un choix. Comme le vice-président Biden l’a dit au cours de sa visite à Kyiv, « c’est peut-être l’élection la plus importante de l’histoire de l’Ukraine. C’est l’occasion de réaliser les aspirations de la majorité écrasante des Ukrainiens, à l’est comme à l’ouest et dans toutes les régions de ce pays. »

Il est dans l’intérêt de la sécurité nationale des États-Unis que l’élection présidentielle du 25 mai reflète la volonté des 45 millions d’Ukrainiens. Nous sommes unis avec la majorité écrasante de la communauté internationale – au sein du G7, de l’OTAN, de l’OSCE, de l’Assemblée générale de l’ONU, du Conseil de l’Europe – pour soutenir le choix démocratique de l’Ukraine. Les enjeux ne sauraient être plus importants – pour la démocratie ukrainienne, pour la stabilité européenne et pour l’avenir de l’ordre international fondé sur le droit.

Je vous remercie.