Mesdames et Messieurs les ministres et parlementaires,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,

Sur le plan international, 2014 restera comme l’été de toutes les crises.
Gaza, l’Irak, la Syrie, l’Ukraine, la Libye, le Sahel, la RCA, d’autres encore, des conflits meurtriers qui nous concernent d’autant plus qu’ils interviennent dans des parties du monde où la France est traditionnellement active. Ils s’ajoutent à d’autres crises - crise sanitaire avec la fièvre Ebola, crise climatique avec les dérèglements liés aux gaz à effet de serre, crise économique avec l’atonie européenne - qui contribuent à nourrir dans l’opinion un sentiment de « paninquiétude », renforcée par la mondialisation des médias.
D’aucuns nous expliquent avec assurance soit qu’il n’y aurait pas lieu de s’alarmer, soit au contraire que nous sommes à l’été 1914. Les comparaisons historiques garantiraient la suite. Non ! Outre le fait que les prétendus « enseignements de l’histoire » n’enseignent en réalité pas grand-chose, nous devons nous arrêter sur l’ampleur, l’origine, la nature de ces crises, et surtout sur nos réponses, si nous voulons exercer notre mission, car cette mission est d’agir (nous sommes des acteurs, pas des commentateurs) pour servir à la fois les intérêts de notre pays et ceux de notre planète. Hier, devant vous, le président de la République et le premier ministre ont largement exposé ces réponses.

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Pourquoi tant de crises et tant de crises à la fois ? J’y vois au moins trois explications générales. La première, « la dépolarisation du monde ». Vous m’avez déjà entendu souligner que nous étions passés du monde bipolaire de l’après-guerre (quand les États-Unis et l’URSS s’affrontaient mais contrôlaient ensemble les crises) à un monde unipolaire après la chute du mur de Berlin (quand les États-Unis faisaient la loi), pour connaître désormais un monde zéropolaire, aux repères idéologiques brouillés, dans lequel des puissances majeures existent (anciennes ou nouvelles), mais sans qu’aucune d’elles, seule ou en alliance stable avec d’autres, ne maîtrise vraiment les crises. Eh bien, nous y sommes ! Autant la volonté politique de la France est d’agir pour aller demain vers un « monde multipolaire organisé », autant nous devons constater qu’aujourd’hui les conflits s’additionnent et se nourrissent les uns les autres.

La guerre américano-britannique d’Irak et l’intervention en Afghanistan ont dispersé Al-Qaïda à travers le monde. Ses métastases au Sahel ont renforcé des mouvements plus anciens et généré de nouveaux. Le désordre - le mot est faible - en Libye a nourri le terrorisme en Afrique, cependant que la Syrie est devenue un champ de bataille entre dictature et djihadistes, ceux-ci et celle-là contribuant à la montée de l’État islamique en Irak. Faute de puissance(s) réellement régulatrice(s), ce monde dépolarisé est un monde de tous les dangers.

Une deuxième explication globale est ce que j’appellerai « l’éclatement de la puissance ». De nouveaux États revendiquent - souvent avec raison - une place accrue. Les États ne détiennent plus le monopole de la force. Certains n’en n’ont plus que le nom, résultat de décennies de mal-gouvernance qui les ont fragilisés, qui ont bloqué le développement et attisé les frustrations des peuples, constituant un terreau très favorable aux radicalisations et aux conflits. Cependant que l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL), ce califat de la terreur et de la haine, s’arroge, lui, des pouvoirs super-étatiques en matière de finances, de justice, d’armée, de pensée et de vie ou de mort. La société internationale se retrouve ainsi confuse, mélangée, avec ses notables traditionnels, ses nouveaux riches, ses mafias, ses milices, ses groupes interlopes et ses hors-la-loi. Cet éclatement de la puissance paralyse les mécanismes traditionnels de sécurité collective, particulièrement le Conseil de sécurité des Nations unies qui n’exerce pas suffisamment assez son rôle de « juge de paix ». Si l’on rapproche les deux phénomènes - la dépolarisation du monde et l’éclatement de la puissance -, la situation internationale actuelle peut se résumer ainsi : davantage de forces à contrôler au plan international et moins de forces pour les contrôler.

S’y ajoute une troisième explication globale qui repose sur la « dispersion de la capacité destructrice ». C’est vrai sur le plan nucléaire : de là l’importance que nous attachons à la négociation sur le nucléaire iranien, qui va bientôt se terminer. Plus généralement, pour des raisons notamment technologiques, des groupes et même des individus peuvent bien plus facilement qu’hier acquérir, amplifier et projeter leur propre capacité destructrice. Les attentats effroyables de New York le 11 septembre 2001 avaient été réalisés avec des moyens limités, y compris financiers : songez aux dégâts que rend désormais possibles la puissance de militaire Boko Haram au Nigéria, et surtout, treize ans après New York, l’utilisation par le groupe EIIL de moyens financiers, militaires et d’enrégimentement incomparablement supérieurs ! Ces groupes sont d’ailleurs de natures diverses : certains - je ne parle pas d’EIIL - peuvent porter des revendications légitimes, même si leurs moyens ne le sont en aucun cas. D’autres développent des thèses et des pratiques totalement inacceptables. Les États installés qui sont mais qui sont divisés, éprouvent beaucoup de difficultés à pouvoir engager un dialogue avec les premiers et à combattre efficacement les seconds.

Ce sont, telles que je les analyse, des causes générales. Mais s’y ajoutent des situations régionales particulières. Pour m’en tenir au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien, sans cesse recommencé, alimente dans le drame un terreau permanent d’affrontements. L’opposition entre sunnites et chiites contribue aux conflits, elle se double de rivalités internes et favorise des attitudes ambiguës. Les printemps arabes, facteurs d’espérance à l’origine, ont placé plusieurs pays devant un choix impossible - pour schématiser ou dictature ou terrorisme -, là où la solution souhaitable serait un régime modéré, « à la tunisienne », inclusif, respectueux des droits humains et porteur de progrès. Ajoutons-y les contradictions et les hésitations de la communauté internationale et de plusieurs de ses dirigeants, certaines interventions militaires justifiées et d’autres non, en tous cas rarement suivies du long accompagnement politique indispensable, ajoutons-y la marée misérable des déplacés et des réfugiés, la contagion des problèmes transfrontières, la pauvreté persistante des peuples contrastant avec l’insolente richesse de dirigeants … Tout cela ajoute des crises aux crises, face auxquelles le simplisme mortifère et connecté du nouveau terrorisme constitue une menace terrible non seulement pour les pays directement concernés, mais pour le monde entier, donc pour la France.

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Dans cette situation, quelles orientations retenir ? J’écarte d’emblée deux attitudes de politique étrangère qui constitueraient deux erreurs. « La tentation neutraliste », encouragée par celles et ceux - il y en a - qui, flattant un prétendu bon sens populaire, protestent dès que la France s’engage, insistent sur les inconvénients (qui existent toujours), mais oublient que la plupart des crises emportent des conséquences mondiales et que notre pays ne pourrait prétendre demeurer un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, un pilier de l’Union européenne, ou simplement un pays indépendant et influent, si nous laissions systématiquement à d’autres le soin d’agir. L’autre erreur serait la « tentation gesticulatoire », laquelle comporte aussi ses pratiquants, soit par réflexe d’opposition, soit par une sorte de seconde nature. Ni neutraliste ni gesticulatoire, la politique extérieure de la France doit être volontaire et réfléchie. Elle se donne comme ambition de servir les grands objectifs qui s’accordent avec nos intérêts propres et avec notre vision du monde.

Le premier de ces grands objectifs, c’est la paix et la sécurité. Porté par les commémorations du centenaire de la Guerre de 14 et du soixante-dixième anniversaire du Débarquement, le souvenir rejoint ici les tensions du présent. Je le disais en commençant : rarement avons-nous connu une telle accumulation de dangers, face auxquels la France doit être et est une puissance de paix. Mais la paix n’est pas le pacifisme, et la sécurité n’est pas la neutralité. D’où le choix par le président de la République de l’action, parfois de l’intervention, dès lors que celles-ci sont nécessaires et conformes au droit international, par exemple au Mali ou en Centrafrique. D’où aussi notre appui concret aux populations aujourd’hui pourchassées en Irak. D’où notre action diplomatique globale, aussi bien la préparation d’une prochaine Conférence internationale pour la sécurité en Irak et contre l’EIIL qu’en Asie du Sud-Est avec l’effort constant pour apaiser les tensions, à l’Est de l’Europe pour encourager la désescalade entre Russes et Ukrainiens. Je veux dire, ayant été informé des derniers développements, qu’il faut que cessent les bruits de bottes russes dans l’Est ukrainien. D’où aussi notre action constante pour rechercher une paix durable entre Israël et les Palestiniens, qui passe par la solution des deux États à laquelle la France réaffirme son attachement, ce qui signifie qu’il faudra bien, à un moment, reconnaître l’État palestinien. Mesdames et messieurs, à chaque fois qu’une question est posée au président de la République, au gouvernement, à moi-même, concernant un choix majeur de politique extérieure, notre réponse est dictée par cet objectif central : la sécurité et la paix.

Notre deuxième grand objectif, c’est l’organisation de la planète et sa préservation. L’an prochain verra le soixante-dixième anniversaire de la fondation des Nations unies : nous plaiderons plus que jamais pour une société internationalement mieux régulée, sur les plans politique, économique, social et environnemental. De là notre appui constant à l’ONU, qui doit être réformée afin d’être plus représentative et efficace. De là aussi notre proposition, qui peut paraître utopique, mais l’utopie du moment est la réalité du lendemain, à laquelle une séance spéciale sera consacrée lors de la prochaine Assemblée générale, d’une auto-suspension volontaire par les 5 membres permanents de leur recours au veto en cas de crimes de masse. De là également notre attention constante aux droits de l’Homme, à travers notamment notre campagne permanente pour l’abolition universelle de la peine de mort. De là notre mobilisation, malgré les contraintes budgétaires, en faveur de l’aide au développement et de la solidarité, par exemple pour lutter contre l’épidémie Ebola.

Nous agissons pour une meilleure et plus juste organisation de la planète, mais aussi, pour la préservation de la planète : ce sera en 2015 la mission principale de notre diplomatie et sans doute la tâche principale de ce quinquennat, avec la présidence à nous confiée de la COP 21. Notre but ? Un accord universel juridiquement contraignant, plus une série d’engagements nationaux, plus un paquet financier comprenant notamment la dotation du Fonds vert pour le Climat, et enfin un encouragement, un recensement des initiatives prises à travers le monde par les communes, les régions et les grandes entreprises ou branches économiques afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre responsable du dérèglement climatique. L’idéal serait que ces 4 volets puissent composer l’an prochain une véritable « Alliance de Paris pour le Climat » qui marquerait, si nous y parvenons, l’entrée de notre planète dans un nouveau modèle de développement, porteur de transition écologique et de croissance verte.

Le troisième objectif de notre politique étrangère est la relance et la réorientation de l’Europe, responsabilité spécialement assurée à mes côtés par le secrétaire d’État Harlem Désir. Dans quelques jours, de nouveaux responsables européens seront choisis. Ils se mettront au travail avec le nouveau Parlement. Les résultats des élections européennes d’une part, l’analyse objective de la situation européenne d’autre part, montrent combien des changements très importants sont nécessaires dans l’orientation économique, sociale, environnementale et dans la gestion même de l’Union. Ces changements, nous ne les concevons nullement comme un substitut aux réformes que doit mener la France, mais comme un complément indispensable. Puisqu’il y a débat, je veux être encore plus clair : l’amélioration de notre attractivité nationale, la politique française du logement, de la formation ou de l’apprentissage, la simplification de nos règles, la réforme de notre État et de nos collectivités locales, la nécessité publique de dépenser moins et d’investir plus, pour ne citer que ces quelques domaines, ne dépendent en rien de Bruxelles : Paris doit prendre ses responsabilités afin de poursuivre les changements indispensables. En revanche, dans une Europe économiquement atone avec une demande déprimée et 25 % des jeunes au chômage, relèvent spécialement de l’Union par exemple le soutien aux investissements, une gestion active de la politique de change, l’adoption d’une nouvelle stratégie énergétique ou d’une nouvelle politique de la concurrence. Oui, tout cela relève de l’Union et doit fortement être réorienté. Quant à la politique extérieure de l’Union, nous la souhaitons et nous la soutenons car, contrairement à ce que je lis parfois, nous la voulons active, vigoureuse, ambitieuse même, nous demandons qu’elle s’intéresse à la fois au Sud et à l’Est, à tous les continents, et qu’elle sache accompagner la France, comme la France doit savoir l’accompagner.

Notre quatrième et dernier grand objectif extérieur concerne le rayonnement et le redressement économique de notre pays. Bien sûr, ce sont les entreprises qui créent les richesses, mais vous aussi, représentants de l’État, vous êtes comptables du redressement économique, et les réformes apportées au Quai d’Orsay ces derniers temps doivent faciliter l’action en ce sens. Notre compétitivité nationale doit s’améliorer en Europe ainsi que hors d’Europe. Le secrétaire d’État, Thomas Thévenoud, aura notamment pour mission, avec vous tous, de se concentrer sur le redressement du commerce extérieur. Lorsqu’on mesure par exemple notre déficit massif avec l’Allemagne (le deuxième du monde après la Chine) ou bien notre déficit de 1,5 mds d’euros pour le seul secteur agro-alimentaire avec les Pays-Bas, ou encore les efforts qui nous restent à accomplir par rapport à l’Asie, au Brésil ou aux pays du Golfe - je pourrais allonger la liste -, chacun de vous est concerné. Il n’y a pas de « petit » poste. Il n’y a pas de déficit incompressible ou d’excédent satisfaisant. Notre mot d’ordre, c’est la mobilisation générale et ordonnée. Ce redressement économique, souhaité et soutenu par nos compatriotes français à l’étranger, doit être aidé par tous les autres outils dont nous disposons pour notre rayonnement. Inversement, il constitue la meilleure contribution qui puisse être apportée à ce rayonnement. C’est en cela aussi que notre diplomatie est globale.

Mesdames et Messieurs,
Pour atteindre ces quatre objectifs, je parlerai volontiers d’une méthode ou même d’un style de notre diplomatie : décider, décider juste, décider ensemble et décider fermement.
Décider, c’est-à-dire éviter le piège du fatalisme ou de la résignation. Les États - je l’ai relevé - ne peuvent plus tout faire et tout faire seuls, mais ils restent au centre de l’action, parce qu’ils sont encore les principaux dépositaires de la légitimité, y compris pour l’usage de la force, et les garants de la stabilité. Lorsque la France décide d’intervenir au Mali ou en Centrafrique, lorsqu’elle décide de voter pour que la Palestine devienne un État observateur non-membre de l’ONU, lorsqu’elle décide de soutenir l’opposition modérée en Syrie à la fois contre les groupes terroristes et contre la dictature de Bachar Al-Assad, dont je note en passant qu’il les a longtemps encouragés et qu’il n’est pas devenu notre partenaire sous prétexte qu’il les combattrait maintenant, lorsqu’elle décide de réorienter son action et ses moyens diplomatiques vers les États asiatiques, africains et sud-américains, lorsqu’elle décide de renforcer l’armée libanaise garante de l’unité de ce pays ami, ou de livrer des armes en Irak pour résister à la menace terrible qui frappe les minorités, à travers toutes ces décisions et beaucoup d’autres la France ne se résigne pas, elle ne s’aligne pas, elle contribue à la sécurité, à la stabilité et au progrès.
Décider juste - c’est une deuxième exigence -. Dans ce domaine, il n’existe malheureusement pas de certitude absolue. Au moins sait-on que les coûts associés à toute action augmentent à mesure qu’on tarde pour la décider : ainsi de la crise de l’Euro. La procrastination ou l’inaction envoient de mauvais signaux à ceux, ils sont nombreux, qui guettent pour bafouer le droit, violer les frontières, défier l’ordre mondial ou, plus simplement, porter atteinte à nos intérêts. Qui dira par exemple l’impact qu’a exercé la renonciation aux frappes contre Bachar Al-Assad fin août 2013 sur le comportement ultérieur du président russe en Crimée ou dans l’est ukrainien ? En même temps, décider juste implique de comprendre qu’aucun acteur étatique ou multilatéral n’a plus désormais la capacité d’imposer seul et de l’extérieur les réformes nécessaires aux gouvernements pour qu’ils reprennent la main. Les grands exercices de remodelage menés de l’extérieur après les deux guerres mondiales ou la décolonisation ne sont plus possibles : Libye, Syrie, Irak, Ukraine, Bosnie, Centrafrique, les progrès se feront à la fois par une approche internationale et, au cas par cas, avec les parties prenantes de l’intérieur. Décider juste, c’est favoriser ces progrès et les accompagner.

Une troisième exigence doit être de décider collectif. Il nous faut travailler de plus en plus en réseau. Le réseau européen : le multilatéralisme organisé que nous recherchons a besoin d’une Europe qui s’affirme. Le réseau francophone, qui doit être lui aussi mobilisé. Le réseau euro-arabe. Le réseau du P3 (les États-Unis, le Royaume-Uni et la France). Le réseau du P5. Le réseau de l’Alliance Atlantique. Le réseau du G20 et du G8 devenu, de plus en plus, le G 7. Le réseau des ONG. Le réseau des collectivités territoriales. Il nous faut diversifier nos réseaux d’influence et nos effets de levier, sachant que la France dispose d’un atout exceptionnel et reconnu : son indépendance politique et son souci de l’universel.

Enfin, décider ferme. L’exemple en est donné par nos choix en matière de lutte contre le terrorisme et je salue tous les services qui mènent cette lutte de manière remarquable. Nous menons cette lutte sur le plan intérieur et sur le plan extérieur. La communauté internationale doit pratiquer d’urgence contre le terrorisme une lutte coordonnée et sans faiblesse, en particulier contre le désormais fameux « État islamique ». Une action de force, par des moyens de renseignement et militaires. Une action financière, en asséchant les sources. Une action politique, au nom de l’unité et de l’intégrité des pays concernés. Une action sociale, en soutenant les populations déshéritées et en les éloignant de cette monstrueuse excroissance. Une action régionale, une action européenne, qui a vocation à être partagée par la communauté internationale tout entière, y compris la Chine et la Russie. Cette stratégie ferme et coordonnée est indispensable, dès lors que ce groupe ne vise ni plus ni moins qu’à soumettre ou tuer tous ceux qui ne pensent pas comme lui.

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Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Il y a quelques mois notre maison a connu un changement de dénomination et de périmètre. Vous l’avez pleinement assumé. Le ministère des affaires étrangères et du développement International est désormais en charge, outre ses attributions traditionnelles, du commerce extérieur et de la promotion du tourisme. Cette extension, que j’ai souhaitée, vient compléter une évolution entamée depuis 2012 : déjà à l’époque la suppression du ministère de la coopération au profit d’une compétence géographique étendue du Quai d’Orsay, le plein rattachement à notre Département à la fois des affaires européennes, du développement, de la francophonie et des Français de l’étranger, l’accent mis sur la diplomatie économique sous l’impulsion de Jacques Maire, tout cela avait amorcé le changement. La nouvelle dénomination du ministère et les actions concrètes que nous conduisons et allons conduire complètent cette orientation : le Quai d’Orsay devient ainsi le ministère de l’action extérieure de l’État avec les outils correspondants, cependant que vous êtes vous-mêmes, dans chaque pays, les premiers acteurs et coordonnateurs uniques de notre diplomatie globale.

S’agissant du ministère, sa compétence économique et financière est confirmée. Pour la raison simple et évidente qu’il n’existe pas désormais de rayonnement politique durable sans redressement économique, et que celui-ci dépend à la fois de notre dynamisme à l’étranger et de l’attractivité de notre propre territoire. Concrètement, le commerce extérieur relève de notre maison, le tourisme également, une convention pratique a été passée entre le secrétaire général du Quai d’Orsay et le directeur général du Trésor, cependant qu’Ubifrance et l’AFII fusionnées, ainsi qu’Atout France, sont désormais placés sous notre co-tutelle. Il en ira de même pour le grand opérateur de l’expertise technique internationale qui verra bientôt le jour. Désormais, dans chaque direction géographique de notre Ministère, le directeur-adjoint sera directement responsable de l’économie.

Succédant à Pierre Sellal, que je félicite pour son action, le nouveau Secrétaire général du Quai d’Orsay, Christian Masset, auquel je souhaite plein succès, y veillera. Et le connaissant je sais qu’il réussira. Et j’ai nommé Rémy Rioux, venu de Bercy, comme Secrétaire général adjoint spécialement chargé de suivre la transversalité de notre action économique. Pour le tourisme, qui est un secteur majeur, un conseil de promotion du tourisme se tiendra désormais régulièrement sous ma présidence, le président Délégué en sera votre ancien collègue Philippe Faure. Ce conseil comprendra les ministres et secrétaires d’État concernés par le tourisme ainsi qu’une vingtaine de personnalités spécialistes de ces questions. Il tiendra sa première réunion mercredi prochain. Une conférence nationale du tourisme réunira chaque année l’ensemble des professionnels.

Mais attention, il ne faut pas qu’il y ait confusion. Cette diplomatie économique ne doit en aucun cas nous conduire, vous conduire à négliger les autres aspects, tout aussi nécessaires à notre diplomatie globale. C’est en effet une caractéristique de votre action - et un de ses exceptionnels intérêts - que de devoir être multifacette. Chaque discipline renforce l’autre. La diplomatie stratégique est essentielle (les alliances, la sécurité, les partenariats politiques…), mais le sont aussi la diplomatie culturelle et éducative (les échanges d’étudiants, le développement de la francophonie, les années croisées, notre audiovisuel extérieur…), la diplomatie scientifique, la diplomatie sportive et la diplomatie économique. Nous devons jouer, vous devez jouer, sur la pluralité des registres. La France possède le premier réseau culturel du monde, le troisième réseau diplomatique, elle est le pays qui accueille le plus de touristes étrangers, notre langue est un atout universel, notre aide publique au développement nous situe parmi les premiers, notre expertise également : tout cela participe à notre action extérieure. Le ministère en est la plaque tournante et vous, mesdames et messieurs les ambassadeurs, vous en êtes les premiers relais et les premiers acteurs. C’est cette diplomatie, globale par son champ géographique et disciplinaire, que la République vous confie.

Avec des priorités particulières pour la période qui vient. J’ai rappelé les objectifs généraux de notre politique extérieure : paix et sécurité, organisation et préservation de la planète, relance et réorientation de l’Europe, rayonnement et redressement économique de la France. Dans ce cadre, comme ambassadeurs - c’est là-dessus que je terminerai - je vous fixe pour la période qui vient cinq tâches spécifiques qui devront faire l’objet de votre part d’initiatives et d’évaluations permanentes, en tenant compte de la diversité des postes. Dans l’ancien temps, les artistes signaient leurs œuvres de leur nom et ajoutaient parfois le mot latin « fecit » : un tel a fait. Eh bien, c’est un peu la même démarche que je vous propose, moins artistique sans doute, mais aussi précise.

D’abord F, pour francophonie. La pratique du français dans les écoles, dans les universités, dans les médias, dans la société : vous en êtes comptables. La secrétaire d’État Annick Girardin a fixé des orientations claires. Le Sommet de la francophonie se tiendra à Dakar en novembre. Jacques Attali vient de remettre ses propositions, très stimulantes. J’attends de vous que vous agissiez par et pour la francophonie au sens large, c’est-à-dire aussi bien à travers nos échanges culturels et d’étudiants, nos Instituts, nos Alliances françaises, nos enseignements, nos artistes, nos scientifiques, nos industries culturelles et créatives, notre politique de développement, tous outils excellents de rayonnement. J’attends de vous que progresse la francophonie du pays dont vous avez la charge et que cela soit pour vous une préoccupation permanente. L’un de nous avait hier une formule heureuse : « la culture, ce n’est pas ou pas seulement un divertissement, disait-il, c’est un avertissement », oui un avertissement que l’autre existe, que la vraie richesse naît de l’échange, que l’uniformité, l’enrégimentement, l’obscurantisme ne sont pas fatals. Eh bien, la francophonie telle que nous l’entendons, la langue, la culture, les échanges et les valeurs francophones, constituent aussi cet avertissement.

E, pour entreprises, qu’il s’agisse des entreprises françaises à l’étranger ou de l’inverse - surtout les entreprises moyennes venant de France car c’est là que le bât blesse. Votre porte doit toujours être ouverte pour elles, mais n’attendez pas qu’elles se présentent à vous ou à vos services : avec les outils concernés et qui sont désormais réformés et coordonnés, vous devez être à l’initiative, afin que se rétablisse le plus vite possible notre balance extérieure - vrai juge de paix de notre compétitivité. Cela passe par une action quotidienne de votre part en direction des entreprises. Je ne vous demande pas d’expliquer pourquoi notre place économique n’est pas meilleure, je vous demande d’agir pour qu’elle soit meilleure.

C, pour climat, car, comme cela a été indiqué, le dérèglement climatique sera en 2015 le thème de la grande conférence de Paris. Environ cinquante mille participants (25 000 délégués et 25 000 autres personnes). L’objectif est de limiter la hausse des températures à 2° en décarbonant les activités. Après le sommet ONU du 23 septembre et à la suite de nos amis péruviens en décembre 2014, la présidence de « Paris Climat 2015 » nous sera confiée, à notre maison en particulier. La tâche est complexe et enthousiasmante. Sur la base des orientations qui vous seront données, vous aurez pour mission de préparer cette conférence auprès de chacun de vos pays de résidence, de signaler les difficultés, de faciliter les accords, de promouvoir la solidarité afin d’accompagner les pays les plus vulnérables. Le monde compte sur le réseau diplomatique français pour éviter le chaos climatique.

I, pour investissements, singulièrement les investissements étrangers en direction de la France. Par vos fonctions, par votre entregent, vous êtes les mieux placés pour favoriser les investissements sur notre sol des personnes physiques ou morales de votre pays d’affectation. Ce doit être une préoccupation constante de votre part ainsi que des services placés sous votre autorité : un peu moins de macroéconomie mais davantage de microéconomie, d’investissements, de créations d’entreprises et d’emplois en France. Vous agirez en liaison notamment avec l’AFII et Ubifrance fusionnées, avec la direction compétente du Quai d’Orsay, avec la direction générale du Trésor, avec les régions. À vous de prendre toutes les initiatives souhaitable et de veiller à leur concrétisation.

Enfin, T pour tourisme, secteur décisif, qui peut encore beaucoup progresser et apporter à notre pays davantage de devises et d’emplois non délocalisables. Je vous demande d’être très dynamiques dans ce domaine, en facilitant l’octroi plus rapide de visas, en assurant la promotion des destinations et des atouts français, en étant attentifs aux transports et à l’accueil, etc… Là aussi, un objectif : l’amélioration de nos résultats. Dans la plupart des pays, européens ou non, le tourisme va se développer en lien avec l’élévation du niveau de vie et avec la mondialisation des échanges. Aujourd’hui 1 milliard de touristes, dans une quinzaine d’années 2 milliards : nous devons, outre les touristes français qui sont majoritaires, capter le plus grand nombre possible de visiteurs étrangers par rapport à nos concurrents, bien les accueillir, leur faire découvrir puis savourer la diversité de nos régions et de nos atouts en métropole et Outre-mer. Ce secteur a longtemps été considéré comme marginal (d’où l’expression française triviale et malheureusement révélatrice : « celui-là, c’est un touriste ») : énorme contre-sens ! Le tourisme est par définition l’ambassadeur de la France. Nous le savourerons dès ce samedi sous l’angle gastronomique, avec « le déjeuner des ambassadeurs » que de grands chefs français prépareront pour vous et pour vos collègues ambassadeurs étrangers.
De même, le 19 mars de l’an prochain, la grande opération « Goût de France » pour plus de 1000 restaurants sur les 5 continents et dans toutes nos ambassades mettra à l’honneur le « repas à la française ». Le tourisme 2014 a été difficile, mais c’est peut-être le domaine qui peut apporter à notre pays les résultats les plus rapides et les plus spectaculaires. Son succès commence avec vous et chez vous. Je vous demande - il est des tâches plus pénibles ! - de vous en saisir sans délai.

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Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Voilà votre feuille de route. Elle est vaste. Elle nécessite des moyens. Le Quai d’Orsay prend part, comme c’est normal, aux efforts de redressement des comptes publics, indispensables pour défendre la souveraineté de la France, mais il faut rester très attentifs - et je le suis dans les arbitrages - aux moyens dont nous disposons.
Cette feuille de route est exigeante. Exigence est d’ailleurs le mot-clé. Vous devez être exigeants avec vous-même car c’est ce qu’on attend d’un responsable. À cette condition, nous pouvons être exigeants avec nos collaborateurs, - nous le sommes - et je veux, quelle que soit leur fonction, leur rendre un hommage très particulier pour leurs hautes compétences et leur grand sens de l’État.

Le Quai d’Orsay est une institution magnifique et ses collaborateurs font honneur à notre nation. Nous sommes en train de renforcer cette maison et de l’adapter afin qu’elle remplisse pleinement son rôle au cœur du nouveau monde et du nouveau siècle. Sur vos épaules repose l’action extérieure de la France. Je vous félicite de ce que vous faites pour elle. J’ai une confiance totale en vous.

Merci !