La séance est ouverte à 10 heures.

Le Président (parle en anglais) : Conformément à l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite Mme Kyung-wha Kang, Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence, à participer à la présente séance.

Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.

J’appelle l’attention des membres du Conseil sur le document S/2014/611, qui contient le rapport du Secrétaire général sur l’application des résolutions 2139 (2014) et 2165 (2014) du Conseil de sécurité.

Je donne maintenant la parole à Mme Kyung-wha Kang.

Mme Kyung-wha Kang, Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, ainsi que le Conseil, de me donner l’occasion de faire cette déclaration au nom de Mme Valerie Amos, Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et Coordonnatrice des secours d’urgence.

Il y a déjà six mois que la résolution 2139 (2014) été adoptée en vue d’inciter les parties au conflit en Syrie à respecter les obligations juridiques internationales de base et d’alléger les souffrances des populations prises dans le conflit. Au cours de ces six derniers mois, les souffrances des Syriens se sont aggravées au lieu de diminuer. La violence et le conflit se poursuivent sans relâche, faisant encore plus de morts parmi les hommes, les femmes et les enfants. Le tissu social et économique du pays a été réduit en haillons. Selon les données en provenance de diverses sources réunies par des organisations de défense des droits de l’homme, le mois de juillet 2014 a été particulièrement difficile pour les civils depuis le début du conflit en Syrie. Plus de 1000 civils ont été blessés ou tués. Le 22 août, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme a publié une estimation actualisée du nombre de victimes. En avril 2014, on comptait déjà plus de 191000 morts depuis le début du conflit. Et aussi choquant que ce chiffre puisse paraître, ce n’est qu’un minimum. Le bilan est sans doute bien plus élevé.

Dans la province d’Alep, on a relevé une augmentation marquée de l’utilisation par le Gouvernement de barils explosifs dans des quartiers résidentiels où des civils, dont des femmes et des enfants, n’ayant aucun moyen de partir, continuent de lutter pour survivre. Les provinces de Deraa, de Hama et d’Edleb continuent d’être particulièrement touchées par les barils explosifs. À Deraa par exemple, plus de 30 barils explosifs auraient été largués sur la localité de Dael entre les 22 et 31 juillet, tuant 10 civils dont cinq enfants. Des groupes extrémistes et de l’opposition ont continué d’attaquer des zones résidentielles, que ce soit au mortier, à l’artillerie ou à la voiture piégée, tuant et blessant des dizaines de personnes, dont des enfants. Près de 225 mortiers et missiles ont ciblé Damas, la capitale, entre les 3 et 7 août : plus de 17 personnes ont été tuées et une centaine au moins ont été blessées, dont des enfants.

Le châtiment collectif de civils continue, en violation flagrante des principes les plus fondamentaux du droit international humanitaire. À Alep, près d’un million de personnes sont privées d’eau en raison des attaques perpétrées contre des infrastructures vitales. À plusieurs reprises, le Front islamique a coupé l’approvisionnement en eau d’une zone d’Alep où se trouvent des personnes déplacées. Les installations médicales et leur personnel continuent également d’être visés, et le nombre de personnes qui fuient la Syrie en quête de sécurité continue d’augmenter. Près d’un Syrien sur deux est soit déplacé à l’intérieur du pays soit réfugié.

L’État islamique en Iraq et au Levant (EIIL), qui a avancé jusqu’au centre de la Syrie, inflige aux civils non protégés un niveau de violence sans précédent. Ce groupe continue de commettre des atrocités indicibles contre ceux qui lui résistent. Dans la province de Deir el-Zor, par exemple, plus de 700 membres de la tribu arabe Al-Cheitaat auraient été tués ces deux dernières semaines par des militants de l’EIIL qui les accusaient d’apostasie. Certains auraient été décapités ou crucifiés. Des rapports indiquent que des femmes de cette tribu seraient vendues sur des marchés en Iraq.

Face à cette impunité totale, les violations graves des droits de l’homme sont devenues la norme en Syrie. Les parties au conflit oublient leurs obligations de protéger les civils et de respecter le droit international humanitaire. Elles continuent de commettre de terribles crimes contre les civils, jeunes et vieux, hommes et femmes. Les auteurs de ces actes devront en répondre. Il faut mettre fin à l’impunité.

Pour la première fois en six mois, il y a eu, au cours du dernier mois, des améliorations au niveau de l’accès humanitaire. Grâce à l’adoption par le Conseil de la résolution 2165 (2014), nous avons accès à un plus grand nombre de personnes dans le besoin et se trouvant dans des zones difficiles à atteindre. Le mécanisme de surveillance est désormais opérationnel aux trois postes frontière de Bab el-Haoua, Bab el-Salam et Ramtha. Le déploiement d’équipes d’observateurs en Iraq n’a pas pu avoir lieu en raison de l’insécurité dans le nord-ouest du pays, mais nous continuons de suivre la situation.

L’accès au travers des frontières a permis d’atteindre plus facilement les provinces d’Alep, de Deraa, de Rif-Damas, d’Edleb, de Quneitra et de Lattaquié. En application de la résolution 2165 (2014), l’ONU a envoyé neuf cargaisons en Syrie depuis les pays voisins. Sept de ces cargaisons ont été envoyées depuis la Turquie – quatre ont emprunté le poste frontière de Bab el-Salam et trois le poste frontière de Ramtha ; les deux autres ont été envoyées depuis la Jordanie via le poste frontière de Ramtha. Ces cargaisons ont fourni une aide alimentaire à 69 500 personnes environ, des articles non alimentaires à près de 120 000 personnes, de l’eau et des articles d’hygiène à environ 82 500 personnes et des fournitures médicales à près de 190 000 personnes, dont des articles chirurgicaux à 700 personnes. Toutes les cargaisons sont arrivées à destination sans incident et la distribution des articles de secours est en cours.

Ces cargaisons ont pu être envoyées grâce à la pleine coopération des Gouvernements turc et jordanien. Le Gouvernement syrien a été informé 48 heures à l’avance du passage des cargaisons et de leur caractère humanitaire. D’autres cargaisons devraient être envoyées au cours des prochains mois, en coordination avec l’équipe humanitaire à Damas, conformément à la démarche adoptée par l’ONU, visant à couvrir toute la Syrie, l’accès au travers des lignes de conflit et des frontières se complétant pour atteindre le plus grand nombre possible de personnes ayant besoin d’aide.

De nouveaux points d’accès ont également été ouverts dans les lignes de conflit, notamment dans les zones rurales de l’est de la province d’Alep, dans la province de Deraa et dans le Rif-Damas, y compris des zones assiégées. De la nourriture a été distribuée à près de 97 500 personnes dans toute la province d’Alep et à 10 000 civils pris au piège dans des zones rurales contrôlées par l’opposition dans la province de Deraa, notamment à Yadudeh, Tal Shihab et Zayzun, qui n’avaient pas reçu d’aide depuis le début du conflit.

Il convient de noter que des fournitures médicales, dont des articles chirurgicaux, ont pu parvenir à plusieurs zones détenues par l’opposition au cours de ce mois, principalement par un accès au travers des lignes de conflit. Environ 10 tonnes d’articles chirurgicaux et de médicaments pour maladies chroniques pour 22 300 personnes ont été livrés à des hôpitaux de l’est de la ville d’Alep. Dans le camp de Yarmouk, les autorités syriennes ont autorisé la distribution de fournitures médicales, y compris des antibiotiques et des médicaments contre les maladies non transmissibles. Le 28 juillet, l’Organisation mondiale de la Santé et le Croissant-Rouge arabe syrien ont apporté 5 tonnes d’assistance médicale à la zone assiégée de Moudamiyet el-Cham, dans le Rif-Damas, afin d’aider 24 000 personnes dans le besoin. D’autres livraisons ont été faites dans les zones difficiles d’accès des provinces de Raqqa, Deir el-Zor et Hassaké.

Malgré ces progrès, les parties doivent faire bien plus pour garantir un accès rapide, régulier, en toute sécurité et sans entrave. Il y a 241 000 personnes qui se trouvent toujours dans des zones assiégées. Les obstacles administratifs imposés par le Gouvernement syrien continuent d’entraver l’acheminement de l’aide. Les gouverneurs ne sont toujours pas autorisés à approuver la distribution de l’aide humanitaire sans avoir au préalable consulté Damas. Les contraintes opérationnelles imposées aux organisations non gouvernementales n’ont pas été levées. Des groupes terroristes désignés, ainsi que des groupes d’opposition armés continuent de bloquer l’accès aux provinces orientales de la Syrie, difficiles d’accès. L’État islamique d’Iraq et du Levant et le Front el-Nosra gagnent du terrain en direction des postes frontière de Bab el-Salam et de Bal el-Haoua, le long des principales voies d’accès en Syrie. Cela pourrait menacer les opérations transfrontalières autorisées par la résolution 2165 (2014).

Je dois souligner que la situation concernant le financement des opérations humanitaires en Syrie est terrible. Le Plan d’aide humanitaire pour la Syrie est gravement sous-financé ; il n’est financé qu’à 30 %. Le Plan de gestion régionale de la situation des réfugiés syriens est financé à 45 %. Cela accentue les difficultés auxquelles nous nous heurtons pour ce qui est d’aider les personnes dans le besoin.

L’insécurité fait encourir un grave risque à nos activités et à notre personnel. La semaine dernière, nous avons célébré la Journée mondiale de l’aide humanitaire. Ce fut l’occasion de nous rappeler que des travailleurs humanitaires mettent leur vie en danger chaque jour pour fournir une aide à ceux qui en ont désespérément besoin en Syrie. Le 6 août, un convoi du Programme alimentaire mondial composé de 18 camions se dirigeant vers Deir Zor et Raqqa a été attaqué par un groupe inconnu. Deux chauffeurs de camion ont été tués et deux ont été blessés, et le contenu de quatre camions a été endommagé ou détruit. Depuis mars 2011, 62 travailleurs humanitaires ont été tués, dont 38 membres et volontaires du Croissant- Rouge arabe syrien, 15 membres du personnel des Nations Unies – dont 13 personnes travaillant à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient – et deux membres d’organisations non gouvernementales.

Les travailleurs humanitaires ne devraient pas avoir à risquer leur vie pour en sauver d’autres. Je rappelle au Conseil que toutes les parties sont tenues d’assurer la sécurité et la sûreté des personnes participant à des opérations humanitaires.

Les progrès faits concernant l’accès au cours du mois écoulé montrent que lorsqu’il existe une volonté politique, il est possible d’améliorer la situation de millions de civils en Syrie. Nous devons tous redoubler d’efforts jusqu’à ce que nous ayons accès à toutes les personnes ayant besoin d’une aide humanitaire.

Chaque jour, de nouvelles vies sont perdues et de nouvelles familles et communautés détruites. La montée de groupes extrémistes, qui méprisent totalement les normes d’humanité les plus fondamentales, menace ce qui reste de laïcité et de tolérance en Syrie. Aujourd’hui plus que jamais, le Conseil doit tout mettre en œuvre pour faire cesser ce conflit et veiller à ce que l’accès humanitaire s’améliore afin que nous puissions atteindre tous ceux qui ont désespérément besoin d’aide en Syrie. Les organismes humanitaires des Nations Unies et nos partenaires mettent tout en œuvre pour répondre à ces besoins. Cependant, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, la solution à cette crise ne dépend pas de nous.

Le Président (parle en anglais) : Je remercie Mme Kang de son exposé.

J’invite à présent les membres du Conseil à poursuivre le débat sur la question dans le cadre de consultations.

La séance est levée à 10 h 15.