Voici l’entretien intégral. France2 a choisi d’en diffuser 14 minutes sur 24 lors de son Journal de 20h. La rédaction l’a précédé d’un reportage relatant la version officielle française des événements, très éloignée de la réalité, mais elle n’a pas cherché à manipuler les propos du président el-Assad et s’est contentée de sélectionner les thèmes abordés sans les modifier. Ainsi a-t-elle écarté ses critiques sur la place actuelle de la France dans le monde ou sa mise au point sur la coopération militaire syro-iranienne.

La direction de France2 nous a demandé de retirer les vidéos que nous avions mises en ligne sur cette page

Texte de l’entretien intégral

David Pujadas : Bonsoir Monsieur le président. Je voudrais commencer cette interview sans détour. Pour une grande partie de la France, vous êtes en large partie responsable du chaos qui règne en Syrie à cause de la brutalité de la répression qui a été menée ici depuis 4 ans. Pour vous quelle est votre part de responsabilité ?

Bachar el-Assad : Dès les premières semaines du conflit, les terroristes se sont infiltrés dans la situation en Syrie avec l’appui d’États occidentaux et régionaux. Ils ont commencé à attaquer les civils et à détruire des propriétés publiques et privées. Tout ceci est sur internet, et ce sont eux qui ont mis ces vidéos en ligne, pas nous. Notre rôle en tant que gouvernement est de défendre notre société et nos citoyens. Si ce que vous venez de dire était vrai, comment un gouvernement ou un président qui a agi de façon brutale envers sa population, tué ses concitoyens et affronté les pays et les forces politiques les plus puissants au monde bénéficiant des pétrodollars des pays du Golfe, comment un tel président peut-il bien résister pendant quatre ans ? Est-il possible d’avoir le soutien de son peuple quand on est brutal avec lui ?

David Pujadas : Au départ, il y avait des dizaines de milliers de personnes dans les rues, est-ce qu’ils étaient tous djihadistes ?

Bachar el-Assad : Non, bien sûr que non. Mais l’autre question que l’on doit poser est la suivante : Si le premier policier a été tué au sixième jour du conflit, comment a-t-il été tué ? Par les manifestations pacifiques ? ou par les haut-parleurs des manifestants ? Il a été tué par des terroristes. Quelqu’un a pris une arme à feu et a tiré sur ce policier. Peu importe qu’il soit djihadiste ou pas. C’est un terroriste car il a tué un policier.

David Pujadas : Peut-être il y a eu des djihadistes ou des terroristes, mais nos reporters, à l’époque, étaient sur place et ils ont rencontré beaucoup de gens qui leurs disaient :”Nous voulons plus de liberté et plus de démocratie”. Ce n’était pas des terroristes ou des djihadistes.

Bachar el-Assad : Toute personne a assurément le droit de réclamer la liberté, et tout gouvernement doit appuyer la liberté, conformément à la constitution. Mais la liberté signifie-t-elle qu’on tue les civils et les policiers ? Qu’on détruise les écoles et les hôpitaux, l’électricité… les infrastructures ? Tout cela n’appartient pas au gouvernement, mais au Peuple syrien. Ce n’est pas au gouvernement, ce n’est pas à moi. C’est une propriété publique. C’est ça ce que vous entendez par liberté ?

David Pujadas : Vous savez que beaucoup de journalistes et d’analystes disent que vous avez favorisé l’émergence de l’organisation État islamique parce que c’est une opportunité pour vous d’apparaître comme un bouclier, comme un rempart.

Bachar el-Assad : Mais l’ÉI a été créé en Irak en 2006 sous la supervision des États-uniens. Je ne suis pas en Irak. Je n’y ai jamais été. Je ne contrôlais pas l’Irak. Ce sont les États-uniens qui contrôlaient l’Irak. L’ÉI est venu d’Irak en Syrie, car le chaos est contagieux. (Quand le chaos est à votre porte), vous devez vous attendre à ce qu’il entre chez vous.

David Pujadas : Mais ce n’était pas l’OÉI au départ…

Bachar el-Assad : Laissez-moi continuer. Lorsqu’il y a le chaos dans un pays, il devient un terrain fertile pour y faire venir les terroristes. Ainsi, lorsqu’il y a eu le chaos en Syrie, l’ÉI est venu en Syrie. Avant l’ÉI, il y avait le front Al-Nosra, qui fait partie d’Al-Qaïda. Et auparavant, il y avait les Frères musulmans. Ils constituent tous le socle sur lequel s’est appuyé l’ÉI pour faire son apparition.

David Pujadas : Alors, vous n’assumez aucune responsabilité pour ce qui s’est passé ces dernières années ?

Bachar el-Assad : Normalement les choses ne sont pas absolues. Il n’est pas précis de dire qu’on n’assume pas une responsabilité, car chacun a une part de responsabilité. Nous autres en Syrie, nous avons nos problèmes. Le gouvernement est responsable. Chacun d’entre nous est responsable. Tout citoyen syrien est responsable. Mais là je parle de ce qui a amené l’ÉI en Syrie. Le chaos. Et votre gouvernement, ou si vous préférez qu’on le désigne par le terme “régime” comme ils le font pour nous, le régime français est responsable car il a soutenu ces djihadistes en les considérant comme une opposition modérée.

David Pujadas : La France soutient la coalition nationale syrienne. Sont-ils des terroristes ?

Bachar el-Assad : Ceux qui à l’heure actuelle reçoivent le soutien et possèdent des armes occidentales appartiennent à l’ÉI. Ils ont été armés et équipés par votre État et par d’autres pays occidentaux. Votre ministre de la Défense l’a déclaré publiquement au début de l’année en affirmant avoir envoyé des armes. Par conséquent, ceux que vous qualifiez de modérés ont diffusé en 2012, avant que l’ÉI n’apparaisse et que l’Occident ne reconnaisse l’existence même du Front Al-Nosra, une branche d’Al-Qaida, ils ont diffusé des vidéos dans lesquels ils dévoraient le cœur d’un soldat syrien, mutilaient les corps d’autres victimes, et en décapitaient d’autres. Ce sont eux qui ont diffusé ces images, pas nous. Comment pouvez-vous ignorer cette réalité, puisque ce sont eux qui diffusent de telles images et vous disent que telle est la réalité ?

David Pujadas : Parlons du présent. Il apparaît que l’armée syrienne continue à utiliser des armes aveugles qui ont des effets dévastateurs pour les civils pour la population, notamment les barils explosifs. Pourquoi poursuivez-vous cette stratégie ?

Bachar el-Assad : Nous n’avons jamais entendu parler au sein de notre armée d’armes aveugles. D’ailleurs aucune armée au monde, y compris la nôtre, n’accepterait d’utiliser des armes qui ne peuvent pas cibler avec précision, car elles n’auraient aucun intérêt, elles seraient inutiles d’un point de vue miliaire.

Par ailleurs, lorsque vous parlez de tueries aveugles qui ne font aucune discrimination entre civils et combattants, il ne s’agit pas d’armes mais de la manière dont vous faites usage de ces armes. La preuve, ce sont les drones utilisés par les États-uniens au Pakistan et en Afghanistan, qui tuent des civils beaucoup plus que des terroristes. Ce sont les armes les plus précises au monde. Ce n’est donc pas un problème de type de bombes. Nous avons des bombes conventionnelles et des armements classiques réguliers.

David Pujadas : Vous n’utilisez pas les barils explosifs ?

Bachar el-Assad : C’est quoi les barils explosifs ? Pouvez-vous me dire ce que c’est ?

Bachar el-Assad : Il y a plusieurs documents, plusieurs extraits de vidéos et des photos comme celles-ci où on peut voir un baril explosif largué d’un hélicoptère. C’est à Alep et Hama, il y a quelques mois, il y a un an. Seule l’armée syrienne possède des hélicoptères, quelle est votre réponse ?

Bachar el-Assad : Ce n’est pas une preuve. Ce sont deux images de deux choses différentes. Personne ne peut les relier l’une à l’autre.

David Pujadas : Alep et Hama

Bachar el-Assad : Alep et Hama

Non, non. Cette image que vous montrez, qu’est ce que c’est ? Je n’ai jamais vu une chose ce genre de chose dans notre armée. Je ne parle pas des hélicoptères. Je parle de ces deux photos. Qu’est-ce qui vous permet de les associer l’une à l’autre ?

David Pujadas : Est-ce que vous dites que se sont des photos ou des documents falsifiées ?

Bachar el-Assad : Non, il faut que ce soit vérifié. Mais dans notre armée, nous n’utilisons que des bombes conventionnelles qui nécessitent de viser. Nous n’avons aucun armement qui puisse être utilisé aveuglément. C’est tout.

David Pujadas : Mais se sont bien des hélicoptères, et seule l’armée syrienne en possède.

Bachar el-Assad : Oui, bien sûr. Je n’ai pas dit que nous n’avons pas d’hélicoptères, ni que nous ne les utilisons pas. Je parle des armes avec lesquelles nous visons les terroristes. À quoi bon tuer aveuglément ? Pourquoi tuer les civils ? La guerre en Syrie consiste à gagner le cœur des gens, et non à les tuer. Si vous tuer les gens, vous ne pouvez pas rester au gouvernement ou rester président. C’est impossible.

David Pujadas : Qu’en est-il des armes chimiques ? Il y a deux ans vous vous êtes engagé à ne plus utiliser d’armes chimiques. Avez-vous utilisé du gaz du Chlore durant la bataille d’Irbil le mois derniers ?

Bachar el-Assad : Non, c’est un autre faux récit donné par des gouvernements occidentaux. Pourquoi ? Parce que nous possédons deux usines de chlore. L’une a été fermée il y a plusieurs années et n’est plus donc opérationnelle, l’autre se trouve au Nord de la Syrie, et c’est l’usine la plus importante. Elle se situe sur la frontière avec la Turquie et se trouve sous le contrôle des terroristes depuis deux ans. Nous avons envoyé à l’ONU des documents officiels à ce sujet. Ils voulaient venir, et nous ont adressé une réponse officielle disant qu’il leur était impossible d’arriver jusqu’à cette usine. Par conséquent, le chlore en Syrie et sous le contrôle des groupes armés. Par ailleurs, ce ne sont pas des armes de destruction massive. Les armes conventionnelles que nous possédons sont beaucoup plus efficaces que le chlore. Nous n’avons donc pas besoin de l’utiliser de toute manière.

David Pujadas : Mais il y a eu des investigations et je pense que vous avez lu les rapports de Human Rights Watch concernant Idlib le mois dernier. Il y a eu trois attaques dans lesquelles on pouvait distinguer l’odeur du chlore, ainsi que des symptômes semblables à ceux de l’utilisation des gaz toxiques. Cela est cité dans le rapport. Ces attaques ont eu lieu dans des zones sous contrôle de l’opposition armée. Est-ce que Human Rights Watch ment ?

Bachar el-Assad : Nous n’avons pas utilisé le chlore, et nous n’en avons pas besoin. Nous avons nos armements classiques, et nous pouvons atteindre nos objectifs sans y avoir recours. Nous n’en avons pas besoin. Il n’y a aucune preuve

David Pujadas : Il y a des témoins de l’attaque et des témoignages de médecins

Bachar el-Assad : Non, non. En réponse à toutes les allégations concernant l’usage, dans le passé ou le présent, d’armes chimiques, c’est nous qui demandions toujours aux institutions internationales d’envoyer des délégations pour enquêter. C’était nous qui avons formulé cette demande et pas le camp adverse. Il y a deux ans, nos soldats ont été exposés au gaz sarin. Nous avons invité l’Onu à mener une enquête. Comment aurait-on pu le faire si c’était nous qui utilisons ce gaz ? Ce n’est pas vrai.

David Pujadas : Seriez- vous prêt à les inviter à nouveau à venir, concernant Idlib ?

Bachar el-Assad : Nous l’avons déjà fait. Nous le faisons toujours. Nous n’avons aucun problème à cet égard.

David Pujadas : Aujourd’hui il y a une coalition internationale avec à sa tête les États-Unis qui mène des bombardements aériens contre l’OÉI. Est-ce que pour vous c’est un problème, ou est-ce que c’est une aide ?

Bachar el-Assad : Ni l’un ni l’autre. Il n’y a bien entendu aucun problème à attaquer les terroristes. Mais si la coalition n’est pas sérieuse, cela ne nous aide pas.

David Pujadas : Pourquoi, elle n’est pas sérieuse ?

Bachar el-Assad : Si vous comparez le nombre de frappes aériennes effectuées par les forces de la Coalition composée de 60 États à celles que nous avons effectuées, nous petit État, vous constaterez que nous bombardons parfois 10 fois plus que la Coalition en l’espace d’une journée. Est-ce sérieux ? Ça leur a pris quatre mois pour libérer ce que leurs médias appellent la ville de Kobani, sur les frontières turques, malgré la présence de combattants syriens sur le terrain. Ils ne sont donc pas sérieux jusqu’à présent. Une autre preuve, c’est que l’ÉI s’est élargie en Syrie, en Irak, en Libye et dans la région en générale.

Comment pouvez donc dire que la coalition a été efficace ? Ils ne sont pas sérieux, c’est la raison pour laquelle ils n’aident personne dans cette région.

David Pujadas : La Coalition a effectué des milliers de frappes aériennes depuis le début de l’intervention. Mais la France fait des frappes uniquement en Irak. Voudriez-vous que la France rejoigne la Coalition pour frapper en Syrie ?

Bachar el-Assad : J’ai dit qu’ils ne sont pas sérieux de toute manière. On ne peut pas former une coalition contre le terrorisme et soutenir en même temps les terroristes. Ça nous est donc égal qu’ils frappent en Syrie, en Irak ou dans les deux à la fois, tant qu’ils continuent à soutenir ces mêmes terroristes en même temps. Ils envoient des armes à ces mêmes terroristes sous prétexte de soutenir l’opposition modérée. Au moment même où Obama a qualifié cette opposition d’illusoire. À qui donc vont ces armes réellement ? Aux terroristes. C’est contradictoire. C’est voué à l’échec.

David Pujadas : Vous avez un ennemi commun avec la France, l’OÉI. Est-ce que depuis les attentats du mois de janvier à Paris il y a des contacts entre vos services de renseignement et les services de renseignement français ?

Bachar el-Assad : Il y a des contacts, mais il n’y pas de… coopération.

David Pujadas : Que voulez-vous dire par contacts ?

Bachar el-Assad : Nous avons rencontré certains responsables de vos services de Renseignement, mais il n’y a point de coopération.

David Pujadas : Il n’y a pas d’échange d’informations ?

Bachar el-Assad : Non. Rien du tout.

David Pujadas : Alors, vous vous êtes réunis ?

Bachar el-Assad : Ce sont eux qui sont venus en Syrie, et pas nous qui sommes allés en France. Ils sont venus peut-être pour un échange d’informations. Mais lorsque vous souhaitez établir ce genre de coopération, ça doit être dans les deux sens : Nous les aidons, et ils nous aident en retour. Mais d’après vos politiques et celle du gouvernement français, il faudrait les aider alors qu’ils soutiennent les terroristes et tuent nos citoyens. Ça ne marche pas comme ça.

David Pujadas : Est-ce la France qui a demandé ces contacts avec vos services de Renseignement ?

Bachar el-Assad : Oui, nous les avons rencontrés. Il y a eu une réunion avec eux.

David Pujadas : Est –ce que c’était suite à une demande de la France ?

Bachar el-Assad : Oui. Nous, nous n’avons rien à demander aux services de Renseignement français. Nous disposons de tous les renseignements sur les terroristes.

David Pujadas : Il y a des centaines de Français qui sont venus se battre aux côtés du groupe État islamique. Est-ce que vous avez arrêté des Français ? Et est-ce qu’il y a des Français du groupe de l’État islamique qui sont détenus aujourd’hui dans vos prisons ?

Bachar el-Assad : Non, nous n’en avons aucun dans les prisons. Nous n’avons que des informations. La plupart de ces djihadistes viennent ici pour combattre, mourir et aller au paradis. Telle est leur idéologie. Ils ne sont donc pas prêts à aller dans les prisons, quelles qu’elles soient.

David Pujadas : Alors, il n’y en a aucun dans les prisons.

Bachar el-Assad : Non, nous n’en avons aucun dans nos prisons.

David Pujadas : Il y a aujourd’hui des gens en France et parmi eux des hommes politiques, des parlementaires notamment, vous en avez reçu quelques-uns ici… Ils disent qu’il faut renouer le dialogue avec vous. Quelle initiative seriez-vous prêt à prendre pour convaincre l’autre partie de la France et des français, que vous pouvez être un partenaire ?

Bachar el-Assad : Avec eux ?

David Pujadas : Avec la France ?

Bachar el-Assad : Ils doivent d’abord me convaincre qu’ils ne soutiennent pas les terroristes, et qu’ils ne sont pas impliqués dans l’effusion de sang en Syrie. Ce sont eux qui se sont trompés à l’égard de la Syrie. Nous n’avons tué aucun Français ni aucun Européen. Nous n’avons pas aidé les terroristes dans votre pays. Nous n’avons pas aidé ceux qui ont attaqué Charlie Hebdo. C’est vous qui avez aidé les terroristes. Par conséquent, votre pays, les responsables occidentaux doivent nous convaincre qu’ils ne soutiennent pas les terroristes. Mais nous sommes prêts à tout dialogue, prenant en considération le fait que ceci sera dans l’intérêt des citoyens syriens.

David Pujadas : Alors, actuellement vous n’êtes pas intéressé au dialogue avec les France ?

Bachar el-Assad : Non, nous sommes toujours intéressés au dialogue avec quiconque. Mais comment peut-on établir un dialogue avec un régime qui soutient le terrorisme dans notre pays. Et pour quelle raison ? Telle est la question. Lorsqu’ils changeront de politique, nous serons prêts pour le dialogue. Sans ça, le dialogue n’aura aucun but. Il n’y a pas de dialogue pour le dialogue. L’objectif est d’aboutir à certains résultats. Pour moi, le résultat serait que le gouvernement français cesse son appui aux terroristes dans mon pays.

David Pujadas : Alors, vous n’avez pas de message à adresser à Hollande en vue d’un dialogue ?

Bachar el-Assad : Je crois que le principal message qui doit lui être adressé doit l’être par le Peuple français. Les sondages en France montrent bien le message que Hollande devrait écouter davantage. À savoir, qu’il est le président le plus impopulaire depuis les années cinquante. Il devrait s’occuper de ses citoyens et les protéger des terroristes qui viennent en France. En ce qui me concerne, en tant que président qui souffre en Syrie avec ses citoyens de ce terrorisme, je pense que le message le plus important est que ce que vous avez vécu en France n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Quand on parle de terrorisme, sachez qu’il y a toute une montagne sous la mer. Soyez conscients que cette montagne s’en prendra à votre société.

David Pujadas : Le secrétaire d’État américain a dit que peut être il y aura un dialogue avec le président Bachar el-Assad, avant de revenir sur cette position. Vous aviez dit ce ne sont que des mots, et moi je voudrais entamer le dialogue, vous y êtes donc prêt ?

Bachar el-Assad : Bien sûr que nous sommes prêts. J’ai dit que nous sommes disposés à mener un dialogue avec tout pays dans le monde, y compris avec les grandes puissances… y compris avec la France. Mais j’ai dit que le dialogue doit s’appuyer sur une politique précise. Les fers de lance contre la Syrie ont été : un, la France, deux, le Royaume-Uni. Ce n’était pas les États-Unis cette fois au soutien des terroristes en Syrie. Obama a reconnu que l’opposition modérée en Syrie est une illusion.

David Pujadas : Il a dit que c’est illusoire de croire que nous pouvons les armer et qu’ils peuvent gagner la guerre, mais il n’a pas dit qu’il n’y a pas d’opposition modérée ?

Bachar el-Assad : Exactement. Que veut-il dire par “nous pouvons leur fournir des armes, et ils pourront gagner la guerre” ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Que signifie ce fantasme ? Ils ont dit qu’ils allaient armer l’opposition modérée. Pouvez vous me dire ce que c’est que cette opposition modérée ? Où est-elle ? Nous, nous ne la voyons pas. Nous vivons en Syrie et vous, vous vivez en France. Moi je vis ici et je ne vois pas cette opposition modérée pour la combattre, si nous devons la combattre. Elle n’existe pas.

David Pujadas : Vous dites qu’il y a un grand nombre de pays étrangers impliqués dans le conflit en Syrie. Mais est-ce que vous auriez pu, sans le soutien de l’Iran et de Hezbollah, combattre le terrorisme en ce moment ? C’est-à-dire vous avez condamnez les pays étrangers impliqués dans le conflit en Syrie, qu’en est-il du soutien iranien et de celui de Hezbollah ?

Bachar el-Assad : Il y a une grande différence entre l’intervention et l’invitation. Tout pays, tout gouvernement dans le monde, tout État a le droit d’inviter n’importe quel pays ou n’importe quel parti ou organisation à l’aider dans n’importe quel domaine. Mais nul pays n’a le droit d’intervenir sans y être invité. Nous avons invité Hezbollah, mais pas les Iraniens. Ils n’y a pas de troupes iraniennes en Syrie, et ils n’ont envoyé aucune force.

David Pujadas : Il n’y a pas d’Iraniens qui combattent à vos cotés ?

Bachar el-Assad : Non, non. Ils ne combattent pas. Nous avons avec l’Iran des relations régulières, et ce depuis plus de trente ans. Des commandants et des officiers vont et viennent entre les deux pays conformément à la coopération existant entre nous depuis bien longtemps. C’est différent que de participer aux combats. Ils ne combattent pas. En tant que gouvernement, nous avons droit à ce genre de collaboration. En revanche, la France et d’autre pays n’ont pas le droit de soutenir qui que ce soit dans notre pays. C’est une violation du droit international, de notre souveraineté et des valeurs dont ils se vantent, ou dont certains prétendent être fiers depuis des décennies, voire peut-être depuis des siècles ; et parmi lesquelles celle de la démocratie. Est-ce de la démocratie que d’envoyer des armes aux terroristes et de les appuyer ? Ai-je le droit de soutenir les terroristes qui ont attaqué Charlie Hebdo par exemple ?

David Pujadas : Vous savez ce que le Premier ministre français a dit, récemment, de vous ? Il a dit que vous êtes “un boucher” que répondriez-vous ?

Bachar el-Assad : Tout d’abord, je vais être franc avec vous. Personne ne prend plus aux sérieux les déclarations des responsables français. Pour une simple raison : c’est que la France est devenue en quelque sorte un satellite de la politique états-unienne dans la région. Elle n’est pas indépendante, et n’a aucun poids. Elle n’a plus aucune crédibilité.

Par ailleurs, En tant que responsable, je m’occupe toujours de l’opinion du peuple et des citoyens syriens. ce n’est pas la France ou un autre pays qui a fait de moi ce que je suis. Je suis là par la volonté des citoyens syriens, et c’est ça ce qui m’importe.

David Pujadas : Est-ce que vous pensez qu’un jour, réellement, vous gagnerez cette guerre et que tout redeviendra comme avant en Syrie ?

Bachar el-Assad : Non. Rien ne sera plus comme avant. Revenir au point de départ signifie que nous n’évoluons pas, et que nous n’avons pas tiré les bonnes leçons du conflit. Plusieurs leçons se dégagent de ce conflit. Nous devons les assimiler et faire en sorte que les choses s’améliorent, et non qu’elles reviennent comme avant. Il y a là une grande différence.

David Pujadas : Avec Bachar el-Assad à la tête du pays ?

Bachar el-Assad : Peu m’importe. Ce qui m’intéresse c’est ce que souhaite le peuple syrien. S’ils veulent Bachar el-Assad, il restera. S’ils ne veulent pas de lui, il quittera sur le champ. Je veux dire comment sera-t-il en mesure de gouverner sans l’appui de son peuple ? Il ne le pourra pas.

David Pujadas : Comment saviez-vous que vous jouissez d’un soutien populaire ?

Bachar el-Assad : D’abord, si je ne jouissais pas du soutien, le Peuple n’aurait pas soutenu l’Armée et on n’aurait pas pu résister pendant quatre ans. Comment pouvez-vous résister sans l’appui du Peuple ?

David Pujadas : Peut être, ils ont peur

Bachar el-Assad : Il y a 23 millions de Syriens. Comment peuvent-ils avoir peur d’une seule personne, ou d’un seul service de Renseignement, ou d’un seul gouvernement ? Ce n’est pas réaliste, et c’est insensé.

David Pujadas : Croyez-vous que la Syrie est une démocratie ? Croyez-vous vraiment que les gens peuvent dire ce qu’il veulent ?

Bachar el-Assad : Non. Nous étions sur la voie de la démocratie. C’est un long processus. Il n’y a pas un point que vous atteignez et vous dites “c’est ça la démocratie”. Si vous voulez nous comparer à l’Occident, à la France et à d’autres pays, je dirai “non”. Vous êtes certainement bien plus avancés que nous en raison de votre histoire et de plusieurs circonstances et facteurs. Mais si vous voulez nous comparer à votre ami le plus proche, l’Arabie saoudite, je dirai bien sûre que nous avons la démocratie. Ça dépend donc avec qui vous me comparez.

David Pujadas : Si vous aviez la certitude que votre départ signifierait la paix en Syrie, partiriez-vous ?

Bachar el-Assad : Sans hésitation. Si c’est le cas, je le ferai sans hésitation. Je quitterai le pouvoir. Si je suis la cause du conflit dans mon pays, je ne dois pas être là où je suis. C’est évident.

David Pujadas : Je voudrais vous montrer une autre photo. C’est Gilles Jacquier. Un journaliste dans notre chaîne France 2. Il a été tué en Syrie il y a 3 ans. Vous aviez promis de faire une enquête pour savoir qui l’a tué. Que pourriez-vous nous dire concernant cette investigation ?

Bachar el-Assad : Indépendamment des accusations qui nous ont été adressées à l’époque de l’avoir tué, il était dans un quartier résidentiel sous contrôle du gouvernement. Il a été tué par un obus mortier et non par balle. Il est évident que le gouvernement ne se serait pas bombardé, ni n’aurait bombardé les quartiers de ses propres partisans. Il est donc très clair, et tout le monde le sait, plusieurs médias français l’ont reconnu : il a été tué par un obus mortier tiré par ce que vous appelez l’opposition, alors qu’il s’agit en fait de terroristes. Il a sans aucun doute été tué par eux. Mais votre question était sur l’enquête ?

David Pujadas : Est-ce que seriez prêt à communiquer les résultats de ses investigations à la Justice française, peut-être même les preuves ?

Bachar el-Assad : Nous n’avons rien à prouver. Nous avons nos propres procédures légales ; et lorsqu’un crime est commis en Syrie, nous suivons ces procédures comme n’importe quel autre pays. En Syrie, nous avons un système judiciaire et ds procédures habituelles. Si vous voulez en savoir plus après cette interview, on peut vous renvoyer vers les autorités compétentes.

David Pujadas : Est-ce que seriez prêt à communiquer les résultats de ses investigations à la Justice française ?

Bachar el-Assad : Bien sûr, aucun problème.

David Pujadas : Est-ce que seriez prêt à laisser venir des enquêteurs français, des policiers ou des juges pour mener leur propre investigation ici en Syrie ?

Bachar el-Assad : Ça dépend de l’existence ou non d’un accord entre les deux gouvernements. S’il y a un accord, une convention ou un traité relatif au système judiciaire entre les deux pays et la coopération bilatérale dans ce domaine, il n’y a pas de problème. Ce n’est pas une décision politique.

David Pujadas : Merci Monsieur le président

Bachar el-Assad : C’est moi qui vous remercie.