Résolution 2222 (2015)

Le Conseil de sécurité,

Ayant présent à l’esprit que la Charte des Nations Unies lui assigne la responsabilité principale du maintien de la paix et la sécurité internationales, et soulignant qu’il importe de prendre des mesures pour prévenir et régler les conflits,

Réaffirmant ses résolutions 1265 (1999), 1296 (2000), 1674 (2006) et 1894 (2009), sur la protection des civils en période de conflit armé, et sa résolution 1738 (2006), sur la protection des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé, ainsi que ses autres résolutions et les déclarations de son Président ayant trait à la question,

Réaffirmant son attachement aux buts énoncés aux paragraphes 1 à 4 de l’Article 1 de la Charte des Nations Unies et aux principes énoncés aux paragraphes 1 à 7 de l’Article 2 de la Charte, notamment aux principes d’indépendance politique, d’égalité souveraine, d’intégrité territoriale et de respect de la souveraineté de tous les États,

Rappelant les Conventions de Genève en date du 12 août 1949, en particulier la troisième Convention de Genève en date du 12 août 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre et les Protocoles additionnels du 8 juin 1977, en particulier l’article 79 du Protocole additionnel I, relatif à la protection des journalistes en mission professionnelle périlleuse dans les zones de conflit armé,

Reconnaissant que du fait de leur travail, les journalistes, les professionnels des médias et les membres du personnel associé sont souvent exposés à des risques particuliers, tes que l’intimidation, le harcèlement et la violence, en période de conflit armé,

Réaffirmant qu’il incombe au premier chef aux parties aux conflits armés de prendre toutes les mesures voulues pour assurer la protection des civils touchés, y compris ceux qui exercent leur droit à la liberté d’expression en recherchant, recevant et diffusant des informations par différents moyens, tant en ligne qu’hors ligne, conformément à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Conscient du rôle important que jouent le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, selon le cas, dans la protection des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé,

Considérant que c’est aux États qu’il incombe au premier chef de respecter et de garantir les droits fondamentaux de leurs citoyens, ainsi que de toutes les personnes se trouvant sur leur territoire, comme le prescrit le droit international applicable,

Rappelant le droit à la liberté d’expression, énoncé à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale en 1948 (« la Déclaration universelle »), et à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale en 1966 (« le Pacte »), et le fait que toute restriction dont il serait l’objet doit être édictée par la loi et être nécessaire pour les motifs exposés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte,

Gravement préoccupé par la fréquence des actes de violence perpétrés dans de nombreuses régions du monde contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé dans les conflits armés, en particulier les attaques délibérées commises en violation du droit international humanitaire,

Soulignant qu’il existe en droit international humanitaire des règles prohibant les attaques dirigées intentionnellement contre des civils, attaques qui, en période de conflit armé, constituent des crimes de guerre, et rappelant qu’il est impératif que les États mettent un terme à l’impunité des auteurs de ces attaques,

Ayant présent à l’esprit que l’impunité dont jouissent les auteurs de crimes commis contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé demeure un obstacle de taille à leur protection, et que garantir l’établissement des responsabilités pour les crimes commis à leur encontre est un élément clef pour la prévention de futures attaques,

Constatant que les journalistes, les professionnels des médias et les membres du personnel associé peuvent jouer un rôle important dans la protection des civils et la prévention des conflits lorsqu’ils servent de mécanisme d’alerte rapide en détectant et signalant les situations qui pourraient déboucher sur un génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un nettoyage ethnique,

Réaffirmant qu’il condamne toutes les incitations à la violence contre des civils en période de conflit armé, et condamnant l’utilisation des médias aux fins d’inciter à la violence, au génocide, à des crimes contre l’humanité et à d’autres violations graves du droit international humanitaire,

Rappelant que les États parties aux Conventions de Genève ont l’obligation de rechercher les personnes présumées avoir commis, ou avoir donné l’ordre de commettre, une infraction grave auxdites Conventions et qu’ils doivent déférer ces personnes devant leurs propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité, ou peuvent, s’ils préfèrent, les remettre pour jugement à un autre État intéressé à la poursuite, pour autant que celui-ci ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes,

Rappelant en outre que tous les États Membres doivent respecter l’obligation qui leur incombe de mettre fin à l’impunité, d’enquêter sur les cas de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire et d’en poursuivre les auteurs et, notant que la lutte contre l’impunité des crimes de droit international les plus graves commis à l’encontre de civils a été renforcée grâce à l’action et aux poursuites engagées contre les auteurs de ces crimes par la Cour pénale internationale conformément au principe de la complémentarité avec les juridictions nationales, énoncé dans le Statut de Rome, les tribunaux spéciaux et mixtes et les chambres spécialisées de juridictions nationales,

Se déclarant profondément préoccupé par la menace croissante que représentent les groupes terroristes pour la sécurité des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé et condamnant fermement les meurtres, les enlèvements et les prises d’otages perpétrés par des groupes terroristes, quels qu’en soient les motifs, y compris lever des fonds ou obtenir des concessions politiques, et se déclarant déterminé à prévenir les enlèvements et les prises d’otages perpétrés par des groupes terroristes et à faire en sorte que les otages soient libérés sains et saufs sans qu’il soit versé de rançon ou accordé de concessions politiques, dans le respect du droit international applicable,

Mettant l’accent sur la contribution que les opérations de maintien de la paix et les missions politiques spéciales peuvent, quand elles en ont le mandat, apporter aux efforts internationaux de promotion et de protection des droits de l’homme, ainsi qu’à la protection des civils, y compris des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé, notamment au moyen de la surveillance et du signalement des violations et atteintes, ainsi que d’un appui aux gouvernements dans les efforts qu’ils déploient pour promouvoir et protéger les droits de l’homme, et aux fins du renforcement de la lutte contre l’impunité pour les crimes commis à l’encontre de civils, y compris les journalistes, les professionnels des médias et les membres du personnel associé,

Conscient de l’importance que revêt, pour la protection des civils en période de conflit armé, une démarche globale, cohérente et privilégiant l’action, y compris au début des préparatifs. Soulignant à cet égard la nécessité d’adopter une stratégie générale de prévention des conflits, qui s’attaque aux causes profondes des conflits armés de manière exhaustive afin d’améliorer durablement la protection des civils, y compris par la promotion du développement durable, de l’élimination de la pauvreté, de la réconciliation nationale, de la bonne gouvernance, de la démocratie, de l’état de droit et du respect et de la protection des droits de l’homme,

Constatant l’importance du rôle que les organisations régionales et sous- régionales peuvent jouer dans la protection des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé et l’importance d’une bonne coopération entre l’Organisation des Nations Unies et ces organisations,

Constatant également les risques particuliers auxquels les femmes journalistes, les professionnelles des médias et les femmes qui font partie du personnel associé sont exposées dans leur travail et soulignant, dans ce contexte, qu’il importe de prendre en compte la problématique hommes-femmes dans les mesures visant à assurer leur sécurité en période de conflit armé,

Déclarant que s’il examine la question de la protection des journalistes en période de conflit armé, c’est parce que c’est une question urgente et importante, et estimant que le Secrétaire général peut jouer un rôle utile en fournissant des renseignements supplémentaires sur la question,

1. Condamne toutes les formes de violations et d’atteintes commises contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé et demande à toutes les parties à des conflits armés de mettre fin à de telles pratiques ;

2. Affirme que l’activité de médias libres, indépendants et impartiaux constitue un des fondements d’une société démocratique et, de ce fait, peut contribuer à la protection des civils ;

3. Rappelle à cet égard que les journalistes, les professionnels des médias et les membres du personnel associé qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé doivent être considérés comme des civils, et doivent être respectés et protégés en tant que tels, à la condition qu’ils n’entreprennent aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles, et cela sans préjudice du droit des correspondants de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut de prisonnier de guerre prévu par l’article 4.A.4 de la troisième Convention de Genève ;

4. Condamne fermement la persistance de l’impunité des auteurs de violations et d’atteintes commises à l’encontre de journalistes, de professionnels des médias et de membres du personnel associé en période de conflit armé, laquelle impunité peut contribuer à la répétition de ces crimes ;

5. Souligne que les États sont tenus de s’acquitter de l’obligation que leur fait le droit international de mettre fin à l’impunité et de traduire en justice quiconque est responsable de violations graves du droit international humanitaire ;

6. Exhorte les États Membres à prendre les mesures voulues pour que les auteurs de crimes commis contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé aient à rendre des comptes, et à mener des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur le territoire relevant de leur juridiction pour qu’ils soient poursuivis en justice ;

7. Exige une nouvelle fois de toutes les parties aux conflits armés qu’elles se conforment strictement aux obligations mises à leur charge par le droit international concernant la protection des civils, y compris les journalistes, les professionnels des médias et les membres du personnel associé ;

8. Demande instamment la libération immédiate et sans condition des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé qui ont été enlevés ou pris en otage pendant un conflit armé ;

9. Demande également instamment à toutes les parties concernées, en période de conflit armé, de respecter l’indépendance professionnelle et les droits des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé, en tant que civils ;

10. Rappelle que le matériel et les installations des médias sont des biens de caractère civil et, en tant que tels, ne doivent être l’objet ni d’attaques ni de représailles, tant qu’ils ne constituent pas des cibles militaires ;

11. Reconnaît que l’éducation et la formation au droit international humanitaire peuvent jouer un rôle important en concourant à l’action menée pour prévenir et faire cesser les attaques contre les civils touchés par les conflits armés, y compris les journalistes, les professionnels des médias et les membres du personnel associé ;

12. Souligne que les missions de maintien de la paix et les missions politiques spéciales des Nations Unies doivent, lorsqu’il y a lieu, inclure dans les rapports qu’elles doivent établir des informations précises sur les actes de violence perpétrés contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé ;

13. Demande instamment à toutes les parties aux conflits armés de tout faire pour empêcher que des violations du droit international humanitaire soient commises à l’encontre de civils, y compris les journalistes, les professionnels des médias et les membres du personnel associé ;

14. Demande aux États Membres d’instaurer et de préserver, en droit et en fait, des conditions de sécurité permettant aux journalistes, aux professionnels des médias et aux membres du personnel associé de faire leur travail de façon indépendante et sans ingérence excessive en période de conflit armé ;

15. Insiste sur la nécessité d’assurer une coopération et une coordination plus étroites au niveau international, y compris entre l’Organisation des Nations Unies et les organisations internationales, régionales et sous-régionales concernées, notamment en fournissant une assistance technique et en renforçant les capacités, aux fins de promouvoir et d’assurer la sécurité des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé ;

16. Engage l’Organisation des Nations Unies et les organisations régionales et sous-régionales à échanger des connaissances spécialisées sur les bonnes pratiques et les enseignements tirés de l’expérience en matière de protection des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé et, en étroite coopération, à assurer une application plus cohérente et plus efficace du droit international humanitaire applicable et de ses résolutions pertinentes, y compris celles qui se rapportent à la protection des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé ;

17. Invite les États qui ne l’ont pas encore fait à envisager de devenir parties dès que possible aux Protocoles additionnels I et II de 1977 se rapportant aux Conventions de Genève ;

18. Réaffirme qu’il continuera d’examiner la question de la protection des journalistes en période de conflit armé ;

19. Prie le Secrétaire général d’inclure systématiquement dans ses rapports sur la protection des civils en période de conflit armé une sous-section sur la sûreté et la sécurité des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé, indiquant notamment les mesures prises pour les protéger en cas de menace imminente, et de veiller à ce que des informations sur les attaques et violences perpétrées contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé et sur les mesures préventives prises pour empêcher les faits de ce type soient communiquées à part dans les rapports sur la situation dans tel ou tel pays.

Débats

La séance est ouverte à 10 h 5.

Adoption de l’ordre du jour

L’ordre du jour est adopté.

Lettre datée du 1er mai 2015, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente de la Lituanie auprès de l’Organisation des Nations Unies (S/2015/307)

Le Président, M. Linkevičius (Lituanie) (parle en anglais) : Je voudrais souhaiter chaleureusement la bienvenue au Vice- Secrétaire général, aux ministres et autres représentants présents dans la salle du Conseil de sécurité. Leur participation au présent débat réaffirme l’importance du thème dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Conformément à l’article 37 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite les représentants de l’Afrique du Sud, de l’Albanie, de l’Allemagne, de l’Argentine, de l’Australie, de l’Autriche, de l’Azerbaïdjan, de la Belgique, de la Bosnie-Herzégovine, du Botswana, du Brésil, de la Bulgarie, du Canada, de Chypre, de la Colombie, de la Croatie, du Danemark, de l’Égypte, de l’Estonie, de l’ex-République yougoslave de Macédoine, de la Finlande, de la Géorgie, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Irlande, de l’Islande, d’Israël, de l’Italie, du Japon, du Kazakhstan, du Koweït, de la Lettonie, du Liban, du Liechtenstein, du Luxembourg, du Maroc, du Monténégro, de la Norvège, du Pakistan, des Palaos, des Pays-Bas, de la Pologne, du Qatar, de la République arabe syrienne, de la République de Moldova, de la République tchèque, de la Roumanie, de la Serbie, de la Slovaquie, de la Slovénie, de la Suède, de la Suisse, de la Thaïlande, de la Turquie et de l’Ukraine à participer à la présente séance.

Conformément à l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite les personnes suivantes, qui vont faire des exposés, à participer à la présente séance : M. Christophe Deloire, Directeur général de Reporters sans frontières, et Mme Mariane Pearl.

Conformément à l’article 39 du règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite les personnes suivantes à participer à la présente séance : S. E. M. Ioannis Vrailas, Chef adjoint de la délégation de l’Union européenne auprès de l’Organisation des Nations Unies, et S. E. M. Téte António, Observateur des Nations Unies.

Je propose que le Conseil invite l’Observateur permanent de l’État observateur du Saint-Siège auprès de l’Organisation des Nations Unies à participer à la présente séance, conformément au règlement intérieur provisoire et à la pratique établie.

Le Conseil de sécurité va maintenant aborder l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.

J’appelle l’attention des membres du Conseil sur le document S/2015/307, qui contient une lettre datée du 1er mai 2015, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente de la Lituanie auprès de l’Organisation des Nations Unies, transmettant un document de réflexion sur la question à l’examen.

Je souhaite chaleureusement la bienvenue au Vice-Secrétaire général, S. E. M. Jan Eliasson, et je lui donne la parole.

Le Vice-Secrétaire général, S. E. M. Jan Eliasson (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, de cette occasion qui m’est donnée de prendre la parole devant le Conseil de sécurité sur la question de la protection des journalistes en période de conflit. Cette question traite fondamentalement du droit à l’information, de la protection des civils, du respect des droits de l’homme et de l’importance de ne pas céder aux menaces et aux manœuvres d’intimidation de ceux qui prônent et pratiquent la violence et l’intolérance.

Ces dernières années, nous avons constaté une augmentation très inquiétante du nombre de journalistes tués en période de conflit. Sur les 593 assassinats de journalistes perpétrés entre 2006 et 2013, près de la moitié – soit 273 – ont eu lieu dans des zones de conflit. Les journalistes sont également de plus en plus pris pour cibles et soumis à des menaces par les groupes criminels ou terroristes, qui cherchent manifestement à les faire taire. Récemment, les assassinats de journalistes ont fait l’objet d’une attention considérable et bienvenue dans le monde entier. Rappelons-nous, par exemple, les meurtres atroces des représentants de médias occidentaux en Syrie. Mais n’oublions pas qu’environ 95% des assassinats de journalistes en période de conflit armé concernent des journalistes locaux, bénéficiant d’une couverture médiatique bien moindre. Certaines preuves illustrant l’ampleur du problème, du Soudan du Sud à la Libye, de la Syrie à la Somalie et au-delà, ont été soumises au Conseil de sécurité et au Conseil des droits de l’homme.

Compte tenu de cette triste réalité, il n’est guère surprenant que les pays frappés par un conflit armé et par l’effondrement de l’état de droit figurent en queue de liste du très important Classement mondial de la liberté de la presse établi chaque année par Reporters sans frontières. Je tiens ici à féliciter Reporters sans frontières et son directeur général, M. Christophe Deloire, de leur travail. Nous savons que les conflits armés non seulement mettent en danger la vie et la sécurité des journalistes, mais également restreignent la libre circulation de l’information, sapant l’état de droit et la démocratie. Il convient de rappeler que les conflits peuvent être facilement exacerbés dans un environnement étouffant la liberté d’expression. Un climat de conflit et d’insécurité ne doit jamais servir de prétexte pour réduire les journalistes au silence ; au contraire, c’est précisément dans ces situations que la voix des sans-voix et les récits venant des premières lignes doivent être entendus haut et fort.

Pour garantir la sécurité des journalistes, il est nécessaire d’adopter une démarche globale et multidimensionnelle. Les problèmes que rencontrent les journalistes couvrant une situation de conflit armé peuvent ne pas être les mêmes que ceux des journalistes effectuant d’autres formes de reportage. Les femmes journalistes peuvent se heurter à des problèmes différents de ceux de leurs collègues masculins. Les conditions de sécurité des correspondants étrangers peuvent différer de celles des journalistes locaux. En outre, la corruption, l’intimidation, les représailles et la faiblesse des systèmes judiciaires, qui tous favorisent l’impunité, doivent être sérieusement combattus si nous devons nous attaquer aux racines du problème. Il en va de même pour la nécessité fondamentale de garantir une culture du respect des droits de l’homme et de l’état de droit.

Il faut en outre se rappeler que la sécurité des journalistes constitue une préoccupation dans les zones de paix également. Il est essentiel de les protéger et de leur permettre de travailler afin de prévenir les conflits et les violations des droits de l’homme dans certaines situations menaçantes. Comme nous le savons, les menaces et les attaques sont commises par des acteurs aussi bien étatiques que non étatiques, souvent pour réduire au silence les journalistes en quête d’informations ou d’opinions sur des sujets considérés comme très sensibles, tels que les violations des droits de l’homme, la répression politique ou le trafic de drogue, pour n’en citer que quelques-uns. Le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité a pour but de contribuer à relever ces défis. Le Plan est en cours d’expérimentation et aménagé dans plusieurs pays, dont l’Iraq, le Népal, le Pakistan et le Soudan du Sud.

Les membres du Conseil de sécurité ont un rôle essentiel à jouer dans la réalisation progressive de ce programme. Je voudrais, en guise de conclusion, évoquer brièvement cinq façons dont ils peuvent le faire.

Premièrement, ils peuvent condamner systématiquement et sans équivoque l’assassinat de journalistes dans les situations de conflit. Deuxièmement, ils peuvent continuer d’organiser régulièrement des débats sur la protection des journalistes. Je les encourage à continuer d’entendre les points de vue des journalistes, des membres de leur famille touchés comme Mme Pearl ici présente aujourd’hui, des représentants de la société civile et des titulaires compétents de mandats des Nations Unies ou délivrés au niveau régional. Troisièmement, ils peuvent encourager les missions autorisées par le Conseil de sécurité à veiller également à la sécurité des journalistes et des professionnels des médias dans le cadre de leurs mandats de protection des civils, et à soumettre leurs conclusions au Conseil de sécurité. Quatrièmement, ils peuvent encourager les missions autorisées par le Conseil de sécurité à faire en sorte que la liberté d’expression et la sécurité des journalistes fassent partie intégrante des réformes des droits de l’homme et de la justice. Cinquièmement et enfin, ils peuvent adhérer au Plan d’action des Nations Unies et le promouvoir. Certains événements comme la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes – qui tombe chaque année le 2 novembre – peuvent également être mieux mis à profit pour appeler l’attention sur ces problèmes.

Le système des Nations Unies ne cessera d’aider le Conseil de sécurité dans tous ces efforts en portant à son attention, avec diligence et initiative, les situations préoccupantes dans ce domaine. Il nous incombe à tous de protéger les voix qui alertent, avertissent et informent des situations menaçant la paix et la sécurité internationales.

Le Président (parle en anglais) : Je remercie le Vice-Secrétaire général de sa déclaration.

Je donne maintenant la parole à M. Deloire.

M. Deloire, Directeur général de Reporters sans frontières  : Tout le monde ne connaît pas le nom de Raad Mohamed Al-Azaoui. À l’automne 2014, ce père de famille de 36 ans a été enlevé dans la province de Salahedine, à quelques kilomètres de la ville de Tikrit, en Iraq. Il travaillait comme cameraman pour une chaîne de télévision. Alors qu’il était détenu comme otage, le groupe djihadiste de l’État islamique a menacé de le décapiter parce qu’il refusait de coopérer. Raad Mohamed Al-Azaoui a été assassiné en public à Samarra, le 10 octobre 2014, aux côtés de son frère et de deux autres civils. Cet odieux assassinat fait couler moins d’encre que d’autres, mais à chaque fois le sang coule, qu’il s’agisse de celui de James Foley, de Kenji Goto ou d’un autre journaliste, c’est la même horreur.

Raad Mohamed Al-Azaoui est l’un des 66 journalistes à avoir été tués l’an dernier dans l’exercice ou en raison de leurs fonctions. Vingt-cinq journalistes l’ont été depuis le début de l’année, dont cinq au Soudan, deux en Iraq, deux au Yémen, deux en Ukraine et un en Syrie. Au-delà des tragédies humaines pour les victimes et pour leurs familles – tragédies qui révulsent le cœur –, ce sont des risques supplémentaires pour tous ceux qui subissent des horreurs, parfois à huis clos, sans témoins. N’oublions pas que ce sont des reportages qui ont mené à des protections légales comme les Conventions de Genève.

Au nom de Reporters sans frontières, organisation internationale de défense et de promotion de la liberté de l’information, je remercie le Conseil de sécurité de se réunir aujourd’hui sur un sujet aussi essentiel que la protection des journalistes. Je salue l’excellent travail mené par la présidence lituanienne. C’est un jour historique pour la protection des journalistes et, espérons-le, plus largement pour la liberté de la presse.

Le texte sur lequel le Conseil va voter et qu’il adoptera, je l’espère, fait référence au droit à la liberté d’expression prévu par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est historique, je crois, que le Conseil de sécurité fasse le lien entre la liberté d’expression et la protection des journalistes, même si cela peut a priori sembler évident. Il ne s’agit pas de protéger une corporation, et encore moins de garantir des privilèges à une catégorie de civils, comme si tous les civils n’étaient pas d’égale dignité. Il s’agit de défendre un droit pour tous, la liberté de l’information, « la liberté qui permet de vérifier l’existence de toutes les autres », selon la formule d’un ancien journaliste birman, Win Tin, qui a passé 19 ans de sa vie en détention. La déclaration selon laquelle le travail des médias libres, indépendants et impartiaux constitue l’une des fondations essentielles d’une société démocratique, et peut de ce fait contribuer à la protection des civils, mérite également d’être saluée.

Comme les membres du Conseil le savent, la résolution 1738 (2006) n’a malheureusement pas suffi à résoudre la question de l’insécurité des journalistes. Pour excellente qu’elle soit, il n’est pas certain qu’une nouvelle résolution suffise à résoudre le problème. Il est manifeste que le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme travaillent ardemment à la protection des journalistes par l’approfondissement du droit international et par le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. Mais en 10 ans, plus de 700 journalistes ont été tués dans l’exercice ou en raison de leurs fonctions. À chaque fois ce sont des pans de la réalité que l’on a cherché effacer. Combien de crimes contre les journalistes faudra-t-il pour que les résolutions de l’ONU soient enfin appliquées ?

Reporters sans frontières demande au Conseil de mettre en place un mécanisme de contrôle de l’application efficace. Nous sollicitons la création de la fonction de Représentant spécial du Secrétaire général sur la protection des journalistes. Ce Représentant spécial sera chargé d’assurer le suivi et de contrôler le respect par les États Membres des obligations fixées par la résolution 1738 (2006) et par une éventuelle nouvelle résolution. Le mandat de ce Représentant spécial pourra être défini sur le modèle de celui du Représentant spécial du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé.

L’instauration d’un tel mécanisme aura pour avantage de mettre en place, en position centrale dans le système des Nations Unies, une structure pérenne.

Nommé et mandaté par le Secrétaire général, le Représentant spécial – si ce poste est créé, si nos vœux de ce point de vue-là sont exaucés – aura pour mission de recueillir toutes les informations, en particulier au sein du système des Nations Unies, concernant des atteintes à la sûreté et à la sécurité des journalistes dans les conflits armés. Il fera office de mécanisme d’alerte rapide pour le Secrétaire général, et par l’intermédiaire de ce dernier, pour le Conseil de sécurité. Il assurera les relations avec le système des Nations Unies sur les activités de prévention des attaques contre les journalistes dans les conflits armés et s’efforcera d’améliorer la capacité des Nations Unies d’analyser et de gérer toute information relative à de tels crimes. Il aura en outre pour mandat d’entreprendre des investigations, à titre subsidiaire, dans les situations où aucune enquête n’a été ouverte par l’État Membre dans lequel s’est déroulé un acte de violence à l’encontre d’un journaliste, d’un professionnel des médias ou du personnel associé. La possibilité, à terme, d’une saisine individuelle du Représentant spécial par des journalistes professionnels ou non professionnels victimes d’exactions doit être envisagée.

Comme l’a évoqué le Vice-Secrétaire général, aujourd’hui, plus de 90% des crimes contre les journalistes demeurent à jamais impunis et ne font même pas l’objet de poursuites. Un tel taux d’impunité est comme un encouragement pour tous ceux qui perpètrent des exactions contre les journalistes.

Reporters sans frontières exprime sa satisfaction pour la mise en place, dans le texte qui sera soumis au vote, d’une obligation de comptes-rendus sur la sécurité des journalistes dans le cadre des opérations de maintien de la paix. Nous considérons que l’ONU peut par ailleurs diligenter de véritables enquêtes. Un exemple, malheureusement tragique. Le 29 avril 2015, le Gouvernement libyen de Tobrouk a annoncé l’assassinat de sept journalistes – dont quatre Libyens, deux Tunisiens et un Égyptien – qui avaient disparu à la fin de l’année précédente. Ces déclarations se fondaient, selon la version officielle, sur l’aveu de suspects récemment arrêtés par les autorités. Pour Reporters sans frontières, il convient que le Représentant spécial du Secrétaire général en Libye, mette en place une enquête indépendante pour faire la lumière sur l’assassinat de ces journalistes.

Nous sommes très satisfaits que la nouvelle résolution fasse mention du rôle de la Cour pénale internationale dans la poursuite et le jugement des auteurs de crimes et notamment de crimes de guerre. Comme le disait ici même, lors d’une réunion organisée selon la formule Arria,la Procureure de la Cour pénale internationale, Mme Fatou Bensouda, les attaques contre les journalistes ne constituent pas seulement une grave infraction aux Conventions de Genève et au Premier Protocole additionnel, mais relèvent de crimes de guerre, conformément à l’article 8 du Statut de Rome, qui a créé la Cour. La Cour n’hésitera pas à enquêter sur ces crimes dans le cadre de ses enquêtes actuelles, a-t-elle dit. C’est pour Reporters sans frontières l’espoir d’un recul de l’impunité.

Mais ailleurs ? En Syrie et en Iraq, dans la zone sous contrôle de l’État islamique, un trou noir de l’information s’est constitué. De la même manière que dans le monde physique, la lumière ne s’échappe pas des trous noirs, les journalistes ne parviennent plus à effectuer de reportages dans cette zone-là, ni à y diffuser leurs informations. Le conflit en Syrie a débuté en 2011 et s’est étendu à l’Iraq à l’été 2014. Il aurait entraîné la mort de plus de 210000 civils. Enlevés, assassinés, décapités, les journalistes en Syrie et en Iraq sont visés et attaqués délibérément par différentes parties au conflit. Selon les chiffres de Reporters sans frontières, au cours de ces quatre années et pour la seule Syrie, 45 journalistes ont été tués dans l’exercice ou en raison de leurs fonctions, sciemment visés. En Iraq, depuis l’été 2014, au moins trois journalistes ont été tués, 15 depuis le début de l’année 2013, et un grand nombre a été victime d’enlèvements, de détentions arbitraires ou de prises d’otages.

Comme la Syrie et l’Iraq ne sont pas des États parties au Statut de Rome, il est urgent que le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, défère au Procureur de la Cour pénale internationale la situation en Syrie et en Iraq, dans laquelle des crimes de guerre ont été perpétrés, notamment contre des journalistes. Les États membres du Conseil de sécurité doivent faire preuve de cohérence avec leur résolution en matière de protection des journalistes et lancer un processus concret visant à faire comparaître les auteurs de crimes contre les journalistes devant la justice internationale.

La résolution que le Conseil s’apprête à adopter traite de la question des journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé. Elle évoque, et c’est un point positif, la liberté de l’information en ligne et hors ligne. Mais il convient d’étendre explicitement le champ à tous les journalistes dignes de ce nom. Le journalisme ne saurait être défini par un lien contractuel avec un grand média. Il correspond à une fonction sociale consistant à collecter les faits avec méthode et en respectant des règles d’honnêteté et d’indépendance. Qu’on exerce cette fonction à titre professionnel ou pas n’a pas d’importance.

Le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, adopté sous l’égide de l’UNESCO en 2012, reconnaît que la protection des journalistes ne doit pas se limiter à ceux qui sont officiellement reconnus comme tels mais aussi bénéficier à d’autres personnes, dont les travailleurs des médias communautaires et les journalistes citoyens et autres personnes qui peuvent se servir des nouveaux médias pour atteindre leurs publics.

La technologie ouvre des espaces de liberté, pour l’information et pour l’expression en général, mais la manipulation s’y engouffre aussi bien que la probité. Nous entrons malheureusement dans une nouvelle ère de la propagande où des moyens inédits de contrôle de l’information, donc d’emprise sur les consciences, sont mis en place. Nous entrons dans une période de guerres de l’information.

Grâce aux nouvelles technologies, les groupes terroristes, comme tous les ennemis des vérités factuelles, peuvent directement diffuser leurs contenus partout dans le monde. Tout passe. Le film de propagande barbare déguisé en reportage, avec parfois un journaliste otage, mis à contribution, une arme à feu sur la tempe. La réalité tronquée habillée en décryptage de la réalité vraie.

L’humanité et les sociétés ont besoin de tiers de confiance qui permettent d’effectuer des choix collectifs et individuels fondés sur la poursuite de la vérité objective, selon l’expression de l’acte constitutif de l’UNESCO. Cette assertion ne saurait naturellement être admise qu’à la condition que cette vérité puisse avoir des formes et des résultats différents et parfois même contradictoires car nul n’est détenteur de la vérité. Mais il existe une recherche des faits qui n’est pas menée sous la dictée, qui n’est pas sponsorisée par l’intérêt, qui échappe le plus possible aux prismes culturels, et c’est cela le journalisme.

On assiste à une forme de mondialisation des menaces. Un massacre comme celui commis à Charlie Hebdo a été revendiqué, à tort ou à raison, à des milliers de kilomètres. Les idéologies meurtrières et les appareils de propagande, tous ceux pour qui l’évocation libre de la réalité est dangereuse, entreprennent d’intimer le silence aux journalistes et à tous ceux qui incarnent et font vivre la liberté d’expression, même à l’autre bout du monde. C’est le cas en temps de guerre, mais ça l’est aussi en temps de paix.

Le Conseil de sécurité s’apprête à adopter une résolution sur la protection des journalistes dans les zones de conflit armé. C’est positif. Mais n’oublions pas que la plupart des journalistes tués dans l’exercice ou en raison de leurs fonctions le sont dans des pays dits en paix, des pays où des factotums à la solde de régimes, de femmes et d’hommes de pouvoir, de chefs mafieux, et j’en passe, perpètrent les pires exactions. N’oublions pas que la moitié de la population mondiale n’a pas droit à une information libre, ou plutôt a le droit à une information libre, mais est privée d’une information indépendante, au motif que ceux qui incarnent la liberté de l’information sont poursuivis et qu’on les empêche de travailler.

Un jour, il faudra que le Conseil de sécurité en tienne compte. Un jour, le Conseil de sécurité devra assigner des obligations aux États au-delà des situations de conflits armés. Le lauréat du prix Nobel d’économie, Amartya Sen, a défini le développement comme un processus d’expansion des libertés individuelles substantielles. La liberté de l’information est de celles qui favorisent les capacités d’un individu, au sens de sa maîtrise du système de santé, du système d’éducation, du débat public, pour résumer, de la maîtrise de sa vie. Si l’on convient que le développement n’a pas pour seul objet l’élévation du niveau de richesse, mais l’amélioration de toutes les possibilités sociales, économiques et politiques offertes à l’individu, la liberté de l’information est une condition sine qua non. Et la protection des journalistes est partout une condition de cette condition.

Au moment où je m’exprime, plus de 150 journalistes sont en prison – 150 journalistes professionnels auxquels il faut ajouter plus de 170 journalistes non professionnels –, pour leur travail d’enquête, pour leurs reportages, pour qu’ils soient empêchés de les poursuivre. Eux aussi doivent être protégés. Tant qu’ils sont derrière des barreaux, ce sont des millions de personnes, des centaines de millions de personnes, qui sont privées de leurs enquêtes et de leurs reportages.

Il appartiendra pour le futur aux États de favoriser à la fois l’équilibre du monde, celui des nations et celui des individus. Cette fonction qu’est le journalisme consiste à représenter le monde tel qu’il est, un alliage d’aspirations communes et d’intérêts divergents. En mettant en forme les oppositions, on accordant la parole à tous, en rendant compte de la réalité sous différents angles, le journalisme doit permettre aux êtres humains d’envisager l’altérité et de saisir la logique de l’autre. Sans cela, aucune paix digne de ce nom n’est envisageable. Il est de la responsabilité des États Membres de l’établir.

Le Président (parle en anglais) : Je remercie M. Deloire de son exposé.

Je donne maintenant la parole à Mme Pearl.

Mme Pearl (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, de m’avoir invitée à faire connaître mes vues sur la sécurité des civils, en particulier des journalistes.

Je crois que l’avenir dépend de la profondeur et de l’intensité du serment fait aujourd’hui. Je pense que c’est une très bonne nouvelle car il est très difficile de stopper quelqu’un qui a un profond sens de la justice.

La volonté de faire que personne, y compris les générations futures, n’endure les souffrances qui nous sont infligées, dépend des individus. Les journalistes, partout, sont ces individus déterminés qui prennent de plus en plus sur eux d’assumer la lourde charge de faire vivre nos démocraties.

Je prends la parole à une période critique pour notre profession. Une période qui requiert de nous tous que nous prenions du recul et que nous fassions preuve de plus d’une forme de courage. Pour moi, le courage – intellectuel et moral – est l’ingrédient actif qui nous permet d’utiliser nos destins pour inspirer les autres et vaincre l’oppression. C’est Mark Twain qui a dit : « Il est curieux que le courage physique soit si répandu en ce monde et le courage moral si rare ». Je pense qu’il n’y a pas de plus grand courage que celui de défendre les valeurs auxquelles on croit, quelles que soient les circonstances. Se lever et parler requiert du courage. S’asseoir et écouter requiert aussi du courage. Donc merci au Conseil de le faire.

À un certain moment au long des guerres, nous journalistes avons quelque peu oublié le vieil et tacite accord que nous sommes une profession neutre et impartiale. De ce fait, nous sommes en danger. Et nous sommes tous forcés de nous demander quel type de journalisme exactement vaut le sacrifice de la vie. Souvent, les vrais actes de courage sont invisibles pour les autres. Il ne s’agit pas de témérité, de quête de gloire ou d’adrénaline. C’est plutôt un processus intime, la volonté profonde d’éclairer l’humanité, de dépasser les évidences, de lutter contre les idées préconçues, de combattre la corruption et la cupidité qui paralysent nos sociétés.

Aujourd’hui, une grande confusion règne dans notre profession. Nous sommes à la recherche de modèles économiques, et nous essayons de contrer la concurrence d’Internet. Certains courent après le scoop pour l’amour du scoop. D’autres avancent sur un terrain miné, rendant encore plus floue la frontière entre vrai journalisme et nouvelles divertissantes. Les médias eux- mêmes ont besoin d’introspection, et c’est pourquoi je ne parlerai pas au nom des médias dans leur ensemble. Je voudrais plutôt focaliser sur ces journalistes qui ont le courage d’embrasser les complexités de notre monde, le courage de dire la vérité quelles que soient les circonstances, si amère soit-elle et si contraire à ce que pense la majorité, sur ces individus qui ont vraiment la capacité de s’identifier aux autres et sont déterminés à honorer les valeurs fondamentales du journalisme, telles que donner une voix à ceux qui n’ont en pas, résister au pouvoir et laisser les valeurs qui définissent notre profession dire qui nous sommes.

C’est cette quête de l’intégrité qui assure notre survie, non seulement la nôtre mais aussi la vôtre. Car nous sommes ceux qui garantissent que le public et le personnel politique reçoivent les informations dont ils ont besoin pour faire des choix en connaissance de cause : à savoir que le monde ait connaissance des atrocités commises par Daech en Iraq et en Syrie, par Boko Haram au Nigéria, et par les cartels de la drogue au Mexique et en Amérique centrale. N’oublions pas qu’au-delà de l’information, il y des vies individuelles, qu’au-delà de la politique il y a la société humaine, et qu’au-delà de nos différences, il y a un fond commun. Et ce fond commun est ce que les terroristes s’efforcent de détruire. Ils veulent – il leur faut – mettre fin au dialogue, à l’entente et aux liens qui unissent les individus.

Comment opèrent-ils pour ce faire ? Ils créent une version des faits ; ils utilisent des étiquettes ; et principalement ils tirent parti de nos faiblesses. Les guerres et les conflits ne peuvent exister sans une version des faits, sans une justification qui se nourrit de l’ignorance, de la peur et des frustrations. Oui, ils tuent des journalistes, ils tuent du personnel des ONG, des Américains, des Juifs, ceux qu’ils appellent infidèles, etc., dans l’espoir de décourager tous ceux qui s’identifient à leurs victimes. Les étiquettes importent peu pour eux. Le fait est que nous avons affaire à un groupe de militants qui sont assez déshumanisés pour tuer un journaliste qu’ils savent innocent et qu’ils ont retenu en otage pendant une année entière. Que faire donc face à cela ? Comment créer une version des faits qui s’oppose à la leur ? Je crois qu’en Islam, la forme la plus élaborée de djihad est celle que mène un individu contre lui-même ou contre elle-même pour parvenir à cet Islam des Lumières. Moi et beaucoup d’autres journalistes dont vous n’entendrez jamais parler faisons tout notre possible, avec les moyens que nous donne le journalisme, pour détruire la base sur laquelle opèrent les terroristes, à savoir la haine. Nous informons sur ce qui nourrit la haine : l’ignorance, le préjugé, l’avidité, la corruption, les violations des droits de l’homme, le lavage de cerveaux et le fait de simplifier ce qui ne peut l’être.

Dans mon cas, cela se traduit par 13 années de lutte quotidienne – avec l’aide de mon ami ici, qui se trouve être mon fils – pour opposer l’empathie à la haine, la compassion à la violence et l’éducation à l’ignorance. Et je ne suis pas seule, mais nous sommes devenus des cibles. Les groupes rebelles n’utilisent plus les journalistes pour transmettre l’information, ils les kidnappent pour être à la une. Ils nous traitent en combattants ennemis et en espions. C’est notre pain quotidien. Dans de nombreux cas, les journalistes qui s’attaquent à cela travaillent en freelance, ce qui veut dire que de jeunes journalistes font le travail que les grands médias rechignent de plus en plus à faire. Souvent, ils n’ont pas d’assurance, peu de formation ou de matériel et aucun appui. Mais ils ont autant à perdre que tout un chacun ici dans cette salle.

Les femmes font parvenir au monde plus de la moitié des informations. Une grande majorité d’entre elles sont des freelances, ce qui veut dire qu’elles courent en outre le risque de faire l’objet de violences sexuelles, d’attaques contre leur intégrité sur Internet et de voir leur familles et leurs enfants menacés.

Mais ne soyons pas dupes. Daech et ses pareils ne sont que la partie visible de l’iceberg. La triste vérité est que la riposte des gouvernements, partout dans le monde, est tout aussi préjudiciable et dangereuse pour les journalistes. Près de 60% des journalistes qui sont emprisonnés dans le monde le sont sur la base d’accusation d’atteintes à l’État. L’assassinat est la forme ultime de censure. Et ce n’est pas seulement le fait de Daech. En 2014, l’impunité pour l’assassinat de journalistes a atteint l’ahurissant taux de 96% – Christophe Deloire vient de le mentionner – et les 4 % restants n’ont obtenu que partiellement justice. La surveillance de masse pratiquée par certains États membres du Conseil de sécurité menace la sécurité des journalistes et de leurs sources et sape la confiance et la confidentialité, qui sont essentielles pour un journalisme de qualité. En outre, un nombre de plus en plus grand de pays utilisent maintenant des lois antiterroristes pour museler encore davantage la presse.

Pourquoi nous, journalistes, continuons-nous de travailler dans ces conditions ? Au fil des ans, j’ai beaucoup parlé de cela avec mes collègues, que je vais citer ici non pour leur nationalité ou parce que ce sont des femmes – ce qui est le cas – mais pour leur bravoure.

Je me rappelle avoir rencontré l’excellente journaliste russe Anna Politkovskaya lorsqu’elle était venue à New York recevoir un prix qui lui avait été décerné. « Je suis exténuée », avait-elle dit, « j’ai trop vu, je ne veux pas retourner en Tchétchénie, mais si je ne le fais pas qui le fera ? ». Ses articles ont permis de libérer des personnes emprisonnées à tort et de retrouver celles qui ont été enlevées. Elle a été assassinée devant sa maison en 2006.

Une correspondante de guerre, Marie Colvin, tuée en Syrie en 2012, écrivait :

« Nous nous rendons dans des zones de guerre reculées pour rendre compte de ce qui s’y passe. Le public a le droit de savoir ce que notre Gouvernement et nos forces armées font en notre nom. Notre mission est de dire la vérité au pouvoir. Nous envoyons chez nous cette première ébauche de l’histoire. Nous pouvons faire et nous faisons la différence s’agissant de dénoncer les horreurs de la guerre, et surtout celles dont pâtissent les civils. »

Ma chère amie Lydia Cacho, qui a dénoncé un réseau pédophile au Mexique, a écrit :

« Je n’oublierai jamais le visage du général Montaño qui, avec son collègue, l’agent Pérez, a passé 20 heures à me torturer psychologiquement, physiquement et sexuellement. Cela s’est passé dans une voiture qui a parcouru les 1500 kilomètres séparant Cancún de Puebla. Ils ont menacé de me tuer, de me jeter à la mer et plus encore. Mais je suis arrivée en vie à la prison parce que les médias étaient parvenus à révéler l’identité de mes persécuteurs. Tous deux étaient policiers. »

La photojournaliste indépendante Nicole Tung a parlé ainsi de la Syrie :

« Couvrir les événements en Syrie signifie être confronté à des problèmes multiformes, qui vont des bombardements aux tireurs d’élite et aux enlèvements commis par le Gouvernement, par des extrémistes islamistes et par des criminels. C’est un endroit où les journalistes et les activistes syriens doivent opérer dans le contexte d’un conflit marqué par des destructions ahurissantes et par le désespoir, et où aucune des parties » – et c’est ce qui est inquiétant – « ne croit plus en l’utilité de dire la vérité. »

L’espace neutre au sein duquel les journalistes peuvent opérer en tant que témoins indépendants est en train de rétrécir. Les gouvernements et les groupes terroristes peuvent contourner ces témoins objectifs et diffuser directement leurs messages en ligne et sur les réseaux sociaux. L’absence de reportages objectifs signifie que les extrémistes et les organes de propagande gouvernementaux sont libres de contrôler la diffusion de l’information – une information qui n’est pas fondée sur les faits, ni sur des enquêtes, ou confirmée par des journalistes professionnels. Ceci a de profondes implications lorsque l’on tente de prendre des décisions basées sur les faits.

En outre, les gouvernements invoquent le terrorisme comme excuse pour réprimer les dissidents et les critiques. Des journalistes sont systématiquement victimes d’attaques et de meurtres lorsqu’ils enquêtent sur des groupes terroristes, et d’autres sont censurés ou emprisonnés par des gouvernements qui cherchent à lutter contre la même menace.

Plus de 25 journalistes ont déjà été tués cette année, la majorité ayant été assassinés. Les États Membres ont décidé de lutter contre l’impunité en adoptant des résolutions sur la sécurité des journalistes ainsi que le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. Ces engagements rhétoriques sont les bienvenus, mais il faut accentuer les efforts concertés sur le terrain pour les mettre concrètement en œuvre.

L’emprisonnement et la prise pour cible de journalistes ne permettront pas de vaincre les terroristes ; cela ne fera que renforcer leur position. Le Conseil de sécurité doit avertir les États qu’ils ne doivent pas invoquer la sécurité nationale comme excuse pour emprisonner, harceler ou censurer des journalistes. Une déclaration ou une résolution soulignant les menaces auxquelles sont confrontés les journalistes, aux mains non seulement des terroristes mais également du mouvement antiterroriste, serait une manifestation importante de cet engagement.

Tout ceci étant dit, je suis pleinement consciente que c’est au bout du compte la solidarité des citoyens ordinaires qui fera avancer l’humanité – des citoyens ordinaires tels que les journalistes que je viens de citer, qui ont donné l’exemple d’un courage moral dont j’espère sincèrement qu’il inspirera le citoyen ordinaire qu’est chacun d’entre nous.

Le Président (parle en anglais) : Je remercie Mme Pearl de sa déclaration et de sa présence.

Le Conseil de sécurité est prêt à voter sur le projet de résolution dont il est saisi.

Les membres du Conseil sont saisis du document S/2015/375, qui contient le texte d’un projet de résolution déposé par les pays suivants : Albanie,
Allemagne, Angola, Australie, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Canada, Chili, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis d’Amérique, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Israël, Italie, Japon, Jordanie, Lettonie, Liban, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malaisie, Monténégro, Nigéria, Norvège, Nouvelle-Zélande, Palaos, Pays-Bas, Pologne, République de Moldova, Roumanie, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Tchad et Ukraine.

Je vais maintenant mettre aux voix le projet de résolution.

Votent pour :

Angola, Tchad, Chili, Chine, France, Jordanie, Lituanie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Nigéria, Fédération de Russie, Espagne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, États-Unis d’Amérique, Venezuela (République bolivarienne du)

Le Président ( parle en anglais) : Le résultat du vote est le suivant : 15 voix pour. Le projet de résolution est adopté à l’unanimité en tant que résolution 2222 (2015).

Je vais maintenant faire une déclaration en ma qualité de représentant de la Lituanie.

Je tiens tout d’abord à remercier sincèrement le Vice-Secrétaire général Jan Eliasson et M. Christophe Deloire de leurs exposés et de leurs précieuses observations. Je remercie également Mariane Pearl d’avoir partagé sa perspective très personnelle et profondément émouvante avec nous aujourd’hui. Ce que nous venons d’entendre confirme ma conviction que le présent débat sur la protection des journalistes en période de conflit arrive à point nommé.

Nous nous appuyons de plus en plus sur l’information en temps réel pour prendre des décisions. Ceci est particulièrement important dans les situations de conflit armé, où notre capacité à mobiliser l’action et l’assistance internationales dépend de notre connaissance des faits à l’instant même. Les journalistes sont nos yeux et nos oreilles sur le terrain. Malheureusement, les informations qui nous parviennent sont de plus en plus souvent collectées au prix de leur vie. Depuis 1992, 1 129 journalistes ont été tués.

Ce sont souvent les journalistes et les professionnels de l’information qui exposent les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme commises par les parties belligérantes, les exactions commises par les forces armées et de sécurité et la tyrannie de régimes répressifs. Ce faisant, ils font office de mécanismes d’alerte rapide, car comme nous ne le savons que trop, les violations des droits de l’homme sont souvent des signes avant-coureurs de conflits et de catastrophes humanitaires à venir. La prise pour cible délibérée de journalistes et de professionnels de l’information est souvent utilisée comme tactique d’intimidation et de vengeance par les parties au conflit qui ne veulent pas que leurs agissements criminels soient dénoncés.

Pour les reporters, être au cœur de l’action fait partie de leur métier. Ils doivent faire face à des attaques armées, traverser des lignes ennemies, suivre les populations déplacées ou les minorités persécutées. Ils vont dans des endroits que d’autres cherchent à fuir. Ils repoussent constamment les limites de leur propre sécurité.

La propagation de l’extrémisme radical et du terrorisme ajoute une autre dimension extrêmement dangereuse aux menaces qui pèsent sur les journalistes et les professionnels de l’information. Les décapitations de Daniel Pearl, James Foley, Steven Sotloff, Kenji Goto et d’autres personnes témoignent de la brutalité sans bornes des terroristes qui prennent pour cible des journalistes non seulement pour se faire craindre de ceux qui souhaitent ardemment dénoncer leur barbarie, mais également pour faire les gros titres, autrement dit pour se faire de la publicité.

Les journalistes locaux, en particulier les femmes, comme cela a été souligné aujourd’hui, et les journalistes indépendants, sont particulièrement menacés. Selon le Comité pour la sauvegarde des journalistes, environ 90 % des journalistes tués en situation de conflit sont des journalistes locaux. En septembre 2014, Daech a capturé et décapité le cameraman Raad al-Azzawi dans la région de Tikrit. Dans le courant du présent mois, Daech a tué un journaliste de Mossoul, Firas al-Bahri, parce qu’il avait refusé de prêter allégeance au groupe terroriste. Dans la plupart des cas, cependant, les meurtres de journalistes et de professionnels de l’information locaux restent inaperçus de la communauté internationale.

La Syrie reste l’endroit le plus meurtrier pour les journalistes. Pas moins de 80 journalistes ont été tués en Syrie depuis le début du conflit en 2011. Aux deuxième et troisième rangs pour le nombre demeurtres de journalistes viennent l’Iraq et maintenant l’Ukraine, et ce du fait de la guerre menée contre la souveraineté de ce pays et soutenue par la Russie.

Koichiro Matsuura, ancien Directeur général de l’UNESCO, a dit un jour :

« Toute agression contre un journaliste constitue une atteinte à nos libertés les plus fondamentales. La liberté de la presse et la liberté d’expression ne peuvent être exercées sans un minimum de sécurité. »

Je ne saurais être plus en accord avec ces paroles.

Même si le cadre juridique pour la protection des journalistes a considérablement évolué au cours de la décennie écoulée, il est nécessaire de renforcer les normes internationales existantes en matière de protection des journalistes en clarifiant, renforçant et amendant le cadre international existant. Il est également urgent de renforcer la mise en œuvre des normes et dispositions juridiques, notamment pour combler les lacunes en matière de responsabilisation. Moins de 5 % des auteurs de crimes contre des journalistes font l’objet de poursuites. Dans la majorité des cas, les tueurs ne sont jamais retrouvés et aucune enquête n’est menée.

Il est de la responsabilité de tous les États d’honorer leurs obligations pour mettre fin à l’impunité. Le renforcement de la législation nationale et la lutte contre l’impunité des auteurs d’attaques contre des journalistes contribueraient sensiblement à leur protection. L’exigence d’enquêter, d’engager des poursuites, de sanctionner les arrestations illégales et les attaques contre des journalistes, aussi bien que de criminaliser tout comportement illégal de cette nature, doit faire partie intégrante de la lutte contre l’impunité.

La responsabilité des employeurs doit également être renforcée, y compris à l’égard des journalistes indépendants locaux, afin d’améliorer les conditions de travail actuelles des journalistes. Les agences de presse doivent contribuer à la réalisation de l’objectif commun de protection des journalistes en adoptant et en appliquant des dispositions plus strictes et plus complètes en ce qui concerne la sécurité des journalistes et professionnels des médias qui rendent compte de faits survenant dans des zones de conflit en particulier.

Les journalistes traditionnels ne sont pas les seuls à être exposés à des menaces : l’évolution rapide des technologies de l’information permet à des particuliers de diffuser des informations, librement et directement, en utilisation Internet et les médias sociaux. Ces personnes – blogueurs et reporters indépendants – sont elles aussi de plus en plus prises pour cible et il faut prêter attention comme il se doit à leurs inquiétudes concernant leur sécurité.

Bien que nous soyons conscients que les dangers et les menaces ne peuvent jamais être entièrement prévenus et éliminés et que des journalistes seront encore pris pour cible, notamment en raison de l’influence que leurs récits et comptes rendus objectifs peuvent avoir sur la transformation de conflits et de sociétés, cette prise de conscience ne saurait justifier l’inaction. Les attaques contre les journalistes, comme toutes les attaques contre des civils, sont avant tout des attaques contre l’humanité. Ce sont également des attaques contre la capacité de la communauté internationale de comprendre des conflits menaçant la paix et la sécurité internationales et d’y faire face avec efficacité. La vérité ne doit pas être la première victime de la guerre. Les journalistes ne doivent pas et ne devraient pas être victimes des conflits. C’est pour cette raison que la Lituanie a déposé un projet de résolution sur la protection des journalistes. Nous remercions toutes les délégations représentées au Conseil pour leur coopération et tous les coauteurs d’avoir appuyé notre initiative.

Les médias sont essentiels au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Nous avons le devoir et la responsabilité de protéger ceux qui risquent leur vie pour révéler et faire connaître la vérité. Aujourd’hui néanmoins, des guerres sont menées non seulement au moyen d’équipements et d’armes, mais également par une désinformation, une propagande et des restrictions à la liberté des médias délibérées. La guerre devenant de plus en plus asymétrique, et la propagande ciblée devenant simplement une autre arme de guerre, des mesures plus complètes s’imposent clairement pour garantir l’indépendance des médias libres. Je citerai le philosophe français Helvétius :

« Gêner la presse, c’est insulter une nation : lui défendre la lecture de certains livres, c’est la déclarer esclave ou imbécile ».

Les libertés fondamentales d’expression et d’information, qui font partie intégrante des droits fondamentaux, sont au cœur de la liberté et de la prospérité de nos sociétés. En protégeant les journalistes et les professionnels des médias, nous contribuons à protéger la liberté.

Je reprends à présent mes fonctions de Président du Conseil de sécurité.

Je donne maintenant la parole aux autres membres du Conseil.

M. Ybáñez (Espagne) (parle en anglais) : Je salue les exposés présentés par le Vice-Secrétaire général, M. Eliasson, M. Deloire, de Reporters sans frontières, et Mme Pearl. Leur témoignage nous a fortement impressionnés et nous devons analyser soigneusement leurs propositions. Je tiens également à remercier et à féliciter la présidence lituanienne d’avoir convoqué le présent débat public et d’avoir fait la promotion de la résolution 2222 (2015), que nous avons adoptée aujourd’hui.

Nous sommes accompagnés aujourd’hui dans cette salle d’une importante délégation du Congrès des députés espagnol, représentant les différentes forces politiques de mon pays. Sa visite répond à leur volonté de connaître le travail réalisé par le Conseil, profitant ainsi de notre présence au Conseil, et d’appuyer le travail important de cet organe.

La liberté de la presse, en tant qu’expression caractéristique de la liberté d’expression et d’opinion est la colonne vertébrale d’une société libre. La liberté d’expression et d’opinion est l’oxygène indispensable à tout système démocratique digne de ce nom. Ce droit est clairement énoncé à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en deux volets : le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions, et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

L’exercice de la liberté de la presse est essentiel, pas exclusivement, pour les journalistes : un métier difficile car il doit être guidé par des informations véridiques et, dans ce domaine, les désaccords avec le pouvoir politique sont inévitables. Ce métier est cependant indispensable pour se tenir au courant, réfléchir et se faire une opinion. S’agissant de garantir l’accès à une information libre, les journalistes sont des acteurs importants du maintien de la paix et de la sécurité internationales. La contribution du journalisme est particulièrement pertinente en période de conflit armé. La presse indépendante nous informe de la réalité sur le terrain, et l’évolution des nouvelles technologies a énormément facilité l’accès à l’information en temps réel, et a également multiplié les sources d’information et renforcé la présence et l’influence des médias.

Les journalistes font contrepoids de manière efficace à la propagande qui tente souvent de manipuler l’opinion publique. Il y a des exceptions, notamment quand des stations de radio ont été utilisées dans la région des Grands Lacs pour inciter à la haine. Mais c’est l’exception qui confirme la règle. Dans certains cas, les journalistes sont le seul moyen d’avoir accès à des informations véridiques. Aujourd’hui, nous ne saurions pas grand-chose des faits survenus en Syrie ou au Yémen sans la présence de reporters qui poussent à des extrêmes héroïques leur engagement professionnel. Très souvent, les journalistes sont la seule voix sur laquelle comptent les victimes d’atteintes et d’attaques visant la population civile. Ils jouent donc un rôle essentiel dans la mise en place de mesures par la communauté internationale en vue de freiner l’escalade de la violence ou, au moins, de tenter d’atténuer ses effets.

Ils sont également importants pour s’assurer que des crimes ne soient pas impunis et que leurs auteurs rendent compte de leurs actes. Ainsi, les photographies prises et préservées par Francisco Boix, un déporté espagnol, dans le camp de concentration de Mauthausen, ont été déterminantes pour établir les responsabilités dans le cadre des procès tenus après la Deuxième Guerre mondiale.

Les moyens de communication encouragent les gouvernements et la société civile à rechercher un règlement pacifique aux conflits. Le journalisme a contribué de fait à modifier l’ordre du jour du Conseil en appelant son attention sur des questions telles que la protection des civils, le sort des enfants en temps de conflit armé, et les femmes et la paix et la sécurité. La meilleure preuve du rôle irremplaçable et délicat que le journalisme joue en période de conflit est la pression subie par les journalistes dans ces situations. Au Burundi, par exemple, les stations de radio et les chaînes de télévision indépendantes ne sont pas en mesure de diffuser leurs programmes depuis plusieurs semaines. Ce type de pression est observé dans de nombreuses régions. Les données relatives aux attaques contre des journalistes en Ukraine au cours de l’année écoulée, par exemple, sont alarmantes.

Les conditions de travail des journalistes sont hélas toujours plus difficiles à cause de la menace terroriste. La pression et les actes d’intimidation dont ils sont l’objet de la part des groupes terroristes se multiplient. En 2014, les enlèvements de journalistes ont augmenté de 30%. Dans certaines régions d’Iraq et de Syrie, nous parlons maintenant de « coupure de l’information » car les médias ne peuvent pas avoir accès à ces zones. Cette année a commencé de manière douloureuse et révoltante avec l’attentat contre Charlie Hebdo. Les terroristes continuent d’élargir leur champ d’action. La raison pour laquelle les groupes terroristes prennent pour cible la presse est claire : ils abhorrent le pluralisme et prétendent s’imposer par la contrainte. Les pays qui, comme l’Espagne, ont été victimes d’attaques terroristes, savent par expérience que ces groupes sont mus par un instinct totalitaire. Le terrorisme djihadiste utilise Internet et les réseaux sociaux comme instruments essentiels pour recruter des combattants et obtenir des financements. Des groupes tel Daech se servent des réseaux sociaux pour exposer leurs actions et semer la terreur. À moyen et long terme, le meilleur moyen de lutter contre la propagande djihadiste est de fournir des informations fiables sur le véritable visage du terrorisme. Le témoignage des filles yézidies qui ont réussi à échapper à Daech en Iraq ou celui des filles nigérianes récemment libérées après avoir été détenues de manière inhumaine par Boko Haram sont des exemples frappants.

Nous devons beaucoup aux médias. Par opposition, les moyens à notre disposition pour assurer leur protection sont limités. Je mentionnerai certaines mesures visant à améliorer les conditions dans lesquelles ils réalisent leur travail difficile. Il est nécessaire de reconnaître publiquement le travail effectué par les médias et de réaffirmer notre volonté de les protéger. Les débats publics, tel celui d’aujourd’hui, sont une excellente occasion de le faire. Les travaux du Conseil de sécurité donnent également des possibilités de le faire, tant par l’adoption de résolutions et de communiqués à la presse que par l’imposition de sanctions.

Nous, les États devons promouvoir activement la mise en place d’un cadre sûr afin que les journalistes puissent exercer leur profession sans craindre d’être l’objet de mesures de coercition ou d’intimidation. Et cela doit commencer par la ratification et la mise en œuvre des instruments internationaux pertinents en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de l’homme, notamment le Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 (Protocole I) de 1977 ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que par la coopération avec les mécanismes tels que le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression du Conseil des droits de l’homme ou le Bureau du Rapporteur spécial pour la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, ou par le soutien accordé aux efforts déployés par la Représentante pour la liberté des médias de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Nous devons prendre en considération les opinions des médias eux-mêmes lorsque nous déterminons les mesures susceptibles d’améliorer leur sécurité. Personne n’est plus habilité que les professionnels de la communication à contribuer à ce débat. Avant de venir ici à New York, j’ai pu rencontrer à Madrid des associations professionnelles de la presse espagnole, y compris Reporters sans frontières, et sonder leurs opinions.

J’ai entendu des propositions intéressantes et je voudrais ici en souligner quelques-unes : la poursuite des crimes ciblant les journalistes en tant que crimes de guerre et ce, selon certains critères ; le rôle – déjà évoqué – des médias dans les conflits armés ; le fait que les journalistes, de par la nature de leur travail, sont particulièrement exposés aux dangers et aux menaces -les enlèvements et les exécutions de journalistes sont des instruments de propagande, d’intimidation et de terreur dont se servent les groupes terroristes, entre autres moyens, pour faire impression sur l’opinion publique ; le niveau élevé d’impunité dont jouissent les crimes contre les journalistes, comme cela a été dit dans l’exposé présenté aujourd’hui, ce qui justifierait un renforcement de la coopération entre le Conseil de sécurité et le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale.

Il serait également utile – et là encore, je me fais l’écho d’une proposition des médias espagnols – d’avoir un rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression sur un phénomène de plus en plus fréquent et préoccupant, à savoir l’exil forcé de nombreux journalistes. Selon Reporters sans frontières, en 2014 139 journalistes et 20 blogueurs ont dû s’exiler, presque deux fois plus que l’année précédente, principalement parce qu’ils étaient menacés de violences ou d’emprisonnement en raison des thèmes sur lesquels portaient leurs enquêtes. Seuls 5 % d’entre eux rentrent dans leur pays. Les 95 % restants restent vulnérables, même dans leur exil.

Je voudrais à présent évoquer brièvement trois questions que l’Espagne juge prioritaires et en rapport avec le présent débat.

Premièrement, s’agissant de l’égalité des sexes, les médias ont un rôle crucial à jouer pour prévenir la violence contre les femmes et définir leur participation aux processus de paix. La station de radio Okapi en République démocratique du Congo, associée à l’ONU et qui a 14 millions d’auditeurs, en est un parfait exemple. L’année dernière, l’Espagne a décerné son prix le plus prestigieux, le Prix Prince des Asturies de la Concordia, à la journaliste Caddy Adzuba pour sa défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse. Nous pensons à des mesures concrètes telle l’inclusion dans les comités des sanctions de critères de désignation relatifs aux violations des droits des femmes et des défenseurs de ces droits qui sont souvent des journalistes.

Deuxièmement, s’agissant de l’examen des opérations de maintien de la paix, nous sommes d’avis que le rôle des médias doit faire l’objet d’une attention particulière lorsque sont définis les mandats des missions politiques et des opérations de paix des Nations Unies. La résolution que nous avons adoptée aujourd’hui rappelle l’importance de ce facteur.

Troisièmement, en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies reconnaît le rôle important des médias contre la propagation des idéologies extrémistes. L’examen de 2016 sera l’occasion de renforcer cette perspective. Par ailleurs, durant la réunion que le Comité contre le terrorisme tiendra à Madrid en juillet prochain, nous prendrons dûment compte du rôle des médias dans le cadre d’une table ronde consacrée à l’identification et la prévention du recrutement de combattants étrangers.

Je conclurai par une autre proposition. L’ONU dispose d’un vaste réseau d’organismes et d’institutions qui peuvent contribuer à améliorer la sécurité des journalistes, comme l’indique le Plan d’action promu par l’UNESCO en 2012. Il conviendrait d’en évaluer l’efficacité et d’appliquer les conclusions aux organes correspondants du système des Nations Unies. Le dixième anniversaire de la résolution 1738 (2006) en 2016 sera une excellente occasion de le faire, ainsi que de renforcer la coopération dans ce domaine entre l’ONU et les organisations régionales.

Enfin, je tiens à réitérer mon admiration et ma reconnaissance aux professionnels des médias qui risquent leur vie dans des situations de conflit pour s’acquitter de la noble tâche de témoigner de ce qu’ils voient. Leurs chroniques sont indispensables pour tenir nos consciences en éveil et nous permettre de réagir face à la commission de crimes et d’abus. Au nom de l’Espagne, je leur rends hommage.

Mme Power (États-Unis d’Amérique) (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, de présider cette séance, ainsi que la Lituanie pour les efforts constants qu’elle déploie pour incorporer la question de la liberté de la presse et des menaces qui la visent dans nos activités au Conseil de sécurité. Je remercie également les intervenants, M. Deloire et Mme Pearl, pour les discours puissants qu’ils ont faits aujourd’hui et pour le travail extraordinaire qu’ils mènent pour la défense de cette cause d’une importance critique. Mme Pearl est une force extraordinaire au service du bien dans le monde. En tant que mère et ancienne journaliste, je suis impressionnée par sa fortitude. Je remercie tout particulièrement son fils, Adam, pour sa présence parmi nous aujourd’hui. Il nous rappelle pourquoi nous devons faire plus pour protéger les journalistes.

Il y a presque deux ans, en juillet 2013, lors de la dernière séance du Conseil sur la protection des journalistes, les États-Unis ont évoqué le cas de Mazen Darwish, Président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression. Darwish était tenu au secret depuis février 2012, arrêté par le régime avec plusieurs de ses collègues. Aujourd’hui, il est toujours derrière les barreaux avec les journalistes Hani Zaitani et Hussein Ghreir. Le 13 mai, leur procès a été reporté pour la vingt-quatrième fois – ce qui n’est guère surprenant vu que leur seul crime a été de dire la vérité sur les atrocités commises par le régime d’Al-Assad. Depuis le début du mois, on ne sait plus rien de ces trois hommes. Yara Bader, la courageuse épouse de Mazen, qui dirige le Centre depuis l’arrestation de son mari et mène une campagne mondiale pour sa libération, est avec nous ici aujourd’hui. Je la remercie pour tout ce qu’elle fait.

Le cas de Darwish est une illustration des trois problématiques que je souhaite mettre en exergue aujourd’hui relatives à la protection des journalistes.

Comment la communauté internationale peut- elle protéger les journalistes contre des parties qui les ciblent de manière délibérée ? Depuis les quelque quatre ans que dure le conflit syrien, plus de 80 journalistes ont été tués et 90 au moins ont été enlevés, selon e Comité pour la protection des journalistes. Beaucoup d’autres ont été menacés, attaqués, blessés, victimes d’attentats à la bombe ou « disparus ». Ils sont visés par le régime d’Al-Assad et par les groupes extrémistes violents comme l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), dont les exécutions barbares de journalistes, de travailleurs humanitaires, de soldats étrangers et de membres de religions ou de convictions politiques différentes semblaient avoir pour objectif d’utiliser les souffrances de leurs victimes tant comme un moyen de recrutement qu’une façon de dissuader d’autres journalistes de couvrir le conflit. Malheureusement, il semble que leurs tactiques marchent, les vidéos de leurs exécutions étant largement diffusées sur les réseaux sociaux, alors que la couverture médiatique nationale et internationale du conflit syrien a énormément diminué. Ce que le régime d’Al-Assad, l’EIIL et d’autres acteurs étatiques et non étatiques du même acabit qui ciblent les journalistes ont en commun, c’est qu’ils ne veulent pas que le public voie vraiment ce qu’ils sont – qu’il s’agisse d’un régime prêt à torturer, à larguer des bombes ou du gaz et à affamer sa population pour se maintenir au pouvoir, ou d’un groupe se couvrant du manteau de la religion et qui, chaque jour, profane le fondement même de la dignité humaine. C’est pourquoi les Mazen Darwish, James Foley et Daniel Pearl du monde sont si dangereux pour ces groupes et ces gouvernements. Leurs reportages les révèlent pour ce qu’ils sont.

J’en arrive à la deuxième problématique. Comment protéger les journalistes et, plus généralement, les libertés de la presse dans des situations où la violence augmente et où existe le risque que se produisent des atrocités de masse ? Cette question est importante, car nous savons qu’une presse solide peut jouer un rôle clef pour empêcher des crises de se transformer en conflits tous azimuts et minimiser les conditions propices à des violations graves des droits de l’homme.

C’est ce que nous pouvons voir en ce moment même au Burundi. Après que le parti au pouvoir a annoncé la candidature du Président Nkurunziza à un troisième mandat, alors que l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha pour le Burundi interdisait expressément plus de deux mandats, de grandes manifestations ont éclaté. Le Gouvernement a riposté en fermant les principaux médias du pays. Peu après que des membres de l’armée ont tenté un putsch contre le Gouvernement en place, les bureaux d’au moins quatre stations de radio indépendantes, qui avaient souvent émis des critiques à l’encontre du Gouvernement Nkurunziza, ont été attaqués et leur matériel détruit. Depuis que la tentative de coup d’État a été déjouée, plusieurs journalistes indépendants disent avoir été informés qu’ils étaient inscrits sur une liste de personnes à arrêter, et beaucoup d’autres ont été menacés d’être tués, torturés et « disparus », ce qui les a contraints à entrer dans la clandestinité. Un journaliste burundais a dit dans un entretien accordé à la presse que « aucun journaliste ne se sent suffisamment en sécurité pour se mettre en quête d’informations ». Et cela se passe aujourd’hui, au Burundi.

Même dans des pays qui ne sont pas en conflit ou en danger imminent de troubles graves, l’atteinte progressive aux libertés de la presse constitue souvent le signe annonciateur d’un recul des droits de l’homme, qui sont d’une importance critique pour la santé des démocraties. Et c’est la troisième problématique dont je veux parler : comment nous y prenons-nous – et par « nous », j’entends les Nations Unies, des organes tels que le Conseil de sécurité et chacun d’entre nous, États Membres – pour contrecarrer l’action de sape des gouvernements qui, déterminés à réduire au silence les voix discordantes qui s’élèvent et les autres moyens capitaux de libre expression, s’en prennent aux libertés de la presse. Que l’on s’arrête sur n’importe quelle région du monde, et l’on verra se profiler d’alarmants signes de la façon dont la répression de la liberté de la presse va de pair avec une répression plus large des droits civils et politiques.

Prenons l’exemple de l’Éthiopie, où neuf journalistes, dont six blogueurs du collectif « Zone 9 », qui couvre l’actualité politique et sociale, ont été mis en prison depuis avril 2014 en vertu du décret sur la lutte antiterroriste en vigueur en Éthiopie. Après 20 audiences administratives, leur procès a finalement commencé le 30 mars. S’ils sont condamnés au titre du décret en vigueur, ils encourent au minimum une dizaine d’années de prison.

Prenons l’Azerbaïdjan, où Khadija Ismayilova, qui collabore au service azerbaïdjanais de Radio Free Europe et Radio Liberty (RFE/RL), est toujours incarcérée pour des motifs largement considérés comme politiques. Elle est connue pour ses enquêtes sur la corruption. Après l’avoir arrêtée en décembre 2014 au motif qu’elle aurait incité un homme au suicide, les autorités ont effectué une descente dans le bureau de Bakou de RFE/RL, fait subir un interrogatoire à son personnel, confisqué des notes de reportages et apposé des scellés sur la salle de presse. De nouveaux chefs d’accusation ont été ajoutés au dossier dans l’affaire Ismayilova, dans l’attente du procès, y compris les chefs de détournement de fonds, d’activité illégale et d’abus de pouvoir.

Il vaut la peine de noter que aux quatre coins du monde, il y a, pour chaque individu, chaque groupe qui fait l’objet de persécutions, d’attaques et de menaces, un nombre incalculable d’autres personnes touchées, c’est-à-dire celles qui, s’apercevant des risques, soit commencent à pratiquer l’autocensure, soit se cachent, soit encore fuient le pays qui a pourtant si cruellement besoin de voix indépendantes comme la leur.

Compte tenu de l’importance critique que revêtent les libertés de la presse aux fins de la réalisation de tant des objectifs du Conseil, j’aimerais faire quatre recommandations, pour terminer, sur la manière dont nous pouvons relever ces défis.

Premièrement, nous devons condamner les gouvernements et les acteurs non étatiques qui s’en prennent aux journalistes, ainsi que les lois et réglementations excessivement restrictives qui en remettent en cause la liberté. Il est beaucoup plus simple d’empêcher ces espaces de se refermer que d’avoir à lutter pour les rouvrir.

Deuxièmement, nous devons donner aux journalistes les outils dont ils ont besoin pour se protéger, en particulier lorsqu’ils travaillent dans des zones de conflit et des sociétés répressives. Les 100 millions de dollars que les États-Unis ont investis afin de former aux techniques de sécurisation numérique plus de 10 000 journalistes et militants des droits de l’homme travaillant sous la menace et de leur fournir des outils anti-censure en sont un exemple. Un autre exemple est la formation fournie par des groupes de la société civile tels qu’Institute for War and Peace Reporting, dont le directeur pour l’Iraq, Ammar Al-Shahbander, a été tué le 2 mai dans un attentat à la voiture piégée qui laisse inconsolables sa famille, le grand nombre de journalistes dont il avait été le mentor, et son pays.

Troisièmement, nous pouvons veiller à ce que ceux qui s’en prennent aux journalistes aient réellement à répondre de leurs crimes. En n’ouvrant pas d’enquêtes efficaces ou de poursuites contre ces crimes, on montre aux responsables qu’ils peuvent continuer de les commettre sans en supporter les conséquences.

Quatrièmement et pour finir, nous pouvons aider à mettre en place des programmes de protection des journalistes qui travaillent dans les zones de conflit, en particulier ceux qui sont menacés en raison de leur travail. La Colombie nous montre à cet égard la voie à suivre. Le service national de protection créé par le Gouvernement colombien en 2011 est habilité à protéger 19 groupes vulnérables, dont les journalistes et les militants des droits de l’homme. L’année dernière déjà, ce sont plus de 80 journalistes – chiffre extraordinaire – qui ont bénéficié de mesures de protection allant des téléphones cellulaires et indemnités de transport aux gardes du corps et aux voitures blindées. Le programme dispose d’un budget annuel de 160 millions de dollars, ce qui en dit long sur l’engagement de la Colombie en matière de protection de ces personnes et sur sa prise de conscience du rôle crucial que jouent ces groupes.

L’une des journalistes bénéficiaires de cette protection s’appelle Jineth Bedoya Lima. En 2000, à l’âge de 26 ans, alors qu’elle se rendait dans l’une des prisons les plus dangereuses du pays afin de faire un reportage sur les groupes paramilitaires, elle a été enlevée, droguée et emmenée dans une cachette où elle a été violée et battue par trois hommes. Pendant qu’ils lui infligeaient ces traitements, l’un de ses ravisseurs lui a dit qu’ils envoyaient un message à la presse colombienne. Ils l’ont ensuite abandonnée ligotée auprès d’une décharge. Elle s’est enfuie du pays peu de temps après. Aujourd’hui, elle est de retour en Colombie, où elle fait des reportages sous la protection de gardes du corps de ce service colombien. Elle connaît encore la peur mais persévère, habitée de la détermination de relater les situations qui, autrement, ne seraient jamais connues au grand jour, comme la sienne.

En osant parler de sa propre expérience, elle a aidé à mettre mieux en évidence le problème grave – et gravement négligé par la presse – des agressions sexuelles commises pendant le long conflit qu’a connu la Colombie, et elle est désormais une militante en vue de la lutte contre l’impunité, alors que plusieurs de ses propres assaillants continuent de se promener en liberté. Elle a également mené une campagne dans tout le pays en vue de l’instauration d’une journée dédiée à la dignité des femmes victimes de violences sexuelles, que le Président colombien, Manuel Santos Calderón, a accepté l’année dernière de créer. La Colombie vient juste de célébrer cette journée pour la première fois il y a deux jours, lundi 25 mai.

Il existe peu de témoignages vivants plus éloquents que l’histoire de Jineth Bedoya sur l’importance qu’il y a à protéger les journalistes. Nous ne devons pas permettre que l’on impose silence à des voix comme la sienne.

M. Delattre (France) : Monsieur le Président, je vous remercie d’avoir organisé ce débat, plus que jamais nécessaire. Je remercie également le Vice-Secrétaire général de son intervention ainsi que Mme Pearl et M. Deloire de leur important témoignage, qui nous permet de mieux comprendre les défis rencontrés par les journalistes sur le terrain et d’identifier des pistes d’action concrètes pour mieux les protéger.

Nous n’oublierons jamais Daniel Pearl, comme nous n’oublierons jamais chacun des journalistes qui ont payé de leur vie leur engagement pour la liberté de l’information. La tragédie qu’ils ont vécue nous oblige tous. Je tiens à dire à Mariane Pearl que son engagement est une source d’inspiration pour nous tous et souhaite la bienvenue à son cher fils qui fêtera demain son anniversaire.

Je voudrais aussi saluer le travail remarquable et inlassable accompli, depuis des années, par Reporters sans frontières pour attirer l’attention sur la situation des journalistes menacés et trouver, encore une fois, des pistes concrètes pour améliorer la situation.

Le 7 janvier dernier, au cœur de Paris, deux terroristes ont attaqué à l’arme lourde le siège du journal Charlie Hebdo. Ils ont assassiné douze personnes et en ont blessé onze autres. En s’attaquant à cette rédaction, les terroristes n’ont pas seulement tué des personnes. Quand un journaliste est assassiné, c’est la liberté d’expression qui est visée. Comme le souligne la résolution 2222 (2015) adoptée par le Conseil aujourd’hui, une presse libre et indépendante constitue l’un des fondements essentiels de nos sociétés démocratiques.

Bien avant la folie meurtrière qui s’est abattue sur la rédaction de Charlie Hebdo, les journalistes ont été, partout, victimes de violences et ont payé de leur vie le prix de la liberté d’expression. En 2014, comme on l’a rappelé, ce sont 66 journalistes, 11 collaborateurs, et 19 citoyens journalistes qui ont été tués, plus de 350 placés en détention, des milliers d’entre eux victimes de harcèlement, d’arrestations arbitraires, de législations liberticides. Et cette tendance se poursuit en 2015, où 25 d’entre eux, et parmi eux de nombreux journalistes locaux, ont déjà perdu la vie. Partout, les journalistes subissent les persécutions de régimes autoritaires qui cherchent à les museler. C’est ainsi qu’une centaine de journalistes, professionnels ou non, ont été tués en Syrie depuis le début du conflit, dont quatre Français. Ils ont payé de leur vie leur détermination à montrer au monde la réalité de la répression aveugle qui frappe le peuple syrien. Aux persécutions du régime s’ajoutent désormais la barbarie de Daech. Ce groupe terroriste n’hésite pas à médiatiser des exécutions de journalistes, dans des mises en scène macabres qui choquent profondément la conscience humaine.

Si les terroristes s’attaquent à eux, c’est que les journalistes représentent tout ce que Daech déteste et cherche à éradiquer : la liberté, le pluralisme, la culture, la démocratie. En Iraq comme en Syrie, ils cherchent à créer un trou noir, d’où l’information ne peut plus sortir, où l’obscurantisme règne sans partage et sans lumière. Que ces terroristes sachent que leurs actions barbares ne font que renforcer notre détermination collective à les combattre.

Tous le constatent aujourd’hui, le défi de la protection des journalistes reste largement à relever. Il est de la responsabilité première des gouvernements de protéger les journalistes, et de leur permettre d’accomplir leur travail sans entrave et de façon indépendante. Cela passe notamment par la lutte contre l’impunité pour les auteurs de violences. Les États doivent systématiquement enquêter, appréhender et juger les responsables. Actuellement, 90 % des meurtres de journalistes restent impunis, ce qui favorise de nouvelles violences. Cette situation n’est pas acceptable. La Cour pénale internationale peut aussi jouer un rôle. Au titre des Conventions de Genève, les journalistes sont des civils. Leur assassinat peut donc constituer un crime de guerre en vertu du Statut de Rome. Les textes sont là, il faut les appliquer.

Il revient également à la communauté internationale, et notamment au Conseil de sécurité, de réfléchir et d’agir pour protéger les journalistes. Nous devons reconnaître la vulnérabilité des journalistes en situation de conflits et faire en sorte, de manière plus méthodique, plus systématique, que les opérations de maintien de la paix assurent la protection des journalistes, en tant que civils menacés. Elles doivent également faire rapport au Conseil sur les violations des droits de l’homme commises contre les journalistes.

Comme nous l’a rappelé éloquemment M. Deloire, les violences contre les journalistes ne se limitent pas cependant aux situations de conflits armés. La majorité des persécutions se produisent dans des pays en paix, bien souvent lorsque les journalistes enquêtent sur des cas de corruption ou de crime organisé. À cet égard, le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, élaboré sous l’égide de l’UNESCO en 2012, est une excellente initiative. Il doit maintenant être pleinement mis en œuvre par l’ensemble du système des Nations Unies, en coopération avec les États Membres et la société civile. Il convient également, comme nous y encourage là aussi M. Deloire, d’examiner les voies pour améliorer la cohérence, l’efficacité et la visibilité de l’action des Nations Unies en matière de protection des journalistes.

La liberté d’informer est au cœur de toute démocratie. Elle est au cœur de l’ADN et des priorités de la France, à l’intérieur comme à l’extérieur. Qu’ils soient journalistes, blogueurs, reporters de guerre ou personnels associés, ce sont eux qui chaque jour nous aident à mieux comprendre le monde et son évolution. Chacun voit que le premier réflexe des ennemis de la liberté, c’est de bâillonner la presse, que les premiers alliés de la démocratie, ce sont les medias indépendants. La liberté d’expression doit être respectée partout. Il est de notre responsabilité à tous d’œuvrer pour assurer le plein exercice de cette liberté, y compris ici au Conseil de sécurité. Faisons-en notre combat commun.

M. Chérif (Tchad)  : Je voudrais, tout d’abord, vous souhaiter la bienvenue, Monsieur le Président, ainsi qu’aux autres ministres présents et remercier la présidence lituanienne d’avoir organisé le présent débat public sur la protection des journalistes en situation de conflit. Je remercie également M. Jan Eliasson, Vice- Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, M. Christophe Deloire, Directeur général de Reporters sans frontières, et Mme Mariane Pearl, de la Fondation Daniel Pearl, de leurs interventions.

Les conflits armés, qui se déroulent actuellement dans le monde, mettent en évidence les souffrances des civils, et plus particulièrement, des femmes, des enfants et des personnes vulnérables. Les témoignages des hommes de la presse dans les conflits armés deviennent une nécessité de nos jours. Grâce à leur présence, nous sommes mis au fait, et en temps réel, de nombre de violations et abus à l’endroit des populations civiles innocentes, et cela a souvent permis à la communauté internationale de prendre des décisions importantes. Ces hommes et ces femmes de la presse travaillent non seulement dans des conditions difficiles, mais sont de plus en plus la cible d’attaques délibérées dans les zones de conflit. Ils sont souvent enlevés ou séquestrés pour être échangés contre rançon, sinon torturés et exécutés sans autre forme de procès. Les femmes exerçant le métier de journaliste et celles qui font partie du personnel associé ne sont pas épargnées et sont parfois délibérément visées. Lorsque les terroristes de Daech, d’Al-Qaida au Maghreb islamique ou autre Al-Qaida, ou les groupes armés en font des cibles privilégiées, notre obligation devrait consister à leur porter immédiatement secours en renforçant davantage leur protection. La poursuite effective des auteurs de ces violations est un moyen de dissuasion pour ces acteurs non étatiques ne se sentant pas liés par les instruments internationaux de protection des journalistes.

Les journalistes présents dans les zones de conflit armé jouissent de la même protection que tout autre civil en application du droit international humanitaire, conformément aux Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. L’adoption en décembre 2006 de la résolution 1738 (2006), demandant la protection des journalistes en zone de guerre, a suscité beaucoup d’espoir et a réjoui toute la profession, même si sa mise en application n’a pas été à la hauteur des attentes. Malgré les obligations découlant des Conventions de Genève et la résolution 1738 (2006) susmentionnée, les attaques et les persécutions qui s’exercent contre les journalistes n’ont pas diminué. Selon la note conceptuelle (S/2015/303, annexe) fournie par la présidence lituanienne, pour la seule année 2014, 61 journalistes ont été tués, dont 87% sont des locaux, et 221 autres emprisonnés. Le problème de la protection des journalistes dans les conflits armés est donc lié plus à l’insuffisance ou à l’absence de volonté politique des belligérants de se conformer à leurs obligations qu’à l’inexistence d’un cadre juridique.

Nous espérons que la résolution 2222 (2015) que nous venons d’adopter constitue une nouvelle étape dans l’engagement des États à assumer pleinement leurs obligations en ce qui concerne la protection des professionnels des médias dans les hostilités, et traduit un message fort du Conseil de sécurité, à savoir que les attaques injustifiées contre les journalistes dans le monde ne resteront pas sans conséquences. Dans cette optique, il est urgent de mettre l’accent sur les mesures pratiques, efficaces, de nature à aider à prévenir et à réduire les attaques dont les hommes et les femmes des médias sont la cible aujourd’hui. À cet égard, tout en rappelant la responsabilité première des parties belligérantes, notamment des États, dans la protection des journalistes, il convient de souligner l’importance des contributions des organisations internationales, régionales et sous-régionales dans son renforcement. La sensibilisation des acteurs concernés et l’octroi d’une assistance technique aux pays de développement en matière de protection contribueront également à promouvoir la coopération dans ce domaine. Nous saluons, à cet égard, l’attention toute particulière que l’UNESCO et le Conseil des droits de l’homme accordent à la question de la protection des journalistes.

Nous saluons le rôle combien important des journalistes et du personnel associé dans la protection des civils en situation de conflit armé et leur contribution en vue d’asseoir des sociétés démocratiques. Nous insistons sur le fait que leur formation et une observation rigoureuse de leur déontologie professionnelle éviteront sans conteste à certains d’entre eux les écueils de la désinformation et les appels à la haine de nature à exacerber les conflits. À cet égard, les journalistes doivent respecter les principes d’impartialité et d’objectivité dans l’exercice de leur métier. Nous appelons, par ailleurs, les responsables des maisons de presse à bien évaluer les risques avant d’envoyer les journalistes et le personnel associé dans des foyers de conflit pour faire les frais de la terreur aveugle dont ils font de plus en plus l’objet en ce moment.

Qu’il me soit permis, pour finir, de saluer une fois de plus la mémoire de tous ceux qui sont injustement exécutés et de rendre hommage à ceux qui se trouvent encore entre les mains des groupes armés ou des groupes terroristes. Nous joignons notre voix à celle des autres pour appeler à leur libération immédiate et sans condition, et demandons à ce que les auteurs de ces crimes soient recherchés et traduits en justice. L’impunité doit cesser à l’égard de ceux qui tuent des journalistes.

M. Van Bohemen (Nouvelle-Zélande) (parle en anglais) : Je vous souhaite la bienvenue, Monsieur le Président, ainsi qu’aux autres Ministres des affaires étrangères qui participent au débat d’aujourd’hui, et je remercie le Vice-Secrétaire général, M. Eliasson, de son exposé. Je salue les exposés incitant à la réflexion qui nous ont été présentés par M. Christophe Deloire et par Mme Mariane Pearl, et notamment les remarques de Mme Pearl sur la nature changeante du journalisme, sur la nécessité de réfléchir à l’équilibre entre reportage et divertissement, ainsi que son analyse des menaces que font peser certaines organisations terroristes, d’autres acteurs non étatiques et, malheureusement, certains gouvernements qui sont membres de l’Organisation, sur ceux qui tentent le pari exigeant d’informer.

Cela fait près de neuf ans que le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1738 (2006) sur la protection des journalistes en période de conflit armé. Les années qui se sont écoulées depuis lors ont été particulièrement dangereuses et sanglantes, comme nous venons de l’entendre dire aujourd’hui. Plus de 60 journalistes ont été tués chaque année depuis l’adoption de la résolution 1738 (2006). La plupart, mais pas la totalité, de ces décès sont liés à des conflits, et beaucoup d’autres ne sont pas signalés. Déjà cette année, 25 journalistes ont été tués. La Nouvelle-Zélande se félicite donc de l’occasion que ce débat nous donne de débattre de la protection des journalistes en période de conflit armé, et nous félicitons la Lituanie d’avoir pris cette initiative.

Aujourd’hui, je voudrais me concentrer sur quatre points importants de la protection. Le premier consiste à lutter contre l’impunité. Dans neuf cas sur 10, les auteurs d’attaques contre les journalistes ne sont jamais poursuivis. Cela reste d’abord et avant tout une responsabilité nationale. Bien que cela puisse poser certaines difficultés aux États fragiles et frappés par un conflit, il existe des outils permettant de les y aider, notamment par l’intermédiaire des organisations régionales. Les États doivent mieux s’entendre à demander de l’aide. La résolution 2222 (2015) adoptée aujourd’hui renforce les normes dans ce domaine.

Deuxièmement, la Nouvelle-Zélande se félicite de l’amélioration du suivi réalisé par l’ONU de la protection des journalistes, y compris dans le rapport thématique du Secrétaire général sur la protection des civils (S/2013/689) ainsi que dans les rapports consacrés à certains pays. Ces rapports doivent avoir un effet sur les travaux du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et des divers rapporteurs et envoyés spéciaux qui s’inquiètent des attaques perpétrées contre les journalistes dans le cadre de leurs mandats respectifs. Cela apportera plus de clarté, au niveau national et dans tout le système des Nations Unies, en vue d’améliorer la mise en œuvre de la résolution 1738 (2006) et désormais de la résolution 2222 (2015).

Troisièmement, nous reconnaissons les vulnérabilités particulières des journalistes locaux, qui représentent la majorité des victimes. Les journalistes locaux n’ont souvent pas accès au type de matériel et de ressources qui pourraient les aider à se protéger. À cet égard, nous demandons instamment aux médias d’assumer la responsabilité de l’ensemble de leur personnel, quelqu’en soit le statut national. Nous exhortons également le personnel de l’ONU sur le terrain à rester attentif aux problèmes de protection auxquels sont confrontés les journalistes locaux.

Enfin, l’on observe une transformation technologique et une évolution rapide du paysage médiatique. Toute personne disposant d’un stylo et d’un bloc-notes, d’un téléphone intelligent et d’un compte Twitter peut contribuer à la discussion via Internet et les médias sociaux. Cela a entraîné une augmentation du nombre de journalistes citoyens, qui sont souvent la seule source d’information dans certaines zones contrôlées par les terroristes ou d’autres acteurs non étatiques. L’importance de ces changements ne saurait être ignorée. Les journalistes citoyens sont souvent exposés et en danger. La Syrie en est un funeste exemple, des informations crédibles indiquant qu’au moins 130 journalistes citoyens et internautes y ont été tués depuis le début du conflit.

Les journalistes restent un facteur essentiel de notre travail au sein du Conseil. Nombre des horribles incidents qui se rapportent à la persécution de journalistes en Syrie et ailleurs nous ont été rappelés très clairement aujourd’hui. Nous apprécions la relation étroite que nous entretenons avec les représentants des médias qui suivent les travaux du Conseil aussi bien ici que dans les conflits à l’étranger. Il faut relater ce qui se passe sur le terrain et ce qu’on ne voit pas. Les populations burundaise, syrienne, sud-soudanaise, ukrainienne, yéménite et autres ont besoin de se faire entendre.

M. Zagaynov (Fédération de Russie) ( parle en russe) : Nous nous félicitons de l’occasion donnée au Conseil d’examiner une fois encore la question de la protection des journalistes, qui constitue un aspect important du problème de la protection des civils dans les conflits armés.

Dans le contexte des divers conflits armés qui font rage actuellement, le journalisme demeure l’une des professions les plus dangereuses. Rien que la semaine dernière, nous avons appris la mort tragique d’un autre représentant de la presse, le journaliste de télévision iraquien Firas Al-Bahri, exécuté par l’État islamique. Les journalistes, qui entrent dans la catégorie des civils en vertu du droit international humanitaire, sont en conséquence protégés en vertu du code des conflits armés, ce qui est parfaitement justifié.

Compte tenu du rôle croissant que jouent les médias dans la vie politique et sociale à travers le monde, les questions liées aux activités des journalistes sont de plus en plus incluses dans l’ordre du jour de diverses institutions et organisations internationales, notamment l’UNESCO, le Conseil des droits de l’homme, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité. Nous considérons que la résolution 2222 (2015) adoptée aujourd’hui est le prolongement du texte fondateur du Conseil de sécurité dans ce domaine, à savoir la résolution 1738 (2006). La question de la protection des journalistes doit rester une priorité dans les activités de ces organes, en fonction bien entendu de leur mandat et de leur compétence. Dans le même temps, les tentatives d’interpréter plus largement cette catégorie pour y inclure quasiment tous les internautes, même s’ils ne sont pas des journalistes professionnels, n’en amélioreront nullement l’efficacité. Diluer la notion même de ce qu’est un journaliste ne contribuera pas à régler la situation.

Malgré toutes les mesures prises par la
c ommunauté internationale, la sécurité des journalistes 
laisse encore beaucoup à désirer. Leurs droits sont
parfois extrêmement méconnus, et leur vie et leur
intégrité physique sont menacées. En 2014, le nombre
de journalistes tués a augmenté. Les nouvelles
faisant état de journalistes tués ou blessés en Syrie,
en Iraq et en Libye et dans d’autres pays ne cessent
de nous parvenir avec une régularité alarmante. Le
personnel des médias travaillant dans les points
chauds est victime d’intimidation, d’agressions, de
perquisitions, d’arrestations arbitraires et d’expulsions.

L’enlèvement de journalistes par l’État islamique et par
des organisations terroristes qui lui sont associées est extrêmement préoccupant. Nous sommes tous informés de cas où l’équipement onéreux dont ont besoin les journalistes dans leurs activités professionnelles a été intentionnellement détruit ou confisqué.

Nous sommes particulièrement préoccupés par la situation en Ukraine, où les journalistes, et notamment ceux qui représentent les médias russes, sont non seulement mis en danger du fait de leur travail, mais sont également forcés de travailler dans des conditions de discrimination flagrante. Des journalistes russes sont régulièrement appréhendés par des agents des services spéciaux ukrainiens. Certains représentants des médias russes et étrangers ont payé de leur vie leurs efforts pour travailler dans la zone de conflit et dire la vérité sur ce qui s’y passe. Malheureusement, ces cas non seulement restent impunis, mais ne sont pas toujours portés à l’attention des organisations des droits de l’homme et des entités internationales compétentes.

Les conflits armés modernes sont également caractérisés par ce qu’on appelle la guerre de l’information. Pour la gagner, il faut tout un arsenal d’armes, incluant notamment les décisions prises par certains États d’interdire la diffusion d’émissions ou d’imposer des sanctions aux médias qui ne leur plaisent pas. Dans ce contexte de guerre de l’information, nous devons aussi faire une place à des incitations à l’intolérance et à la diffusion d’un discours de haine. À cet égard, il convient de rappeler la responsabilité qui est celle des journalistes à l’égard de la société.

Nous partageons l’avis exprimé dans le document de réflexion établi pour la séance d’aujourd’hui (S/2015/307, annexe), à savoir que pour couvrir un conflit, un journaliste doit être bien préparé, ce qui peut l’aider à réduire au minimum certains risques. Le nombre croissant de victimes parmi les journalistes témoigne de la nécessité d’intensifier les efforts pour assurer leur protection dans les zones de conflit armé. La responsabilité de veiller à la protection des civils, et notamment des journalistes, incombe au premier chef aux parties au conflit.

Nous condamnons résolument tous les actes de violence visant les journalistes et appelons les autorités de tous les États sur le territoire desquels se déroulent des conflits armés à ne ménager aucun effort pour lancer des enquêtes et des poursuites au sujet des crimes commis et traduire en justice leurs auteurs, en particulier les crimes commis à l’encontre des professionnels des médias.

Adnin (Malaisie) (parle en anglais) : Au nom de la délégation malaisienne, je tiens à remercier M. Linkevičius, Ministre des affaires étrangères de la Lituanie, ainsi que la Lituanie, d’avoir organisé ce débat qui arrive à point nommé, sur l’importante question qu’est la protection des civils, et en particulier la protection des journalistes en période de conflit armé. Nous estimons que sa présence parmi nous aujourd’hui reflète la haute importance qu’il attache à cette question et nous félicitons la Lituanie pour le rôle de chef de file qu’elle joue pour promouvoir des progrès dans ce domaine.

C’est avec plaisir que nous nous sommes portés coauteurs de la résolution 2222 (2015) qui vient d’être adoptée par le Conseil et que nous nous sommes joints au consensus à cette fin.

Ma délégation remercie M. Jan Eliasson, Vice- Secrétaire général, M. Christophe Deloire, de Reporters sans frontières, et Mme Marianne Perle, de la Fondation Daniel Pearl, de leurs exposés respectifs que nous avons suivis avec beaucoup d’intérêt.

À notre avis, la résolution 2222 (2015) apporte une contribution positive au renforcement des normes internationales en vigueur concernant la protection des civils et en particulier des journalistes dans des situations de conflit armé. La Malaisie voudrait saisir cette occasion pour rendre hommage aux âmes courageuses qui ont risqué leur vie et, dans certains cas, ont fait le sacrifice ultime, en poursuivant leur vocation, qui est de mettre en plein jour la dimension humaine des conflits, y compris leurs causes profondes, et de faire
connaître les histoires de ceux qui sont pris au piège des cycles de violence.

Nous voudrions souligner que dans les situations de conflit armé, la responsabilité d’assurer la protection des civils, y compris des journalistes, incombe aux parties au conflit, qu’il s’agisse d’un conflit à l’intérieur d’un État ou entre États. En effet, cette responsabilité qui incombe aux parties au conflit est clairement consacré par les instruments internationaux applicables en matière de droit international des droits de l’homme, de droit international humanitaire et de droit pénal international. Nous sommes vivement préoccupés par le phénomène de plus en plus fréquent où des journalistes sont délibérément pris pour cible par les parties à un conflit. Les statistiques sont d’autant plus inquiétantes qu’elles semblent indiquer que le plus souvent, les journalistes sont délibérément pris pour cible par des acteurs non étatiques, notamment par des groupes terroristes et des personnes qui leur sont affiliées.

Il y a à peine une semaine, le 20 mai, nous avons eu connaissance de l’enlèvement et de l’exécution subséquente du journaliste Feras Yasin par Daech à Mossoul, en Iraq. À peine un mois avant cela, le 27 avril et toujours à Mossoul, l’on avait retrouvé le corps de Thaer Al Ali, rédacteur en chef du journal Rai al-Nas. Lui aussi avait été enlevé, avant d’être exécuté, toujours par Daech. Leur crime ? Ils avaient publié des informations sur les atrocités commises par ce groupe.

Les atrocités commises récemment et actuellement par Daech et ses associés sont d’autant plus terribles qu’ils utilisent cyniquement la torture, la mutilation et l’assassinat de journalistes, tels que James Foley, Kenji Goto et Steven Sotloff à des fins de propagande en vue d’atteindre leurs sombres visées politiques. Face à cette situation, la communauté internationale et le Conseil doivent renforcer leur volonté collective pour veiller à ce qu’aucun journaliste ne subisse le même sort que ces braves individus. Le règne d’une culture d’impunité et l’absence de l’état de droit et de la bonne gouvernance, ainsi que des institutions de maintien de l’ordre, figurent parmi les principaux facteurs qui font que la sûreté et la sécurité des civils dans les situations de conflit, y compris des journalistes, sont précaires. Nous souscrivons pleinement au principe qui veut qu’en cas de violations à l’encontre de civils, les auteurs doivent être tenus de rendre des comptes, y compris par des mesures punitives.

À cet égard, nous prenons note avec préoccupation du rapport du Secrétaire général (S/2013/689) qui, entre autres choses, appelle l’attention sur le fait que les auteurs d’attaques dirigées contre des journalistes ne répondent pas souvent de leurs actes. Les chiffres cités sont inquiétants. Par exemple, rien que cette année, au moins 13 journalistes ont perdu la vie dans des situations de conflit dans le monde. Depuis 1992, 377 journalistes et professionnels des médias ont perdu la vie dans le contexte de conflits violents ou de missions dangereuses. La Malaisie a connu sa première perte il y a trois ans lorsque M. Noramfaizul Mohd Nor, un cameraman qui accompagnait un convoi humanitaire en Somalie, a été tué par des tirs croisés.

La Malaisie réaffirme que les journalistes jouent un rôle indispensable dans les situations de conflit armé. Dans une perspective plus large, les journalistes jouent également un rôle positif en contribuant à la protection des civils, notamment en publiant des informations sur les allégations d’atrocités ou en recueillant des preuves sur les violences commises pour que justice soit rendue aux victimes. Étant donné les risques que ces individus courageux prennent en recherchant l’information dans des situations de violence et de conflit et en faisant en sorte que celle-ci parvienne à ceux qui sont en mesure de remédier à la situation – y compris le Conseil –, il importe d’adopter une riposte adaptée afin de promouvoir leur sûreté, leur sécurité et leur bien-être en tenant compte des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles ils travaillent.

Dans le contexte de situations de conflits violents et armés, les journalistes jouent un rôle essentiel en exerçant leur droit à la liberté d’expression et d’opinion. Comme nous le savons tous, de nombreux journalistes ont payé et continueront à payer un lourd tribut, à moins que toutes les parties concernées ne prennent des mesures résolues pour assurer leur sûreté et leur sécurité dans de telles situations. Ma délégation estime que le Conseil doit continuer à plaider en faveur de la sûreté et de la protection des journalistes dans les situations de conflit armé. La Malaisie demeure pleinement engagée en faveur de ces efforts, aux côtés d’autres membres du Conseil.

M. Omaish (Jordanie) (parle en arabe) : La délégation jordanienne exprime sa profonde gratitude pour cette occasion qui lui est offerte de débattre de cette question très importante qu’est la protection des journalistes en période de conflit. Nous remercions le Vice-Secrétaire général, M. Christophe Deloire et Mme Marianne Pearl.

Des progrès notables ont été accomplis en ce qui concerne l’élaboration de normes juridiques relatives à la protection des journalistes et des professionnels des médias en temps de conflit armé depuis l’adoption des Conventions de La Haye de 1899 et 1907, des Conventions de Genève de 1949 et de leurs deux Protocoles additionnels de 1977 et de la résolution de l’Assemblée générale 2677 (XXV) de 1970. À ce titre, des mesures fermes ont été prises pour assurer la protection des journalistes dans les situations de conflit armé.

Cependant, en dépit de ces efforts, nous constatons toujours une augmentation sans précédent du nombre de victimes parmi les journalistes et les professionnels des médias au niveau international. En 2014, 67 journalistes ont été tués, 119 ont été enlevés, 139 ont pris le chemin de l’exil et 221 ont été emprisonnés. Vingt-cinq journalistes ont déjà été tués en 2015. De nombreuses femmes journalistes subissent les pires formes de violence sexuelle et physique.

Ce ciblage organisé et systématique des journalistes et autres professionnels des médias est une violation du droit international humanitaire. La raison de ce ciblage découle de la nature même de leur travail et du fait qu’ils essayent de couvrir les conflits et les guerres, dont la plupart sont non traditionnels, l’une des parties au moins étant non étatique. Cela a contribué sérieusement à aggraver les violations commises contre eux et contribué à l’impunité des auteurs de ces violations.

L’un des plus importants défis que doit relever la communauté internationale dans la pratique c’est l’application du principe de responsabilité et la lutte contre l’impunité des auteurs de violence et de crimes contre les journalistes et les professionnels des médias ainsi que contre les sièges de leurs organes en période de conflit armé. À cet égard, nous réaffirmons qu’il importe que l’Organisation des Nations Unies aide les États en proie à des conflits armés à reconstruire et à réhabiliter leurs organes judiciaires nationaux et à relancer leurs programmes de protection des témoins en vue de leur permettre de juger les responsables d’attaques contre les civils, y compris les journalistes. Il faut aussi, sous certaines conditions et garanties de protection et de responsabilisation, que la communauté internationale œuvre à mettre sur pied des commissions d’enquêtes sur les crimes commis contre les journalistes et les professionnels des médias au cours d’un conflit armé.

La Jordanie est d’avis à cet égard que le moment est venu de relancer le projet de convention relative à la protection internationale des journalistes qui accomplissent des missions périlleuses. Une telle convention devrait prévoir les instruments et les moyens garantissant la protection des journalistes et des sièges des médias en période de conflit armé, en vue de fournir la meilleure protection possible aux journalistes. Dans le même ordre d’idées, il faut que la question de la lutte contre l’impunité des auteurs de violations et de crimes contre les journalistes figure au premier rang des priorités de l’Organisation des Nations Unies, notamment en chargeant les missions de maintien de la paix d’œuvrer de concert avec les institutions nationales des pays et avec les parties à un conflit en vue de mieux les sensibiliser à la nécessité d’assurer une protection de droit aux journalistes et aux risques encourus en cas d’agression contre eux, et de les inciter à fournir une meilleure protection aux journalistes et à poursuivre les auteurs de crimes commis contre eux.

L’objectif des journalistes et des professionnels des médias travaillant dans les zones de conflit c’est d’être au cœur de l’événement dès qu’il survient afin de faire la lumière sur les faits et d’en rendre compte de façon sincère, objective et complète. Nous voudrions réitérer à cet égard ce qui a été dit ici aujourd’hui, à savoir qu’il importe que les organes de presse dispensent des programmes de formation et d’habilitation aux journalistes et aux professionnels des médias chargés d’assurer une couverture médiatique dans les zones de conflit et renforcent leurs capacités face aux risques encourus, outre la nécessité de leur fournir une protection physique dans l’exercice de leurs fonctions. Dans le même ordre d’idées, nous soulignons qu’il importe de s’efforcer de fournir les meilleurs soins médicaux aux journalistes et aux professionnels des médias victimes ainsi que le soutien psychologique, social et juridique nécessaire s’ils sont blessés dans le cadre de leur travail.

Enfin, je voudrais réaffirmer que la Jordanie appuie la protection des civils, y compris des journalistes et des professionnels des médias au cours d’un conflit. Nous réaffirmons aussi qu’il importe que nous nous souvenions de ceux qui ont trouvé la mort en s’efforçant de faire la lumière sur ce qui se passe réellement dans les zones de conflit, contribuant ainsi au renforcement de la paix et de la sécurité internationales.

M. Rycroft (Royaume-Uni) (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir convoqué le présent débat public. Je me félicite de l’adoption de la résolution 2222 (2015) – la première en neuf ans sur cette importante question –, et je vous félicite du rôle de chef de file joué par la Lituanie pour permettre de progresser sur cette question.

Je tiens à remercier le Vice-Secrétaire général de son pénétrant exposé, ainsi que le Directeur général de Reporters sans frontières, M. Deloire, et Mme Pearl de leurs émouvants témoignages d’aujourd’hui. Je leur rends hommage ainsi qu’à leurs collègues pour le travail qu’ils font des conditions vraiment difficiles. J’ai été particulièrement frappé par les histoires individuelles de bravoure que nous venons d’entendre sur des journalistes au courage moral qui ont sacrifié leurs vies dans l’exercice de leur profession afin que nous puissions tous connaître la vérité des faits, mieux que ce que les organisations terroristes ou les régimes oppressifs voudraient nous faire croire.

La protection des journalistes, en temps de conflit comme en temps de paix, est un fondement essentiel de toute société qui fonctionne. La liberté des journalistes de rendre compte sans entraves et en toute sûreté est un outil essentiel pour faire en sorte que les autorités répondent de leurs actes. C’est un élément constitutif d’une société ouverte et d’une démocratie efficace. Malheureusement, nous avons vu que 25 journalistes ont été tués dans le monde cette année, alors que l’année n’en est même pas à sa moitié. À ce chiffre, nous pouvons ajouter de nombreux autres qui ont été intimidés, insultés, détenus ou enlevés. Leur nombre ne cesse de croître. Rien que la semaine dernière, au Soudan du Sud, Pow James Raeth, un jeune et talentueux journaliste de radio, a été tué par balles avec son ami Yohanes Pal Kwek alors qu’ils traversaient la rue à Akobo. Nous adressons nos condoléances à leurs amis et à leurs familles ainsi qu’à ceux et celles de tous les journalistes qui ont perdu la vie cette année.

Nous sommes aussi préoccupés par les niveaux accrus de harcèlement des journalistes. Les informations faisant état d’intimidation et d’attaques contre des stations de radio et des sièges de journaux au Burundi constituent des exemples inquiétants. Nous demandons au Gouvernement de ce pays de promouvoir un environnement où les journalistes sont libres de rendre compte de la situation politique sans crainte de représailles. La censure imposée actuellement aux médias ne fera qu’accroître l’incertitude et les tensions dans un environnement déjà fragile.

Aujourd’hui, les journalistes sont confrontés à de nouvelles menaces. L’émergence de l’État islamique d’Iraq et du Levant et d’autres acteurs non étatiques extrémistes violents a créé de nouveaux risques, tant dans les zones de conflit que dans celles considérées auparavant comme des bastions de la liberté de la presse. Cela s’est manifesté le plus clairement dans l’assassinat brutal et insensé de 10 employés de Charlie Hebdo à Paris en janvier. À cause de cette seule journée de barbarie, il y a maintenant plus de journalistes morts en France que dans n’importe quel autre pays cette année. Avec les assassinats spectaculaires de Steven Sotloff, Kenji Goto, James Foley et de beaucoup d’autres, il est manifeste que les journalistes sont devenus des cibles encore plus importantes de la terreur, que ce soit dans des zones de conflit ou non.

Nous devons mettre fin à l’impunité de ceux qui ciblent les journalistes. Dans 90 % des cas d’assassinat de journalistes, il n’y a pas eu d’inculpation. Cela n’est pas acceptable. Ceux qui commettent de tels crimes doivent en répondre, quels qu’ils soient. L’échec des États à le faire ne fait que perpétuer la culture de l’impunité et précipiter ainsi d’autres attaques. Nous nous félicitons de ce que le Conseil ait adopté à l’unanimité aujourd’hui la résolution exhortant les États Membres à mener des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces afin de traduire en justice les auteurs de crimes commis contre des journalistes.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la résolution 2222 (2015), il nous faudra adapter notre concept de journalisme au XXIe siècle. Dans ce monde de Twitter et de YouTube, de grands changements sont intervenus dans la façon dont les gens reçoivent les informations. Il nous faire faire en sorte d’œuvrer aussi à protéger les blogueurs et les militants des réseaux sociaux. Au Bangladesh, trois blogueurs laïcs ont été déjà assassinés cette année. Le dernier, Ananta Bijoy Das, a été tué à l’extérieur de sa maison ce mois. Ces morts ont créé une culture de peur qui a fermé l’espace nécessaire à la liberté d’expression au Bangladesh.

Le Royaume-Uni est en train d’aider les pays à garder cet espace ouvert. Au Soudan, nous avons financé 75 correspondants communautaires à Kassala et dans les États de Gezira et du Nil bleu. Ils contribueront à sensibiliser la population aux questions sociales et à faire entendre la voix des communautés. En Tunisie, nous encourageons le Gouvernement et les institutions médiatiques à renforcer le cadre juridique et réglementaire qui protège la liberté des médias. Nous appelons tous les États Membres à appuyer les journalistes par tous les moyens possibles.

La résolution 2222 (2015) reconnaît non seulement la nécessité de protéger les journalistes, mais également la contribution que ceux-ci peuvent apporter à la protection d’autrui. Les journalistes risquent leur vie et leur intégrité physique pour braquer les projecteurs sur certains des problèmes les plus pressants que connaisse le monde et pour les porter à l’attention du monde entier. Serions-nous informés de toute l’horreur du conflit syrien sans le courage de journalistes prêts à travailler dans la région ? Ils donnent, comme tant d’autres, une voix à ceux qui n’en ont plus.

Il est donc dans notre intérêt à tous de protéger les journalistes et le travail qu’ils accomplissent. Par leurs enquêtes et leurs reportages, les médias peuvent faire la lumière sur des violations des droits de l’homme. Ils peuvent faire office de mécanisme d’alerte rapide en cas de conflit imminent, d’atrocités ou de catastrophe humanitaire. Leurs aperçus, communiqués depuis des lieux difficiles d’accès ou inaccessibles, poussent la communauté internationale à intervenir dans des situations qui auraient autrement pu échapper à l’attention. La protection des journalistes afin qu’ils puissent jouer ce rôle à l’avenir est donc un élément essentiel de l’activité du Conseil. En adoptant la résolution 2222 (2015) aujourd’hui, je suis certain que nous avons accompli une avancée importante vers la reconnaissance de cette nécessité.

M. Gaspar Martins (Angola) (parle en anglais) : Ma délégation félicite la présidence lituanienne d’avoir organisé le présent débat public sur la protection des journalistes en période de conflit. Nous vous souhaitons la bienvenue, Monsieur le Président, et nous vous remercions d’être venu à New York pour participer à cet important débat. Nous remercions également le Vice- Secrétaire général, M. Jan Eliasson. Nous saluons la présence de M. Christophe Deloire, de Reporters sans frontières, et de Mme Mariane Pearl, de la Fondation Daniel Pearl, et nous les remercions des exposés qu’ils ont présentés au Conseil, et en particulier d’avoir partagé avec nous leurs observations très perspicaces, qui apportent une importante contribution au présent débat.

Si c’est aux États qu’il incombe au premier chef de protéger les civils, notamment les journalistes, comme le souligne la résolution 1738 (2006), la communauté internationale a un rôle subsidiaire mais extrêmement important à jouer s’agissant de faire face à ce très grave problème. Les journalistes sont confrontés à divers risques dans les zones de conflit : enlèvements, prises d’otages, harcèlement, intimidation, disparitions forcées, détentions arbitraires, torture et arrestations illégales, en violation flagrante du droit international humanitaire. Selon Reporters sans frontières, rien qu’en 2014, 69 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs honorables fonctions. Cette année, 25 journalistes ont déjà été tués, dont 13 dans des pays inscrits à l’ordre du jour du Conseil : cinq au Soudan du Sud, deux en Iraq, deux au Yémen, deux en Ukraine, un en Syrie et un en République démocratique du Congo.

Si la majorité des victimes sont des hommes, les femmes sont de plus en plus exposées à des violations de leur intégrité physique dans l’exercice de leurs fonctions en période de conflit. Les femmes sont exposées à des risques supplémentaires qui sont notamment liés à des préjugés sexistes, à l’intimidation et au harcèlement sexuels, ainsi qu’à la violence et aux sévices sexuels en détention. Il faut donc mettre en place une approche qui tient compte des questions d’égalité des sexes en matière de lutte contre la violence à l’encontre des journalistes.

De nos jours, les journalistes traditionnels ne sont pas les seuls visés par ces menaces. Les utilisateurs des médias sociaux – les blogueurs ou autres personnes qui utilisent les technologies de l’information modernes pour communiquer, diffuser l’information et exprimer leur point de vue – sont eux aussi fréquemment exposés au danger.

L’Angola, mon pays, attache une grande importance à la protection des civils en période de conflit, en particulier à la protection des journalistes, conformément aux Conventions de Genève, notamment à la Convention de Genève de 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre et aux Protocoles additionnels de 1977 (2011), en particulier à l’article 79 du Protocole additionnel I relatif à la protection des journalistes dans des zones de conflit armé. En Angola, la liberté d’information et d’expression est garantie par la Constitution, qui reconnaît le droit de tous les citoyens à exprimer, diffuser et partager librement leurs pensées, leurs idées et leurs opinions par la parole, l’image ou d’autres moyens de communication. La Constitution reconnaît également le droit à la liberté de l’information comme fondement d’une société plurielle au sein de laquelle les droits fondamentaux des citoyens doivent être respectés en vertu du principe de primauté du droit.

Les journalistes attirent souvent l’attention sur de graves violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme dont ils sont témoins, en particulier lorsqu’ils rendent compte de situations qui constituent souvent des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Nous attachons de l’importance au Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, adopté en 2012 par l’UNESCO, qui aide les États à élaborer des mécanismes législatifs spécifiques relatifs à la liberté d’expression.

En dépit de l’attention croissante portée par la communauté internationale et par les États Membres de l’ONU à la question et des mesures prises par le Conseil de sécurité, notamment l’adoption de la résolution 1738 (2006), la violence contre les journalistes persiste. Le dernier rapport en date du Secrétaire général sur la protection des civils (S/2013/689) souligne le fait que les auteurs d’attaques contre des journalistes n’ont pratiquement jamais à rendre des comptes. Cette situation ne saurait durer. Les responsables de violations et d’attaques contre des journalistes doivent être amenés à rendre des comptes. Nous estimons que la lutte contre l’impunité est un moyen important de renforcer la sécurité et la protection des journalistes dans les zones de conflit. Nous sommes consternés par la manière dont sont actuellement menacés les journalistes, notamment les tactiques de terreur propres au temps de guerre utilisées par certains groupes terroristes, comme l’ont montré les récentes décapitations de journalistes en Syrie par l’État islamique d’Iraq et du Cham.

Pour conclure, nous réaffirmons l’importance du rôle joué par les organisations régionales et sous- régionales en matière de protection des journalistes et du personnel associé en période de conflit armé, mais aussi la nécessité de renforcer l’efficacité de la coopération entre l’ONU et les organisations régionales. Nous sommes convaincus que les journalistes peuvent jouer un rôle extrêmement important lorsqu’ils rendent compte des événements avec objectivité et professionnalisme. Le Conseil de sécurité doit continuer de porter une attention croissante à la protection des journalistes, et le Secrétaire général pourrait donner des informations plus détaillées sur la situation des journalistes dans les zones de conflit, que ce soit dans ses rapports sur la protection des civils ou dans ses rapports consacrés à un pays donné.

S’agissant de l’adoption aujourd’hui de la résolution 2222 (2015), dont l’Angola s’est porté coauteur, nous estimons que le Conseil avance dans la bonne direction en se mobilisant sur une question qui n’est pas encore suffisamment couverte. C’est pourquoi nous remercions une fois de plus la présidence lituanienne de l’avoir portée à l’attention du Conseil.

Mme Ogwu (Nigéria) (parle en anglais) : La délégation nigériane vous souhaite une chaleureuse bienvenue, Monsieur le Président, ainsi qu’aux autres ministres présents ici aujourd’hui. Nous sommes particulièrement reconnaissants à la délégation lituanienne d’avoir organisé le présent débat important sur la protection des journalistes en période de conflit et distribué le document de réflexion afin d’éclairer notre débat (S/2015/307, annexe). Nous remercions le Vice- Secrétaire général, M. Jan Eliasson, pour son exposé. M. Christophe Deloire et Mme Mariane Pearl nous ont galvanisés avec leurs témoignages remarquables, et nous leur en sommes éternellement reconnaissants.

Il est communément admis que les journalistes jouent un rôle essentiel en tenant la communauté internationale informée de l’évolution de situations de conflit armé. Ils le font parfois au péril de leur vie. Des journalistes ont été enlevés, torturés et tués alors qu’ils rendaient compte de guerres, d’émeutes, de manifestations et d’autres troubles civils. D’après le Committee to Protect Journalists, plus de 1129 journalistes ont été tués depuis 1992. De nombreux autres ont été emprisonnés ou ont disparus. Cela souligne les graves dangers que courent les journalistes dans l’exercice de leurs fonctions et le fait que la communauté internationale doit continuer de prêter attention aux questions liées à leur protection.

Les journalistes, dans des situations de conflit, bénéficient du même niveau de protection au titre du droit international humanitaire que les civils. Néanmoins, la réalité sur le terrain est très différente. Il est évitent que les normes internationales n’ont pas pu protéger comme il se doit les journalistes travaillant dans des situations de conflit armé. À l’évidence, il faut donc faire beaucoup plus pour veiller à ce que ces normes soient respectées pour offrir aux journalistes la protection qu’ils méritent.

C’est aux États qu’il incombe au premier chef de protéger les journalistes dans des situations de conflit, et ils doivent prendre des mesures résolues en accord avec leurs obligations découlant du droit international humanitaire. L’inaction favorise l’impunité de la part des criminels et expose les journalistes à des risques accrus dans les zones de conflit. Nous sommes toutefois conscients que les conflits se déroulent souvent dans un climat de non-droit dans lequel les structures de gouvernance sont faibles et l’autorité de l’État est absente. C’est dans ce vide politique et sécuritaire que les terroristes, les groupes extrémistes et les réseaux criminels posent un défi majeur en matière de protection des civils, y compris les journalistes. Ces groupes agissent généralement en faisant totalement fi des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Cela apparaît clairement dans les crimes graves commis par l’État islamique d’Iraq et du Cham, Al-Qaida, Boko Haram et d’autres groupes terroristes et extrémistes.

Le Nigéria reconnaît l’importance que le Conseil de sécurité accorde à la protection des journalistes en période de conflit. L’adoption de la résolution 1738 (2006) a marqué une étape importante dans les annales du Conseil. La résolution 2222 (2015), adoptée ce matin, fait fond de manière considérable sur la résolution 1738 (2006). Elle offre à l’ONU et à la communauté internationale un cadre pour assurer la protection des journalistes dans des situations de conflit violent.

La demande faite au Secrétaire général dans la résolution de consacrer en tant que point subsidiaire dans ses rapports sur la protection des civils en période de conflit armé une section à la question de la sûreté et de la sécurité des journalistes est particulièrement importante. Nous considérons que cela fera mieux connaître cette question importante dans le cadre des rapports du Conseil de sécurité avec le Secrétariat de l’ONU. Cela permettra également au Conseil de suivre de près l’évolution de situations de conflit inscrites à son ordre du jour et d’évaluer le niveau de mise en œuvre de ses résolutions liées à la protection des journalistes.

En tant que pays qui ne cesse, mais de manière résolue, de consolider ses institutions démocratiques, le Nigéria est attaché à l’état de droit. De fait, le Nigéria respecte et fait respecter le droit des journalistes d’effectuer leur travail sans entrave. Notre Constitution garantit la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté de pensée. Le 27 mai 2011, l’Assemblée nationale nigériane a adopté le projet de loi sur la liberté d’information, loi que le Président a promulguée le 28 mai 2011. Cette loi renforce les libertés civiles exercées par les journalistes et promeut la transparence et la responsabilité en matière de gouvernance.

Au niveau multilatéral, le Nigéria a démontré qu’il était prêt à coopérer avec d’autres États pour promouvoir la liberté des médias à l’ère des médias sociaux. Cela est illustré en particulier par le rôle que nous jouons en tant qu’un des six principaux coauteurs de la toute première résolution du Conseil des droits de l’homme relative à la liberté d’expression sur Internet (résolution 20/8), adoptée par consensus

le 5 juillet 2012 à la vingtième session du Conseil. L’importance croissante d’Internet en tant que moyen de diffusion et de recueil de l’information a appuyé notre décision de travailler conjointement avec les délégations brésilienne, suédoise, turque, tunisienne et américaine en vue de l’adoption de cette résolution historique. La résolution 2222 (2015) adoptée aujourd’hui fait solidement fond sur cette charpente.

La protection des journalistes en situation de conflit représente un défi pour la communauté internationale. Elle exige un effort mondial, tout le monde devant être à pied d’œuvre. Nous encourageons tous les États Membres de l’ONU à mettre en place des conditions permettant aux journalistes de mener à bien leur travail essentiel. De notre côté, nous assurons la communauté internationale de notre ferme volonté constante de collaborer avec toutes les parties prenantes pour promouvoir la protection des journalistes.

M. Wang Min (Chine) (parle en chinois) : La Chine salue l’initiative de la Lituanie de convoquer le débat public d’aujourd’hui sur la protection des journalistes en période de conflit. Nous souhaitons la bienvenue au Ministre des affaires étrangères, M. Linkevičius, venu à New York pour présider la séance d’aujourd’hui. Je remercie le Vice-Secrétaire général, M. Eliasson, pour son exposé. La délégation chinoise a écouté avec attention les déclarations des représentants d’organisations non gouvernementales.

Les journalistes et les professionnels des médias constituent, en période de conflit armé, un groupe particulier. Dévoués à leurs mandats et missions professionnels, ils fournissent au grand public les informations qu’ils ont directement obtenues au péril de leur vie dans des situations de conflit armé. Dans le même temps, ils sont des civils sans défense et vulnérables, exposés en permanence aux risques d’être attaqués, enlevés et même tués. Nous rendons hommage à ces journalistes et professionnels des médias qui bravent les risques posés à leur propre sécurité lorsqu’ils s’aventurent en première ligne de conflits armés pour rendre compte de la situation. Par le passé, de nombreux journalistes et professionnels des médias innocents ont été attaqués, voire tués en période de conflit armé. La Chine condamne fermement absolument toutes les atrocités commises contre des journalistes et des professionnels des médias en période de conflit armé, en particulier les attaques délibérées contre des journalistes et le meurtre de journalistes. Nous adressons nos condoléances aux familles des journalistes et professionnels des médias tués. La Chine appelle toutes les parties au conflit concernées à mettre véritablement fin aux attaques délibérées et autres atrocités contre les journalistes et les professionnels des médias. Nous appuyons les mesures efficaces prises par la communauté internationale pour protéger les journalistes dans les conflits armés. Je voudrais à présent évoquer les cinq points suivants.

Premièrement, la protection des journalistes dans les conflits armés est un aspect important de la protection des civils. Les journalistes qui ne prennent pas part aux hostilités doivent, au titre du droit international humanitaire, être protégés, tout comme les autres civils. Les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et les déclarations présidentielles sur la protection des civils en ont énoncé les principes fondamentaux et mis en place un cadre important pour la protection des journalistes dans les conflits, des principes qui doivent donc être respectés. La mise en œuvre globale des résolutions et des déclarations présidentielles susmentionnées par la communauté internationale est un moyen efficace de protéger les journalistes dans les conflits armés.

Deuxièmement, les parties aux conflits doivent véritablement assumer la responsabilité de protéger les journalistes dans les conflits armés. Conformément aux obligations qui leur incombent au titre de la Convention de Genève et du droit international, elles doivent s’acquitter de leurs responsabilités de protéger les journalistes, et de prévenir et d’arrêter les atrocités. De leur côté, les journalistes et les professionnels des médias doivent respecter l’éthique professionnelle et couvrir les événements avec équité et objectivité. Ils doivent respecter les traditions et les coutumes locales, la souveraineté et l’intégrité territoriale des pays, respecter les lois et les règlements des pays hôtes et s’abstenir de devenir partie aux conflits. Cela dit, lorsque les journalistes font leur travail et aucune circonstance, personne, de par la loi, n’a le droit de leur nuire de manière délibérée ni de leur faire subir des atrocités. Dans le même temps, lorsque des journalistes ou des professionnels des médias pénètrent dans des zones de conflit armé, il faut espérer que, bien conscients des dangers, ils prennent les précautions nécessaires afin de ne pas devenir des victimes inutiles.

Troisièmement, la communauté internationale doit coordonner sa lutte contre les attaques et les atrocités visant des journalistes. La communauté internationale doit dans le respect de la souveraineté judiciaire des pays hôtes, intensifier sa lutte contre les attaques et atrocités délibérées qui visent les journalistes dans les conflits armés, car ces actes sont des violations du droit international humanitaire. Il faut adopter une politique de tolérance zéro contre les attaques et atrocités délibérées qui visent les journalistes dans les conflits armés, et les auteurs de ces actes doivent être sévèrement punis. L’ONU doit également renforcer sa coopération avec les organisations régionales et sous- régionales, en tirant profit de leurs forces spécifiques afin de former des synergies internationales.

Quatrièmement, la riposte adoptée face aux atrocités commises contre des journalistes par des forces terroristes extrémistes est l’une des priorités importantes de la protection des journalistes dans les conflits armés. Il y a eu, ces dernières années, plusieurs cas d’assassinats et d’atrocités délibérés commis contre des journalistes par des forces terroristes et extrémistes. La communauté internationale doit accorder la plus haute priorité à cette question en intensifiant sa lutte contre le terrorisme. En même temps, il est indispensable de renforcer la coordination et la coopération afin d’éliminer les menaces qui pèsent sur les journalistes dans les conflits armés en éradiquant le terreau fertile où naissent les activités terroristes et d’où elles se propagent.

Cinquièmement, les différents organismes des Nations Unies doivent partager et coordonner leurs responsabilités et promouvoir ensemble la protection des journalistes dans les conflits armés. La Chine apprécie les efforts déployés par l’UNESCO, le Conseil des droits de l’homme et d’autres organismes pour préserver et promouvoir les droits légaux des journalistes et renforcer leur protection dans les conflits armés. Il faut espérer que les différents organismes des Nations Unies œuvreront selon leurs mandats respectifs pour former des synergies afin de créer conjointement un environnement propice à la protection des journalistes dans les conflits armés.

C’est au Conseil de sécurité qu’incombe la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, en oeuvrant efficacement dans les domaines du rétablissement, du maintien et de la consolidation de la paix. Il a apporté des contributions positives à la réalisation de l’objectif de la protection des civils dans les conflits armés, en particulier les journalistes et les professionnels des médias. La Chine est disposée à travailler avec la communauté internationale à la pleine mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité et des déclarations présidentielles et à contribuer à la réalisation de l’objectif consistant à protéger les journalistes et les professionnels des médias dans les conflits armés.

M. Barros Melet (Chili) (parle en espagnol) : Nous saluons la présence du Ministre des affaires étrangères et remercions la délégation lituanienne d’avoir convoqué le présent débat et préparé le document de réflexion (S/2015/307, annexe). Nous apprécions également les exposés présentés par le Vice-Secrétaire général, M. Jan Eliasson, le Directeur général de Reporters sans frontières, M. Christophe Deloire, et par Mme Mariane Pearl, de la Fondation Daniel Pearl.

Le débat d’aujourd’hui porte sur un aspect central de la protection des civils dans les conflits armés et la nécessité d’appliquer avec prudence les principes et les droits universels. Les journalistes et les professionnels des médias exigent une attention particulière en raison des risques et des dangers croissants auxquels ils s’exposent lorsqu’ils assument la responsabilité de fournir des informations critiques à la communauté et de faire entendre les voix de la société civile. La résolution 2222 (2015) que nous avons adoptée aujourd’hui reconnaît cette préoccupation et souligne l’importance du travail réalisé par les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé. C’est pourquoi ma délégation s’en est portée coauteur.

En 2014, nombre de journalistes et de professionnels des médias ont fait l’objet de menaces, d’enlèvements et d’assassinats dans pratiquement tous les conflits armés. Ces attaques ne sont pas de « simples » violations du droit international humanitaire, mais une attaque directe contre les droits de l’homme car elles cherchent à restreindre la liberté d’expression et le droit des citoyens d’être informés. L’impunité pour les attaques contre des journalistes et contre le libre exercice de cette profession est inacceptable. Elle limite l’accès à l’information et décourage de travailler dans les zones de conflit, ce qui fait que les journalistes ont peur d’enquêter et de s’exprimer. Et ceci a pour résultat de rendre invisibles pour l’opinion publique les crises politiques et humanitaires, entravant ainsi une intervention rapide face aux situations de conflit.

Face à ces scénarios et soucieux de fournir une protection adéquate aux journalistes et aux professionnels des médias, nous croyons qu’il importe de renforcer la coopération et la coordination internationales et régionales en procédant à l’échange des meilleures pratiques et d’une assistance technique. À cet égard, la mise en œuvre du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité de l’UNESCO est impérative pour promouvoir un environnement libre et sûr pour les journalistes et les professionnels des médias, notamment dans les situations de conflit, afin de contribuer à la paix et à la sécurité internationales.

Le droit à la liberté d’expression, et plus particulièrement la liberté de la presse, est indispensable pour que des citoyens bien informés puissent actifs et engagés dans la défense de la démocratie et de la paix. De même, la liberté d’expression et d’information facilite l’autonomisation des femmes et leur participation à divers processus de prise de décisions, ce qui promeut l’égalité.

La mise au point d’un registre des meilleures pratiques et des enseignements tirés axé sur la diffusion et l’échange des expériences avec d’autres régions sur une base volontaire est un moyen d’améliorer la sécurité des journalistes. Par ailleurs, dans les scénarios où existent des opérations de maintien de la paix et des missions politiques spéciales, nous demandons que soient inclus dans les rapports périodiques le suivi et les informations sur les violations et les abus commis à leur encontre. L’Organisation peut transférer, par le biais de ses opérations, ses missions et ses institutions spécialisées, des capacités qui peuvent servir à la protection adéquate des journalistes dans les zones de conflit.

Nous voudrions pour terminer réitérer l’expression de notre reconnaissance à la présidence lituanienne du Conseil, qui a saisi de nouveau ce dernier de ce sujet après un intervalle de neuf années, car au travers de la protection des journalistes et de leur fonction, ce sont les conditions qui permettent de garantir la paix et la sécurité internationales – ces tâches prioritaires pour le Conseil – que nous défendons, mais également la consolidation de l’état de droit et de la démocratie.

M. Ramírez Carreño (République bolivarienne du Venezuela) (parle en espagnol) : Nous vous remercions, Monsieur le Président, de présider le présent débat public et d’être présent parmi nous pour prendre part à ce débat. Nous voulons également remercier de leurs exposés le Vice-Secrétaire général, M. Jan Eliasson ; le Directeur général de Reporters sans frontières, M. Christophe Deloire ; et Mme Mariane Pearl, représentante de la Fondation Daniel Pearl.

La République bolivarienne du Venezuela condamne avec la plus grande fermeté les actes de violence commis à l’encontre des journalistes chargés de la couverture des conflits armés, et appelle au plein respect du droit international humanitaire qui les protège en tant que civils, conformément aux dispositions de la Troisième Convention de Genève. Ces dernières années, compte tenu, en particulier, de la prolifération et du renforcement des groupes terroristes dans différentes régions du Moyen-Orient et de l’Afrique, nous avons pu voir la pratique du journalisme devenir plus dangereuse, puisque beaucoup y ont perdu la vie et, dans certains cas, de façon si brutale que cela a servi à engendrer la peur. Il suffit de se rappeler la perversité des décapitations perpétrées par l’État islamique d’Iraq et du Levant et son sadisme médiatique pour comprendre le péril face auquel se trouve l’humanité, et notamment les journalistes. Cette pratique est une réalité que nous déplorons et que nous dénonçons, et c’est pourquoi nous plaidons pour que les responsables d’actes si abominables soient traduits en justice.

Les journalistes courent d’importants risques en période de conflit armé en dénonçant les atrocités perpétrées par les parties en conflit, ce qui les transforme en de nombreuses occasions en objectifs militaires des acteurs non étatiques comme étatiques, en violation du droit international humanitaire. Au cours des 51 jours qu’a duré l’agression militaire israélienne dans la bande de Gaza, en 2014, 2220 civils ont péri, parmi lesquels 17 journalistes, dont 16 Palestiniens et un photographe italien.

La résolution 1738 (2006), apporte une contribution au traitement de cette question dans le cadre de la protection des civils, y compris les journalistes. Nous considérons que le droit international humanitaire constitue un cadre adapté pour la protection des professionnels du journalisme dans les conflits armés, en leur qualité de civils. Notre pays continuera de plaider inlassablement pour l’instauration d’un cadre démocratique à l’exercice du métier de journaliste, axé sur le service à la société, dénonçant la manipulation de l’information et exaltant les principes d’éthique et de responsabilité de la communication comme fondements indispensables d’un monde de paix. À cet égard, la protection des journalistes est notre priorité.

Le Venezuela réaffirme la position exprimée par le Mouvement des pays non alignés dans la réunion qu’il a tenue au niveau ministériel en Algérie en mai 2014, où il a lancé un appel à l’utilisation et au traitement responsables de l’information de la part des médias, conformément aux codes de conduite et de déontologie professionnelle sous toutes leurs formes. Il faut rappeler les sombres épisodes que le monde a vécus, comme celui du Rwanda, où l’utilisation irresponsable des moyens de communication, sous-tendue par des motivations politiques, a servi à alimenter la haine à grande échelle contre d’autres groupes ethniques. En l’occurrence, c’est la radio qui a été utilisée comme instrument pour accélérer le génocide contre les tutsis, à l’aide d’arguments fallacieux et discriminatoires qui n’ont fait qu’intensifier la logique de mort.

En 1980, l’UNESCO a publié le rapport intitulé Voix multiples, un seul monde, connu aussi sous le nom de rapport MacBride, dans lequel étaient définis les éléments fondamentaux permettant de mettre en place un nouvel ordre mondial dans le domaine de la communication et de l’information, et dont les recommandations restent aujourd’hui plus valables que jamais. Il faut citer entre autres le respect des principes éthiques, des faits et de la transmission de la vérité, qui prime sur toute considération relative aux intérêts des propriétaires des moyens de communication, lesquels sont davantage motivés par des intérêts économiques et politiques que par l’honneur que constitue la responsabilité d’informer.

Il faut signaler qu’au niveau mondial, sept grandes sociétés contrôlent plus de 80% des communications transmises autour de la planète. Dans ces conditions, il est très difficile de diffuser l’information de façon équilibrée, à plus forte raison dans les zones de conflit, où les intérêts des grandes sociétés de médias correspondent ou coïncident avec ceux des grandes puissances mêlées, au niveau politique ou militaire, au conflit. Dans l’histoire récente, il est clair que les grandes sociétés de médias ont déformé la réalité en faisant un usage tendancieux des faits afin d’orienter l’opinion publique en faveur des intérêts politiques et militaires de certains pays. Rappelons-nous la manipulation dont a fait l’objet la situation en Iraq et l’expédient des armes de destruction massive, dont on a pu voir avec le temps qu’elles n’existaient pas, et le rôle joué par ces sociétés de médias pour justifier l’invasion de ce pays en 2003. Malheureusement, cette pratique n’a pas changé. Aujourd’hui on continue de reproduire les mêmes schémas de désinformation dans le traitement des conflits qui affligent le Moyen-Orient et l’Afrique.

Nous voulons opérer une nette distinction entre les journalistes et les grandes sociétés de médias. Nous revendiquons le travail honnête, plein d’abnégation et de danger des professionnels du journalisme, qui, dans les situations de conflit, risquent leur vie pour le droit et le devoir d’informer.

Pour finir, le travail des journalistes dans les zones de conflit armé est déterminant pour appréhender le déroulement des événements dans lesquels la vie des civils est en butte aux agissements des fauteurs de violence. Le journaliste est appelé à contribuer, par la vérité, à la construction d’un monde de paix. La société a besoin d’un exercice équilibré et impartial du journalisme. Nous devons protéger et garantir l’intégrité physique et la vie des journalistes pour leur permettre de s’acquitter intégralement du rôle qu’ils jouent dans la société.

Le Président (parle en anglais) : Je rappelle aux orateurs qu’ils sont priés de bien vouloir limiter leur déclaration à quatre minutes maximum afin de nous permettre de mener à bien notre travail avec diligence. Je prie également les orateurs de prononcer leur déclaration à une allure modérée afin que l’interprétation puisse être faite correctement.

Je donne maintenant la parole au Ministre des affaires étrangères de la Lettonie.

M. Rinkēvičs (Lettonie) (parle en anglais) : Je vous remercie, Monsieur le Président, de présider ce débat très opportun sur la protection des journalistes dans les situations de conflit. Je voudrais également remercier M. Jan Eliasson, M. Christophe Deloire et Mme Mariane Pearl de leurs exposés instructifs et de leur travail infatigable sur cette question très complexe.

Dès 1946, à sa toute première session, l’Assemblée générale a adopté la résolution 59 (I), dans laquelle elle affirme que la liberté de l’information est la pierre de touche de toutes les libertés à la défense desquelles se consacrent les Nations Unies. Le droit à la liberté d’expression dépend de la sûreté des journalistes et des professionnels des médias. De plus, le travail accompli par les journalistes contribue à renforcer le respect du principe de responsabilité, la transparence et l’état de droit.

L’évolution considérable du paysage médiatique, avec, en particulier, l’apparition des nouvelles technologies, a engendré un flux d’informations sans précédent, y compris en provenance de lieux en situation de conflit. Le point de vue indépendant des journalistes et des reportages en provenance des zones de conflit permet à la communauté internationale de disposer d’une fenêtre unique sur les réalités existant sur le terrain. Il sert de catalyseur à une réponse rapide
et efficace et revêt par conséquent une importance vitale pour la survie d’une société frappée par un conflit. En conséquence, il est extrêmement important non seulement de préserver mais encore de renforcer la capacité des médias de fournir des informations indépendantes et fiables.

La liberté d’expression, en ligne et hors ligne, et le renforcement de l’indépendance des médias sont des priorités de longue date de la Lettonie. Nous nous employons à les promouvoir dans le cadre de notre présidence du Conseil de l’Union européenne, ainsi qu’au sein des institutions internationales, notamment au Conseil des droits de l’homme. Au début du mois de mai, une conférence s’est tenue à Riga pour célébrer la Journée mondiale de la liberté de la presse de l’UNESCO. La déclaration de Riga, qui en est issue, souligne notre engagement à favoriser un environnement juridique et institutionnel qui garantisse la sécurité des journalistes, la nécessité urgente de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les auteurs de crimes commis contre des journalistes et des professionnels des médias, et la contribution essentielle que les journalistes apportent à l’exercice de tous les droits de l’homme et aux efforts visant à parvenir au développement durable.

La communauté internationale s’est penchée sur la question de la protection des journalistes dans les zones de conflit à de nombreuses reprises. En 2006, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1738 (2006), demandant que des mesures soient prises d’urgence. Plus récemment, le Conseil des droits de l’homme et l’UNESCO ont fait de la protection des journalistes l’une de leurs premières priorités. La Lettonie souscrit à ces efforts, en particulier au Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, qui n’est pas seulement une déclaration d’idéaux, mais aussi un outil de changement. Malheureusement, aujourd’hui, la sécurité des journalistes et la question de l’impunité sont une fois de plus au premier rang des préoccupations internationales.

Les tentatives délibérées de prendre les journalistes pour cible dans les zones de conflit continuent d’augmenter en nombre et en ampleur. Bien que les journalistes qui travaillent dans des zones de conflit aient le statut de civils et bénéficient d’un certain nombre de garanties quant à leur protection, ils continuent d’être confrontés à de multiples menaces, telles que les assassinats, le harcèlement, les actes d’intimidation et les enlèvements. Ces attaques constituent une violation flagrante du droit international humanitaire. Les menaces que font peser les terroristes et les groupes extrémistes radicaux sur les journalistes sont également devenues un problème majeur. Nous ne devons pas non plus oublier que les femmes journalistes sont particulièrement vulnérables et nécessitent une attention particulière. Pour toutes ces raisons, l’adoption aujourd’hui de la résolution 2222 (2015), qui porte sur les nouveaux assauts contre la sécurité des journalistes, revêt une importance particulière, et nous saluons ce résultat.

Si nous savons clairement ce que nous voulons accomplir, il y a des incertitudes quant à la manière d’y parvenir. Je pense qu’il y a quatre éléments essentiels. Premièrement, il faut qu’il y ait une volonté politique claire, ce qui est au cœur de toute stratégie des pouvoirs publics couronnée de succès. Deuxièmement, il doit y avoir une approche globale, cohérente et concrète de la question de la protection de tous les civils, y compris des journalistes, dans les situations de conflit. Troisièmement, il doit y avoir une stratégie générale de prévention des conflits, dont la pierre angulaire est la promotion de la liberté d’expression et l’accès à l’information, ainsi que la liberté des médias. Une telle approche exige des programmes de formation à l’intention des journalistes et la participation active de la société civile. Et, quatrièmement, il faut renforcer le rôle des opérations de maintien de la paix des Nations Unies et améliorer la coopération internationale et régionale.

Il est grand temps que les organisations internationales, les gouvernements, les médias et d’autres parties œuvrent de concert au renforcement des moyens et mécanismes permettant de protéger les journalistes et de traduire en justice ceux qui les attaquent. S’il est un message que la séance d’aujourd’hui envoie aux journalistes qui se trouvent dans des zones de conflit, c’est bien celui-ci. Ce n’est que grâce à nos efforts communs que nous pourrons faire en sorte qu’aucun journaliste au XXIe siècle, en ligne ou hors ligne, ne fasse l’objet d’attaques et d’actes d’intimidation et/ou ne soit coupé du reste du monde par un nouveau rideau de fer.

Le Président (parle en anglais) : Je donne maintenant la parole au représentant de l’Azerbaïdjan.

M. Musayev (Azerbaïdjan) (parle en anglais) : Tout d’abord, je tiens à remercier la présidence lituanienne d’avoir convoqué le présent débat public de haut niveau sur la protection des civils en période de conflit armé, un accent particulier étant mis sur la protection des journalistes. Je remercie également sa délégation d’avoir présenté un document de réflexion (S/2015/307, annexe) sur le sujet. Nous sommes également reconnaissants au Vice-Secrétaire général, M. Jan Eliasson, pour son exposé sur la question.

En vertu du droit international humanitaire, les journalistes en période de conflit armé sont considérés comme des civils et, à ce titre, doivent bénéficier de la même protection. Cette norme a été rappelée dans la résolution 1738 (2006), dans la déclaration présidentielle du 12 février 2013 (S/PRST/2013/2) et dans la résolution 2222 (2015) du Conseil qui vient d’être adoptée. Il est, en outre, largement reconnu que la règle en vertu de laquelle les journalistes civils remplissant des missions professionnelles dans des zones de conflit armé doivent être respectés et protégés, tant qu’ils ne prennent pas directement part aux hostilités, constitue une règle du droit international coutumier applicable aux conflits armés internationaux et non internationaux.

En effet, les règles en vigueur, ainsi que d’autres efforts importants déployés à l’échelon international, y compris en particulier par le Conseil de sécurité, constituent une base solide pour la protection des journalistes. Dans le même temps, il existe un fossé important entre les règles normatives et leur mise en œuvre. L’état actuel de la protection des civils en période de conflit armé, y compris des journalistes, ne laisse guère de place à l’optimisme. Les attaques délibérément perpétrées contre des journalistes, des professionnels des médias et le personnel associé en période de conflit armé se poursuivent, tandis que l’impunité des auteurs de ces actes demeure largement répandue et constitue l’obstacle le plus important à la sécurité des journalistes.

Nous rendons hommage aux journalistes qui, dans des circonstances dangereuses, s’acquittent avec courage de leurs fonctions, qui consistent à informer le public des menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité internationales. La brutalité accrue des conflits armés ainsi que la nature changeante de la guerre et des menaces terroristes et séparatistes font qu’il est désormais nécessaire de renforcer les mesures de protection des journalistes aux échelons national et international. Mis à part les efforts de diplomatie préventive et le règlement pacifique des différends et des conflits à un stade précoce, la meilleure dissuasion consiste, à n’en pas douter, à mettre rapidement un terme à l’impunité et à demander des comptes à ceux qui sont responsables de violations du droit international humanitaire. Ces violations donnent également lieu au droit des victimes à un recours effectif. De plus, comme le Secrétaire général l’a indiqué dans son rapport le plus récent sur la question (S/2013/689), la responsabilité doit être également comprise au sens plus large de responsabilité politique, juridique et morale des individus et des institutions pour les violations passées.

Il est évident que le problème ne peut être réglé efficacement que s’il existe une volonté de la part des États et de la communauté internationale dans son ensemble de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les normes et les règles soient pleinement respectées et mises en œuvre, et que ceux qui sont responsables de violations du droit international humanitaire soient traduits en justice. Les engagements en faveur des efforts à déployer en matière de protection doivent être exempts de sélectivité et de considérations politiques.

La guerre menée contre l’Azerbaïdjan par l’Arménie voisine a coûté la vie à des dizaines de milliers de civils, parmi lesquels un certain nombre de journalistes qui ont été tués à la suite d’attaques délibérées pendant qu’ils travaillaient dans la zone de conflit. Dans ses résolutions sur la question, le Conseil de sécurité a condamné les violations du droit international humanitaire commises pendant le conflit, y compris les attaques perpétrées contre les civils et les bombardements de zones peuplées. Toutefois, les auteurs de ces violations, parmi lesquels figurent les membres de la direction politique et militaire de l’Arménie, continuent de jouir de l’impunité, une situation qui constitue un obstacle de taille à la fois pour la défense des droits et libertés individuels et pour l’instauration d’une paix durable, la justice, la vérité et la réconciliation. C’est pourquoi la communauté internationale se doit de jouer un rôle plus actif, lorsque les autorités nationales ne prennent pas les mesures voulues pour garantir le respect du principe de responsabilité.

Il est important que le Conseil de sécurité continue de mettre l’accent sur ce sujet et exige systématiquement que toutes les parties à un conflit armé s’acquittent pleinement des obligations qui leur incombent en vertu du droit international en ce qui concerne la protection des civils en période de conflit armé, y compris celle des journalistes, et qu’elles prennent toutes les mesures nécessaires pour prévenir les attaques contre les journalistes et traduire en justice les auteurs de ces actes.

Pour terminer, je voudrais commenter brièvement les propos tenus par la délégation des États-Unis à propos de l’Azerbaïdjan.

Premièrement, la référence aux poursuites pénales en cours contre M. Ismayilova n’a rien à voir avec le sujet du débat public d’aujourd’hui, à savoir la protection des journalistes en période de conflit armé.

Deuxièmement, les remarques concernant l’affaire pénale en question sont également sans objet eu égard au mandat du Conseil de sécurité, organe auquel incombe la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Troisièmement, la mention d’affaires pénales individuelles constitue une ingérence dans les responsabilités des services chargés de l’application des lois. Toute tentative visant à politiser l’instruction de telles affaires représente une remise en cause de l’indépendance de l’appareil judiciaire d’un État souverain.

Quatrièmement, étant donné le sujet auquel est consacré le débat public d’aujourd’hui, il serait bien que la délégation des États-Unis se souvienne des noms d’autres journalistes originaires d’Azerbaïdjan, parmi lesquels Salatin Esgerova, Chinguiz Mustafayev, Ali Mustafayev et Osman Mirzoev, qui ont été tués au cours de l’agression de l’Arménie contre l’Azerbaïdjan dans l’exercice de leurs fonctions professionnelles dans la zone de conflit. Les auteurs des crimes commis contre ces journalistes continuent de jouir de l’impunité. Or, il nous semble que le Gouvernement des États-Unis ne s’est jamais vraiment soucié de ces cas.

Enfin, je voudrais encore une fois saluer l’initiative de la Lituanie de convoquer ce débat public de haut niveau pour examiner la mise en œuvre de la résolution 1738 (2013) et les enseignements qui en ont été tirés.

M. De Aguiar Patriota (Brésil) (parle en anglais) : Je vous remercie, Madame la Présidente, d’avoir convoqué ce débat qui tombe à point nommé. Je suis également reconnaissant au Vice-Secrétaire général, M. Jan Eliasson, à M. Christophe Deloire, de Reporters sans frontières, et à Mme Mariane Pearl, de la Fondation Daniel Pearl, pour leurs exposés instructifs.

Le Brésil condamne fermement toutes les attaques délibérées commises contre des professionnels des médias, quel qu’en soit le motif. Comme nous le savons, le droit international humanitaire garantit la protection non seulement des correspondants de guerre accrédités, qui ont droit au statut de prisonnier de guerre, mais aussi aux autres journalistes, qui bénéficient des mêmes droits et protections que ceux accordés aux civils en période de conflit armé.

En adoptant la résolution 1738 (2006), le Conseil demandait instamment aux États et à toutes les autres parties à un conflit armé de tout faire pour empêcher que des violations du droit international humanitaire soient commises contre des civils, y compris des journalistes, des professionnels des médias et le personnel associé. Dans les zones contrôlées par des acteurs non étatiques et par des groupes terroristes, cette question revêt une dimension particulière, comme l’indique le document de réflexion établi par la Lituanie (S/2015/307, annexe). Nous devons redoubler d’efforts pour faire en sorte que les auteurs de crimes contre les journalistes répondent de leurs actes et pour traduire en justice ceux qui diffusent des incitations au génocide, aux crimes contre l’humanité et à d’autres violations graves.

Même si la sécurité de tous les professionnels des médias est une source de préoccupation, il faut faire une distinction fondamentale entre, d’une part, les menaces à l’encontre des journalistes qui diffusent des informations depuis des zones de conflit armé et, de l’autre, les actes de violence perpétrés contre des journalistes dans des circonstances qui ne constituent pas des conflits armés.

Lorsque les professionnels des médias sont mis en danger par une situation qui constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales, le Conseil a un rôle bien précis à jouer ; les autres organes de l’ONU sont quant à eux chargés de promouvoir un environnement sûr pour les journalistes en temps de paix. Parmi les mesures positives prises dans ce dernier cas figurent la proclamation par l’Assemblée générale du 2 novembre comme Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes ; les résolutions du Conseil des droits de l’homme sur la sécurité des journalistes ; et le rôle de premier plan joué par l’UNESCO avec la mise en œuvre du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. Le Conseil de sécurité doit respecter ces diverses initiatives et observer la discipline nécessaire à cet égard.

La sûreté et la sécurité des journalistes peuvent également être mises en péril par une surveillance aveugle de leur communication professionnelle. Le personnel des médias doivent protéger la vie privée, l’intégrité et l’anonymat de leurs sources, en particulier en situation de conflit armé. Outre le fait qu’ils violent les droits de l’homme fondamentaux, sapent les fondements de la démocratie et mettent à mal la souveraineté des États, les programmes de surveillance secrète mettent également en danger ceux dont la survie peut dépendre de la confidentialité de leur identité ou de leurs sources, tels que les journalistes d’investigation qui enquêtent dans des régions ravagées par la guerre ou dans des zones contrôlées par des groupes terroristes.

Je voudrais mentionner le dernier rapport en date (A/69/397) du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Ben Emmerson. Ce document souligne que la technologie d’accès global porte systématiquement atteinte à la vie privée en ligne, et met directement et constamment en cause une norme bien établie du droit international.

Le Brésil félicite le Conseil des droits de l’homme d’avoir créé le poste de Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, chargé d’étudier les défis que posent l’ère du numérique et les nouvelles technologies. Nous avons été honorés de faciliter et de présenter la résolution 28/16 du Conseil des droits de l’homme nommant le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée.

La première victime de la guerre est la vérité, et il importe de toujours bien faire la distinction entre le journalisme et la propagande. Des médias libres, indépendants et pluralistes ne sont pas seulement essentiels pour défendre la démocratie et la promotion des droits de l’homme, ils constituent également un instrument indispensable pour diffuser l’information et sensibiliser l’opinion publique à la tragédie de la guerre et à ses conséquences humanitaires. Pour accomplir cette tâche essentielle il faut préserver les journalistes du harcèlement et des attaques. Pourtant, les missions des professionnels des médias en période de conflit armé deviennent de plus en plus périlleuses, comme le souligne le dernier rapport en date du Secrétaire général sur la sécurité du journalisme et la question de l’impunité (A/69/268), et beaucoup trop de journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions.

Pour finir, le Brésil réaffirme son attachement à l’entreprise vitale qui consiste à protéger l’ensemble des journalistes et du personnel des médias en période de conflit armé. Nous sommes tous concernés par le bien-être des journalistes, qui risquent leur vie de façon désintéressée pour informer la communauté internationale, y compris le Conseil de sécurité lui- même, des réalités complexes des conflits armés.

Le Brésil souscrit pleinement aux initiatives prises par le Conseil de sécurité à cette fin, dans le cadre des responsabilités qui lui incombent en vertu de la Charte et de manière compatible avec l’action menée par d’autres organismes multilatéraux. Je voudrais citer les paroles que le Secrétaire général a prononcées à l’occasion de la Journée mondiale de liberté de la presse, célébrée le 3 mai : « [S]aluons la mémoire de ceux... qui ont perdu la vie et redoublons d’efforts pour faire respecter le droit fondamental de la personne humaine à la liberté d’expression et la liberté de la presse ».

M. Skoog (Suède) (parle en anglais) : Je vous remercie, Madame la Présidente, et je félicite encore une fois la Lituanie de la manière très efficace et percutante dont elle exerce son mandat à la tête du Conseil de sécurité. Je tiens également à vous remercier de la convocation de cet important débat sur la protection des journalistes en période de conflit. Je remercie aussi le Vice-Secrétaire général de son exposé fort utile, ainsi que M. Christophe Deloire et Mme Mariane Pearl de leurs témoignages convaincants, qui ont chacun souligné le rôle indispensable que jouent les journalistes en tant que témoins des conflits et le tribut de plus en plus lourd qu’ils paient pour diffuser l’information.

La Suède s’associe pleinement à la déclaration qui sera faite par l’observateur de l’Union européenne.

Nous restons profondément préoccupés par le nombre élevé d’actes de violence perpétrés contre les journalistes et d’autres professionnels des médias. La liberté d’expression est un droit fondamental de la personne humaine. Elle est un élément essentiel de la démocratie et contribue à façonner notre compréhension du monde. Mais il ne faut pas la prendre pour acquise ; elle doit être défendue chaque jour.

Nous savons tous que les journalistes dans les zones de conflit armé doivent être considérés comme des civils au regard du droit international humanitaire, et donc être respectés et protégés en tant que tels. Le Conseil l’a rappelé dans sa résolution 1738 (2006) et a promis de porter une attention accrue à la question de la protection des journalistes en période de conflit armé. Malheureusement, la sécurité des journalistes est de plus en plus menacée. Les journalistes qui travaillent dans des zones de conflit, mais aussi les défenseurs des droits de l’homme et ceux qui promeuvent la liberté d’expression, y compris les nouveaux médias, sont de plus en plus fréquemment victimes d’attaques, de persécution et d’abus.

La Syrie est l’illustration tragique, entre autres, des risques associés au journalisme dans les zones de conflit. Des journalistes suédois ont été enlevés, mais ont été récemment libérés. Cependant, nous sommes tout à fait conscients que d’autres ont eu moins de chance, et nous sommes consternés par le nombre de journalistes qui ont perdu la vie, dont notamment un journaliste japonais exécuté par l’État islamique d’Iraq et du Levant au début de l’année.

Nous, la communauté internationale, avons l’obligation de réagir et de prendre de nouvelles mesures pour prévenir la violence et promouvoir un environnement sûr pour les journalistes et les autres acteurs du monde des médias. Je voudrais souligner trois points en particulier.

Premièrement, nous devons continuer d’exiger que la protection accordée aux journalistes en vertu du droit international soit pleinement respectée et préservée, et de trouver les moyens à cette fin. Nous nous félicitons de l’adoption une fois encore par la Troisième Commission d’un projet de résolution sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, en novembre 2014, ainsi que de l’adoption de la résolution sur la protection des journalistes adoptée par le Conseil des droits de l’homme en septembre dernier.

Le Conseil de sécurité et l’ensemble du dispositif de consolidation de la paix des Nations Unies peuvent aussi jouer un rôle important en incluant la protection des journalistes à l’appui fourni aux institutions chargées de garantir l’état de droit dans le cadre des efforts de maintien et de consolidation de la paix, et en réagissant lorsque des violations sont commises.

Deuxièmement, il ne faut pas tolérer l’impunité. C’est aux gouvernements qu’incombe principalement la responsabilité de protéger les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et tous ceux qui promeuvent la liberté d’expression, y compris les nouveaux médias, et de créer des conditions leur permettant de faire leur travail en toute indépendance, sans ingérence indue et sans craindre des violences ou des persécutions. Toutefois, assurer leur protection ne suffit pas. Les États doivent également veiller au respect du principe de responsabilité lorsque des crimes ont été commis. La lacune la plus grave n’est pas l’absence de règles, mais plutôt le fait que celles qui existent déjà ne sont pas appliquées et qu’en cas de violations, des enquêtes, des poursuites et des procédures visant à punir leurs auteurs ne sont pas engagées systématiquement.

Troisièmement, des mesures préventives sont nécessaires pour promouvoir la sécurité des journalistes et lutter contre l’impunité. Nous devons également nous attaquer aux causes profondes des violences visant les journalistes. Des institutions ouvertes à tous et qui fonctionnent bien sont essentielles à cet égard. D’une certaine manière, la liberté des médias est un test décisif pour toute société et son absence peut être considérée comme un signe précurseur de conflit. Dans ce contexte, il convient d’attirer l’attention sur le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, qui met l’accent sur le renforcement des capacités nationales. Bien entendu, nous sommes favorables à sa pleine mise enœuvre.

La Présidente (parle en anglais) : Il reste un certain nombre d’orateurs sur ma liste pour la présente séance. Compte tenu de l’heure avancée, je me propose, avec l’assentiment des membres du Conseil, de suspendre la séance jusqu’à 15 heures.

La séance est suspendue à 13 heures.