Le rêve de M. Erdoğan touche à sa fin. Les États-Unis veulent se débarrasser de lui et il a perdu les dernières élections législatives.

Recep Tayyip Erdoğan était un voyou, qui vécu durant deux ans dans la rue à la tête d’un petit gang. Il se convertit à l’islamisme et rejoignit la Millî Görüş, une organisation nostalgique du califat. C’était alors un militant d’extrême droite anti-communiste qui participait à diverses manifestations anti-juives et anti-maçonniques. Il se présenta aux élections et fut élu député, puis maire d’Istanbul, mais il se garda bien de mettre en œuvre son programme islamiste. Cependant, lors de l’affrontement entre les islamistes et les kémalistes, il prit nettement position dans un discours et fut arrêté et condamné à 4 mois de prison.

À sa sortie, il déclara avoir renoncé à imposer sa vision de l’islam à la société. Avec l’aide de l’ambassade US, il fonda alors l’AKP, un parti à la fois islamiste et atlantiste auquel il intégra non seulement ses camarades de la Millî Görüş, mais aussi les disciples de Fetullah Güllen, et les anciens partisans de Turgut Özal (qui fut président de la République au début des années 90). Il gagna également les élections de 2003, ce qui permit à Recep Tayyip Erdoğan de devenir enfin Premier ministre, son interdiction politique étant terminée.

Arrivé au pouvoir, M. Erdoğan oublia d’imposer ses vues islamistes. Il développa l’économie avec l’aide des États-Unis, puis à partir de 2009 mit en œuvre la théorie du professeur Ahmet Davutoğlu (un disciple de Fetullah Güllen) de « zéro problème avec nos voisins ». Il s’agissait de résoudre, avec un siècle de retard, les conflits hérités de l’Empire ottoman.

Le premier virage d’Erdoğan eut lieu durant la guerre contre la Libye. L’Otan fit appel à la Turquie et celle-ci utilisa la tribu de Misrata car elle avait été formée par des Turcs en Libye, au XVIIIe et XIXe siècle. Erdoğan les mobilisa pour renverser Mouamar el-Kadhafi.

Lorsque, en juillet 2012, l’Axe de la Résistance réagissait à l’assassinat des membres du Conseil de sécurité national syrien en tentant d’assassiner le prince saoudien Bandar ben Sultan, Recep Tayyip Erdoğan saisit sa chance. Il substitua la Turquie à l’Arabie saoudite dans la manipulation du terrorisme international. Ce fut son second virage.

En deux ans, plus de 250 000 mercenaires, venus des quatre coins du monde, transitèrent par la Turquie pour faire le jihad en Syrie.

M. Erdoğan installait trois camps d’entrainement d’al-Qaïda sur son sol à Şanlıurfa (frontière syrienne), à Osmaniye (à côté de la base de l’Otan d’Incirlik), et à Karaman (près d’Istanbul) où il organisa une académie du terrorisme.

Durant la période où il était mondialement recherché, Yasin al-Qadi, le « banquier d’al-Qaïda », se rendait secrètement à Ankara, en avion privé. Les gardes du corps de M. Erdoğan venaient le chercher à l’aéroport, non sans avoir d’abord désactivé les caméras de surveillance.

En mai 2014, le MIT transférait par train spécial à Daesh quantité d’armes lourdes et de pick-up Toyota neufs offerts par l’Arabie saoudite.

L’AKP se rapprocha officiellement des Frères musulmans lors de la guerre conduite par Israël contre les Gazaouites, en 2008-09. Dès les premiers jours du printemps arabe, l’AKP soutenait Rached Ghannouchi en Tunisie, Mahmoud Jibril en Libye et Mohamed Morsi en Égypte. Le parti fournit des spécialistes en communication politique aux Frères musulmans et les conseilla pour imposer leur vision commune de l’islam dans leurs sociétés respectives.

Signe de cette alliance, M. Erdoğan facilita, en septembre 2011, la création à Istanbul du Conseil national syrien, appelé à devenir le gouvernement syrien en exil ; une instance entièrement contrôlée par les Frères musulmans.

Le troisième virage eut lieu en septembre 2014. À l’époque, le Qatar évita une guerre avec l’Arabie saoudite en invitant les Frères musulmans à quitter l’Émirat, M. Erdoğan saisit à nouveau sa chance et se trouva seul parrain de la Confrérie au plan international.

Cependant, en signant le 1er décembre 2014 un accord économique avec Vladimir Poutine pour lui permettre de contourner les sanctions de l’Union européenne (Turkish Stream), M. Erdoğan a défié les règles implicites de l’Otan. Ce faisant, il est devenu l’homme à abattre à la fois pour Washington et pour Bruxelles. Les États-Unis ont donc largement influé en sous-main durant la campagne électorale pour rendre possible le renversement de l’AKP.

Pour cette élection, M. Erdoğan s’était fixé comme objectif de remporter 400 sièges sur 550. En réalité, pour faire adopter une constitution taillée sur mesure qui lui accorde les pleins pouvoirs exécutifs, il espérait 367 sièges. À défaut, il se serait contenté de 330 sièges, ce qui lui aurait permis de convoquer un référendum qui aurait adopté le projet de constitution à la majorité simple. De toute manière, il lui en fallait 276 pour disposer de la majorité parlementaire, mais il n’en aura que 258, ce qui est insuffisant pour conserver seul le pouvoir.

Les États-Unis ont organisé, en juin 2013, les manifestations du parc Taksim Gezi, non pas pour faire chuter Erdoğan, mais juste lui donner un avertissement. Constatant que ce mouvement n’avait pas pu le renverser, l’AKP se pensait, à tort, indétrônable. Il a donc tenté de faire passer en force son programme islamiste (foulards pour les femmes, interdiction de cohabitation pour les célibataires de sexe opposé, etc.). Et ce, alors que l’image pure du Sultan se trouvait soudainement remise en cause par la révélation de la corruption de sa famille. En février 2014, on entendait, sur ce qui paraît être une interception téléphonique, M. Erdoğan demander à son fils de cacher 30 millions d’euros en liquide avant une perquisition de la police.

Tout ceci sans parler de la purge contre les fidèles de son ancien allié, Fethullah Gülen, de l’incarcération massive de généraux, d’avocats et de journalistes, du non-respect des promesses faites aux Kurdes, et de la construction du plus grand palais présidentiel au monde.

Source
Télévision nationale syrienne