Lettre adressée par la Commission nationale chargée de l’application de la Convention sur les armes chimiques à la suite des allégations avancées par les États-Unis d’Amérique concernant les travaux du Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et de l’Organisation des Nations Unies et des missions d’établissement des faits de l’OIAC relatifs à l’utilisation d’armes chimiques en Syrie

Comme suite à la présentation des faits délibérément déformés figurant dans la lettre datée du 10 janvier 2018, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations Unies (S/2018/35), dans laquelle la Syrie fait l’objet d’allégations et d’accusations concernant les travaux du Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU et des missions d’établissement des faits de l’OIAC relatifs à l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, j’ai l’honneur de vous faire part des observations formulées à cet égard par la Commission nationale chargée de l’application de la Convention sur les armes chimiques. La présente réponse vise à déjouer les tentatives de déformation de la réalité et à rétablir les faits après les falsifications et les inexactitudes figurant dans le document officieux présenté par la délégation des États-Unis d’Amérique.

Nous sommes au regret de dire que les allégations figurant dans ce document déforment systématiquement des postulats de base et font bien plus de tort aux scientifiques et experts américains qu’à la Syrie. La lettre abonde de conclusions qui occultent les vérités scientifiques les plus simples. Les allégations figurant dans le document officieux établi par les États-Unis ont pour seul objet d’inciter l’hostilité à l’égard de la Syrie, même lorsque cela se fait au détriment de la logique ou de la vérité scientifique, qu’il est impossible de manipuler. Ces accusations s’inscrivent dans le cadre de la défense du Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU, dont les différents rapports ne sont, d’après les affirmations d’un grand nombre de personnes, ni objectifs, ni scientifiques, ni indépendants, notamment le septième rapport dont les auteurs entendaient servir les intérêts politiques d’États connus pour leur animosité à l’égard de la Syrie et leur parrainage des groupes terroristes armés, au premier rang desquels les États-Unis et d’autres pays comme la France. Ces États ont l’habitude d’utiliser ce type d’instruments pour servir leurs propres intérêts politiques au détriment du sort des peuples et de questions fondamentales.

La Commission nationale a formulé les points ci-après en réponse aux allégations figurant dans le document officieux susmentionné établi par les États Unis :

1. La présence d’hexamine révélée dans l’analyse des échantillons de sarin prélevés à Khan Cheïkhoun ne signifie pas obligatoirement que le sarin est de fabrication syrienne, compte tenu en particulier des tentatives délibérées d’accuser la Syrie. N’importe qui peut préparer du sarin par un procédé proche de celui utilisé par la Syrie, en ajoutant de l’hexamine pour faire croire qu’il est d’origine syrienne, sachant que cet agent, disponible sur le marché libre, n’est pas interdit à la vente et qu’il est facile de s’en procurer et de l’ajouter à du sarin déjà préparé.

La Syrie avait déjà officiellement communiqué à l’OIAC des informations sur son mode de fabrication du sarin et il est fort possible que des groupes terroristes s’en soient emparés, d’autant que des cas de violation de confidentialité ont eu lieu dans cette Organisation, d’après des enquêtes internes.

S’agissant des résultats de l’analyse des échantillons de sarin provenant du stock syrien prélevés par l’OIAC en 2014, nous signalons qu’il ne contenait pas de sarin mais uniquement du difluorure de méthylphosphonyle (DF) transféré hors du territoire national. Il convient de rappeler que la partie syrienne avait demandé à maintes reprises à l’OIAC, sans obtenir de réponse de sa part, de lui communiquer les résultats de l’analyse des échantillons du DF transférés ainsi que ceux de l’analyse du DF sur lesquels le Mécanisme avait fondé son rapport final. Pour produire du sarin, il suffit d’ajouter une quantité de DF à de l’alcool isopropylique. Quant aux impuretés mentionnées dans le rapport du Mécanisme d’enquête conjoint, elles peuvent être présentes lorsque le DF est produit par un procédé autre que celui suivi par la Syrie. Il en existe une par exemple consistant à utiliser de l’iodure de méthyle avec du phosphate de triméthyl ou encore avec du phosphate de triisopropyle et à le chlorer avec du chlorure de thionyle. Par conséquent, les impuretés présentes, citées dans le rapport d’analyse, ne sont pas propres au stock syrien, contrairement à ce qu’a affirmé M. Mulet, lorsqu’il a dit qu’elles portaient la marque du stock syrien.

En ce qui concerne le débat relatif à l’arsenal chimique libyen, il se serait en grande partie volatilisé. Les États occidentaux ont accepté cette allégation alors qu’aucun document ou élément de preuve concret ne vient l’appuyer. Comment pouvons-nous être certains que cet arsenal n’a pas été transféré clandestinement aux terroristes, l’ONU ayant confirmé que ceux-ci détenaient et avaient utilisé des armes chimiques ? Dans le même temps, l’OIAC refuse d’admettre la possibilité d’un déversement accidentel de DF de deux conteneurs.

2. Les États-Unis affirment que le Gouvernement syrien leur a refusé un accès immédiat au site et que la Mission d’établissement des faits s’est donc entretenue en lieu sûr avec des témoins.

Observations :

Cette allégation est totalement fausse car la Syrie a été la première à demander à l’OIAC d’effectuer une visite à l’aéroport de Chaaeïrat ainsi que sur le lieu de l’incident et à ouvrir une enquête. La Syrie avait donné des garanties concernant l’accès en toute sécurité jusqu’au dernier poste militaire le plus proche de la localité de Khan Cheïkhoun, convaincue qu’il était dans son intérêt d’élucider les circonstances de cet incident. Opacité et atermoiement ont été la suite donnée à sa demande, sachant que des garanties avaient également été fournies concernant l’accès sûr du traître Riyad Hijab à Khan Cheïkhoun. On peut également supposer qu’il aurait été logique et dans l’intérêt des groupes terroristes armés de faciliter plutôt que d’entraver l’accès sûr de la Mission au lieu présumé de l’incident.

La présence de sarin dans les échantillons prélevés par Damas et remis à l’OIAC ne peut être interprétée comme la preuve que l’armée syrienne a utilisé cet agent (comme expliqué au point 1).

Le Gouvernement des États-Unis a pilonné la base de Chaaeïrat, avant l’ouverture d’une enquête, sous le prétexte que les avions qui avaient bombardé Khan Cheïkhoun avaient décollé de cette base. Il était donc extrêmement important de s’y rendre et d’y prélever des échantillons, afin d’établir si elle avait vraiment servi à mener cette opération.

Durant la visite tardive de la base, les représentants du Mécanisme d’enquête conjoint se sont entretenus sur place avec certains responsables sans prélever d’échantillons. S’ils l’avaient fait, cela aurait démontré l’absence de trace de sarin et invalidé toutes les allégations inventées et diffusées par les États-Unis pour justifier leur acte d’agression contre la base aérienne de Chaaeïrat. Nous signalons à cet égard que la Syrie n’a cessé d’insister pour que le Mécanisme effectue une visite à Khan Cheïkhoun et sur la base aérienne mais il ne l’a pas fait, invoquant l’insécurité en cours.

La visite du lieu de l’incident revêtait une très grande importance car elle aurait permis d’identifier le mécanisme de détonation et de propagation ainsi que la zone d’impact. Tous ces facteurs sont essentiels pour déterminer les causes de l’incident. Le Mécanisme ne les a pas pris en considération alors qu’ils devraient faire partie de toute enquête scientifique fondée sur des faits et des preuves. La partie syrienne détenait d’ailleurs des éléments de preuve et des conclusions obtenus sur le lieu de l’incident (le cratère).

Les États-Unis ont fait valoir que la Mission d’établissement des faits n’avait pas mené d’enquête à l’aéroport de Chaaeïrat parce que cela n’avait pas d’incidence directe sur la question de savoir si des armes chimiques avaient été employées. Cette allégation est inadmissible car la partie américaine s’en est servie pour justifier le bombardement de l’aéroport de Chaaeïrat ; elle ne peut donc pas avancer le même prétexte dans deux contextes contradictoires.

3. La question la plus importante concernant Khan Cheïkhoun n’est pas de savoir si du sarin a été utilisé ou non mais par qui et comment. Tous les éléments de preuve scientifique ci-après, relatifs à la forme et à la nature du cratère, à la direction du vent et à la zone d’impact présumé, laissent penser que le cratère a été creusé et qu’il n’était pas le résultat du largage d’une bombe :

• La forme et la profondeur du cratère ainsi que l’absence d’un angle d’incidence de la bombe qui aurait été larguée montrent que le cratère n’a pas été formé par un projectile. Le largage d’une bombe de 100 à 250 kilogrammes à une altitude de 3 à 4 kilomètres et à une vitesse comparable à celle d’un avion aurait créé un cratère d’une forme différente, même si la bombe n’avait pas explosé ;

• Les restes du projectile aérien : l’amorce et l’empennage n’ont pas été retrouvés alors qu’il aurait été dans l’intérêt de la partie qui a porté l’allégation de les préserver pour confirmer sa déclaration ;

• Tous les bulletins météorologiques fiables indiquent qu’au moment de l’incident, le vent soufflait du sud-ouest au nord-est alors que la zone d’impact présumée est située à l’ouest, et non à l’est, du cratère présumé. Pourquoi le Mécanisme et d’autres acteurs ne se sont pas interrogés sur les raisons de blessures infligées dans la direction opposée à celle du vent et ne se sont pas dit qu’il en existait peut-être d’autres et que le cratère avait été créé pour en dissimuler la véritable raison ;

• Les plans de vol indiquent que les avions syriens étaient éloignés du lieu de l’incident. À cette distance, alors que les avions suivaient une trajectoire sud nord, ce que les plans de vol internationaux et locaux ont confirmé, un avion n’aurait pas pu larguer une bombe alors qu’il se trouvait à plus de 5 kilomètres de la cible présumée et que sa trajectoire ne correspondait pas à l’emplacement de la cible ;

• Le facteur le plus important dans l’enquête est la présence de preuves substantielles et d’échantillons démontrant qu’un incident a eu lieu et établissant les circonstances ;

• La chaîne de traçabilité des éléments de preuve fait partie intégrante de la procédure d’enquête judiciaire ;

• L’absence de solide traçabilité des éléments de preuve sème le doute sur la fiabilité des échantillons et des éléments de preuve ;

• On peut observer que le Mécanisme n’a pas respecté la chaîne de traçabilité des éléments de preuve, qui ont été remis à un État voisin. Les règles de traçabilité des éléments de preuve n’ont pas été suivies pour ce qui est de confirmer la source, l’heure, la date ainsi que le mode de transfert ;

• Il est évident que ces éléments ont été recueillis par le Mécanisme chargé de l’enquête. Néanmoins, le fait qu’une faction terroriste du Front el-Nosra les ait remis suscite clairement des doutes sur la crédibilité du Mécanisme ;

• La chaîne de traçabilité des éléments de preuve, les témoins et les échantillons ont été présentés par un groupe terroriste membre du Front el-Nosra, loin du lieu de l’incident.

4. Soucieux de démasquer les vrais coupables, le Gouvernement syrien, dans des circonstances exceptionnelles, a obtenu des échantillons sur le lieu de l’incident. Ceux-ci ont été analysés et les résultats ont été transmis tels quels au Mécanisme malgré la présence d’hexamine et de produits de dégradation du sarin, ce qui démontre très clairement la crédibilité et la transparence du Gouvernement syrien ainsi que sa non-implication dans l’incident. Pour produire du sarin, il suffit d’ajouter une quantité de DF à de l’alcool isopropylique. Quant aux impuretés recensées dans le rapport du Mécanisme d’enquête conjoint, elles peuvent être présentes lorsque le DF est fabriqué par un procédé qui n’est pas celui employé par la Syrie. Il en existe une par exemple consistant à utiliser de l’iodure de méthyle avec du phosphate de triméthyl ou encore avec du phosphate de triisopropyle et à le chlorer avec du chlorure de thionyle. Par conséquent, les impuretés présentes, citées dans le rapport d’analyse, ne sont pas propres au stock syrien.

5. L’affirmation selon laquelle les membres du Mécanisme d’enquête conjoint auraient adopté une approche scientifique au cours de leurs investigations et la mise en œuvre effective d’une telle approche de manière précise et pondérée sont deux choses différentes. En faisant cette affirmation, le Mécanisme prête largement le flanc aux critiques concernant ses méthodes, ses analyses et l’exactitude de ses conclusions. La lumière n’a pas encore été totalement faite à ce jour sur une grande partie des méthodes de travail et de l’approche suivie par le Mécanisme de la part d’experts et de spécialistes dont les méthodes, analyses et évaluations sont plus crédibles que celles suivies dans le rapport du Mécanisme. À ce propos, bon nombre d’experts, y compris de pays occidentaux, comme les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni, ont démontré dans des études et des rapports que les éléments de preuve et les affirmations figurant dans le rapport du Mécanisme étaient faux et ses conclusions erronées. En particulier, certains de ces experts, contrairement au Mécanisme, ont compté sur des méthodes et des théories plus solides afin d’envisager toutes les possibilités et hypothèses, ce qui les a amenés à réfuter bon nombre de questions relatives aux témoignages et aux éléments de preuve, auxquels le Mécanisme s’était fié, et à aboutir à des conclusions qui étaient en contradiction totale avec celles du Mécanisme. Cela confirme que le Mécanisme d’enquête conjoint manque de professionnalisme et cela invalide dans le même temps les résultats auxquels il est parvenu avec un degré de « confiance », comme il l’a prétendu. Cela remet également en cause ses travaux pour ce qui est du cheminement de l’enquête et de l’analyse, et en mine les conclusions. Par conséquent, une question aussi sensible et aussi grave doit être jugée en fonction de certitudes et d’éléments probants et non pas de doutes et d’approximations.

6. Le rapport d’experts est très largement erroné en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le cratère avait été probablement causé par un objet lourd se déplaçant à grande vitesse, étant donné que le cratère aurait été de forme elliptique et bien plus profond, avec un retournement de la terre sur le côté et une déformation du bitume différente. Quant aux débris et aux dégâts dans les parages immédiats, ils auraient pu être produits par une bombe guidée ou non guidée. Les fragments auraient été propulsés à grande vitesse mais l’amorce et l’empennage de la bombe ou encore d’autres parties auraient tous dû se trouver près du cratère. Le Mécanisme ne s’est cependant pas penché sur cette question. M. Mulet a affirmé que les experts avaient examiné les fragments de munitions observés dans le cratère mais il n’a pas expliqué pourquoi ces fragments n’avaient pas été remis en vue d’une analyse ni pourquoi les observations relatives aux fragments présumés figurant dans notre rapport n’avaient pas été prises en compte. En cas d’emploi de système chimique aérolargué, on devrait retrouver l’empennage et le dispositif de mixage sur les lieux de l’impact, même à une distance de 300 mètres, comme le suppose M. Mulet. Par conséquent, où se trouvent ces restes ? Le Mécanisme n’a pas expliqué leur absence. La question ci après se pose donc : comment les experts ont-ils conclu que l’objet lourd faisait partie de la gaine d’une bombe aérolarguée d’un diamètre de 300 à 500 mm ? Cette conclusion est erronée et n’est ni scientifique ni réaliste. Il est probable que cet objet faisait partie d’un tuyau de diamètre relativement petit, et non pas de cette taille.

En ce qui concerne l’incident survenu le 30 mars 2017 à Latamné, on remarque, en comparant les deux rapports relatifs aux résultats d’analyse des échantillons prélevés dans ce village, que le premier rapport indique la présence de sarin et des traces de sa dégradation mais pas d’autres types de composés : phosphorofluoridate de diisopropyle (DIPF), phosphate de diisopropyle (DIPP), hexafluorophosphate (HFP), phosphate de diisopropyle (DIPP), phosphate de triisopropyle (TPP).

Le second rapport a quant à lui un caractère politique. Les autres types de composés et les impuretés ont été ajoutés aux résultats d’analyse pour correspondre au rapport relatif aux échantillons prélevés à Khan Cheïkhoun et accuser le Gouvernement syrien d’avoir utilisé le sarin produit selon le procédé syrien, d’après les auteurs du rapport. Cela montre clairement que les deux rapports sont contradictoires.

7. Compte tenu des victoires qu’elle a remportées sur le terrain, l’Armée arabe syrienne n’avait pas besoin d’employer des armes qui auraient terni la réputation de la Syrie et de son armée. Ces armes sont utilisées contre des enfants et d’autres civils par des éléments armés afin d’atteindre des objectifs personnels connus et non pas lorsqu’ils réalisent des avancées et obtiennent des victoires successives. Il faut à cet égard déterminer qui profite de tels actes afin que les enquêteurs se fassent une idée plus claire de la situation et puissent définir une ligne d’action.

La République arabe syrienne espère avoir apporté les explications scientifiques nécessaires. Elle souhaitait en effet redresser les erreurs figurant dans les fausses allégations avancées dans la lettre adressée par les États-Unis et réaffirmer que la Syrie n’a pas utilisé de produits chimiques toxiques contre son peuple et ne le fera jamais, pas même au plus fort des combats contre les terroristes et les combattants ennemis, étant convaincue que rien n’en justifie l’emploi, quels que soient le moment, les circonstances ou le lieu. Il faut souligner surtout que les États-Unis d’Amérique ne sont pas habilités, sur le plan moral, à amener d’autres États à se conformer à des accords de non-prolifération des armes de destruction massive alors qu’ils viennent d’adopter une nouvelle stratégie nucléaire renforçant la politique de dissuasion nucléaire, contraire à tous les accords et usages internationaux et constituant une menace pour la survie de l’humanité.

Référence : Onu S/2018/92